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1. Le concept de l’intellectuel Je ne cesse de me poser des questions au sujet des intellectuels dans mon pays. L’une de mes tribunes antérieures (la posture interrogative des élites centrafricaines ; une génération des prédateurs ? » du 30.05.2013, sozowala) en dit long. Mais d’autres événements, de jour en jour, m’acculent à d’autres réflexions. Par exemple, le dernier « débat africain » d’Alain Foka sur RFI le 22 septembre 13, au cours duquel les différentes figures intellectuelles centrafricaines ont eu l’occasion de parler de l’avenir de la RCA. En suivant ce débat, comme tout citoyen lambda, ma déception fut grande d’avoir vu des soit disant intellectuels centrafricains se livrer à des querelles scolaires axées sur la défensive « ce n’est pas moi, monsieur. C’est X ». Du coup, certaines questions me sont revenues en pleine figure comme des vagues : Pourquoi les intellectuels centrafricains manquent-ils cruellement du patriotisme ? Pourquoi aiment-ils se voir en chien de faïence? Pourtant ; un dicton populaire ne dit-il pas que les loups ne se mangent pas entre eux ? Mais avant d’aborder ces questions, je veux savoir ce que l’on entend par un intellectuel tout court. En effet, l’intellectuel se définit généralement comme toute personne ayant « un goût prononcé (excessif) les choses de l’intelligence, de l’esprit » (Petit Robert). Mais avec beaucoup plus de précision, la roumaine Doïna Cornea commence par exclure ceux qui ne sont pas des intellectuels : « Selon une opinion fort répandue, mais tout aussi fausse, tous ceux qui détiennent des diplômes d’études supérieures seraient, ipso facto, des intellectuels. Pourtant, parmi les diplômés que nous rencontrons, combien ne disposent que d’un savoir limité [aux notions apprises] ! Ils appartiennent – du fait même de leur médiocrité – à la catégorie de ceux qui sont dépourvus de pouvoir ; mais paradoxalement, le régime en a besoin, il encourage même leur médiocrité qu’il exploite comme occasion de chantage, pour obtenir ainsi leur inconditionnelle abdication, en tant qu’hommes et citoyens, face au pouvoir. Instruments dociles, dépourvus de dignité, ils deviennent la clef de voûte du régime. Ce sont les hommes du jour, les hommes des opportunités et des complicités lâches. Une seconde catégorie, mieux préparée dans sa stricte spécialisation, mais chez qui tout fondement culturel et moral fait défaut, est précisément la catégorie de l’intelligentsia au pouvoir. [...] Ils sont si imbus d’eux-mêmes, ils se donnent tant d’importance – pour sûr, il leur a été bien facile de parvenir si vite, en étant partis de si bas ! Nous le retrouvons partout, parmi les ministres, parmi les activistes haut placés. [...] Il est certain, le pouvoir ne peut conférer à celui qui le détient le statut d’intellectuel ». Pour Doïna Cornea, l’élite intellectuelle est cette « catégorie de plus en plus restreinte de ceux qui possèdent, par-delà un savoir étendu, des qualités intellectuelles d’exception ». A ces qualités exceptionnelles que doit posséder l’intellectuel, il faut ajouter les exigences de nature éthique. Cette définition laisse entrevoir une certaine limitation du champ d’action de l’intellectuel. Dans le temps et l’espace, l’intellectuel ne se contente pas seulement de formuler des théories, il apparaît comme celui qui décèle, pose les problèmes de sa société et tente d’y apporter des solutions. Il joue le rôle d’éclaireur et de gardien de la morale : on le reconnaît ainsi par son intégrité et son sens de dévouement pour le triomphe de la justice dans sa société. En d’autres termes, le rôle d’un intellectuel est de poser des questions et d’essayer d’y répondre avec justesse, sans se laisser influencer par les pouvoirs qui veulent tout régler. Bref, l’intellectuel décrypte, dénonce et propose. Après-coup, par intellectuel, je n’entends nullement la version « diplômés d’université » — nous avons maintenant des millions — qui sont les plus déplorables des intellectuels que ceux qui, parmi certains compatriotes et petits peuples se consacrent à la réflexion afin de trouver des voies et moyens de faire sortir notre pays de la situation dans laquelle elle se trouve. En définitive, l’intellectuel est, pour moi, celui qui pense constamment au bien de son pays et se donne le courage de défendre contre vents et marées sa pensée et s’empêche autant que possible de se laisser corrompre et de corrompre sa société. Partant de cette conception large de l’intellectuel, la question centrale de ma réflexion est de savoir si aujourd’hui la RCA dispose d’intellectuels. Les vrais. En d’autres termes, est-ce qu’il y a dans notre pays des hommes et des femmes intègres, doués d’esprit de rigueur et pouvant passer au crible les problèmes et proposer un projet de société promettant un avenir radieux ? S’il en existe, on peut se demander pourquoi ces intellectuels du « débat africain » ont-ils fait profil si bas ? L’intellectuel centrafricain est-il destiné à la médiocrité ? Loin de moi de pointer un doigt accusateur sur cette frange d’intellectuels qui ont osé parler au nom du peuple centrafricain, mais l’histoire ne retiendra, à mon avis, qu’une seule chose : l’image d’intellectuel centrafricain a été écornée par une palette des tares de ces intellectuels. 