Retour sur le démantèlement méthodique de la Sécurité sociale - TopicsExpress



          

Retour sur le démantèlement méthodique de la Sécurité sociale et de l’aide sociale… au nom de l’activation des sans emploi. Au cours de la dernière décennie, sous les auspices de l’“État social actif” promu par les institutions européennes, le régime de chômage belge, partie intégrante de notre Sécurité sociale, a connu un démantèlement accéléré se traduisant par le rejet massif des victimes de cette “purge” vers le secteur “résiduel” de l’aide sociale. Ce secteur de l’aide sociale se montre à son tour de plus en plus sélectif et restrictif envers ces nouveaux venus, invoquant tout d’abord son étranglement financier, mais aussi au nom d’une logique d’“activation”… qui fait exactement écho à celle qu’il dénonce dans le chef de l’ONEm ! Au bout du compte, les victimes de cette grande braderie sont bien entendu les pauvres et les exclus, toujours plus nombreux et véritables parias du système. Un processus de délestage généralisé qui fonctionne comme une fusée (ou plus exactement un missile) à trois étages : Tout d’abord, la dérive au sein même du régime chômage, où l’on est passé d’une logique “assurantielle” à une approche de plus en plus “assistantielle” (a). Autrement dit la généralisation de droits sociaux “conditionnés” et toujours plus conditionnels, qui doivent désormais “se mériter”, se substituant à ce qui auparavant étaient des droits acquis, garantis en contrepartie des cotisations que les bénéficiaires (ou leurs parents, dans le cas des ex-allocations d’attente) avaient payées durant leur carrière de travailleurs. Le démantèlement méthodique de l’“assurance chômage”… Si ce détricotage a connu une accentuation spectaculaire depuis dix ans, il a en fait commencé dès les premiers effets de la crise. Le premier exemple, très emblématique, de ce recul en termes de droits sociaux a été, en 1980, l’instauration par Roger Dewulf (socialiste flamand, déjà !) du fameux statut et taux “cohabitant” au sein du régime chômage. Soit l’introduction de la notion de “situation familiale” et “d’état de besoin”, relevant pourtant typiquement de l’aide sociale. Une rupture motivée par de pures raisons budgétaires, face à l’explosion soudaine du nombre de chômeurs, et basée sur un calcul d’apothicaire d’une rare mesquinerie, postulant que le fait de vivre à plusieurs réduit d’autant les frais du ménage et constitue donc une “économie” pour les cohabitant-e-s (car on sait que ce sont archi-majoritairement les femmes qui sont concernées), “justifiant” en conséquence le rabotage – quasi de moitié - de leurs allocations. Cette catégorie de chômeur-euse-s est en outre celle qui a été la plus discriminée et visée en termes de restrictions et de sanctions. Mais au-delà de cette première brèche, ce sont l’ensemble des mesures prises depuis une trentaine d’années dans cette branche de la Sécurité sociale qui ont constitué autant de reculs vis-à-vis de ce qui avait donc été conçu initialement comme une assurance (b), protégeant les travailleurs contre la perte ou l’absence d’emploi. Celle-ci se transformant peu à peu en un pur régime de “survie” - et encore -, de plus en plus contingenté, arbitraire et aléatoire… La chasse aux chômeurs Ce qui nous amène au deuxième aspect de ce glissement de la Sécurité sociale vers l’aide sociale : l’exclusion exponentielle de demandeurs et demandeuses d’emploi par l’ONEm, les renvoyant au “mieux” vers les CPAS, ou pire encore, vers la “solidarité familiale” (les pauvres étant réduits à s’entraider - et à s’appauvrir - entre eux), voire littéralement à la rue, vers la soupe populaire et les associations caritatives (e). Une hécatombe organisée dans un premier temps via le fameux “Article 80” de sinistre mémoire, remplacé en 2004 par le plan Vandenbroucke de “contrôle du comportement de recherche active d’emploi” (f). Un dispositif soi-disant plus équitable, mais requalifié à juste raison par le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion de véritable “chasse aux chômeurs”, tant sont rares ceux qui réchappent en bout de course. Bref, le transfert massif d’une “caisse” de la protection sociale vers une autre, dénoncé à cor et à cri par les CPAS qui en font les frais, au propre comme au figuré. Tout en sachant, de surcroît, qu’une majorité des exclus par l’ONEm n’auront tout simplement pas accès à ces derniers, dont les conditions d’admission sont différentes et bien plus limitatives sous certains aspects (ne fût-ce qu’en