Boualem Sansal : «L’islamisme est en train de remplacer - TopicsExpress



          

Boualem Sansal : «L’islamisme est en train de remplacer l’Islam» Le romancier se fait essayiste pour traiter des rapports entre religion, histoire et société. -Quelle est la genèse de votre essai qui traite de lislamisme ? Ce livre est une commande dune prestigieuse fondation allemande, Ebert-Stiftung. En sa qualité de think tank, le rôle de cette fondation est de réfléchir à des questions relatives à lEurope, au tiers-monde, à lAfrique, à lIslam et à des sujets qui ont trait aux évolutions du monde. Elle met à la disposition des gouvernements et des grandes élites, des études et analyses dans le but dactualiser leurs connaissances. Cette fondation publie des ouvrages qui traitent de sujets dactualité. Voilà plus de sept années que je collabore avec Ebert-Stiftung. Parfois, je suis invité à participer à des débats sur lIrak, la mondialisation, le terrorisme... Je suis également sollicité pour animer des conférences pour un public trié sur le volet : des ministres, des généraux, des gens du gouvernement. Je suis intervenu à plusieurs reprises pour parler de lAlgérie, du Maghreb, de lUnion du Maghreb, de la question berbère. Le contenu de mes conférences sur lislamisme et le monde arabe a intéressé les membres de cette fondation. Cest pourquoi jai été sollicité pour écrire un essai à ce sujet. Bien quil ait été, en premier lieu, publié en France par les éditions Gallimard*, il est néanmoins la propriété de la fondation Ebert-Stiftung. La traduction a retardé sa publication en Allemagne. -Quelles distinctions fondamentales établissez-vous entre lIslam et lislamisme ? La différence entre les deux réside essentiellement dans le dosage. LIslam est une foi, une pratique religieuse et sociale. Laspect politique est très minoritaire. Lislamisme est une idéologie qui utilise lIslam à des fins politiques. La dimension politique est donc primordiale. Les aspects religieux, cest-à-dire la foi et la spiritualité, sont réduits à une pratique. De mon point de vue, lislamisme est en train de remplacer lIslam en tant que religion. Et il est très possible que dans cinquante années lIslam disparaisse. Mais de nos jours, dans la grande majorité des pays arabes, lIslam et lEtat sont relativement séparés. On ne gouverne pas au nom dAllah. -Pourtant, selon certains exégètes, lIslam est «dine wa dawla» (religion et Etat). Cela ne signifie-t-il pas que le religieux et le politique sont intimement liés ? Auparavant, le roi était khalife et commandeur des croyants. Ce modèle est toujours en vigueur au Maroc et en Arabie saoudite. Dans ce dernier pays, le roi est gardien des Lieux Saints de l’Islam et, donc, de la religion. Les wahhabites représentent une secte minoritaire rejetée par les autres courants de lIslam. Mais comme les Lieux Saints attirent tous les musulmans, le roi dArabie Saoudite veut se poser en chef suprême de la religion musulmane. Partout ailleurs, la séparation sest faite, suite aux colonisations et à la révolution des Lumières qui a quelque peu affecté ces pays. -Mais peut-on réellement parler de séparation du politique et du religieux lorsquen Algérie, par exemple, la Constitution stipule que lIslam est religion dEtat et que, d’autre part, le droit de la famille sinspire de la charia («loi islamique») ? La séparation des deux sphères ne sest pas opérée de manière formelle comme en France. En Europe, et notamment en Angleterre et en Allemagne par exemple, la situation est similaire à celle des pays musulmans. LAllemagne continue à lever limpôt pour les religions, exactement comme la pratique de la zakat (laumône) dans les pays musulmans, même si celle-ci na pas de caractère obligatoire. -Vous qualifiez lislamisme de force dangereuse. Quest-ce qui caractérise ce danger ? Il est dangereux exactement comme tout système qui cherche à simposer par la force et le rejet des autres. Les islamistes déclarent détenir la vérité et affirment