Analyse L’Algérie, première nation à combattre - TopicsExpress



          

Analyse L’Algérie, première nation à combattre l’intégrisme Alors qu’elle faisait face au «péril vert» dans les années 1990, au milieu d’un océan d’indifférence arabe, africaine et internationale, l’Algérie a été la première à planter le premier clou dans le cercueil de l’islamisme politique. Elle a fait barrage à un processus électoral suicidaire, dont l’issue aurait été la destruction des institutions, l’asservissement de la société à un dogme religieux dévoyé et la dissolution programmée du pays dans un ensemble politico-administratif fantasmé : la oumma et le califat. Il s’en est fallu de peu... Par Mouloud Berouali En 1992, les dirigeants islamistes étaient assurés de la victoire électorale aux législatives qui les aurait propulsés au cœur du pouvoir, dont ils occupaient déjà les antichambres à travers leurs nouveaux élus aux municipales et leur proximité avec un nombre important de pontes du parti unique, le Front de libération nationale (FLN). Ils pouvaient compter sur le louvoiement du président feu Chadli Bendjedid, qui prônait «le respect du choix du peuple» et «donner une chance au Front islamique du salut (Fis) de constituer son gouvernement». Il était sur la même longueur d’onde que le roi du Maroc Hassan II, qui, regrettant l’arrêt du processus électoral, affirmera abruptement : «Dommage que les autorités algériennes aient interdit le Fis, sinon c’était un laboratoire pour tester l’efficacité de l’islamisme.» Le Qatar était lui aussi de la partie, sur la même ligne que la France de François Mitterrand, celle qui, à quelques années d’intervalles, rappellera la théorie du «chaos créateur» des néoconservateurs américains, qui permit en 1991 et en 2003 la destruction de l’Irak. Le scrutin par lequel l’horreur est arrivée n’avait pourtant pas la pureté de l’eau de roche. De l’aveu du premier ministre d’alors chargé de l’organiser, Sid Ahmed Ghozali, qui promettait des élections «transparentes et honnêtes», elles ne furent ni l’un ni l’autre. Non du fait de l’administration qui les aurait truquées, mais en raison du Fis, qui, selon Sid Ahmed Ghozali, «a usé et abusé de stratagèmes et de magouilles propres à lui assurer une victoire certaine ». Le mode de scrutin avait pourtant été taillé sur mesure pour privilégier le FLN, mais a tourné à la totale confusion. Parmi les fraudes les plus flagrantes relevées, figurent le refus délibéré des mairies dominées depuis juin 1990 par les islamistes de faire parvenir leurs cartes d’électeurs à un million d’inscrits sélectionnés pour leur opposition à l’intégrisme, ainsi que la distribution aux partisans du Fis de doubles de cartes d’électeurs qui leur ont permis de voter dans plusieurs bureaux de vote sous de faux noms. Le Fis avait même fait voter des morts, selon divers témoignages. Malgré les manipulations islamistes, le taux d’abstention atteignit 40 % et on compta un million de bulletins blancs. Pourtant, sans attendre les résultats, les islamistes avaient commencé à décliner leur programme en installant sur les trottoirs une «économie de bazar» nourrie par le «trabendisme», ce commerce de la valise et de la contrebande qu’ils faisaient prospérer à la faveur de la libéralisation sauvage du commerce extérieur et de la désindustrialisation du pays. Ils s’engageaient ouvertement à épurer les mœurs et à transformer les traditions alimentaires et les modes vestimentaires de la population dans le droit fil des enseignements de la rigoriste doctrine wahhabite-hanbalite, importée d’Arabie Saoudite, qui était inconnue jusque-là au Maghreb. Ce projet de société mûri de longue date s’inscrivait en toutes lettres sur les frontons des mairies conquises quelques mois auparavant, qui avaient été sommées d’effacer la devise républicaine : «Par le peuple et pour le peuple», pour la remplacer par «Commune islamique», transformant de fait ces cellules de base de l’État républicain en émirats islamiques. En s’appuyant sur des milices paramilitaires chargées d’«ordonner le bien et interdire le mal», selon des critères qui leur étaient propres, et sur des mosquées livrées à leurs prédicateurs comme un butin de guerre, les islamistes ont accompli un véritable forcing électoral pour mettre la main sur un pays qui était considéré, jusqu’au début des années 1980, comme l’un des plus modernistes des mondes arabe et africain, promu à un développement rapide parmi le peloton de tête des pays du tiers-monde. C’était l’époque où le défunt président Houari Boumediene, du haut de la tribune