terme de plafond de revenus) que celles pour bénéficier du chômage (g). De l’aide sociale… Enfin et en conséquence, troisième facette de cette régression, dans le régime “résiduaire” de l’aide sociale proprement dite, on a connu une évolution parallèle et similaire, avec un octroi des aides toujours plus “rationné” et soumis à de nouvelles contreparties sans cesse plus exigeantes. En effet, on peut distinguer deux phases très contrastées dans l’histoire récente de ce régime. En 1976, à l’orée de la crise, face à l’accroissement manifeste de la pauvreté qui en était à la fois le résultat et le symptôme, les Centres Publics d’Aide Sociale ont été instaurés, en remplacement des antiques Commissions d’Assistance Publique. Deux ans auparavant, avait été créé le minimex, “minimum de moyens d’existence”, lequel rompait avec la logique caritative qui avait prévalu jusque là, en reconnaissant et consacrant désormais une dette de la société envers ses exclus. En vertu de la nouvelle loi, pour peu que le demandeur soit réellement en “état de nécessité”, qu’il ne s’y soit pas placé lui-même et “délibérément”, qu’il n’ait pas de parents directs (ou d’enfants) aptes à le prendre en charge (“obligation alimentaire” découlant de cette solidarité familiale imposée), et enfin qu’il fasse preuve d’une “disposition au travail” (autrement dit, qu’il soit prêt à chercher et/ou accepter un travail pour subvenir à ses besoins)… “le droit à un revenu” de substitution lui était dû, sans conteste ni aucune autre condition. à l’“action (anti-) sociale” Mais en 2002, sous l’égide de Johan Vande Lanotte, une importante “contre-réforme” a complètement changé la donne, revenant sur certains des aspects les plus progressistes du régime en vigueur, qui avait pourtant dans l’ensemble donné satisfaction pendant un quart de siècle et empêché bien des drames sociaux. Selon les termes de cette révision, symbolisée par le fait que l’acronyme CPAS soit depuis lors rebaptisé “Centre Public d’Action Sociale” (changement sémantique pas innocent illustrant bien le virage adopté), dorénavant l’usager n’a plus droit à un revenu, mais à “l’intégration sociale”. Laquelle, poursuit la loi, “peut prendre la forme d’un emploi et/ou d’un revenu d’intégration sociale” (le “RIS”, qui a remplacé le minimex). Fameuse nuance… Quant à l’emploi proposé comme une des branches de l’alternative - et comme la première -, il s’agit essentiellement de la parade que les CPAS ont trouvé pour tenter d’endiguer tant bien que mal l’afflux d’exclus de l’ONEm, en renvoyant “à l’expéditeur” ces nouveaux allocataires, via leur mise au travail à travers les Articles 60 et 61. Un… expédient (c’est le mot) qui ne parvient évidemment pas à inverser cette tendance lourde en défaveur des CPAS, confrontés à une chasse aux chômeurs qui bat plus que jamais son plein. D’autant plus qu’à terme, pour la plupart des allocataires ainsi “activés”, ces contrats temporaires, en sous-statut et souvent de piètre qualité débouchent non sur un emploi durable, mais tout juste sur un pis-aller : leur récupération des droits à la Sécurité sociale, et d’abord au chômage… en attendant souvent qu’ils en soient à nouveau exclus par l’ONEm et reviennent à la case CPAS ! “Carrousel” aussi absurde que désespérant, tant pour ceux qui le subissent que pour les travailleurs sociaux qui en sont bien malgré eux les artisans. “État social actif” ? Disons plutôt État libéral nocif ! Ainsi, au nom de la lutte contre “l’assistanat” (néologisme d’un rare mépris pour les exclus, lequel a pourtant depuis fait florès et est devenu un “must” de nombre de politiciens et de responsables de CPAS), on assiste à un revirement complet de la philosophie sous-jacente de l’aide sociale. Désormais, c’est au demandeur d’aide de “payer sa dette à la société”, dont il doit déjà s’estimer heureux de bénéficier, en “s’activant” en retour. Toute une rhétorique culpabilisante et moralisatrice se développant à l’appui, sur le thème bien connu des “droits et des devoirs”. Un changement de paradigme s’inscrivant explicitement dans la logique de “l’État social actif”, la nouvelle religion en matière de Sécurité et d’aide sociales, impulsée au niveau européen à partir de l’“exemple” anglais, puis allemand (dans les deux cas, sous l’égide de gouvernements socialistes, et en Allemagne, en coalition avec les écologistes !). À savoir, d’une part, le dogme de “l’employabilité” à marche forcée, le retour à l’emploi étant censé être la voie royale voire exclusive pour sortir de