Peu utilisé depuis sa construction dans les années 1960, et - TopicsExpress



          

Peu utilisé depuis sa construction dans les années 1960, et vraisemblablement désaffecté d’ici deux ans, le réseau de transport sécurisé de l’État (RTSE) n’a jamais donné la pleine mesure de ses possibilités. Cette ligne souterraine reliant les principaux sites militaires et les principaux bâtiments de l’État à Paris a pourtant un intérêt stratégique majeur. La déclassification de certains documents permet aujourd’hui d’en savoir un peu plus sur cette infrastructure naturellement peu connue. Durant la crise des missiles de Cuba, en octobre 1962, les plus hautes autorités de l’État — en fait le général de Gaulle et plusieurs de ses conseillers — constatèrent qu’à la différence des États-Unis, un certain nombre de faiblesses dans le dispositif de dissuasion nucléaire étaient présentes en France. Le Haut Comité Militaire d’Études Stratégiques (HCMES) proposa ensuite un certain nombre de projets au chef de l’État afin de renforcer le dispositif de défense. Le projet retenu en janvier 1964 comportait trois points : La mise en place d’un bunker de commandement atomique à proximité immédiate du Palais de l’Élysée ; La création d’un réseau de transmission sécurisé et totalement indépendant entre les plus hautes autorités de l’État, qui serait distinct des réseaux interministériels, publics et militaires classiques ; La création d’un réseau de galeries de communications entre les plus hautes autorités de l’État permettant en cas de conflit majeur l’évacuation de celles-ci. Le poste de commandement sera finalement implanté en réutilisant l’ancien abri construit en 1940. Il sera intégralement mis en service en 1969 (c’est le fameux poste « Jupiter »). Le réseau de transmission sera créé en plusieurs étapes par réutilisation de galeries diverses, et sera ensuite regroupé avec les galeries de transport. Le RTSE Vue non datée du colonel Soult responsable du RTSE de 1988 à 1997. Le RTSE (pour Réseau de Transport Sécurisé de l’État) sera construit dans le plus grand secret — à l’image du métro 2 de Moscou — et mis en service en 1969. Il sera classifié comme « Très secret défense » (l’équivalent français du « Top secret » de l’OTAN) jusqu’au 17 mars 2008, date à laquelle le président de la République a procédé au déclassement de celui-ci et qu’il est devenu autorisé d’en faire état. Le réseau RTSE est construit sur la base d’un tunnel monotube qui était parcouru par des petits véhicules électriques de 1969 jusqu’en 1985 [1]. Ces véhicules Panhard, de fabrication intégralement française (une exigence du général de Gaulle), ont donné lieu à de gros soucis d’entretien à partir du début des années 1980. Le tunnel a donc été converti en tunnel ferroviaire afin de rationaliser son utilisation. Ce tube « navigue » en moyenne à 40 mètres sous le niveau du sol, et donc dans la nappe phréatique, ce qui n’est pas sans poser de très lourdes sujétions d’entretien... mais présente l’avantage d’en écarter les curieux (le le croise, et personne dans le chantier ne l’a soupçonné !) et d’assurer son intégrité en cas de conflit nucléaire. Le tube est divisé en quatre sections d’importance très inégale : une section réservée à la ventilation d’air non contaminé ; une section de circulation ; une section réservée au passage des câbles de transmission ; une section réservée à l’acheminement d’eau potable non contaminée. La partie supérieure comporte les conduits de ventilation, équipés de groupes de filtrage NBC (Nucléaire, Bactériologique et Chimique) pouvant alimenter le tunnel en air purifié de manière continue. L’énergie est fournie par une INB-S (Installation Nucléaire de Base - Secret Défense) installée en sous-sol (et qui utilise la nappe phréatique pour son fonctionnement) d’un type similaire aux centrales installées sur les sous-marins