ANNALES DU MAGHREB & DE LESPAGNE IBN EL-ATHIR LE CALIFAT - TopicsExpress



          

ANNALES DU MAGHREB & DE LESPAGNE IBN EL-ATHIR LE CALIFAT OMEYYADE Alors Moûsa fit venir un de ses affranchis, Târik ben Ziyâd, qui commandait lavant-garde de ses troupes, et lui confia une armée composée de sept mille musulmans, Berbères et affranchis pour la plupart, le très petit nombre étant Arabes.[9] Târik dirigea les vaisseaux qui portaient son corps darmée vers une montagne élevée qui appartient au continent et y fait saillie ; cet endroit, où il débarqua en redjeb 92 (23 avril 711), a conservé jusquà présent le nom de Djebel Târik (Gibraltar). Abd el-Moumin (lAlmohade), quand il fut devenu maître du pays, fonda sur cette montagne une ville quil appela Medînat el-Fath (ville de la victoire) ; mais ce nom ne put prévaloir sur le premier, qui continua de rester en usage. Au moment de son embarquement, Târik se sentit gagner par le sommeil [P. 445] et simagina voir le Prophète qui, entouré des Mohâdjir et des Ançâr[10] ceints de leurs épées et armés de leurs arcs, lui parlait ainsi : « Avance hardiment, ô Târik, mais use de douceur envers les musulmans et respecte les traités ! » après quoi il vit le Prophète et ses compagnons le précéder en Espagne. Alors il se réveilla tout joyeux et fit part de cet heureux présage à ses compagnons ; lui-même se sentit tout raffermi et dès lors ne douta plus de la victoire.[11] Une fois toutes ses troupes débarquées sur le promontoire, il savança dans la plaine et conquit dabord Algésiras, où il trouva une vieille femme qui lui dit : « Mon mari, qui avait une profonde connaissance des traditions, a annoncé aux habitants que ce pays serait conquis par un général dont il faisait la description et dont, entre autres traits, il disait quil avait la tête grosse et portait sur lépaule gauche un signe foncé et couvert de poils. » Târik se déshabillant montra quil avait le signe en question, et cela servit encore à fortifier son joyeux espoir et celui de ses soldats. Après être donc entré dans la plaine, il conquit Algésiras et dautres lieux, et abandonna le fort qui couronnait le promontoire. Sitôt que Roderîk, qui était à ce moment en expédition, apprit linvasion de ses états par Târik, il reconnut la gravité de la situation, revint sur ses pas et réunit une armée qui montait, dit-on, à cent mille hommes. Târik, qui en fut informé, réclama des secours à Moûsa : tout en lui disant les conquêtes quil avait faites jusqualors, il ajoutait que le roi dEspagne marchait contre lui avec des forces auxquelles il était hors détat de tenir tête. Moûsa lui expédia cinq mille hommes de renfort, ce qui porta le nombre des soldats musulmans à douze mille hommes ; avec eux se trouvait Julien, qui leur indiquait les endroits vulnérables et les tenait, par ses espions, au courant de ce qui se passait. Le choc avec larmée de Roderîk eut lieu sur la rivière de Bekka[12] dans le territoire de Sidona le 28 ramadan 92 (19 juillet 711), et il y eut une série dengagements qui durèrent huit jours. Or les deux fils du prédécesseur de Roderîk, qui commandaient lun laile droite et lautre laile gauche de son armée, [13] complotèrent avec dautres princes de senfuir, poussés quils étaient par leur haine contre le roi régnant ; ils étaient dailleurs persuadés que les musulmans se retireraient quand ils se seraient gorgés de butin, et qualors eux-mêmes recouvreraient la royauté. A la suite de lexécution de leur projet, Roderîk et les siens furent mis en déroute, et lui-même se noya dans la rivière. Târik poursuivant les fuyards, arriva jusquà la ville dEcija, où de nombreux vaincus, soutenus par les habitants de cette ville, se rallièrent [P. 446] et recommencèrent une lutte acharnée, qui se termina par la défaite des Espagnols et qui fut plus terrible quaucune de celles que les musulmans eurent encore à soutenir. Târik établit alors son camp auprès dune source située à quatre mille dEcija et qui a conservé jusquà ce jour le nom dAyn Târik.[14] Par ces deux défaites successives, Dieu jeta la terreur dans le cœur des Goths, qui senfuirent à Tolède, convaincus que le vainqueur allait réaliser les paroles de Târik : celui-ci sétait donné, lui et les siens, comme anthropophages. Leur retraite à Tolède et leur évacuation des autres villes dEspagne firent que Julien dit au général musulman : « Maintenant lEspagne est à toi ; envoie des corps de troupes dans les diverses provinces, et marche en personne sur Tolède. » Târik suivit ce conseil : dEcija il envoya des détachements à Cordoue, à Grenade, à Malaga, à Todmîr, et lui-même, avec le gros de son armée, marcha sur Jaén dans lintention de se diriger ensuite sur Tolède. Mais lorsquil atteignit cette dernière ville, il la trouva abandonnée par ses habitants, qui sétaient rendus dans la ville appelée Mâya[15] derrière la montagne. Quant à Cordoue, le détachement qui avait été envoyé de ce côté sen empara en y pénétrant par une brèche existant dans la muraille et qui fut signalée par un berger.