1 Jean-Paul II, pape de la Miséricorde Je n’ai pas caché ta - TopicsExpress



          

1 Jean-Paul II, pape de la Miséricorde Je n’ai pas caché ta miséricorde ni ta vérité au milieu de la grande assemblée (Ps 39, 14) Lun des traits distinctifs que retiendra l’histoire sur ce très grand pape est certainement, non seulement son enseignement sur la divine Miséricorde exposé et développé à de multiples reprises mais, plus encore, son attitude profonde du coeur précisément révélée par la reprise récurrente de ce thème… qui, pour lui en l’occurrence, concernait plus qu’un thème – même noble – dans la mesure où il en parlait d’abord et avant tout comme de l’expression essentielle de sa relation avec Quelqu’un qui l’habitait et dont il s’attachait à témoigner sans relâche1. Par là, il dévoila à coup sûr un trait remarquable de son âme et de sa vie profonde2. Notons d’emblée que les enseignements qu’il nous a légués s’articulent avec cohérence selon deux axes majeurs inséparables pour lui : - découverte, vénération assidue et contemplation du mystère de la Miséricorde en Dieu, d’une part ; - service pratique de la miséricorde appelé à se traduire inlassablement dans la vie concrète, d’autre part3. A cet égard, l’illustration publique la plus lumineuse qu’il en donna fut assurément le pardon accordé sans aucun délai à son agresseur qui venait 1 Il en avait sans conteste la conscience très aiguë, ainsi que l’illustre cette déclaration faite lors de l’audience générale du 21 août 2002, peu après le retour de son 9ème voyage en Pologne au cours duquel il venait de consacrer le sanctuaire de Lagiewniki (Cracovie) dédié à la Divine Miséricorde : « lobjectif principal de ma visite a précisément été celui dannoncer encore une fois Dieu riche en miséricorde ». Le 7 décembre 2002, en recevant un groupe de fidèles polonais de son ancien diocèse, il revint une nouvelle fois avec insistance sur cet événement. Devant eux, il évoqua limmense Mystère de la Divine Miséricorde. « En dédiant le Sanctuaire de la Divine Miséricorde, soulignait-il, javais conscience que ce lieu avait une signification particulière pour le monde contemporain. Je nai pas hésité à lappeler le centre mondial du culte de la Divine Miséricorde, même si je sais bien que dans dautres lieux les sanctuaires se multiplient, où lon y diffuse le message laissé par sainte Faustine et où les fidèles obtiennent de nombreuses grâces ». (Agence Zenit, 10.12.02) 2 A l’occasion du 25ème anniversaire de son pontificat (16.10.2003), l’un de ses proches lié à lui par une amitié vieille de près de 60 ans, le cardinal Franciszek Macharski (son successeur sur le siège épiscopal de Cracovie), donna le témoignage suivant, qui constitue certainement une clé de lecture fondamentale de l’itinéraire personnel de Jean-Paul II : « (…) où se trouve le saint Mystère ? Le Mystère dans lequel demeure Jean-Paul II et avec lequel il vient à nous ? Jeune prêtre, il priait ainsi, en regardant l’image du Christ subissant son martyre, que l’on appelle l’Ecce Homo : « Tu es pourtant terriblement différent de Celui que tu es. Tu t’es fatigué en chacun d’eux. Tu t’es épuisé mortellement. Ils t’ont totalement détruit. Cela s’appelle la Miséricorde. Et pourtant tu es resté beau. Le plus beau des enfants de l’homme [cf. Ps 44, 3]. Une telle beauté ne s’est plus jamais reproduite. Oh, quelle beauté difficile ! Cette beauté s’appelle Miséricorde. » (D.C. 2300, p. 893 – 19.10.2003) 3 Ce double versant du Mystère se trouve bien illustré dans son homélie prononcée au Parc Blonia le 18 août 2002, lors de la cérémonie de béatification de quatre de ses compatriotes présentés comme « unis par ce trait de sainteté particulier qui est le dévouement à la cause de la Miséricorde » (no 4) ; « ‘Dieu, riche en Miséricorde’. Cette devise résume d’une certaine façon toute la vérité sur l’amour de Dieu, qui a 2 de tirer sur lui le 13 mai 1981, place Saint-Pierre, dans la volonté