Cultures et culture Par Pierre Rabhi le jeudi 10 mai 2007 - TopicsExpress



          

Cultures et culture Par Pierre Rabhi le jeudi 10 mai 2007 pierrerabhi.org/blog/index.php?post/2007/05/10/Cultures-et-culture Le dictionnaire donne deux définitions à la culture : la première : actions de cultiver la terre, ensemble des opérations propres à tirer du sol les végétaux utiles à l’homme et aux animaux domestiques. La seconde : développement de certaines facultés de l’esprit par des exercices intellectuels appropriés. De ces deux principes, il semble que le monde moderne ait surtout retenu et exalté le second. Par exemple, dans la rubrique « Culture » des journaux se trouvent rassemblées les activités ayant trait à l’érudition, les connaissances abstraites ou les expressions artistiques : littérature, théâtre, musique, cinéma, peinture, sculpture…etc. La culture est de cette façon élevée au rang des créativités sublimées de l’esprit et regroupant en une sorte de phalanstère les créateurs qui constituent une catégorie sociale vouée à un magistère spécifique. Ce magistère les place hors des contingences matérielles tangibles auxquelles la société doit se confronter. Avec ces considérations, on pourrait dire que la culture n’est pas utile à la survie biologique. Sa production ne s’adressant qu’à la part abstraite, subjective, intellectuelle, émotionnelle de la nature humaine. Cette option est d’emblée sélective et labellise les individus cultivés selon des critères qu’elle définit. « Le meilleur ouvrage culinaire ne vaut pas le plus mauvais repas » selon l’expression d’Aldous Huxley. Cependant, dans le contexte de la société contemporaine, si la culture n’est pas indispensable à la survie, elle n’en est pas moins devenue une source de profit considérable et un enjeu important dans la globalisation ou mondialisation. En témoigne par exemple la clause d’exception culturelle, objet d’un véritable contentieux dans les négociations de Maastricht. Car la production abstraite dite de l’esprit concerne des produits tangibles, les films, les disques, les tableaux…etc. et toute autre création marchandisable et donc sujette à transaction, spéculation et concurrence économique. Et voici la culture prise en otage par la loi du marché et la civilisation technico-industrielle productiviste et marchande. Le progrès technologique met au service de ce type de culture des outils de diffusion et de propagation inconnus de toute l’histoire. La capacité de consigner l’écrit, la parole, le son et l’image sur des vecteurs aussi performants permet d’investir la quasi-totalité de l’espace planétaire. Cela s’est produit dans un temps très bref et a bouleversé les processus traditionnels. Dans ce contexte nouveau, Jean-Sébastien Bach qui se considérait comme un humble artisan de la musique, Mozart, Beethoven, Michel-Ange, Cerventes ou plus récemment Modigliani mort dans la misère, seraient devenus avec les droits d’auteur et produits dérivés des milliardaires. Ils posséderaient des yachts et des avions privés, bénéficieraient de la déférence et de la convoitise des médias et seraient interviewés par les magazines les plus prestigieux. L’héritage culturel qu’ils ont laissé à la postérité les aurait très largement mis à l’abri de l’insécurité. L’industrialisation a réussi à transformer ce que l’on appelle culture en une matière importable et exportable. Avec cette évolution, s’est ouvert un champ de bataille d’un genre et inédit où les peuples les mieux équipés technologiquement peuvent dominer et éradiquer les autres cultures. Et l’on voit sous nos yeux l’appauvrissement des cultures du monde par une sorte de monoculture universelle, standardisante, uniformisante et subordonnée au profit sans limite sur lequel se fonde l’idéologie dominante. Ainsi, les vastes peuples de l’oralité, naguère autonomes, ne dépendant que de leurs seules aptitudes et créativité pour vivre objectivement et de leurs arts pour alimenter leur subjectivité et surmonter les difficultés de l’existence sont condamnés, le mimétisme aidant, à l’acculturation. La culture consommable moyennant argent se substitue à la culture vivante et gratuite qui donne un sens et une âme à l’existence élémentaire. Cette acculturation n’est pas le fait du nord contre le sud mais a d’abord affecté les cultures du nord. L’Europe, berceau de la modernité, était elle-même constituée d’une mosaïque de cultures avec des provinces et des terroirs exaltant la diversité de la créativité humaine, inspirée par la diversité naturelle. L’acculturation commence par la négation des particularismes qui donnaient à chaque groupe humain une identité, une spécificité : langue, coutumes, traditions, habitat, costume, art culinaire…etc. bretons, occitans, germaniques, scandinaves, slaves…etc. Certains auteurs européens ont déploré cette perte d’identité au profit d’une culture hégémonique et totalitaire. Entre monoculture culturale et culturelle, la banalisation et le