la précarité (un credo clairement démenti par le développement inquiétant du phénomène des “travailleurs pauvres”). Et d’autre part, son corollaire déjà évoqué : “l’activation” tous azimuts, se traduisant par une conditionnalité accrue de l’aide sociale. Significativement, la réforme des CPAS par Johan Vande Lanotte a d’ailleurs précédé de deux ans et pavé la voie à celle du régime chômage imposée par Franck Vandenbroucke – ici aussi, toutes deux à l’initiative d’éminences socialistes (certes flamandes, mais déjà suivies à l’époque par leurs homologues francophones lors de leur vote, au nom de la “solidarité gouvernementale”). CPAS : double langage ou schizophrénie ? Une logique qui n’a fait que se renforcer au fil de la crise, les CPAS systématisant la contractualisation de l’aide sociale via les Programmes Individualisés d’Intégration Sociale (PIIS, soi-disant contrats, déjà obligatoires pour les moins de 25 ans depuis la réforme Onkelinx de 1993), assujettissant l’aide à toute une série d’obligations à remplir par l’allocataire. Et, plus globalement, faisant preuve d’une sélectivité toujours plus grande envers les demandeurs : obstacles “à l’entrée”, exclusions pour divers motifs, restrictions des aides, notamment médicales… (h). Ce n’est pas le moindre des paradoxes. Car les mêmes CPAS critiquent avec virulence la chasse aux sorcières menée par l’ONEm, lorsqu’ils se voient refiler la patate chaude et doivent en payer partiellement la note (i) - mais aussi, il est vrai, parfois pour des raisons plus louables et déontologiques, quand ils découvrent le profil souvent “border-line” des chômeurs exclus qui leur parviennent, et les motifs dérisoires et implacables des sanctions qui les frappent (j). Alors qu’en interne, même si c’est à une moindre échelle, ils reproduisent la logique “activatrice” qu’ils dénoncent par ailleurs. Comprenne qui pourra… Ou plutôt, on comprend trop bien ce “deux poids, deux mesures”, selon que cette logique les serve ou les desserve. D’ailleurs, cette similitude des pratiques et de la philosophie qui les sous-tend est parfaitement limpide, et même revendiquée, dans les déclarations de Monica De Coninck, la nouvelle ministre de l’Emploi, qui ne cache pas que son programme est directement inspiré de son expérience en tant que présidente du CPAS d’Anvers, dix ans durant (k). Car si cette activation à tout crin menée par les CPAS répond en partie à des raisons objectives, ceux-ci étant effectivement submergés par la marée montante de la pauvreté (ce qui n’est certes pas une excuse pour leur politique non plus d’aide sociale, mais de contrôle social et d’exclusion sociale croissante), elle comporte aussi une part subjective, clairement idéologique : leur conversion majoritaire à cette vision stigmatisante des prétendus “assistés”. Ces derniers étant soupçonnés de fraude, accusés de se complaire dans leur situation, voire taxés de “profitariat” ou de “parasitisme”. (l) Autrement dit, le problème de la pauvreté serait avant tout le problème des pauvres eux-mêmes, plutôt que le manque patent et persistant d’emplois, et plus globalement, la paupérisation dramatique de couches toujours plus importantes de la population… Malheur aux vaincus… de la guerre économique En conclusion, on peut donc dire que, réforme après réforme, on assiste non seulement à un transfert de la Sécurité sociale vers l’aide sociale, mais que celle-ci est elle-même de plus en plus vidée de son sens, poussant vers la pauvreté extrême celles et ceux qui sont exclus de ce dernier filet de protection. Ce dont témoigne le développement du “sans-abrisme”, de la mendicité, de la prostitution qui se développe dans des milieux jusque-là étrangers à ce phénomène (jeunes étudiantes, mères de famille seules avec enfants…), mais aussi la prolifération des troubles mentaux (attestée par tous les services de santé mentale de première ligne - à qui on demande d’ailleurs aussi d’“activer” leurs publics “improductifs” (m), des suicides (n), etc. Bref : “les pauvres coûtent trop cher”. Et pas seulement les pauvres mais tous ceux jugés inactifs : les pensionnés, les malades, invalides et handicapés… que l’on veut également maintenir, pour les uns, ou “ramener”, pour les autres, vers le Saint Graal de l’emploi, et ce, à n’importe quel prix. Comme le disait textuellement il y a quelques années cet auditeur, réagissant aux propos de notre camarade Yves Martens, venu parler de la chasse aux chômeurs sur les ondes de “Matin Première” : “Mais, Monsieur Martens, vous vous trompez de siècle : la Sécurité sociale, c’est devenu impayable !”