de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), rejetait impérieusement les théories fumeuses des adeptes de «l’islam est la solution » en affirmant avec panache : «Nous ne voulons pas aller au paradis les ventres creux.» En réalité, le ver était dans le fruit depuis longtemps. Les islamistes exerçaient une violence incessante sur la société pour la dominer en la tétanisant : attaques à l’acide citrique dès la fin des années 1960 contre les filles portant des mini-jupes, harcèlement de celles qui ne portaient pas le foulard islamique, chasse aux couples non mariés, agressions à répétition, entre 1975 et 1982, contre les étudiants de gauche classés comme impies (takfir). En 1982, à l’université d’Alger, une expédition punitive d’islamistes armés de haches et de couteaux a failli tourner au carnage. Le premier maquis armé islamiste, rapidement démantelé par les forces de l’ordre, date de la fin des années 1970. En 1982, c’était au tour du Mouvement islamique armé (MIA), de Mustapha Bouyali, proche des Gamâat Al-Islamiya égyptiennes qui tenaient le haut du pavé sous Sadate, d’implanter le sien dans l’Atlas blidéen. Il sera réduit cinq ans plus tard en 1987 par la gendarmerie. Parmi ses maquisards, on trouve un certain Ali Belhadj, futur numéro 2 du Fis, qui avait bénéficié d’une grâce présidentielle en 1989, en même temps que beaucoup d’autres que l’on croisera en première ligne des manifestations du Fis. Washington abritera ainsi le premier bureau ouvert par le Fis à l’étranger, dirigé par Anouar Haddam. En contrepartie, les contrats pétroliers et gaziers américains seront honorés. La légalisation la même année du Fis, en violation de la Constitution interdisant la reconnaissance de toute formation politique fondée sur des bases régionales ou religieuses, ne pouvait s’expliquer que par des calculs politiciens. Aussi mesquins qu’absurdes, ils considéraient les islamistes comme une opposition plus maniable et moins menaçante que les démocrates. Le Fis a su tirer le meilleur parti de cette bévue politique. C’était l’époque où un certain Rached Ghannouchi, qui venait de fonder Ennahdha en Tunisie, nouait de son exil britannique des alliances aux Etats-Unis pour le compte des islamistes algériens, leur servait d’intermédiaire auprès de l’Arabie Saoudite et inspirait leur plate-forme électorale. Pour ce pilier de l’internationale des Frères musulmans, parce qu’il «n’y a pas de passé colonial entre les pays musulmans et l’Amérique, pas de croisade, pas de guerre, une forme de coexistence est envisageable entre le monde musulman conduit par des islamistes et l’Amérique, à condition que celui-ci respecte la réalité islamique». Washington abritera le premier bureau ouvert par le Fis à l’étranger, dirigé par Anouar Haddam En contrepartie, ce dernier s’engagea à respecter dans leur intégralité les droits de l’homme réfutés en partie par le dogme islamiste, à honorer les contrats pétroliers et gaziers américains, à favoriser les investisseurs américains au détriment de Paris, jugée trop hostile aux islamistes, à cesser toute activité hostile à l’égard des monarchies du Golfe et à s’aligner sur Washington concernant l’Irak. C’est dans ce contexte chargé de périls que l’armée algérienne en 1992 comme l’armée égyptienne en 2013 a dû prendre ses responsabilités. Non point de son propre chef, mais à la suite d’une manifestation monstre à Alger et à l’appel d’un groupe de démocrates angoissés par les dérives islamistes, qui voyaient dans l’arrêt du processus électoral dévoyé la meilleure voie de salut républicain. Les principales figures de ce Comité national de sauvegarde de l’Algérie, Abdelhak Benhamouda, Hafid Senhadri et Djillali Belkhenchir, notamment, paieront leur engagement républicain et leur audace de leur vie sous les balles du terrorisme. Ce mouvement préfigurait d’ailleurs celui de Tamarrod en Egypte, mais les similitudes entre les deux situations algérienne et égyptienne s’arrêtent là. L’armée algérienne se devait relever le défi qui lui était lancé par le Fis Contrairement à une thèse répandue, mais fausse, l’armée algérienne n’a pas, comme en Egypte, délogé par la force le chef de l’Etat. Chadli Bendjedid, hésitant et dépassé par les événements, avait, comme il le raconte dans ses mémoires, présenté sa démission dans les formes constitutionnelles. Son retrait inopiné, loin de simplifier la situation, la compliquera davantage dans un pays désemparé, à la croisée des chemins. Si, pour combler le vide, certains étaient tentés de confier provisoirement la magistrature suprême au président du Conseil constitutionnel