clairement affirmée de le tuer, acte qui échoua finalement, à la plus grande surprise du coupable qui, bien des années plus tard, avouait encore ne pas pouvoir s’expliquer la raison de son échec4. Le nombre des interventions écrites ou parlées de Jean-Paul II étant considérable, il nous faut nous contenter d’un rapide survol au travers duquel nous espérons ne pas être trop schématique. Nous souhaitons au contraire être suffisamment explicite pour faire pressentir la richesse de sa pensée qui, répétons-le, n’est pas séparable pour lui d’une conduite imprégnant toute sa vie. 1 – Les débuts : camper l’intuition majeure Dès l’aube de son long pontificat, Jean-Paul II a pour ainsi dire « annoncé la couleur » ! Dans sa toute première encyclique en effet (1979), il met en avant la figure centrale du Christ comme Miséricorde. Ainsi écrit-il en des termes d’une rare netteté : « la révélation de l’amour et de la Miséricorde a dans l’histoire de l’homme un visage et un nom : elle s’appelle Jésus-Christ » (Redemptor hominis II, 9 ; voir aussi Veritatis splendor, no 118). Comme si ce n’était pas assez lumineux, il renchérit en une formule lapidaire prononcée devant le Sacré-Collège le 22 décembre 1980 : « le Sauveur (…) annonce la Miséricorde du Père. Il est la Miséricorde du Père ». Bien des années plus tard, il n’hésitera pas à reprendre : « Le Christ est la révélation et l’incarnation de la Miséricorde du Père » (Redemptoris missio, no 12). Semblable identification, audacieuse en un certain sens, a le mérite de la clarté. Elle est sans doute l’une des plus belles explicitations – autant que la plus sûre – du mystère profond du Christ tout ordonné en son Incarnation à l’oeuvre de notre Rédemption. 2 – « Mon Dieu, ma Miséricorde » (Ps. 58, 18c Vulg.) Sa deuxième encyclique nous offrira une profonde contemplation sur le Père. Il y aurait eu bien des manières possibles d’aborder la première Personne de la Trinité. Jean-Paul II choisit de partir du texte de la lettre aux Éphésiens (2, 4) où le Père se voit nommé sous le titre de « Dieu riche en Miséricorde ». Tout en commentant la parabole des deux fils (Mt 15), le pape nous introduit dans une méditation aux résonances tout autant mystiques que pratiques et pastorales. Le texte est émaillé de considérations propres à enrichir notre contemplation de Dieu, notre prière, notre comportement social et nos relations fraternelles. Sans quitter son sujet, le pape trouve même le moyen d’élargir son regard aux dimensions du monde, dans lequel il perçoit de profondes blessures et de lourdes menaces face auxquelles la Divine racheté l’humanité. (…) Nous nous rendons compte que Dieu, en nous accordant la Miséricorde, attend que nous soyons les témoins de la Miséricorde dans le monde d’aujourd’hui » (no 1). 4 Il vaut la peine de citer ici le propre témoignage de Jean-Paul II et de son secrétaire, Mgr Stanislaw Dziwisz – lequel était à ses côtés dans la voiture au moment du crime. C’est le pape qui raconte les instants ayant immédiatement suivi l’agression : «… je me rappelle ce transfert vers l’hôpital. Pendant quelque temps je suis resté conscient. J’avais l’impression que je m’en tirerais (…) J’ai dit à don Stanislaw que je pardonnais à l’auteur de l’attentat. » (« Mémoire et identité », Jean-Paul II, Flammarion, 2005 – p. 192). La suite est bien connue, l’annonce réitérée publiquement du pardon accordé à Alì Agça dans le premier discours prononcé par le pape après son retour au Vatican, puis la rencontre qui eut lieu en décembre 1983 à la prison entre celui-ci et son agresseur, etc. (ibid. pp. 196-197). 