« Conservatrice au sens le plus profond, la révolte paysanne - TopicsExpress



          

« Conservatrice au sens le plus profond, la révolte paysanne l’est assurément. Mais c’est dans la radicalité même de son conservatisme qu’il faut lire ce qu’elle véhicule d’aspiration à la liberté. Que veut-elle conserver, que se soucie-t-elle de préserver ? L’espace libre, la sphère autonome de la communauté familiale et villageoise, que de façon remarquablement universelle les anciennes formes de domination étatique ont toujours laissé subsister et que seul l’État occidental moderne s’est employé à détruire. De la Chine aux Andes, les anciens empires ont certes engendré des machines étatiques autrement plus écrasantes que celles sécrétées par les monarchies européennes du XVIe siècle. Mais cet appareil bureaucratique qui s’édifie à la tête de la société laisse à la base perdurer un monde à l’écart de l’État et un monde même d’avant l’État par beaucoup de ses traits. L’ambition de l’État moderne, tel qu’il trouve précisément ses assises stables dans l’Europe du XVIe siècle, est tout autre. Non pas contrôler du dessus et à distance la société pour en extraire le surplus économique, mais pénétrer littéralement la société, s’introduire dans ses articulations les plus fines, se rendre maître de ses rouages les plus intimes. Réglementer, codifier, redéfinir, changer, moderniser. « Civiliser », diront les grands commis éclairés et les serviteurs zélés. Briser donc cette base ou ce noyau le plus archaïque où se conservent d’antiques modes de pensée, des gestes millénaires et surtout un gouvernement de la petite communauté continuant à conjurer au sein d’elle-même, par la tradition, la différence de ceux qui commandent et de ceux qui obéissent ». Miguel Abensour, préface à La Boétie
Posted on: Sun, 21 Jul 2013 09:37:11 +0000

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