[16] Les troupes qui marchèrent contre Todmîr [Theudimer ou Théodemir] — cest la ville dOrihuela qui avait pris le nom du prince qui y régnait — eurent à combattre le prince de cette ville, qui, à la tête dune armée considérable, leur livra un combat acharné ; mais il fut battu et laissa un grand nombre des siens sur le champ de bataille. Alors il fit armer les femmes et put ainsi faire la paix avec les musulmans.[17] Les autres corps darmée se rendirent maîtres des pays quils attaquèrent. Quant à Târik, comme il trouva la ville de Tolède abandonnée, il y installa les Juifs[18] avec un certain nombre de ses soldats, et marcha en personne contre Guadalajara, [19] puis franchit la montagne par un défilé qui porte encore aujourdhui le nom de Feddj Târik[20] et arriva par delà à la ville dite de la Table (medînat elmâida), où il trouva la table de Salomon fils de David, qui est en béryl vert ; les bords et les pieds, ceux-ci au nombre de trois cent soixante, sont en la même matière, enrichie de perles, de corail, de yâkoût, etc. De là il alla dans la ville de Mâya, quil pilla, puis retourna à Tolède en 93 (18 oct. 711). On dit aussi quil se jeta sur la Djâlîkiyya (Galice), quil ravagea, et pénétra jusquà la ville dAstorga, [21] doù il rentra à Tolède ; il y fut rejoint par les troupes quil avait envoyées dEcija [P. 447] et qui avaient accompli la mission de conquêtes quil leur avait confiée. Moûsa ben Noçayr entra en Espagne en ramadân 93 (comm. le 10 juin 712), avec une nombreuse armée, car le récit des exploits de Târik avait excité sa jalousie. Lors de son débarquement à Algésiras, il nécouta pas le conseil quon lui donnait de suivre la même route que Târik, et les guides soffrirent à le mener par une route préférable à la sienne et qui passait par des villes non encore conquises. Inquiet comme il létait de ce quavait fait Târik, il accueillit avec joie la promesse de succès importants que lui fit le comte Julien. On le mena dabord à Medînat ibn es-Selîm,[22] quil prit de vive force, puis il marcha sur Carmona, la ville la plus forte du pays. Julien et ses affidés sy présentèrent dabord, se donnant comme des fugitifs, mais munis de leurs armes ; ils furent reçus par les habitants, puis Moûsa envoya des cavaliers, à qui ils ouvrirent les portes pendant la nuit, de sorte que les musulmans purent semparer de la ville. De là Moûsa se dirigea sur Séville, lune des villes dEspagne qui comptait le plus dhabitations et lune des plus remarquables par ses antiquités. Il sen empara après plusieurs mois de siège et y installa les Juifs pour remplacer les habitants qui sétaient enfuis. Il alla ensuite assiéger Mérida ; les habitants ayant opéré une sortie et lui ayant livré une sanglante bataille, il dressa pendant la nuit une embuscade dans les défilés des montagnes, et quand, le matin, les infidèles sortirent comme dhabitude pour combattre, ils se trouvèrent entourés de toutes parts par les musulmans sortis de leur cachette ; comme ils ne pouvaient échapper, ils furent surpris par la mort, à laquelle quelques-uns purent se soustraire en se sauvant dans la ville. Moûsa assiégea celle-ci, qui était bien fortifiée, pendant plusieurs mois, et parvint, à laide dune tour mobile (debbâba), à ouvrir une brèche dans les murs ; les habitants tentèrent alors une sortie et massacrèrent des musulmans auprès de la tour, quon appelle encore aujourdhui Tour des martyrs (bordj ech-chohadâ). Le jour de la Rupture du jeûne, dernier de ramadan 94 (28 juin 713), la ville capitula en reconnaissant aux musulmans la propriété des biens de ceux qui avaient été tués le jour de lembuscade et de ceux qui avaient fui en Galice, ainsi que des biens et des bijoux appartenant aux églises. Mais alors les Sévillans, ayant organisé un complot, se rendirent (de nouveau) maîtres de cette ville et mirent à mort les musulmans qui sy trouvaient. Moûsa lenvoya assiéger par une armée que commandait son fils Abd el-Azîz, qui sen empara de vive force et tua ceux des habitants qui y étaient encore ; puis Abd el-Azîz alla conquérir les villes de Niébla et de Bâdja (Béja), et retourna [P. 448] à Séville. Au