Au revoir ap’Albe et merci mes amis : Devoir de mémoire et devoir de gratitude. Mardi 18 juin! Mardi 18 juin! Un jour où le ciel s’assombrit. Un jour où la chaleur paternelle s’éteint. J’étais chez le dentiste plein d’espoirs après avoir reçu la nouvelle de l’évolution positive de ta santé lorsque mon téléphone sonna et tout se figea, le temps décéléra et tout devint vide de sens. Papa, j’aurais voulu te parler pour la dernière fois même pour une seconde, j’aurais voulu que tu respires le temps de me dire au revoir, mon fils. En répondant au téléphone, on me demanda si je savais que papa venait de mourir. Confirmer une nouvelle que je redoutais et que je n’avais pas eu vent!!! J’étais bel et bien dans l’air de « e-deuil » où les nouvelles de la mort se répandent rapidement mais la douleur s’enracine et nous brule à petit feu et où on n’est pas préparé mais on doit être prêt à tout moment. J’avoue je n’étais pas préparé à l’idée que tu partes sitôt parce que même en 89 ans tu dégageais cette force et cette discipline qu’inconsciemment j’ai cru que ça n’arriverait pas de sitôt. Mais toi, tu t’étais préparé, tu as écouté le chant de cygne qui t’informais sur la dernière page du livre de ta vie. Tu t’étais préparé en commençant par te baptiser en 80 ans. Certes, tu penses que ça sera après 90 ans, que 2014 sera ton dernier anniversaire et tu prévoyais une grande fête avec toute ta descendance. Mais hélas, le destin a décidé autrement. Lors de la mort de Jean – Paul II, tu m’as confié que toi aussi tu ne saurais tarder. J’avais alors eu comme Bayrou cette pensée : « Dans la course d’une vie, les derniers mètres, et leur épuisement, comptent autant, et davantage, que l’allégresse des départs. Dans cette marche vers le dépouillement ultime, le dépouillement radical, se produisent aussi des transmutations (…), "quand on passe l’or au feu du creuset". Je voulais que tu saches que les deux dernières années passées à tes cotes sont les plus significatives de ma vie, merci pour m’avoir appris à l’ABC de l’art de rester debout toute ma vie. Il était autour de 20 h 00, lorsque la nouvelle était arrivée et que je suis sorti de chez le dentiste. Mes jambes tremblaient et je n’avais pas assez de forces pour aller jusqu’ à l’autobus. Je me suis assis sur le trottoir, je pleurais et mes cris se perdent dans le ciel d’Ottawa. Lorsque soudain un homme s’arrêta et me demanda s’il y avait un problème, j’ai trouvé la force pour lui dire : Mon père est mort. Il s’est assis à mes côtés, il a cherché les mots pour me consoler et s’est rendu compte que les mots étaient inutiles alors il me dira simplement : « Je suis désolé ». J’ai alors compris qu’il avait raison. La vie nous désole par qu’elle est cruelle, parce qu’elle est tragique et parce qu’elle finit. Sur ses mots, j’ai eu la force de me lever et de marcher jusqu’à l’arrêt pour prendre l’autobus. Les quelques mètres qui séparent l’hôpital de l’arrêt devenaient mon chemin de la croix et ma tête faisait défiler toutes les images de mon père. Je ne savais pas si j’arriverai. Alors je devenais incrédule et j’ai pris le téléphone pour confirmer : Et si c’était un canular? Malgré cette tentative pour conjurer le sort, on me confirma la vérité du fait. J’ai repris mon chemin de croix où défilaient les images de mon père, je ne pouvais pas fixer son regard dans ma tête ni répondre à son sourire. J’ai alors eu envie d’appeler certaines personnes pour leurs dires simplement : Mon père est mort. Je le fis et ça me permis d’atteindre l’arrêt d’autobus. J’embarquai à bord de l’autobus 101 où il n’y avait que deux ou trois personnes. Je décidai de m’asseoir en arrière. C’est alors que ma tête ouvrit le livre de souvenirs où je me rappelai l’histoire qu’on me racontait lorsque j’avais commencé à marcher à quatre pieds, papa passait son temps à mettre les journaux sur le pavement pour que je ne puisse pas me salir; je me rappelai de cette photo où j’étais assis sur ses genoux à Lodja; je me rappela de tous les moments des départs et des