3 Miséricorde s’avère l’unique remède. Le Père, qui reste inconcevable sans le Fils, manifeste précisément son dessein de Miséricorde à travers Lui. Ce dernier voit ainsi son mystère repris dans une nouvelle lumière dont nous livrons les échos majeurs : « Dans la Croix, la révélation de l’amour miséricordieux atteint son sommet (…) elle est comme un toucher de l’amour éternel sur les blessures les plus douloureuses de l’existence terrestre de l’homme » (Dives in misericordia V, 8). Et encore : « Le Christ de Pâques est l’incarnation définitive de la Miséricorde, son signe vivant : signe de salut à la fois historique et eschatologique » (ibid.). Sa troisième encyclique, qui bouclera son triptyque qu’il a voulu dédié aux Trois de la Trinité, sera naturellement consacrée à l’Esprit Saint. Elle aussi nous offrira la primeur d’une expression tout à fait étonnante et sans doute pas assez remarquée des théologiens, tant elle appellerait des développements nouveaux. En parlant de la Troisième Personne divine, le pape affirme en effet ni plus ni moins qu’en Lui « nous pouvons concevoir comme personnifiée la Miséricorde » (Dominum et vivificantem, no 39). Comme pour parachever sa vision sur la Trinité, il nous offrira plusieurs années plus tard une autre formulation incluant implicitement chacune des trois Personnes dans une synthèse magnifique : « Sa Miséricorde [du Père] envers nous, c’est la Rédemption [oeuvre du Fils]. Cette Miséricorde atteint sa plénitude par le don de l’Esprit, qui engendre la vie nouvelle et l’appelle » (Veritatis splendor, no 118). Son homélie (au no 4) de la dédicace du Sanctuaire de Lagiewniki (17 août 2002) fournira elle aussi une admirable synthèse sur la manière dont l’Esprit agit dans le coeur du croyant pour l’éduquer à la Miséricorde : « C’est l’Esprit Saint, Consolateur et Esprit de Vérité, qui nous conduit sur les voies de la Divine Miséricorde. En convaincant le monde « en fait de péché, en fait de justice, et en fait de jugement » (Jn 16, 8), il révèle dans le même temps la plénitude du salut dans le Christ. (…) D’un côté, l’Esprit Saint nous permet, à travers la Croix du Christ, de reconnaître le péché, chaque péché, dans toute la dimension du mal qu’il contient et cache en lui. De l’autre, l’Esprit Saint nous permet, toujours à travers la Croix du Christ, de voir le péché à la lumière du mysterium pietatis, c’est-à-dire de l’amour miséricordieux et indulgent de Dieu (cf. Dominum et vivificantem, no 32) ». 3 – Être pape, c’est-à-dire vivre de la Miséricorde Jean-Paul II a beaucoup réfléchi sur la manière d’exercer son ministère de successeur de Pierre. Il a toujours compris ce service suprême comme intimement lié au mystère de la Miséricorde. C’est ainsi que, après avoir écrit l’encyclique sur le Père, il n’a pas hésité à préciser le sens qu’il entendait retenir pour lui-même de ce grand texte déjà cité : « Dives in Misericordia – riche en Miséricorde – c’est en un certain sens l’Encyclique-programme de mon ministère au Siège de Saint-Pierre » (homélie à la paroisse romaine des Sacrés-Coeurs de Jésus et Marie à Tor Fiorenza, 17 mars 1985)5. 5 Lors du 25ème anniversaire de son pontificat (16 oct. 2003), il a confirmé en toute clarté une nouvelle fois cette vision et compréhension de son ministère. Il l’affirme tout d’abord en ce qui concerne l’acceptation de sa charge (homélie, no 1 : « Les miséricordes du Seigneur, à jamais je les chante (Ps 88, 2). Il y a vingt4 Sur ce même point, il a clairement explicité sa pensée dans l’encyclique Ut unum sint (1995) : « Pierre, aussitôt après son investiture, est réprimandé avec une rare sévérité par le Christ qui lui dit : « Tu me fais obstacle » (Mt 16, 23). Comment ne pas voir dans la Miséricorde dont Pierre a besoin un lien avec le ministère de cette même Miséricorde dont il a fait le premier l’expérience ? (no 91) (…) Héritier de la mission de Pierre (…), lévêque de Rome exerce un ministère qui a son origine dans les multiples formes de la Miséricorde de Dieu, Miséricorde qui convertit les coeurs et communique la force de la grâce, là même où le disciple connaît le goût amer de sa faiblesse et de sa misère. L’autorité propre de ce ministère est toute au service du dessein miséricordieux de Dieu (…) (no 92). Se fondant sur la