A l’angle de la rue de la fontaine et de l’avenue de la gare, - TopicsExpress



          

A l’angle de la rue de la fontaine et de l’avenue de la gare, se situait mon école Saint-Jean-Baptiste dont il ne subsiste rien à présent, seul quatre de ses cinq platanes perdurent de nos jours. De ma maison à mon école deux itinéraires s’offrait à ma volonté : par en haut, place de la mairie et rue des devèzes, ou par en bas, avenue de la gare puis la remontée de la rue des muriers. Je choisissais de passer par en bas exclusivement à la saison des vendanges qui est aussi celle des jujubes. A cent pas de mon école, là où un utile parking fut aménagé, prospérait un magnifique jujubier grand de cinq mètres, il poussait derrière un mur de clôture de soixante centimètres de hauteur, et devant une maison à qui il dispensait ombre et fraicheur. A la sortie de l’école de fin d’après-midi l’homme qui habitait dans cette maison, que je voyais, avec mes yeux d’enfants, très vieux d’au moins cinquante ou soixante-dix ans d’âge, se plantait sur le perron de sa porte, allumait et rallumait sa cigarette, une cousue main, qui ne cessait de s’éteindre, avec un briquet chalumeau qui lui cramait la lippe, et les poils intérieurs du nez. L’homme attendait ses oisons de passage, ses petits oisons en culottes courtes. Regardez-les passer ! Eux ce sont les sauvages. Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts. Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages. L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons. (Les oiseaux de passage de Jean Richepin) Nous étions des sauvages, nous ignorions les barrières, nous venions dans un vol, voler à ce bonhomme, sous son nez et à sa barbe, ces fruits délicieux, marrons-orangés, de la grosseur de la datte, qui nous empâtaient la bouche. Je parle d’envol exclusivement pour les garçons parce que les filles rétives à tout effort sportif, attendaient la chute des jujubes pour s’empiffrer, nous les athlètes des cours de récréation procédions avec le mépris des plaies et des bosses pour arracher des branches, par de magnifiques envolées, les fruits fameux. Coudes au corps, il fallait sprinter droit sur le muret, et transformer la vitesse en force élévatrice, pour être clair, je m’en vais te réaliser, ami lecteur, l’action au ralenti. D’abord repérer sur l’arbre la cible vitaminée, ensuite ayant pris un recul adéquat s’élancer en moulinant les baguettes qui nous servaient de jambes à la manière d’un Roger Bambuck ou d’un Piquemal (redoutables sprinters des années soixante), arrivés près du muret d’un bond, les pieds joints, les genoux formant quatre-vingt-dix degrés d’angle, lui sauter dessus, à l’instant où la pointe des pieds touchait la pierre, les jambes devaient se raidir, le buste exécuter une demi vrille, les bras se tendre, afin que les mains s’accaparent du Saint Graal promis. Le vieux bonhomme, discret devant sa porte se retenait d’applaudir, néanmoins masqué par l’épaisse fumée de sa cibiche, il souriait d’aise, non seulement il se dispensait d’aller quérir la maréchaussée, mais avec des gestes appropriés il nous signalait les branches les plus abondantes en jujubes. Jamais dans les annales criminelles, il n’y eut de victime aussi avenante et courtoise que monsieur Espérou. Quelques trente ans plus tard, je décrochais le téléphone à l’autre bout Denise m’informait des travaux notoires de l’avenue de la gare. « Tu te rappelles du jujubier de monsieur Espérou, eh bien ils vont arranger toute la rue, et ils couperont l’arbre. Mais j’ai ramassé des rejetons, tu n’auras qu’à venir les chercher, fais vite parce que nous ne sommes plus dans la saison des plantations.» Auprès de mon arbre je vivais heureux, je n’aurais jamais dû me séparer de mon arbre, chantais Brassens, mon arbre à moi celui de mon enfance, j’allais le retrouver et l’installer chez moi, et nous serions heureux, du moins le croyais-je. Hélas la nature à ses lois, elles sont intangibles. Des trois rejetons aucun ne survécut malgré mes attentions, les uns évoquèrent le rude climat des Cévennes, les autres une multitudes de causes raisonnables. Moi je savais le motif de leur rabougrissement, à l’entour de ma maison il n’existe pas d’écoles primaires, au bout de