que les autres sont dans lerreur. Et tous ceux et toutes celles qui ne pensent pas comme eux sont susceptibles dêtres tués. Comment remettre de lIslam dans les sociétés arabo-musulmanes en pleine dégénérescence, détruites par les colonisations et les évolutions historiques ? Certains privilégient la spiritualité et le chemin de Dieu en ayant recours à la foi et au Coran, lidée étant de revenir au sacré pour retrouver la force et lénergie qui a animé lâge dor de lIslam. Dautres prônent la réorganisation de la société et la mobilisation des individus en forçant à respecter lIslam par la guerre. Lorganisation sociale des sunnites malékites, par exemple, est tribale. Elle est essentiellement basée sur des valeurs guerrières et viriles. Dautres encore mettent laccent sur la dimension littéraire et expriment leur religiosité par la poésie. Les soufis, quant à eux, sont préoccupés par la recherche de lillumination. Mais le soufisme a dévié, donnant lieu au maraboutisme. LIslam est la seule religion à ne pas avoir été prise en main par les intellectuels. Au cours des siècles, elle a dégénéré, entraînant la dégénération des peuples. -LIslam militant est «minoritaire», soutenez-vous. Pourquoi alors est-il un danger pour les pays arabes et le reste du monde ? Pour linstant, il est minoritaire car il ne gouverne réellement dans aucun pays musulman, sauf en Iran. Ce livre a vocation de mettre en garde contre les dangers de lislamisme en prenant pour exemple lAlgérie, pays qui était socialiste, moderne et complètement éloigné de lislamisme. Un jour, nous avons vu arriver quelques individus. Ils étaient missionnés par qui ? Nous lignorons. Et, en moins de vingt-cinq années, bien quau sein de la société ils représentaient à peine 20%, ils sont devenus le parti dominant du pays. Et lorsquun parti devient puissant, il aspire à prendre le pouvoir par nimporte quel moyen, y compris par la force. Au début, ils visaient un retour à lIslam dans sa dimension spirituelle, puis ils ont versé dans le fondamentalisme. Un scénario similaire est en train davoir cours en Tunisie qui pourtant se proclamait démocratique. -Vous déplorez le silence des intellectuel(les) musulman(es) ? Quel rôle pourraient-ils/elles jouer ? Lislamisme a évolué, car il a réussi à former des intellectuels dans sa mouvance. Ils sont très forts, très actifs. Ils militent et ont créé des fondations prestigieuses qui servent de lieux de réflexion. Ils organisent des séminaires, des conférences et élaborent des stratégies. Les pays arabo-musulmans nont pas produit de révolution des idées politiques, sociales et religieuses. Les débats qui ont trait à la religion nexistent pas à cause, notamment, des dictatures qui sont au pouvoir et de la peur de lislamisme. Il est important que les intellectuel(les) travaillent et réfléchissent à ces questions de manière critique et concertée. -Ny a-t-il pas dans votre approche une tendance à ériger lOccident en modèle civilisationnel de référence ? Pour les pays musulmans, le changement doit-il prendre pour modèle lOccident ? Lidéal est que chaque pays produise son propre logiciel. La question fondamentale est la suivante : le modèle qui domine actuellement dans le monde est-il occidental ou universel ? Si on le qualifie doccidental, on joue alors le jeu des islamistes qui opposent à ce modèle le schéma musulman. Si on estime, au contraire, que les Occidentaux ont puisé dans dautres cultures et civilisations, on pense alors en termes duniversalité. Le modèle universel implique la notion des droits de lHomme, de la liberté... Actuellement, le modèle universel s’impose, car nous navons pas beaucoup de choix. Historiquement, nous sommes dépassés. Le monde se mondialise. La Déclaration des droits de lHomme simpose à tout le monde, bien quen termes dapplication on peut bien évidemment ladapter en fonction des spécificités de chaque société.
Posted on: Sat, 16 Nov 2013 12:29:01 +0000

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