triple profession d’amour de Pierre qui correspond à son triple reniement, son successeur sait qu’il doit être signe de Miséricorde. Son ministère est un ministère de Miséricorde, procédant d’un acte de Miséricorde du Christ (no 93) ». Dans sa « Lettre aux prêtres » du Jeudi Saint 2001, il revient à nouveau sur ce thème en partant de la protestation d’indignité proférée par Pierre au spectacle de la pêche miraculeuse (Lc 5, 1-11) : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur (Lc 5, 8). Mais il [Pierre] a à peine fini d’exprimer sa confession que la Miséricorde du Maître se fait pour lui début de vie nouvelle : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras (Lc 5, 10). Le « pécheur » devient ministre de la Miséricorde. De pêcheur de poissons à « pêcheur d’hommes ! » (no 7) (…) C’est en fonction de cet amour conscient de sa fragilité, amour professé avec autant de tremblement que de confiance, que Pierre reçoit le ministère : « Sois le berger de mes agneaux », « Sois le pasteur de mes brebis » (ibid., vv. 15.16.17) ». (no 8) 4 – Une insistance qui va croissante La nécessité de dévoiler et faire découvrir toujours davantage le mystère de la Miséricorde divine pour en faire un axe central de la vie chrétienne s’est révélée au fil des années d’une urgence toujours plus pressante aux yeux du pape. C’est dans ce contexte qu’il oeuvra pour faire connaître de manière officielle la figure d’une de ses compatriotes jusqu’alors restée dans une ombre discrète : soeur Faustyna Kowalska (1905-1938). Il faut tout d’abord se souvenir que ce fut lui, en qualité d’archevêque de Cracovie, qui prit en 1965 l’initiative d’ouvrir son procès informatif. Une fois élu pape, et en conformité avec la prudence coutumière observée par l’Église en pareil cas, il se garda toutefois de mentionner son nom ou de la citer dans des textes magistériels à caractère officiel. On ne peut manquer d’observer néanmoins que sa grande encyclique Dives in misericordia (1980) était de manière évidente en parfaite consonance avec les révélations confiées par le Christ à cette religieuse morte en cinq ans, j’ai ressenti de façon particulière la Miséricorde divine. Au cours du Conclave, (…) Il a été nécessaire d’avoir recours à la Miséricorde divine afin qu’à la question : « Acceptes-tu ? », je puisse répondre avec confiance : « (…) j’accepte »). Plus loin, il ajoute : « je rends grâce avec vous à Dieu pour ces vingt-cinq années, marquées entièrement par sa Miséricorde » (no 3). Pour cet anniversaire, il avait choisi une image ainsi composée : lui agenouillé en prière, avec en arrière plan la représentation du « Christ de la Miséricorde » (demandée par le Christ à Soeur Faustina Kowalska), et il avait inscrit au dos cette simple dédicace constituant sa devise, « Totus tuus », avec l’indication des années « 1978-2003 ». 5 1938. On peut dire en effet que le texte papal en était comme la traduction en langage théologique et sous forme de synthèse systématique fortement appuyée sur les sources scripturaires. Il fallut attendre l’aboutissement de la cause de soeur Faustyna et sa béatification le 18 avril 1993 pour que Jean-Paul II propose officiellement à toute l’Église le message de la nouvelle bienheureuse et encourage sa diffusion auprès des fidèles. Il relevait à cette occasion : « ce mystère [de la Miséricorde divine] est devenu un vrai cri prophétique pour le monde (…) Où (…) sinon dans la Miséricorde divine, le monde peut-il trouver l’issue et la lumière de l’espérance? » (Osservatore Romano OR, 27 avril 1993). Fait remarquable de signification, il attendit l’année de la célébration du Grand Jubilé du 2ème millénaire chrétien pour la canoniser (30 avril 2000). Comme lors de sa béatification, il choisit délibérément le dimanche de l’octave de Pâques pour procéder à cette consécration ultime, date riche de sens puisqu’elle correspond au « dimanche de la Miséricorde divine »6 qu’il institua alors