mois de chawwâl (juillet), son père Moûsa partit de Mérida pour se rendre à Tolède. Târik sortit à sa rencontre et mit pied à terre sitôt quil laperçut. Moûsa le frappa de son fouet à la tête, en lui reprochant sa désobéissance, puis lemmena avec lui à Tolède. Il senquit du butin quil avait fait, ainsi que de la table de Salomon ; celle-ci, sur sa demande, lui fut apportée, mais un pied en avait été enlevé par Târik et manquait. « Jignore, répondit cet officier interrogé, ce quil est devenu ; cest dans cet état que jai trouvé la table. » Alors Moûsa en fit faire un en or pour remplacer le manquant. Moûsa alla conquérir Saragosse et les villes qui en dépendent ; puis il pénétra dans le pays des Francs, où il parvint jusquà une vaste plaine déserte, mais où se trouvaient des monuments, entre autres une idole debout, sur laquelle étaient gravés ces mots : «Fils dIsmâîl, cest ici votre point extrême, et il vous faut retourner. Si vous demandez à quel lieu vous retournez, je vous répondrai que cest aux discussions relativement à ce qui vous concerne, si bien que vous vous couperez la tête les uns aux autres, ce qui a eu lieu déjà. » Il revint alors sur ses pas. et rencontra un messager que lui envoyait le khalife El-Welîd avec lordre de quitter lEspagne et de venir le trouver ; mais, mécontent de cet ordre, il différa de répondre à lenvoyé et attaqua lennemi par un autre point que celui où se trouvait lidole, tuant et pillant tout, détruisant les églises et brisant les cloches. Il parvint ainsi jusquau rocher de Belây[23] sur lOcéan, [24] lieu élevé et dont la situation est forte. Alors un second messager dEl-Welîd vint insister sur lurgence de son départ, et saisit même la bride de sa mule pour le faire partir. Cela eut lieu dans la ville de Loukk, [25] en Galice, doù il partit par le col dit Feddj Moûsa ; il fut rejoint par Târik, venant de la Frontière supérieure (Aragon) ; il se fit accompagner de ce chef, et tous deux partirent ensemble. Moûsa laissa pour gouverner lEspagne son fils Abd el-Azîz ben Moûsa ; après être débarqué à Ceuta, il nomma gouverneur de cette ville, de Tanger et de la région avoisinante, un autre de ses fils, Abd el-Melik, et il plaça à la tête de l’Ifrîkiyya et de ses dépendances, son fils aîné Abd Allâh. Alors il se dirigea sur la Syrie porteur du butin, des trésors et de la table conquis en Espagne, et emmenant avec lui, outre trente mille vierges, filles des rois et des principaux Goths, une quantité innombrable de marchandises et de pierres précieuses. A son arrivée en Syrie, Welîd ben Abd el-Melik était mort et remplacé par Soleymân ben Abd el-Melik. Le nouveau prince, mal disposé [P. 449] pour Moûsa ben Noçayr, le destitua de toutes ses fonctions et le bannit de sa présence ; puis il le fit jeter-en prison et lui infligea des amendes telles que ce général fut obligé de mendier sa nourriture. Daprès une autre version, il arriva en Syrie du vivant dEl-Welîd, à qui dans ses lettres il sétait donné comme le conquérant de lEspagne, en même temps quil avait parlé de la table. A son arrivée, il étala son butin, la table comprise. Comme Târik, qui laccompagnait, prétendait quelle figurait parmi les dépouilles dont il sétait rendu maître, Moûsa lui donna un démenti ; Târik dit alors à El-Welîd : « Demande-lui ce quest devenu le pied manquant. » A cette question, Moûsa ne put répondre, car il nen savait rien. Alors Târik le fit voir, en ajoutant quil lavait caché avec cette arrière-pensée, et El-Welîd reconnut que cétait lui qui disait vrai. Il navait agi ainsi que parce quil avait été emprisonné et battu (par Moûsa), car il ne recouvra la liberté que grâce à larrivée dun message dEl-Welîd. Selon dautres, Târik ne fut pas emprisonné. On dit quil existait dans les possessions des chrétiens (Roûm), depuis leur entrée en Espagne, une maison à laquelle chaque nouveau prince ajoutait une serrure. Devenus maîtres du pays, les Goths continuèrent den faire autant. Roderîk, à son avènement, voulut ouvrir ces serrures et passa outre à lopposition des grands du royaume ; alors on vit, dans la maison ouverte, des images dArabes porteurs de turbans rouges et montés sur des chevaux gris, avec cette inscription : « Quand cette maison sera ouverte, les gens que voici entreront dans ce pays. » Or lEspagne fut conquise cette année-là.[26] En voilà assez sur la conquête de ce pays ; nous dirons le reste à mesure que les événements se dérouleront, daprès le plan que nous nous sommes tracé.
Posted on: Thu, 31 Oct 2013 15:22:27 +0000

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