retours du Petit Séminaire Onema Ototo et ces rituels où je devais lui dire au revoir et où il me disait bienvenu; je me rappelai lorsque je revenait de l’université de Kinshasa après la délibération pour lui dire j’ai réussi et sa joie; je me rappelai lorsque j’ai reçu la bourse de la Chine et sa fierté; je me rappelai lorsque je me suis marié, il était fatigué et m’a dit je serai a l’Église pour le mariage religieux, le reste ton frère et père s’en chargera; je me rappelai de sa joie lorsque je lui ai dit que j’avais ma maitrise et sa promesse de m’offrir une bouteille de champagne à mon retour; je me rappelai sa joie lorsque mon fils est né, il l’a directement appelé Okitunyungu 3 parce ce son père s’appelait Okitunyungu et son fils ainé des garçons aussi s’appelait Okitunyungu, j’espère que tu les verras et leur diras qu’ils ont un duyi; je me rappelai de la larme que tu as fait tomber lorsque je venais vers Ottawa et ton souhait de me voir revenir en 2014 pour ton 90eme anniversaire, je t’avais promis de revenir mais tu es parti sans me dire au revoir; je me rappelai de ta joie au téléphone lorsque je t’annonçai que ma fille vient de naitre, tu l’as appelé Nyombo Mukoie pour entretenir flamme de ton premier amour, tu lui diras qu’elle est aussi a un duyi; je me rappelai que tu voulais voir ta petite fille je lui dirai papi t’aimait beaucoup; je me rappelai la dernière fois que nous avons causé tu avais l’espoir de la guérison mais aussi la peur que ça puisse être tes derniers jours sur terre; je me rappelai t’avoir dit sois fort Ap’Albe pour qu’on puisse se revoir en 2014; je rappelai que tu me conseillais en utilisant ton exemple : Ton père, mon grand-père t’avait laissé plus jeune que moi et sans héritage mais avec la certitude de t’avoir appris à rester debout toute ta vie ce qui va te permettre d’écrire les plus belles pages de la famille par la suite. Tu m’as alors demandé de rester debout si tu partais et de prendre soin de mes frères et sœurs. Merci papa pour ces conseils. Soudain, l’autobus s’immobilisa, je vérifiai, c’était mon arrêt. Les pieds lourds, je descendis et un ami de la famille venu à ma rencontre m’aidera à atteindre ma maison. Je me retrouvai seul ressassant les mots justes pour informer ma femme et mes enfants partis prier. Après avoir parqué la voiture l’ami me rejoignit et essayât de trouver les mots pour adoucir ma douleur lorsque ma femme et les enfants surgirent. Je n’eus plus la force de leur dire, les mots me manquèrent et j’enfouis mon regard pour éviter les leurs. L’ami m’observant et après quelques minutes leur annonça en ces termes : Papa Albert est mort. Ma femme se mit à pleurer car pour elle, il ne fut pas son beau-père mais son père, celui qui l’a adopté dans la famille et l’appréciait beaucoup. Mon fils lui demandait pourquoi sa maman pleurait, parce que pour lui la mort ne lui disait rien. J’aurais voulu être à sa place pour échapper à ma douleur. Ma fille elle ne comprenne rien. Annoncer la mort à un enfant n’est pas une mince affaire. La douleur est contagieuse et par télépathie, j’ai fini par les attrister. Alors, je me suis dit qu’il fallait éviter qu’ils en souffrent et j’ai trouvé de l’énergie pour me taire et commencer le deuil intérieur (Kana ndeka delo). La douleur s’amplifia. Ma tête fit au bord de l’explosion lorsqu’on frappait à la porte. Les amis vont stopper cette douleur et écourter ma nuit. La solitude de la mort d’un père et la solitude des grandes villes peut être surmonté par l’amitié et les connaissances. Le fait de ne pas me sentir seul grâce aux amis sur Facebook, au téléphone et venus me rendre visite m’a permis de rester debout comme l’exigeait mon Père. A vous tous merci pour vos visites, vos sms, appels et commentaires sur mon mur. Le « e-deuil » a ce cote positif parce qu’on ne se sent pas seul; merci pour m’avoir essuyé les larmes, je vous offert ce récit de la journée la plus triste de ma vie pour saluer votre rôle salutaire dans ma douleur.
Posted on: Mon, 08 Jul 2013 04:28:42 +0000