désenchantement affectent le monde. Peut-être faut-il pour mieux comprendre la problématique culturelle d’aujourd’hui se livrer à une petite rétrospective. Elle est à considérer comme une tentative de retrouver, s’il est possible, les racines de la culture. Celle-ci serait une spécificité strictement humaine, bien que le comportement de certaines espèces comme les grands singes commence à ébranler nos certitudes. L’humain, doté d’entendement et de conscience, ne peut se suffire de la seule réalité tangible. Il est capable de représentations mentales, de spéculations abstraites et comme on sait, le monde métaphysique a déterminé son destin d’une façon extrêmement décisive. Cette capacité lui a été précieuse pour s’imposer dans un univers hostile ou sa vulnérabilité physique n’aurait pu triompher de l’adversité et des rigueurs de la condition de survie. Il est le seul semble-t-il à pouvoir par ses aptitudes intellectuelles et manuelles s’adapter à tous les biotopes, d’un pôle à l’autre de la planète. On peut considérer que l’aptitude à modifier artificiellement une réalité rigoureusement prédéterminée pour toutes les autres créatures constitue les germes de la culture. Les obstacles que la nature oppose à la pérennité de l’humain aiguise sa perception du réel, et l’instinct de survie développe ses aptitudes à mettre en valeur les ressources que la nature lui propose pour assurer sa pérennité. La révolution néolithique met fin à la dépendance stricte à l’égard des ressources spontanées des divers biotopes. L’humain participe enfin à la création de son alimentation. Cette activité vitale s’appelle « agriculture », à laquelle nous devons la force hautement symbolique de la culture. L’acte de cultiver ne concerne plus la seule activité agraire mais est appliqué à toute action destinée à valoriser, à développer une potentialité, une ressource ou une aptitude. On cultive les prédispositions d’un enfant, l’art, les sciences, l’amitié…etc. A partir de l’agriculture, la culture s’exprime dans les deux composantes de la réalité humaine, le concret et l’abstrait. La sécurité alimentaire avec la production et le stockage des aliments réduit chez l’être humain l’obsession de la survie et libère son esprit qui peut vaquer à toutes les spéculations culturelles. C’est à cette libération que les grandes civilisations doivent leur essor. Avec son imagination, l’être humain crée des mondes, les cosmogonies, et tout un univers mythique se développe. Chaque peuple tente la cohésion et la cohérence de sa vision du monde. Cette condition est indispensable à l’apaisement d’une pensée interrogative souvent inquiète face à l’immensité du mystère dont nous sommes à la fois les observateurs et les sujets. Les interrogations sur le ciel et la terre, le bien et le mal, la vie et la mort, le visible et l’invisible, le féminin et le masculin…etc. constitueront les archétypes indissociables de la condition des êtres humains. Les paramètres comme le temps, l’espace, la personne, la causalité et l’objet constituent des invariants applicables à tous les humains. Seul l’« habillage » culturel varie. L’universalité et l’unité du genre humain sont sur ce plan incontestables comme elles le sont au niveau physiologique.. Qu’en est il aujourd’hui de la problématique culturelle ? De notre point de vue, nous assistons à l’évacuation de toutes les expressions culturelles non conformes à la définition qu’en a fait la modernité. Dans ces conditions, un bon charpentier, agriculteur, maçon, menuisier, médecin, cuisinier…etc. ne figure pas dans le phalanstère de la culture. Idem des minorités culturelles présentes en Europe et ailleurs, ainsi que ce vaste monde de l’oralité qui, par sa capacité à survivre parfois dans des conditions extrêmes a démontré et inscrit sa culture dans la matière. Ce monde de l’oralité qui faisait dire à Amadou Hampaté Bâ que chaque fois qu’un vieillard mourrait, c’était une bibliothèque qui brûlait. Le plus pénalisé n’ayant pas les outils pour faire valoir ses valeurs et s’enrichir de celles du monde. A l’érosion des sols, de la biodiversité sauvage et domestique, il faut ajouter celle des savoirs et des savoir-faire traditionnels que nous avons la stupidité de laisser ou de faire disparaître alors qu’à l’évidence ils seraient indispensables à un avenir qui ne soit pas subordonné à la seule combustion et consommation énergétique. Il est donc urgent de définir la culture comme étant tout ce qui concerne les potentialités et les actes humains qu’ils s’adressent à la subjectivité, au monde des abstractions ou à la sphère tangible de notre existence. Il est tant que l’éducation prenne en compte cette nécessité pour ne produire ni des intellectuels infirmes ni des manuels souvent considérés comme des indigents de l’esprit. Vive la culture libérée des ghettos et de l’arbitraire de l’élitisme culturel.
Posted on: Thu, 28 Nov 2013 08:00:22 +0000

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