officiellement à cette occasion. On sait en effet que le Christ avait demandé avec insistance à soeur Faustyna que l’on instaure cette fête (cf. « Petit journal », no 569 – Ed. Hovine, 1985, p. 232) et qu’elle se fit son interprète fidèle, non sans déclencher étonnement, perplexité et méfiance. Lors de ce jour mémorable, Jean-Paul II adressa cette apostrophe familière à celle qu’il venait à l’instant de proclamer sainte : « Et toi, Faustyna, don de Dieu à notre temps, don de la terre de Pologne à toute l’Église, obtiens-nous de percevoir la profondeur de la Miséricorde divine, aide-nous à en faire l’expérience vivante et à en témoigner à nos frères [c’est nous qui soulignons]. Que ton message de lumière et d’espérance se diffuse dans le monde entier » (cité dans l’OR du 24 avril 2001). Un an plus tard, le 22 avril 2001, à l’occasion de la première célébration du Dimanche de la Miséricorde, le pape déclara : « … nous célébrons le deuxième Dimanche de Pâques, qui depuis l’année dernière, année du grand Jubilé, est également appelé « Dimanche de la Miséricorde divine ». C’est pour moi une grande joie de pouvoir (…) commémorer, après un an, la canonisation de soeur Faustyna Kowalska, témoin et messagère de l’amour miséricordieux du Seigneur. (…) Le message dont elle a été la détentrice constitue la réponse adéquate et incisive que Dieu a voulu offrir aux hommes de notre temps, marqué par d’immenses tragédies. (…) La Miséricorde divine ! Voilà le don pascal que l’Église reçoit du Christ ressuscité et qu’il offre à l’humanité, à l’aube du troisième millénaire » (ibid.). Il aurait été difficile d’être plus transparent et plus explicite !7 5 – Un sceau solennel Le pape avait parlé d’« immenses tragédies » : comme s’il avait été prophète, à peine quelques mois plus tard, étaient perpétrés aux États Unis les terribles attentats du 11 septembre 2001 qui entraînèrent la mort de plusieurs milliers d’innocents en quelques minutes et tout le cortège macabre des événements qui s’ensuivirent… Suite à ces faits tragiques, il décida de consacrer sa lettre annuelle de la Journée 6 Trait hautement significatif, on notera à quel point les textes de la Messe de ce jour – bien que composés dans un tout autre contexte – s’avèrent providentiellement en complète concordance avec le mystère qui y est désormais officiellement célébré ! 7 Avec une joie évidente, le pape revient sur ces événements dans son livre « Levez-vous ! Allons » (Plon / Mame, 2004, p. 171) 6 mondiale de la Paix du 1er janvier 2002 à une réflexion sur le sens de la justice et du pardon. Citant plusieurs textes remarquables de l’Écriture (1 Jn 4, 7-12 ; Ps 102 ; Mt 9, 13), le pape y énonce en une formule concise l’attitude chrétienne fondamentale en lui conférant une valeur de programme devant animer la totalité de la vie : « faire preuve de miséricorde signifie vivre pleinement la vérité de notre vie » (no 7). Quelques mois plus tard, au cours de son 9ème voyage pastoral dans son pays natal – voyage qu’il tint expressément à entreprendre en dépit de ses infirmités physiques déjà lourdes, alors qu’il avait écourté ou carrément supprimé d’autres voyages – il procédera en personne à la consécration du sanctuaire officiellement dédié au culte de la Miséricorde à Lagiewniki le 17 août 2002. Cet acte intervenant comme l’apposition solennelle du sceau officiel de l’Église à la reconnaissance du message de sainte Faustyna constitue en lui-même un événement d’une portée hors du commun et tout à fait inédit. C’est bien ce sens que le pape a clairement voulu lui attribuer dans des termes d’une vigueur qui surprend par le ton : « Comme elle [sainte Faustyna], nous voulons professer qu’il n’existe pas pour l’homme d’autre source d’espérance en dehors de la Miséricorde de Dieu. (…) Nous avons particulièrement besoin de cette annonce (…) à notre époque… (no 1 ; cf. no 5, § 1). (…) C’est dans ce (même) esprit de foi que je suis venu à