Bolivar, l’homme de la nouvelle Amérique. Par Raphaël Lahlou, - TopicsExpress



          

Bolivar, l’homme de la nouvelle Amérique. Par Raphaël Lahlou, historien. A un peu plus de vingt ans, au mois d’août 1805, un jeune homme issu de la société créole du Venezuela, admirateur secret de Napoléon mais qui n’avait rien d’un Rastignac, prêtait un serment destiné à entrer dans l’Histoire : sur le Mont Sacré, à Rome, il jurait d’émanciper un continent, de briser les chaînes de l’oppression espagnole. Ce jeune homme déterminé s’appelait Simon Bolivar : il allait parvenir, par un combat guerrier et politique de plus de vingt ans, à chasser les Espagnols du Nouveau-Monde, ce fleuron de l’Empire de Charles Quint. Aujourd’hui encore, le parcours de ce lutteur qui devait fonder cinq républiques avant de mourir auréolé par sa victoire et usé, en achevant son rêve dans la misère et le pessimisme le plus aigu, fascine l’Amérique latine. A l’heure où son pays d’origine, le Venezuela, connaît de graves difficultés internes, il n’est peut-être pas inutile d’essayer de revenir aux sources d’un grand rêve politique, à cet homme dont Miguel de Unamuno devait dire : « Bolivar, sans qui l’humanité demeurerait incomplète ». Le « Libertador » ou celui qui devait émanciper le vieil Empire espagnol d’Amérique et, par ce titre, être salué par l’ensemble des républiques modernes d’Amérique latine et du Sud comme leur père fondateur ou leur inspirateur direct, est né au Venezuela dans une famille créole et riche, originaire de Biscaye, le 24 juillet 1783. Cette année là, le roi d’Espagne, Charles III, reconnaissait, après l’Angleterre vaincue, la légitimité de la jeune république des Etats-Unis d’Amérique du Nord, qui venait d’achever, avec le soutien des armes de la France, et celui plus mesuré de l’Espagne, son combat pour l’Indépendance. Les ancêtres de Bolivar servaient la Couronne d’Espagne et occupaient des charges officielles depuis le milieu du seizième siècle. Ils possédaient de vastes domaines fonciers, haciendas et encomiendas, en particulier dans les vallées d’Aragua. Le père de Simon, don Juan Vincente, un grand gaillard blond aux yeux bleus, qui mourra en 1786, était le colonel des Milices de volontaires blancs de ces vallées. Le jeune homme y sera plus tard sous-lieutenant. Sa mère, doña Concepcion Palacios y Blanco, belle, brune et pâle, mais atteinte de tuberculose et qui mourra elle aussi assez tôt, appartenait au même milieu, puissant et aisé. Cette aristocratie créole, quoique possédant sur ses terres des esclaves, était sensible au courant des Lumières, aux idées venues d’Amérique du Nord, de la République de Washington et Thomas Jefferson, et de la France pré-révolutionnaire. Elle voulait jouer surtout un rôle plus poussé, mieux affirmé que le sien dans les affaires de la Couronne espagnole sur l’ensemble du Continent. En janvier 1799, Simon Bolivar, âgé de moins de seize ans, quitte le Venezuela et se rend en Europe, en Espagne naturellement, via Mexico. Puis il arrive en France, en 1802 : il est enthousiasmé par Bonaparte, qui vient de signer avec l’Angleterre la « fausse paix d’Amiens ». Suivons les souvenirs de l’un de ses premiers compagnons d’armes, l’Irlandais Daniel O’Leary : il affirme que ce fut à cette époque que se fixèrent les fortes convictions républicaines de Bolivar. Celui-ci se mariait ensuite, en avril 1802, à Bilbao, à dix-neuf ans : il était veuf peu de temps après et jurait de ne pas se remarier. Il devait tenir parole et ses différents biographes, sans doute avec raison, voient dans la mort de son épouse l’élément décisif de son entrée dans l’action politique. Bolivar lui-même le confirmera, ainsi que le rapportent les souvenirs d’un officier français qui servait alors en Colombie et qui avait rencontré Bolivar pendant quelques temps. Dans une de leurs conversations, Bolivar lui aurait dit: « La mort de ma femme me plaça très tôt sur le chemin de la politique, elle