en «triturant» la loi s’il le fallait, le consensus s’était vite établi en faveur d’une franche transition confiée à un Haut comité d’Etat (HCE), présidé par un «historique» de la guerre d’indépendance, Mohamed Boudiaf, qui sera assassiné en juin 1992 et composé du général Khaled Nezzar, ministre de la Défense, Ali Kafi et Ali Haroun du FLN et Tedjini Haddam. Une autre dimension est souvent négligée dans l’analyse de cette crise multidimensionnelle dont les conséquences se font encore sentir en Algérie, et qui en fait une crise différente de celle qui secoue aujourd’hui l’Égypte. Ciblée par les terroristes en tant que colonne vertébrale d’un État sorti à peine d’une longue guerre de libération, l’armée algérienne se devait de relever le défi qui lui était lancé par le Fis et d’apporter sa pierre à la défense des institutions républicaines. Le Fis, fort de ses milices formées clandestinement depuis des années et conforté par le retour au pays de ses combattants «afghans» libérés de la guerre d’Afghanistan, était en effet résolu à passer à l’action directe pour renverser le pouvoir en place par la force. Il le fit savoir à travers une grève insurrectionnelle de plusieurs semaines en mai-juin 1991, six mois avant les législatives, qui failli paralyser le pays, prélude à son effondrement. Fin novembre, les islamistes convertis au terrorisme confirmaient leurs intentions en envoyant un commando lourdement armé attaquer le poste frontalier de Guemmar, à la frontière tunisienne. Cette escalade meurtrière jouera un rôle déterminant dans le basculement de l’armée. La suite montrera que le Fis était bien décidé à aller jusqu’au bout de sa logique sanguinaire pour imposer un Etat théocratique à une société qui n’en voulait pas. La violence terroriste n’était pas le résultat de l’arrêt du processus électoral, comme le Fis tenta vainement de le faire admettre. Elle l’avait précédé. Vaincu militairement à la suite d’une guerre implacable menée par l’armée, l’islam politique a aussi été vaincu idéologiquement, dans la mesure où il a perdu toute crédibilité auprès d’une majorité de la population. Son premier réflexe fut ainsi de se méfier des «printemps arabes» afin de préserver la paix civile acquise après une décennie noire particulièrement meurtrière. Analyse L’Algérie, première nation à combattre l’intégrisme Alors qu’elle faisait face au «péril vert» dans les années 1990, au milieu d’un océan d’indifférence arabe, africaine et internationale, l’Algérie a été la première à planter le premier clou dans le cercueil de l’islamisme politique. Elle a fait barrage à un processus électoral suicidaire, dont l’issue aurait été la destruction des institutions, l’asservissement de la société à un dogme religieux dévoyé et la dissolution programmée du pays dans un ensemble politico-administratif fantasmé : la oumma et le califat. Il s’en est fallu de peu... Par Mouloud Berouali En 1992, les dirigeants islamistes étaient assurés de la victoire électorale aux législatives qui les aurait propulsés au cœur du pouvoir, dont ils occupaient déjà les antichambres à travers leurs nouveaux élus aux municipales et leur proximité avec un nombre important de pontes du parti unique, le Front de libération nationale (FLN). Ils pouvaient compter sur le louvoiement du président feu Chadli Bendjedid, qui prônait «le respect du choix du peuple» et «donner une chance au Front islamique du salut (Fis) de constituer son gouvernement». Il était sur la même longueur d’onde que le roi du Maroc Hassan II, qui, regrettant l’arrêt du processus électoral, affirmera abruptement : «Dommage que les autorités algériennes aient interdit le Fis, sinon c’était un laboratoire pour tester l’efficacité de l’islamisme.» Le Qatar était lui aussi de la partie, sur la même ligne que la France de François Mitterrand, celle qui, à quelques années d’intervalles, rappellera la théorie du «chaos créateur» des néoconservateurs américains, qui permit en 1991 et en 2003 la destruction de l’Irak. Le scrutin par lequel l’horreur est arrivée n’avait pourtant pas la pureté de l’eau de roche. De l’aveu du premier ministre d’alors chargé de l’organiser, Sid Ahmed Ghozali, qui promettait des élections «transparentes et honnêtes», elles ne furent ni l’un ni l’autre. Non du fait de l’administration qui les aurait truquées, mais en raison du Fis, qui, selon Sid Ahmed Ghozali, «a usé et abusé de stratagèmes et de magouilles propres à lui assurer une victoire certaine ». Le mode de scrutin avait pourtant été taillé sur mesure pour privilégier le FLN, mais a tourné à la totale