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Vu le succès que semble remporter cette petite histoire (qui compte 8 pages dans sa version complète), je vous en offre, chers amis, une petite tranche supplémentaire. Mais pas plus! "Camille, ma nièce, ma filleule, ma princesse chérie, a cinq ans et demi, et comme toutes les petite filles de son âge, elle adore jouer à la dinette. Et moi j’adore, du coin de l’œil, assis confortablement dans un fauteuil, l’observer, la regarder jouer. J’avoue qu’alors mon cœur se serre et fond comme caramel au soleil. Bien que célibataire et sans enfants, j’affirme qu’il n’est pas de plus doux, de plus charmant, de plus mignon, de plus émouvant spectacle que celui d’une petite fille qui s’efforce de faire comme les grands. Qui s’efforce surtout d’imiter sa mère, et ce dans les moindres détails. Car Camille, comme toutes les petites filles de son âge, ne vit que pour une seule et unique idée fixe, un seul rêve : celui d’être maman. C’est fou le sérieux avec lequel Camille s’entraîne, par exemple, aux tâches ménagères. Je l’entends remuer, tripoter fébrilement ses ustensiles en plastique, quand soudain, elle les abandonne pour se précipiter vers moi. Vite, je ferme les yeux et fais semblant de dormir. ― Tu veux manger quelque chose, parrain ? J’ouvre les yeux avec un immense plaisir gourmand. La voix m’a happé d’un seul coup. Ce timbre merveilleusement naïf et fluet, ce ton frais et chan-tant qui module les syllabes comme si c’étaient des notes de musique : irrésis-tible. ― Ah, c’est toi ! Qu’est-ce que tu as préparé de bon ? ― Ben, ça dépend de ce que tu veux. ― Qu’est-ce que je peux choisir ? ― J’ai de la soupe, de la viande, de la salade, des frites… ― Quoi, comme viande ? ― Du rosbif, du poulet… Je me pourlèche déjà les babines : ― Hum… À bien y réfléchir, je pense qu’une bonne soupe chaude me ferait beaucoup de bien. Je me sens un peu flagada, j’ai besoin d’énergie. ― Tu veux à la tomate ou aux poireaux ? ― Aux poireaux, il y a aussi des carottes dedans ? Elle opine : ― Si tu veux, je peux mettre aussi des carottes. ― Alors, je te commande un grand bol de soupe aux poireaux avec des carottes. ― D’accord, parrain ! L’air très affairé et soucieux d’un chef confirmé confronté au désir exi-geant d’un client capricieux mais fidèle, Camille, droite comme un I, se dirige à pas lents, presque hiératiques, vers sa vraie fausse cuisine. À nouveau, je l’entends ouvrir des portes et des tiroirs, déplacer une bonne part des ustensi-les, casseroles et autres objets dont elle dispose pour confectionner toutes sor-tes de plats délicieusement inodores, incolores et invisibles. Comme ce n’est pas tous les jours qu’elle peut préparer à manger pour son parrain, Camille a décidé de se surpasser. Elle s’est emparé d’une casserole lilliputienne, a feint d’y verser de l’eau, de chauffer cette eau jusqu’à ébullition, puis elle a ouvert une boîte, fait mine de verser le contenu de la boîte dans une tasse un peu plus grande qu’un dé à coudre, posé délicatement la tasse sur une sous-tasse rose et blanche. Au dernier moment, elle se rend compte qu’elle a oublié quelque chose ; alors, d’un geste magistral, elle ajoute… quoi ? Les ca-rottes, pardi ! Et aussi un peu de sel. Elle revient vers moi, triomphante : ― Voilà parrain, c’est prêt ! Attention, c’est très chaud… ― Houlà oui, tu as raison, il ne faudrait pas que je me brûle… ― Tu veux une serviette ? ― Ah oui, je veux bien ! ― Tiens, me dit-elle en me tendant une serviette aussi évanescente, transparente et légère que l’air. ― Merci. Mmmh ! Cette soupe est un régal ! Tu es vraiment une excel-lente cuisinière. ― Oh ! s’exclame-t-elle soudain effarée, j’ai oublié ! Elle trottine plus vite que le vent... ― Quoi donc ? ― Les croûtons ! Elle me rapporte les croûtons. Grillés, sans doute, et recouverts d’un peu de beurre à l’ail. ― Ah oui, c’est vrai, avec des croûtons, c’est encore meilleur. Je porte encore une fois la tasse à mes lèvres. ― Miam ! Ah, je me sens revivre. ― Tu en veux encore, papa ? Ça y est, elle m’a encore une fois appelé papa au lieu de parrain ! Régu-lièrement, sa langue fourche. À l’expression bizarre qu’elle prend à ce mo-ment-là, un peu ambiguë, comme si elle voulait non seulement attirer mon at-tention mais me séduire, à la façon aussi