quelques mois les rejetons jujubiers s’en rendirent compte, ils se convainquirent alors qu’ils n’avaient aucunes raisons de prendre racines, car aussi loin que portaient leurs souvenirs de rejetons jujubiers ils voyaient une ribambelle de mioches virevolter autour du grand jujubier aux fruits généreux, là était le bonheur, et non point d’offrir des fruits à un seul vieux gamin ridé et blanc de cheveux. Si le jujube est un fruit exotique qui s’adapta dans nos contrées Dieu sait depuis quand, en revanche le raisin, qui vient à la même époque de l’année, pousse dans le Languedoc depuis le temps où la région se nommait la Gaule narbonnaise, quand les responsables de l’empire romain autorisèrent la culture du petit arbre à Bacchus dans cette province. Dès lors, et pour les siècles suivants, le cycle de la vigne donnera le rythme à l’économie de ce pays. Rythme souvent radieux de la prospérité, mais aussi quelquefois rythme mortifère, tel le phylloxéra de la fin du XIXème siècle. Ce cycle de la vigne en mon jeune temps, je l’ai vécu, tu t’en doutes lecteur mon ami, au travers de Denise et de Marcel. Quand venait la période des labours souvent j’aidais Marcel à la besogne, pour dire le vrai j’allais encombrer Marcel fort de patience. Je me positionnais entre les bras de la charrue, Marcel derrière moi conduisait l’engin qui ouvrait la terre, je marchais dans le sillon comme un poivrot. Gamin le cheval, un facétieux, accélérait la cadence, je butais sur chaque motte, pour être sûr de me faire culbuter, il empoisonnait l’air, il lâchait vesses sur vesses, accompagnés de crottins qu’il expulsait, à mon étonnement, sans diminuer sa vitesse dans cet effort particulier. Denise, venue avec moi en promenade, assistait à la scène à l’ombre du chêne de la vigne des claouzes du docteur Gouneaud, elle bordait la rue du Salaison à la sortie du village, maintenant la vigne n’existe plus, à la place du chêne tu remarques des poubelles, si utiles pour ceux qui logent à la résidence du parc Gouneaud. Une fois le labour fini, Marcel calait la charrue sur la charrette, incitait Gamin à reculer entre les bras de celle-ci, tandis que Denise et moi prenions place sur le plateau, enfin il desserrait la mécanique, c’est-à-dire rabattait le levier du frein pour débloquer les roues cerclées de fer, et nous rentrions au village. Denise descendait au bas de la rue de la fontaine, tandis que nous les hommes, surtout Marcel, devions nous occuper du matériel, matériel vivant : Gamin, et accessoirement des outils. La passion de Gamin était de vesser à tout propos, il reculait en vessant, il tirait la charrette en vessant, il retrouvait son écurie en vessant, quand Marcel lui remplissait la mangeoire de luzerne, il vessait encore, pendant qu’il lui refaisait la litière, il vessait toujours, ce n’est qu’une fois installé dans sa paille fraiche qu’il crottait en remerciement. « Fas dè ben à Bertrand, té lou rendra en cagant », marmonnait Marcel. La saison se poursuivait, les jours de sulfatage Marcel rentrait à la maison tout bleu, les jours de soufrage tout jaune. Marcel vantait quelques fois les mérites du « cuprosan », un produit chimique efficace contre toutes les attaques que subissait la vigne, alors Denise soulignait : « avec toutes ces saloperies, tu finiras bien par attraper du mal, et bonne poire je te soignerais». Sa voix se modulait, il perçait le regret de voir Marcel s’exposer aux risques chimiques. L’été surprenait toujours par sa température élevé, mais surtout il effrayait par les risques d’orage de grêle. La grêle le fléau du paysan. La parade consistait à percer le nuage juste avant qu’il grossisse des grêlons fabriqués par les différences de température entre la base et le sommet du nuage. Ainsi une fois ouvert, le nuage libérait que de la pluie, un mal moindre. Des hommes jugés compétents, équipés de fusée, montaient au cimetière, le point culminant de Vendargues, de là en visant bien, juste dans la bedaine du nuage, ils mettaient toutes les chances de leur côté pour lui exploser sa vessie. Après bien des péripéties l’heure de la vendange sonnait. D’un coup notre maison se remplissait de toute la parentèle qui se libérait afin de gagner quatre sous et du vin, (deux litres pour