SNA classe Rubis avant leur mise à niveau de 1992 (réacteur de type K48 de puissance légèrement réduite), les installations de Taverny pouvant être utilisées en secours durant 48 heures. Basiques et fonctionnelles les stations du RTSE ont été réaménagées dans le style VAL lors de la conversion des années 1980. La partie médiane qui comprend la section de circulation était à l’origine uniquement parcourue par des véhicules routiers. Désormais, ce sont des métros qui y circulent, de type VAL 206 [2]. La voie est de type « pneu » et l’expérience acquise dans ce cadre peu connu a été fort utile lors de la réponse à l’appel d’offre pour le CDG VAL (qui a des contraintes opérationnelles assez proches, de disponibilité 24h/24 !). La partie inférieure est divisée en deux sous-sections : côté Ouest pour les câbles de transmissions (désormais intégralement en fibres optiques depuis la mise en œuvre d’ISIS en 2007), côté Est pour les tuyaux d’alimentation en eau purifiée et eau de défense incendie). Le tracé et les stations Il est inutile de préciser que la plupart des stations ont une vocation purement militaire. Nom officiel Bâtiment desservi Emplacement Observations 1 Alpha BA 921 Fort de Taverny C’est à partir de ce point que le tunnel a été construit vers Paris, la rencontre ayant eu lieu quelque partie entre les points Echo et Fox 2 Bravo Point Bravo Station fantôme (inutilisée) 3 Charlie Point Charlie Station fantôme (inutilisée) 4 Delta Point Delta Station fantôme (inutilisée) 5 Echo Point Echo Station fantôme (inutilisée) 6 Fox Point de Rassemblement des moyens F Parc Monceau Zone d’atterrissage pour évacuation PDR 7 Golf Cercle National des Armées St-Augustin Cercle de l’État major 8 Hotel Ministère de l’Intérieur Place Beauvau Particularité : le tunnel est double entre l’Élysée et le ministère de l’Intérieur, un second tunnel piéton est implanté en parallèle du tunnel ferroviaire. L’actuel président de la République usait de ce passage pour entrer à l’Élysée en toute discrétion avant son élection. 9 India Présidence de la République (PDR) Palais de l’Élysée La gare est entourée de portes étanches doubles. 10 Juliett Ministère des affaires étrangères Hôtel d’Orsay Un tunnel piéton relie le SGDN (Secrétariat général de la défense nationale) à la station du Quai. 11 Kilo Ministère de la Défense Hôtel de Brienne La station ne se trouve pas sous le ministère mais plus à l’Ouest. 12 Lima Premier Ministre Rue de Varenne La station n’est pas sous l’Hôtel de Matignon mais plus à l’Est. 13 Mike Hôtel du Luxembourg Palais du Luxembourg La station est sous le parc. Un appelé a inscrit sous le panneau de la station « Iznogoud » en 1974, la mention est toujours visible... malgré certains efforts de nettoyage ! 14 November Hôpital d’instruction des armées du Val de Grâce Sous l’abri de la seconde guerre mondiale La station comporte un poste de premier secours et de réanimation en veille permanente 15 Oscar Caserne du génie Masséna 13 - Brigade des sapeurs pompiers de Paris Bd Masséna Point à partir duquel tout a été construit dans Paris. Cette station est en théorie fermée et condamnée pour éviter les indiscrétions... 16 Papa Point de Rassemblement des moyens P Fort d’Ivry Zone d’atterrissage pour évacuation PDR Une deuxième branche vers le Fort de Vincennes (c’est un autre point de rassemblement des moyens) n’a jamais été réalisée, car le président Giscard d’Estaing s’y est opposé. Cependant le triangle a été creusé entre les stations Brienne et Matignon. Il est actuellement utilisé pour stocker des équipements de protection radiologique. Une troisième branche a été étudiée vers le fort de Montrouge, l’hôpital militaire Percy et la Base aérienne 107 de Villacoublay. Elle n’a jamais vu le moindre début d’exécution. En effet la réalisation du tunnel vers Taverny s’est révélée fort délicate et surtout