m’amena à suivre le char de Mars, au lieu de la charrue de Cérès ». Bolivar s’était trouvé à nouveau en France en 1804 : y avait-il retrouvé Francisco de Miranda, avec qui il s’était lié lors son premier séjour parisien ? Sans doute. Il convient du reste ici d’évoquer assez précisément la figure énergique de Miranda, car si Bolivar deviendra légitimement, aux yeux de la postérité, le « Libertador » du continent sud-américain, Miranda en fut le « Précurseur » incontestable. Né vers 1750, et lui aussi issu d’une bonne famille de Caracas, il servit dans la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis (et fut donc capitaine espagnol). Il fréquenta également Germaine de Staël et Bonaparte (qui voyait en lui un Don Quichotte lucide) ; pour la cause d’émancipation qu’il poursuivait, cherchant l’appui de l’étranger, Miranda devint l’ami de William Pitt comme de l’Impératrice Catherine II, en Crimée, où il fut colonel russe ; et il approcha aussi Frédéric II ou encore l’abbé Raynal. Que l’on ne s’étonne pas de telles relations, contradictoires parfois : ami des jésuites et dans le même temps franc-maçon notoire, Miranda allait partout et se multipliait pour essayer de gagner des adhérents à son grand projet politique : l’émancipation du Continent américain. En 1791, il servit dans l’armée française et combattit sous Dumouriez, en Belgique. Il se couvrit de gloire à Valmy et fut un vaillant général de division français, dont le nom figure sur l’Arc de Triomphe de l’Etoile. C’est assurément l’un des hommes essentiels de son temps. Un futur président des Etats-Unis, John Adams, devait écrire de lui ce qui suit : « Miranda acquit parmi nous la réputation d’un homme qui possédait des connaissances universelles et passé maître dans l’art de la guerre. Très sagace, d’une imagination vive et d’une curiosité insatiable, Miranda en savait plus que n’importe qui sur notre vie sociale et politique, sur notre guerre, batailles et escarmouches qu’il connaissait et jugeait avec plus de sérénité et de justesse que n’importe lequel de nos hommes d’Etat ». Bolivar admirait profondément Miranda : s’il fut initié dans la Loge américaine que ce dernier avait voulu fonder pour rallier des fidèles supplémentaires à sa cause, ce ne fut peut-être seulement que parce que Miranda, justement, en était le fondateur. Car Simon Bolivar aura plus tard des mots assez rudes au sujet de la franc-maçonnerie. Miranda, en tout cas, passa aux actes, grâces aux subsides qu’il avait pu réunir par ses contacts en Angleterre et aux Etats-Unis, il met sur pied son expédition à destination du Venezuela, en partant de Trinidad. Le débarquement est un succès, le 3 août 1806, à la Vela de Coro. La troupe de Miranda cependant, en partie composée d’Anglais et de citoyens des Etats-Unis ou de Français, finit par être jetée à la mer par les Espagnols « royalistes ». Miranda et ses hommes rallièrent Trinidad. La déception du Précurseur sera à la mesure de ses espoirs. Mais il ne se découragera pas et, dans des circonstances plus tragiques encore, déchirantes même, on le retrouvera face, cette fois, à Bolivar. Qu’avait fait Bolivar depuis la dernière fois qu’il avait vu Miranda ? Il avait vécu de façon assez oisive – et studieuse aussi, fréquentant Laplace, Cuvier ou Humboldt par exemple – à Paris et, le 2 décembre 1804, il assistait ainsi au sacre de Napoléon à Notre-Dame. Il devait en conserver un souvenir ébloui, et quitter la France au printemps 1805. Il y avait retrouvé son précepteur de Caracas : Rodriguez Carreño un républicain rousseauiste assez fantasque, conspirateur-né. C’est cet homme étonnant qui sera le seul témoin de son serment d’août 1805, au Mont Sacré. Avant cela, tous deux avaient également pu participer au sacre de Napoléon à Milan, comme roi d’Italie. Bolivar rentra au Venezuela en juin 1807. (A suivre)…
Posted on: Mon, 08 Jul 2013 22:05:48 +0000

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