dont elle insiste sur le mot papa, je la soupçonne de le faire exprès. On dirait bien que ma petite princesse a le bé-guin pour moi. Elle m’idéalise, c’est sûr. Pour elle, je suis un être supérieur, une sorte de héros. Conséquence déviante ou résiduelle du complexe d’Œdipe ? Lorsque cela arrive, soit je la corrige, soit je fais celui qui n’a pas entendu. Elle rentre aussitôt dans le rang, jusqu’au prochain lapsus… ― Tu en veux encore, parrain ? ― Il y a encore de la soupe ? Alors oui, très volontiers. Comme on dit, l’appétit vient en mangeant. Camille, fière comme Artaban, me sert une deuxième tasse. Puis elle va s’affaler sur le divan du salon. Mon repas serait-il déjà terminé ? ― J’ai encore faim, j’aimerais beaucoup manger un dessert, dis-je pour la stimuler. Je suis persuadé que tu fais très bien la tarte aux fraises, et je raf-fole de la tarte aux fraises. Camille ne répond pas. ― Ou alors une bonne crème à la glace ? Toujours aucune réaction. Au bout d’un moment, elle finit par dire dans une espèce de râle digne des plus grandes tragédiennes : ― Je suis fatiguée… Ah, me dis-je en moi-même, Camille a quitté son tablier de cordon bleu. Le jeu dévie, change de direction. ― C’est normal que tu sois fatiguée, ma chérie ; tu as beaucoup travaillé dans ta cuisine et c’est toujours épuisant de travailler des heures et des heures sans s’arrêter... Camille soupire : ― Oh non, ce n’est pas pour cela que je suis fatiguée. C’est parce que j’attends un bébé ! Le choc ! Pourtant, cette annonce aussi brutale qu’inattendue ne me sur-prend qu’à moitié. Toutes les petites filles, je l’ai déjà dit, ont hâte de devenir maman, et Camille, bien sûr, n’échappe pas à la règle. D’ailleurs, elle ne se dé-place jamais sans ses poupées, une ribambelle de poupées, car elle en possède une bonne dizaine et continue, à chaque occasion de fête et donc de cadeaux, à en demander de nouvelles. Déjà, le landau déborde et bientôt, si l’on n’y prend garde, elle ne saura plus où les mettre ni comment les transporter. Ce détail ne semble pas gêner Camille, bien au contraire. Son amour est si vaste, si extensi-ble qu’il accueillerait en son sein tous les bébés du monde. ― Tu ne voudrais pas plutôt une montre ? Une jolie montre qui indique l’heure et que tu peux mettre à ton poignet ? Ou un bracelet ? Non ? Une robe alors ? Une toute neuve, rose, avec des rubans, des froufrous et des dentelles… Non plus ? Une poupée ?! Encore ! Mais tu en as déjà plein des poup… Bon, d’accord, je t’offrirai une poupée qui parle et qui fait pipi. Dès demain, oui, c’est promis. Et voilà. On n’y peut rien. Ce que Camille veut, parrain doit. Sinon, Ca-mille n’est pas heureuse et exprime son grand malheur en pleurant avec de très grosses larmes. Des larmes de crocodile, sans doute, mais qui peut en être sûr ? ― C’est vrai, tu sais, que j’attends un bébé. Camille est enceinte. Il ne manquait plus que ça, me dis-je en souriant. L’idée n’est pas idiote : après toutes ces poupées, ces pseudo-bébés plus vrais que nature, quoi de plus logique que d’en vouloir un réel, fait de chair et d’os ? J’essaie de ne pas éclater de rire, de garder mon sérieux pour jouer ni plus ni moins le jeu. Le bonheur de Camille est à ce prix, et pas question de la décevoir. Ma voix se veut douce et pleine d’attention, sans exagération : ― Tu veux que j’appelle le docteur ? ― Non, pas maintenant. Puis, silence. Combien de temps va-t-il durer ? Elle s’écoute respirer. Le rythme de sa respiration est régulier, calme, profond. ― Papa, euh, parrain ? ― Oui, ma chérie ? ― Regarde mon ventre. Comme elle voit que je suis distrait, elle insiste : ― Regarde comme il est gros ! Cette fois, je tourne la tête, tout en me penchant vers l’avant pour bien concentrer mon attention sur le ventre de Camille. C’est vrai qu’il est gros. Anormalement gros, veux-je dire. Comme enflé. Et je me demande avec admiration comment Camille a bien pu s’y prendre pour, sans que je l’aperçoive, installer un coussin, ou autre rembour-rage du même acabit, sous sa robe. L’illusion est parfaite. ― Il a bougé ! s’écrie soudain Camille. Elle pose les mains sur son ventre. ― Il m’a donné un coup de pied, ajoute-t-elle en gloussant de plaisir."
Posted on: Tue, 27 Aug 2013 06:46:06 +0000

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