très coûteuse ! Or les fonds secrets n’étaient pas extensibles, et sont désormais contrôlés de près par le Parlement. Ouvrage de ventilation du RTSE construit sur le modèle des ouvrages du métro parisien. Le tunnel comporte de très nombreuses installations anti-souffle ainsi que des casernements qui demeurent désormais désespérément vides : l’automatisme a rendu ces locaux inutiles. Les équipements fournis en 1985 ont été produit par la firme Matra Défense qui a utilisé les technologies du VAL (produit à l’époque par Matra Transport !). La voix suave annonçant les stations est d’ailleurs la même que dans les VAL de Lille ou Toulouse ! En revanche le coloris est typiquement militaire. La gestion opérationnelle du système relève actuellement du COS, le commandement des opérations spéciales [3]. Le service de sécurité est assuré par le GISGN comme sur l’ensemble des enceintes atomiques à l’exception du Palais de l’Élysée, du Luxembourg et de Lassay, où le premier régiment d’infanterie de la Garde Républicaine assure le service de sécurité. Les ateliers se trouvent dans les anciennes carrières de gypse de Taverny, à l’abri des regards satellitaires. Tunnel du RTSE dans les courbes prononcées jalonnant le parcours entre Juliett et November (respectivement les stations du ministère des Affaires Étrangères et du Val de Grâce) (doc. 5e régiment du Génie / PA). La desserte La ligne est parcourue toutes les heures par une rame (qu’elle soit vide ou pleine) comportant deux caisses pour vérification du bon fonctionnement. Les stations India et Lima comportent une rame prête à partir à tout moment dans chaque direction. Les transports autorisés sont effectués à la demande par envoi d’une rame en ligne. La ligne est disponible 24/7 (7 jours sur 7 et 24 heures sur 24), ce qui implique une banalisation totale des voies (elles sont toutes parcourables dans les deux sens). À l’origine le Premier Ministre ne disposait pas d’une rame en veille permanente. Ce n’est qu’après les évènements de Nouvelle Calédonie (1986) qu’il en bénéficiera lui aussi. Cependant les installations ne prévoyaient pas de 3e voie à quai, c’est donc par alternance qu’une voie est occupée en permanence (les jours impairs sur voie 1, les jours pairs sur voie 2) afin d’équilibrer l’usure et la maintenance [4]. Le Sénat et l’Assemblée Nationale sont reliés au réseau par des passages piétons qui sont, en temps normal, condamnés par des portes étanches : celles-ci symbolisent la séparation des pouvoirs et ne sont jamais ouvertes. Mais à toute règle son exception : les portes de l’Assemblée ont été ouvertes lorsque Valéry Giscard d’Estaing visita la Chambre [5]. Ce tunnel piéton vers l’Assemblée Nationale a été construit dans le prolongement des voies de garage d’Invalides, en parallèle au tunnel de la transversale rive gauche actuellement empruntée par le . Plan schématique du RTSE qui s’étend de Taverny au Fort d’Ivry (pour des raisons de sécurité, le dessin n’est pas à l’échelle). Les utilisateurs Comme on l’imagine sans peine, les utilisateurs sont peu nombreux. Jusqu’en 2004, les personnes travaillant dans cette enceinte ne pouvaient même entrer et sortir que par une unique station afin de garantir la confidentialité des accès. Georges Pompidou (c.) et Jacques Chirac (d.) lors d’une séance de travail à l’Élysée, peu après l’élection du premier à la Présidence (1969). C’est à l’issue de cette séance (consacrée à la préparation du budget 1969) que Pompidou, fumeur notoire, empruntera le RTSE pour la première... et la dernière fois ! Le « Général » aurait été un utilisateur épisodique. N’aimant pas beaucoup les voiturettes Panhard de l’époque, il en parlait comme des auto-tamponneuses... Le président Pompidou ne l’a utilisé qu’une seule fois : le véhicule est tombé en panne et dans l’attente du véhicule de secours (il n’y avait pas de balai à