… Notes : (a) Il est vrai que certains auteurs, y compris syndicaux, contestent ce caractère originel d’“assurance” du système de chômage dans notre pays, tel Paul Palsterman, pour qui celui-ci aurait toujours été “mixte”, combinant d’emblée tant des aspects ressortissant à une logique d’assurance que d’autres relevant plus de l’assistance. Celui-ci fait en outre remarquer que même les assurances prévoient toujours certaines obligations de la part des cotisants qui y souscrivent, notamment en terme de “précaution raisonnable” à prendre par ceux-ci pour prévenir le dommage qu’elles couvrent. Dès lors il ne serait pas abusif de demander aux chômeurs de prouver qu’ils ont bien entrepris des efforts pour échapper à leur situation, comme le fait précisément la procédure d’activation instaurée par le plan Vandenbroucke. Toutefois, d’autres analystes réfutent sérieusement cette thèse, notamment Mateo Alaluf, Corinne Gobin ou encore Jean Faniel - ainsi que l’auteur de cet article, on s’en doute. (b) Idem (c) L’Article 80 du règlement de l’ONEm prévoyait l’exclusion automatique des chômeurs dont on considérait que la durée du chômage était “anormalement élevée” en regard de la “moyenne” de leur région. À partir de 2004, il a été progressivement remplacé par la procédure d’activation instaurée par Franck Vandenbroucke – voir aussi la note (a) ci-dessus. (d) Voir son interview dans Le Soir du 06 juin 2012, et ses déclarations aux manifestants de la GGSP venus chahuter ses voeux pour la nouvelle année 2012. (e) La FCSS a consacré en 2009 un très instructif colloque aux conclusions de son étude sur le phénomène inquiétant de “l’aide alimentaire” auquel de plus en plus de personnes, et de familles, sont contraintes de recourir (environ 150 000 bénéficiaires en 2006) – et de CPAS à organiser, à leur corps défendant - voir Ensemble ! n° 64. (f) Voir note (b) (g) Lire à ce propos l’article de Bernadette Schaeck “Chômage et CPAS : le risque d’une double exclusion”, Ensemble ! n° 68. (h) Voir notamment les dossiers sur ce type de pratiques de la part des CPAS d’Anderlecht et d’Ixelles, respectivement dans les numéros 66, 67 et 70 d’Ensemble ! (i) Mais partiellement seulement. En effet, d’après une étude menée par Ricardo Cherenti pour la Fédération Wallonne des CPAS, en Wallonie, seuls 38 % des exclus de l’ONEm aboutissent au CPAS, tandis qu’une autre recherche, menée cette fois conjointement au niveau national par la KUL et l’ULB, arrive à des chiffres encore bien plus consternants : seuls un peu plus de 10 % des exclus seraient “repêchés” par les CPAS. (j) Cf. l’interview d’Anne Herscovici, “Les allocataires paient l’exaspération des CPAS”, Ensemble ! n° 66. (k) Voir l’article “Monica De Coninck, nouvelle Sinistre de l’emploi non convenable”, Ensemble ! n° 75 (l) Sans doute les CPAS subissent-ils aussi l’influence de l’offensive médiatique et politique développée depuis des années contre les chômeurs et les allocataires, qui a connu un paroxysme ces derniers mois, illustré par le dossier infect du journal Le Soir sur “Les chômeurs profiteurs” – voir Ensemble ! n°74, et par les propos d’une rare brutalité de la ministre de l’Emploi Monica De Coninck déjà cités – cf. aussi la précédente note. (m) Voir le colloque, intitulé de façon éloquente : “Monde(s) Précaire(s) : Comment vivre et survivre dans une société de fou(s) ?”, que la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale a organisé les 5 et 6 mai 2011. Les témoignages qui y ont été entendus ont dressé un état des lieux critique sur ce “mal-être” de plus en plus sensible au fil de la crise dans nos sociétés “développées”, et le basculement consécutif vers l’une ou l’autre forme de pathologie mentale constaté chez une fraction croissante des couches sociales les plus fragilisées. (n) Voir l’article “Pour Agnès, In Memoriam” dans Ensemble ! n° 75, qui relate un cas de ce genre particulièrement tragique, et aussi les constats accablants de la toute récente étude des Mutualités Socialistes sur le “moral des Belges”, qui cite notamment des pourcentages de personnes ayant songé au suicide nettement plus importants parmi les chômeurs, et d’abord les chômeuses. Cet article a également publié - dans une version un peu plus longue - dans le journal « ENSEMBLE ! » du Collectif Solidarité contre l’exclusion, n°76, octobre 2012. ensemble.be
Posted on: Tue, 01 Oct 2013 04:45:00 +0000

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