Lagiewniki, pour dédier ce nouveau temple, convaincu qu’il s’agit d’un lieu particulier choisi par Dieu pour déverser la grâce de sa Miséricorde (no 3). (…) Je crois fermement que ce nouveau temple restera pour toujours un lieu où les personnes (…) viendront avec la confiance qui accompagne tous ceux qui ouvrent humblement leur coeur à l’action miséricordieuse de Dieu… (no 4). (…) C’est pourquoi, aujourd’hui, dans ce sanctuaire, je veux confier solennellement le monde à la Divine Miséricorde. Je le fais avec le désir que le message de l’amour miséricordieux de Dieu, proclamé ici à travers sainte Faustyna, atteigne tous les habitants de la terre… (no 5) ». Le pape poursuit avec autorité par une exhortation d’une rare netteté : « Que ce message [de l’amour miséricordieux] se diffuse de ce lieu (…) dans le monde. (…) Il faut allumer cette étincelle de la grâce de Dieu. Il faut transmettre au monde ce feu de la Miséricorde. (…) Je confie ce devoir (…) à l’Église (…) et à tous les fidèles de la Divine Miséricorde (…). Soyez des témoins de la Miséricorde ! » (ibid.) [suit en finale une prière adressée à « Dieu, Père miséricordieux », que nous reproduisons en dernière page]8. Le lendemain, lors de la béatification de quatre nouveaux bienheureux polonais, précisément choisis pour avoir vécu du mystère de la Miséricorde, Jean-Paul II revint avec force sur son message de la veille : « Il faut faire retentir le message de l’amour miséricordieux avec une vigueur renouvelée. Le monde a besoin de cet amour. (…) L’heure est venue où le message de la Divine Miséricorde doit répandre l’espérance dans les coeurs et devenir l’étincelle d’une nouvelle civilisation : la civilisation de l’amour » (homélie du 18 août 2002 ; no 3). Et d’inciter à « créer et mettre en place un programme pastoral de la Miséricorde » (no 4). 8 Dans la présentation des citations de cette homélie, c’est nous qui prenons l’initiative d’employer des soulignements ou caractères particuliers. 7 Programme qui n’a des chances de porter du fruit que s’il repose d’abord sur le don de soi, comme il le souligne en cette même occasion : « Nous nous sentons d’une certaine façon poussés à offrir jour après jour notre vie, en faisant preuve de Miséricorde envers nos frères, en utilisant le don de l’amour miséricordieux de Dieu » (no 1). Programme qui peut se résumer en une unique attitude informant toute la vie, et présentée en une formule pénétrante et lapidaire : « le plus grand don de la Miséricorde : conduire les hommes au Christ et leur permettre de connaître et de goûter à l’amour » (no 5). 6 – « Miséricorde ! » : une prière La richesse des enseignements prodigués par Jean-Paul II met en évidence une exigence de vie chrétienne très élevée. Cette dernière ne saurait émaner de coeurs vides vivant dans la distraction : c’est ici que prend place la prière, une prière qui est tout orientée, elle aussi, vers la pénétration du mystère et vers un consentement à se laisser façonner par lui. Le pape distingue ainsi un même élan revêtant trois modalités spécifiques et complémentaires : - il faut commencer par « contempler le regard de Jésus miséricordieux (cf. 18 août 2002, no 1) » ; - il faut ensuite « adorer (…) tout le mystère inconcevable et insondable de la Miséricorde de Dieu » ; - enfin, il convient de pratiquer « l’invocation de la Miséricorde de Dieu (ibid.) ». Ce mouvement ne peut demeurer quelque chose de fugitif ou de ponctuel mais doit s’insérer dans la durée et s’inscrire dans une persévérance du coeur inlassablement exercée et cultivée, ainsi qu’il l’avait déjà écrit dans sa grande encyclique Dives in misericordia9 : « Il faut que tout ce que j’ai dit (…) sur la Miséricorde se transforme en une ardente prière : qu’il se transforme continuellement en un cri qui implore la Miséricorde selon les nécessités de l’homme dans le monde contemporain » (VIII, 15). A Lagiewniki, il renchérit en parlant de : « prière et d’imploration