confusion. Parmi les fraudes les plus flagrantes relevées, figurent le refus délibéré des mairies dominées depuis juin 1990 par les islamistes de faire parvenir leurs cartes d’électeurs à un million d’inscrits sélectionnés pour leur opposition à l’intégrisme, ainsi que la distribution aux partisans du Fis de doubles de cartes d’électeurs qui leur ont permis de voter dans plusieurs bureaux de vote sous de faux noms. Le Fis avait même fait voter des morts, selon divers témoignages. Malgré les manipulations islamistes, le taux d’abstention atteignit 40 % et on compta un million de bulletins blancs. Pourtant, sans attendre les résultats, les islamistes avaient commencé à décliner leur programme en installant sur les trottoirs une «économie de bazar» nourrie par le «trabendisme», ce commerce de la valise et de la contrebande qu’ils faisaient prospérer à la faveur de la libéralisation sauvage du commerce extérieur et de la désindustrialisation du pays. Ils s’engageaient ouvertement à épurer les mœurs et à transformer les traditions alimentaires et les modes vestimentaires de la population dans le droit fil des enseignements de la rigoriste doctrine wahhabite-hanbalite, importée d’Arabie Saoudite, qui était inconnue jusque-là au Maghreb. Ce projet de société mûri de longue date s’inscrivait en toutes lettres sur les frontons des mairies conquises quelques mois auparavant, qui avaient été sommées d’effacer la devise républicaine : «Par le peuple et pour le peuple», pour la remplacer par «Commune islamique», transformant de fait ces cellules de base de l’État républicain en émirats islamiques. En s’appuyant sur des milices paramilitaires chargées d’«ordonner le bien et interdire le mal», selon des critères qui leur étaient propres, et sur des mosquées livrées à leurs prédicateurs comme un butin de guerre, les islamistes ont accompli un véritable forcing électoral pour mettre la main sur un pays qui était considéré, jusqu’au début des années 1980, comme l’un des plus modernistes des mondes arabe et africain, promu à un développement rapide parmi le peloton de tête des pays du tiers-monde. C’était l’époque où le défunt président Houari Boumediene, du haut de la tribune de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), rejetait impérieusement les théories fumeuses des adeptes de «l’islam est la solution » en affirmant avec panache : «Nous ne voulons pas aller au paradis les ventres creux.» En réalité, le ver était dans le fruit depuis longtemps. Les islamistes exerçaient une violence incessante sur la société pour la dominer en la tétanisant : attaques à l’acide citrique dès la fin des années 1960 contre les filles portant des mini-jupes, harcèlement de celles qui ne portaient pas le foulard islamique, chasse aux couples non mariés, agressions à répétition, entre 1975 et 1982, contre les étudiants de gauche classés comme impies (takfir). En 1982, à l’université d’Alger, une expédition punitive d’islamistes armés de haches et de couteaux a failli tourner au carnage. Le premier maquis armé islamiste, rapidement démantelé par les forces de l’ordre, date de la fin des années 1970. En 1982, c’était au tour du Mouvement islamique armé (MIA), de Mustapha Bouyali, proche des Gamâat Al-Islamiya égyptiennes qui tenaient le haut du pavé sous Sadate, d’implanter le sien dans l’Atlas blidéen. Il sera réduit cinq ans plus tard en 1987 par la gendarmerie. Parmi ses maquisards, on trouve un certain Ali Belhadj, futur numéro 2 du Fis, qui avait bénéficié d’une grâce présidentielle en 1989, en même temps que beaucoup d’autres que l’on croisera en première ligne des manifestations du Fis. Washington abritera ainsi le premier bureau ouvert par le Fis à l’étranger, dirigé par Anouar Haddam. En contrepartie, les contrats pétroliers et gaziers américains seront honorés. La légalisation la même année du Fis, en violation de la Constitution interdisant la reconnaissance de toute formation politique fondée sur des bases régionales ou religieuses, ne pouvait s’expliquer que par des calculs politiciens. Aussi mesquins qu’absurdes, ils considéraient les islamistes comme une opposition plus maniable et moins menaçante que les démocrates. Le Fis a su tirer le meilleur parti de cette bévue politique. C’était l’époque où un certain Rached Ghannouchi, qui venait de fonder Ennahdha en Tunisie, nouait de son exil britannique des alliances aux Etats-Unis pour le compte des islamistes algériens, leur servait d’intermédiaire auprès de l’Arabie Saoudite et inspirait leur plate-forme électorale. Pour ce pilier de l’internationale des Frères