2. Ces intellectuels à la remorque de la politique Une tendance très prononcée est à la mode aujourd’hui en Centrafrique. Bon nombre d’intellectuels centrafricains estiment avoir un droit d’exercice du pouvoir politique, en plus du droit de regard et de participation qui revient à tout citoyen lambda. Tout se passe comme si leur grade universitaire leur conférait des atouts spéciaux pour être des hommes politiques, des leaders politiques, des politiciens, des porte-parole. Le diplôme n’est plus simplement une présomption de connaissance et de compétence, il est perçu comme une garantie de compétence politique. Le raisonnement semble être le suivant: “j’ai une licence, un master, un doctorat, donc je peux être ministre, je peux être PDG, je peux être Chef d’Etat.”. Plus on est bardé de diplômes, plus on estime être en droit d’avoir des responsabilités politiques et la capacité de les exercer. Non. Le savoir ne conduit pas nécessairement au pouvoir. Les meilleurs hommes politiques ne sont pas nécessairement les plus diplômés. Pourtant, ces intellectuels sont tous à la remorque des politiciens quand ils ne sont pas politiciens eux-mêmes. En effet, au lieu d’irriguer le pays des réflexions, au lieu d’irriguer le pays des analyses, au lieu d’irriguer le pays des prises de consciences collectives, au lieu d’irriguer le pays des critiques constructives, au lieu d’irriguer le pays de la morale et du vivre ensemble…Ces intellectuels centrafricains soutiennent sans honte l’injustice et les oppressions avec des esprits calculateurs. Et si les loups ne se mangent pas entre eux, les chiens, eux, se mordent dans un seul souci de marquer leur territoire autour de l’os au détriment du peuple centrafricain. Telle est la piètre figure que nous ont présentée nos « débatteurs » sur RFI. Cela me rappelle l’entretien que j’ai eu avec un vieux retraité, lors de mon séjour à Bangui, m’exprimant son ras-le-bol vis-à-vis de ces intellectuels : « Mais qu’est-ce que vous foutez réellement dans ce pays. Vous qui avez beaucoup voyagé dans les pays des blancs, pourquoi votre instruction ne nous amène-t-elle pas du bonheur mais rien que de la guerre ? Pourquoi vous vivez du confort là-bas, mais quand vous arrivez ici vous nous imposer la misère ? Que faites-vous réellement pour le pays ? Hier, vous étiez avec Kolingba, après avec Patassé et aujourd’hui avec Bozizé et demain vous serez avec qui ? ». Ce que ce retraité exprime crûment résume le comportement de ces intellectuels. Lorsquon affirme, pince-sans-rire, devant les micros de la RFI, que les morts de Bossangoa, du village Njo et de Bouca ne sont qu’une conséquence des exactions des pro-Bozizé, alors que ce sont les paisibles villageois abusés qui tombent sous les balles des ex-séléka, c’est grave. . C’est une attitude bassement humaine qui trahit ces intellectuels qui ont choisi de se ranger du côté des oppresseurs des masses populaires, qui ont mis en avant leur confort et leur bien-être personnel au détriment de celui de leur peuple. Comme des gens toujours à l’affût du gain facile, ils sont prêts à tout pour faire pacte avec le diable. Pour preuve, ils ont révélé, lors de ce débat, comment ils se trempent dans toutes les combines politiques, comment ils sont dans tous les compromis et toutes les compromissions pour assouvir leur soif, comment ils sont parvenus aujourd’hui à mettre la RCA dans le chaos. 3. Ces intellectuels à la gamelle Aujourd’hui, en Centrafrique, les intellectuels authentiques, indépendants d’esprit, plus préoccupés des intérêts de la communauté que des leurs propres, ont cessé d’exister ou du moins leur nombre s’est drastiquement réduit. A la place, un autre type d’intellectuel a surgi, l’intellectuel ou l’universitaire garant ou défenseur du statu quo, griot du régime, payé pour troquer sa science contre l’accès à un poste de responsabilité, combattant théoriquement pour l’intérêt de sa société mais en fait pour son propre ventre. En conséquence, ces intellectuels qui sont aujourd’hui à la gamelle, sont en proie à une amnésie collective dans laquelle, selon leurs intérêts, ils se réfugient pour éviter de voir la réalité en face. Ils pensent trouver dans ce comportement le moyen de fuir leurs responsabilités. La culture de « tout va bien » a pris le dessus sur le devoir de garant de la société. Ainsi, leurs identités controversées; leur amateurisme et l’aventurisme politique de certains dentre eux, la ruée vers l’argent facile et leur recherche du pouvoir pour le pouvoir ne peuvent que constituer un obstacle majeur pour la quête de la paix, c’est-à-dire d’un Etat de droit. Tout se passe comme si le partage du « gâteau », objectif premier de ces intellectuels politiques a accaparé toute leur intelligence. Il y a en réalité une sorte d’entente tacite entre ceux qui, sous prétexte de concorde et de désir de paix, s’accordent pour saboter les vrais et véritables objectifs de la transition, notamment la préparation du cadre d’un Etat de droit, la mise en place d’une réelle administration, la préparation et la tenue des élections, la réforme de l’armée. Les multiples crises militaires et les souffrances du peuple centrafricain sont devenues leur fond du commerce, un tremplin pour s’acenser. . Et quand on s’interroge : Intellectuel centrafricain, où es-tu? . La réponse est simple: il est là, mais non pas du côté où il est censé se trouver, des intérêts des masses et du développement de son peuple, mais du côté de l’autoritarisme et de l’industrialisation de la crise. A cause de tout cela, nous aboutissons aujourd’hui à la situation que résume le Président François Hollande dans son discours tenu au siège de l’ONU : « La Centrafrique, petit pays ravagé depuis trop d’années par des coups d’Etats et des conflits. Aujourd’hui, c’est le chaos qui s’est installé. Les populations civiles une fois encore en sont les victimes ». Jimi ZACKA
Posted on: Thu, 24 Oct 2013 23:55:57 +0000

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