assidue de la Miséricorde pour nous et pour le monde » (no 3). On le voit donc, le culte de la Miséricorde crée un élan foncier qui saisit et unifie toute la personne : « La connaissance authentique du Dieu de la Miséricorde, Dieu de l’amour bienveillant, est une force de conversion constante et inépuisable, non seulement comme acte intérieur d’un instant, mais aussi comme disposition permanente, comme état d’âme. Ceux qui arrivent à connaître Dieu ainsi, ceux qui le ‘voient’ ainsi, ne peuvent pas vivre autrement qu’en se convertissant à lui continuellement. Ils vivent donc in statu conversionis, en état de conversion ; et c’est cet état qui constitue la composante la plus profonde du pèlerinage de tout homme sur la terre in statu viatoris, en état de cheminement » (Dives in misericordia VII, 13). 9 Voir aussi la lettre apostolique « Orientale Lumen » : « Face à l’abîme de la divine Miséricorde, le moine [on peut ajouter : tout baptisé] ne peut que proclamer la conscience de sa pauvreté extrême, qui devient aussitôt une invocation et un cri de joie pour un salut plus généreux encore, car inespéré dans l’abîme de sa propre misère » (no 10). Dans « Dialogue avec Jean-Paul II » (1982), à la question très personnelle dAndré Frossard lui demandant quelle était sa prière pour le monde (p. 323), il avait déjà répondu ces simples mots qui résumaient tout : Jen appelle à la Miséricorde. Oui, jen appelle à la Miséricorde. 8 7 – La mission spécifique de la Vierge Marie Comme l’a mainte fois relevé Jean-Paul II, Marie représente à l’évidence le type le plus achevé de ces sauvés tout pétris de Miséricorde, non seulement parce qu’elle a engendré selon la chair Celui qui est en Personne la Miséricorde, mais aussi parce qu’elle est la créature qui a vécu et « qui connaît le plus à fond le mystère de la miséricorde divine » (Dives in misericordia V, 9) et que, à ce titre, elle est pourvue d’une mission tout à fait particulière : En elle, en effet, la « révélation [de l’amour miséricordieux] est particulièrement fructueuse, car, chez la Mère de Dieu, elle se fonde sur le tact particulier de son coeur maternel, sur sa sensibilité particulière, sur sa capacité particulière de rejoindre tous ceux qui acceptent plus facilement l’amour miséricordieux de la part d’une mère. » (ibid.) Cette approche perspicace et audacieuse fleurira tout naturellement chez Jean-Paul II en prières fréquemment adressées à celle qui est la Mère de Dieu et des hommes, la Mère de Miséricorde, précisément. Pour l’illustrer, contentons-nous simplement de citer celle-ci (qui est la conclusion de l’encyclique « Veritatis Splendor », no 120) : « O Marie, Mère de Miséricorde, veille sur tous, afin que la Croix du Christ ne soit pas rendue vaine, que l’homme ne s’égare pas hors du sentier du bien, qu’il ne perde pas la conscience du péché, qu’il grandisse dans l’espérance en Dieu, « riche en miséricorde » (Ep 2, 4), qu’il accomplisse librement les oeuvres bonnes préparées d’avance par Dieu (cf. Ep. 2, 10) et qu’il soit ainsi, par toute sa vie, « à la louange de sa gloire » (Ep 1, 12). » En guise de conclusion : le dénouement de Dieu Lorsque l’on considère la date du dies natalis de Jean-Paul II, on ne peut pas ne pas remarquer la « coïncidence » providentielle qui saute aux yeux : Dieu est venu chercher son fidèle serviteur précisément le jour de la fête liturgique de la Divine Miséricorde10 ! Pouvait-on attendre confirmation plus « autorisée » de sa mission d’apôtre exemplaire et persévérant de la Divine Miséricorde ? Ce dimanche 3 avril 2005 fut ainsi marqué par l’immense chagrin qui s’abattit sur lÉglise (et sur l’humanité, comme on le sait) – chagrin tempéré toutefois par la grande joie de savoir son pasteur inlassable enfin entré dans le repos éternel, après s’être laissé consumer jusqu’au bout par son service totalement dédié à son Seigneur de gloire, son Seigneur de toute Miséricorde. L’un des moments particulièrement