le coupeur, trois pour le porteur et pour le videur des seaux). Pendant cette période Denise accomplissait chaque jour des miracles, car faire vivre ensemble sans heurts et nourrir cette multitude, sans savoir multiplier les pains, est une chose autrement plus ardue que de ressusciter des morts. Pour elle, pendant les deux ou trois semaines de vendanges, sa journée de travail durait vingt-quatre heures. Car outre la cueillette du raisin, elle devait dès la veille, faire les courses, préparer le casse-croute de neuf heures et le déjeuner de midi, au matin blême s’occuper déjà du repas du soir, réveiller son monde, s’adonner au taches ménagères de la maison avant le départ, en fait elle dormait juste le temps du déplacement jusqu’à la vigne du jour, assise à l’arrière de la charrette le dos calé contre la pastière, bercée par le pas régulier de Gamin. Marcel pendant cette période, débordait de travail d’abord il prenait le grade de chef d’équipe, responsable de tous il rusait avec les susceptibilités pour ne froisser personne, surtout au sujet du rendement minimum à fournir. Sa journée débutait aux aurores, finissait à la nuit tombée une fois la pastière propre, les seaux et les hottes nettoyés, les serpettes et les sécateurs ré-aiguisés. Pourtant malgré ce surcroit le travail Denise et Marcel aimaient ce temps de vendange, lui parce qu’il voyait le résultat de tous ses efforts de l’année, elle plus pragmatique considérait la rentrée d’argent qui permettrait d’enfoncer quelques clous (traduction : effacer des ardoises, si nombreuses). L’argent rentrait d’autant plus que leurs enfants s’y collaient volontiers, (avec les diminutifs) mon ainé Georgeou le premier, avant qu’il se marie, puis Suzy et Danou, mes sœurs, et enfin moi Vonvon qui ne connaitrait pas le vrai bon temps mythifié des vendanges d’antan. Les tu-te-rappelles que suivaient les qu’est-ce-qu’on-a-pu-rigoler de mes devanciers vendangeurs m’énervaient pour la raison que je ne profitais pas des anecdotes qui les amusaient. Sauf mon oncle Gaston Jean qui m’en conta deux empreintes d’érotisme. « Pendant les vendanges j’ai toujours fumé à l’œil, je prenais mon tabac chez …, (ici je mets trois points par discrétion), la femme du tabac aimait un certain genre de conversation », pour préciser sa pensée l’oncle glissait son pouce entre l’index et le majeur, « tu comprends que passer la journée à tripoter des grappes bien juteuses qui éclatent dans les mains, sous le cagnard, cela fait monter la température de la femme, et de l’homme qui regarde tout le jour la femme pliée en deux à trémousser sa rotondité. On a un cœur, tout de même, alors pour ne pas risquer une embolie, il faut se détendre ». En somme il s’agissait d’un problème médical, solutionnée par une thérapie ancestrale. « Ton père (donc Marcel) n’étais pas le dernier à regarder par le fenestrou qui donnait sur la chambre de cette femme », jamais je n’ai pu repérer ce fameux fenestrou et à fortiori mettre un visage sur cette femme. « Une fois sa toilette faite, elle se plantait nue devant sa glace sur pied, et le spectacle commençait, elle se mirait de dos, de face, de côté, se cambrait, se renvoyait des moues câlines, des sourires coquins, la garce elle savait qu’elle était belle, elle en faisait des manières et des chichis. Son jeu durait un quart d’heures, mais tu restais enivré de cette féérie ». L’oncle savait dégoter les lieux improbables où apparaissent des mirages voluptueux, en l’occurrence, il avait repéré une maison où vivait une beauté. En fouinant il découvrit un espace avec vue sur sa chambre, et tous les soirs il assistait à la toilette solitaire du tendron. Son absence régulière à heure fixe intrigua Marcel au point qu’il en vînt à le suivre, pour à son tour s’émouvoir des lignes parfaites de la Vénus champêtre. Tous deux s’en revenait à la maison, émotionnés par cette vision onirique, leur regard rêveur interpella d’autres amateurs d’apparitions paradisiaques. Ainsi bien avant les films licencieux des chaines télévisuelles cryptées, existait une lucarne magique d’où s’entrevoyait une femme qui émoustillait à son insu un public averti.
Posted on: Sat, 17 Aug 2013 17:30:18 +0000

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