cette époque), il alluma une cigarette qui déclencha l’alerte incendie fermant ainsi toutes les portes étanches du tunnel ... il est rentré à l’Élysée en voiture au bout de deux heures. Après cette mésaventure, il n’utilisa plus jamais le réseau. Le président Giscard d’Estaing, lui non plus, n’aimait guère le RTSE. en revanche il exigeait que son Premier ministre Jacques Chirac l’utilise pour assister au déclenchement du feu nucléaire durant les essais dans le Pacifique. Il n’hésitait d’ailleurs pas à lui rappeler qu’il n’était là qu’en simple spectateur des opérations, seul le Président disposant du code de déclenchement. « VGE » accordera même une faveur aux Américains lorsqu’il autorisera, aux frais de la CIA, la construction d’un couloir de liaison vers l’ambassade américaine en urgence. En effet, ceux-ci étaient traumatisés par la prise d’otages effectuée en 1979 à leur représentation diplomatique à Téhéran. Craignant un coup d’État communiste en 1981, ils sollicitèrent la possibilité de rejoindre le RTSE pour évacuer l’ambassade au cas où, avec les Britanniques [6]... Les portes d’intercommunication sont ouvertes une fois par jour pour vérifier qu’elles s’ouvrent, mais jamais aucune personne n’a emprunté ce passage. Valéry Giscard d’Estaing s’est rendu célèbre en conduisant lui-même le RER inaugural, lors de la jonction Auber — Nation (8 décembre 1977). Mais sans doute peu encouragé par cette expérience de transport en souterrain, il n’a guère fréquenté le RTSE pourtant tout aussi commode pour traverser Paris (doc. INA). Le Président Mitterrand n’usa qu’une fois des voiturettes et, en bon fils de cheminot qu’il était, décida de la transformation du réseau en métro. Il y faisait souvent allusion devant Pierre Mauroy, alors Premier ministre : « moi aussi j’aurais bientôt mon jouet » (en référence au métro automatique de Lille, le fameux VAL, Pierre Mauroy étant alors maire de la ville). Par la suite il l’utilisa fréquemment, particulièrement en période de cohabitation. Il avait pour habitude d’aller prendre un hélicoptère à Ivry pour Villacoublay et de faire arrêter la rame à Matignon, en ayant pris le soin préalable de faire descendre le Premier ministre pour une affaire « de la plus haute importante ». Ce n’était en général qu’un subterfuge pour interrompre la journée de travail de ce dernier... ambiance de la cohabitation ! En gardait-il justement de trop mauvais souvenirs pendant la période 1986-1988 ? En tout cas, Jacques Chirac n’aimait pas tellement le RTSE et ne l’a guère utilisé. En revanche il autorisa les membres des cabinets des ministères concernés, ainsi que les membres de l’état-major à s’en servir de façon régulière : les bons jours, le trafic pouvait ainsi atteindre 100 à 200 passagers par jour (ce qui reste évidemment modeste à côté des dizaines de milliers transportés par Météor, le dernier métro automatique réalisé dans Paris). Connu pour sa gouaille et son franc-parler, Jacques Chirac s’est tout de même laissé aller à faire plusieurs allusions publique au « machin d’en bas » (il avait déjà expérimenté le métro ARAMIS à la fin des années 1980 et en avait gardé un très mauvais souvenir...). Rien ne valait pour lui le confort d’une Citroën DS ! Enfin, Nicolas Sarkozy a refusé d’utiliser le RTSE en tant que Président (il préfère les escortes motocyclistes) et a décidé de sa fermeture d’ici 2010. Ce qui explique le déclassement partiel des documents le concernant. Dans deux ans environ, le tunnel ne sera donc plus utilisé que pour les seules transmissions. P.S.: Nous tenons à remercier le Col. Soult (ER), ancien responsable du RTSE, de nous avoir apporté de nombreuses précisions et corrections, ainsi qu’aux services du CEMA qui ont accepté de déclassifier certaines informations.
Posted on: Thu, 03 Oct 2013 03:13:43 +0000

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