émouvant de cette journée fut la lecture à l’issue de la messe solennelle célébrée sur la place Saint-Pierre du message posthume que le pape défunt avait préparé pour cette fête. Il y disait entre autres ceci : « A l’humanité qui parfois semble perdue et dominée par le pouvoir du mal, de l’égoïsme et de la peur, le Seigneur ressuscité offre le don de son amour qui pardonne, réconcilie, et rouvre l’âme à l’espérance. C’est un amour qui 10 Relevons à ce sujet que – à la différence du décompte du temps civil – selon l’ordonnancement liturgique du temps, une fête commence la veille au soir avec l’office des Vêpres (à la tombée du jour). En l’occurrence, en 2005, la fête de la Divine Miséricorde tombait sur le dimanche 3 avril, ce qui signifie qu’on était déjà entré dans la fête le samedi soir 2 avril. Or, Jean-Paul II expira précisément ce soir-là à 21h37. 9 convertit les coeurs et donne la paix. Combien le monde a besoin de comprendre et d’accueillir la miséricorde divine ! » Et il ajoutait cette prière : « Seigneur, qui par ta mort et ta résurrection révèles l’amour du Père, nous croyons en toi et avec confiance nous te répétons aujourd’hui : ‘Jésus, j’ai confiance en toi. Prends-nous en miséricorde ainsi que le monde entier’ ! »11 Tel fut le dernier message qu’il adressa à lÉglise et au monde ! Véritablement, jusqu’au bout, il voulut témoigner de cette réalité essentielle de notre foi qui le brûlait intérieurement et qu’il avait tant à coeur de communiquer sans relâche ! Laissons le soin de conclure à celui qui, très proche de lui durant la plus grande partie de son pontificat, devait devenir quelques jours plus tard son successeur, le pape Benoît XVI. Ce mot de la fin12 résume tout le sens évangélique de la trajectoire du grand pape Jean-Paul II qui fut assurément un géant de la sainteté d’une stature tout à fait hors normes : « Il a interprété pour nous le Mystère pascal comme mystère de la Divine miséricorde. (…) Animé par cette perspective, le Pape a souffert et aimé en communion avec le Christ et c’est pourquoi le message de sa souffrance et de son silence a été si éloquent et si fécond » ! A peine un peu plus dun an plus tard, en la fête de la Divine Miséricorde 2006 (Regina Coeli, 23 avril), tandis quil évoquait à nouveau la mémoire de Jean-Paul II, Benoît XVI résuma toute son oeuvre en des termes sans équivoque : « Le mystère de lamour miséricordieux de Dieu est placé au centre du Pontificat de mon vénéré prédécesseur. (...) Les paroles quil prononça [lors de la consécration du sanctuaire de Lagiewniki] ont été comme une synthèse de son Magistère. » « Dieu, Père Miséricordieux, qui as révélé ton amour dans ton Fils Jésus-Christ, et las répandu sur nous dans lEsprit Saint Consolateur, nous Te confions aujourdhui le destin du monde et de chaque homme. Penche-toi sur nos péchés, guéris notre faiblesse, vaincs tout mal, fais que tous les habitants de la terre vivent lexpérience de ta Miséricorde, afin quen Toi, Dieu Un et Trine, ils trouvent toujours la source de lespérance. Père éternel, par la douloureuse Passion et la Résurrection de ton Fils, accorde-nous ta Miséricorde, ainsi quau monde entier ! Amen. » (Jean-Paul II – Lagiewniki, 17 août 2002) 11 Cf. agence Zenit, Rome, 03.04.2005. On remarquera que l’expression « Jésus, j’ai confiance en toi ! » est comme un clin d’oeil lancé à sainte Faustine puisque c’est la transcription exacte des mots (en polonais) que le Christ lui avait demandé de faire inscrire au pied du tableau représentant le « Christ de la Miséricorde » qu’il lui avait ordonné de faire peindre en vue d’être honoré ainsi. 12 Cf. Vatican Information Service, 8 avril 2005. Extrait de l’homélie du cardinal Joseph Ratzinger, alors Doyen du Sacré Collège et, à ce titre, chargé de présider les obsèques du pape Jean-Paul II le vendredi 8 avril 2005.
Posted on: Mon, 21 Oct 2013 06:58:56 +0000

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