musulmans, parce qu’il «n’y a pas de passé colonial entre les pays musulmans et l’Amérique, pas de croisade, pas de guerre, une forme de coexistence est envisageable entre le monde musulman conduit par des islamistes et l’Amérique, à condition que celui-ci respecte la réalité islamique». Washington abritera le premier bureau ouvert par le Fis à l’étranger, dirigé par Anouar Haddam En contrepartie, ce dernier s’engagea à respecter dans leur intégralité les droits de l’homme réfutés en partie par le dogme islamiste, à honorer les contrats pétroliers et gaziers américains, à favoriser les investisseurs américains au détriment de Paris, jugée trop hostile aux islamistes, à cesser toute activité hostile à l’égard des monarchies du Golfe et à s’aligner sur Washington concernant l’Irak. C’est dans ce contexte chargé de périls que l’armée algérienne en 1992 comme l’armée égyptienne en 2013 a dû prendre ses responsabilités. Non point de son propre chef, mais à la suite d’une manifestation monstre à Alger et à l’appel d’un groupe de démocrates angoissés par les dérives islamistes, qui voyaient dans l’arrêt du processus électoral dévoyé la meilleure voie de salut républicain. Les principales figures de ce Comité national de sauvegarde de l’Algérie, Abdelhak Benhamouda, Hafid Senhadri et Djillali Belkhenchir, notamment, paieront leur engagement républicain et leur audace de leur vie sous les balles du terrorisme. Ce mouvement préfigurait d’ailleurs celui de Tamarrod en Egypte, mais les similitudes entre les deux situations algérienne et égyptienne s’arrêtent là. L’armée algérienne se devait relever le défi qui lui était lancé par le Fis Contrairement à une thèse répandue, mais fausse, l’armée algérienne n’a pas, comme en Egypte, délogé par la force le chef de l’Etat. Chadli Bendjedid, hésitant et dépassé par les événements, avait, comme il le raconte dans ses mémoires, présenté sa démission dans les formes constitutionnelles. Son retrait inopiné, loin de simplifier la situation, la compliquera davantage dans un pays désemparé, à la croisée des chemins. Si, pour combler le vide, certains étaient tentés de confier provisoirement la magistrature suprême au président du Conseil constitutionnel en «triturant» la loi s’il le fallait, le consensus s’était vite établi en faveur d’une franche transition confiée à un Haut comité d’Etat (HCE), présidé par un «historique» de la guerre d’indépendance, Mohamed Boudiaf, qui sera assassiné en juin 1992 et composé du général Khaled Nezzar, ministre de la Défense, Ali Kafi et Ali Haroun du FLN et Tedjini Haddam. Une autre dimension est souvent négligée dans l’analyse de cette crise multidimensionnelle dont les conséquences se font encore sentir en Algérie, et qui en fait une crise différente de celle qui secoue aujourd’hui l’Égypte. Ciblée par les terroristes en tant que colonne vertébrale d’un État sorti à peine d’une longue guerre de libération, l’armée algérienne se devait de relever le défi qui lui était lancé par le Fis et d’apporter sa pierre à la défense des institutions républicaines. Le Fis, fort de ses milices formées clandestinement depuis des années et conforté par le retour au pays de ses combattants «afghans» libérés de la guerre d’Afghanistan, était en effet résolu à passer à l’action directe pour renverser le pouvoir en place par la force. Il le fit savoir à travers une grève insurrectionnelle de plusieurs semaines en mai-juin 1991, six mois avant les législatives, qui failli paralyser le pays, prélude à son effondrement. Fin novembre, les islamistes convertis au terrorisme confirmaient leurs intentions en envoyant un commando lourdement armé attaquer le poste frontalier de Guemmar, à la frontière tunisienne. Cette escalade meurtrière jouera un rôle déterminant dans le basculement de l’armée. La suite montrera que le Fis était bien décidé à aller jusqu’au bout de sa logique sanguinaire pour imposer un Etat théocratique à une société qui n’en voulait pas. La violence terroriste n’était pas le résultat de l’arrêt du processus électoral, comme le Fis tenta vainement de le faire admettre. Elle l’avait précédé. Vaincu militairement à la suite d’une guerre implacable menée par l’armée, l’islam politique a aussi été vaincu idéologiquement, dans la mesure où il a perdu toute crédibilité auprès d’une majorité de la population. Son premier réflexe fut ainsi de se méfier des «printemps arabes» afin de préserver la paix civile acquise après une décennie noire particulièrement meurtrière.
Posted on: Sun, 01 Dec 2013 11:03:43 +0000

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