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Dans Le COURRIER INTERNATIONAL A LIRE ABSOLUMENT ! (Rappel, pour la compréhension : 1) tous les protagonistes sont des Japonais, certains portent des surnoms, comme "George Toden". 2) la dose considérée comme admissible pour la population lambda est de 1 millisievert/an, et pour les travailleurs du nucléaire, 20 millisieverts/an) JAPON Fukushima – Paroles de liquidateurs "Rares sont les Japonais qui les considèrent comme des héros. Plus de deux ans après l’accident nucléaire de Fukushima, 3 000 liquidateurs œuvrent chaque jour à sécuriser la centrale. Dernier maillon d’une chaîne de sous-traitants, ils évoquent pour la première fois leur travail et les risques qu’ils prennent au quotidien. "GEORGE TODEN: Ce qui me frappe le plus, c’est à quel point ceux qui n’ont jamais mis les pieds à Fukushima se sentent peu concernés par ce qui s’y passe. Beaucoup de zones restent très dangereuses, avec un niveau de radioactivité élevé, mais les “étrangers”, ceux qui se trouvent à l’extérieur de la centrale, sont incapables d’apprécier la gravité de la situation. En mars, il y a eu une panne de courant à cause d’un rat qui avait grignoté le tableau électrique. Le générateur mobile se trouvait dans un lieu où la radioactivité était très élevée, à 200 microsieverts par heure. Pour procéder aux réparations, il a donc fallu constituer une force d’intervention spéciale prête à se sacrifier. Or les “étrangers” se montrent vite agacés et demandent avec désinvolture que tout aille toujours plus vite. Mais pendant ces interventions d’urgence nous prenons de grands risques ! En février 2012, un de mes collègues a dû intervenir dans un réacteur pour remplacer un thermomètre défectueux et a été exposé à une dose très forte : 9 millisieverts en trente minutes. C’est dire à quel point le site est dangereux ! SHUN KIRISHIMA: Mais ça équivaut à 18 millisieverts par heure ! Il suffit de rester sur place un peu plus d’une heure pour dépasser la limite d’exposition annuelle [recommandée par les instances internationales] ! G. T. Oui, et c’est précisément pour cette raison que certains de nos collègues tentent de dissimuler leur taux d’exposition. J’ai déjà vu un tas de dosimètres entassés dans une voiture garée à côté du bâtiment parasismique [à l’intérieur du site]. Une équipe entière avait enlevé ses dosimètres et les avait laissés là. GOBO Sans forcément tous aller jusque-là, nous faisons des pieds et des mains pour minimiser les doses mesurées afin de garder notre travail, même si c’est au détriment de notre santé. Et sans pour autant avoir une quelconque assurance santé complémentaire [que fournirait l’employeur]… G. T. D’ailleurs, on a beaucoup parlé [dans la presse nippone] de ces liquidateurs qui faisaient tout pour échapper aux examens de contamination [étape obligatoire avant chaque sortie du site]. Mais c’est tellement facile de s’y soustraire ! Il suffit de se débarrasser de sa combinaison de protection contaminée avant de pénétrer dans le bâtiment parasismique et d’en enfiler une propre, comme si on avait déjà passé l’examen. Personne ne se rendra compte de rien. GOBO Ceux qui essaient d’éviter les examens de contamination ne cherchent pas à tout prix à truquer leur dosimétrie. Ils veulent avant tout éviter de faire longtemps la queue, ce qui raccourcit d’autant leur temps de pause. G. T. En fait, nous sommes exposés à la radioactivité à longueur de journée, même en dehors des moments où nous sommes équipés d’un dosimètre. Les chiffres relevés sur les dosimètres n’intègrent pas les temps de trajet et de pause, alors que les ouvriers restent exposés à la radioactivité durant ces périodes. La plupart des liquidateurs recrutés ont peu de connaissances sur le sujet ; ils n’ont reçu aucune formation. C’est pour cette raison qu’ils n’hésitent pas à sous-déclarer les doses reçues ou à travailler sans combinaison ni masque de protection quand il fait chaud. S. K. Il n’y a rien de pire que de travailler avec un masque intégral en été. C’est à la limite du supportable. GOBO Quand vous portez un masque intégral huit heures chaque jour, vous vous sentez suffoquer, la fatigue s’accumule. Travailler de nuit dans ces conditions provoque bien évidemment de la somnolence. Mais pas question de s’assoupir, sinon on se fait réprimander et licencier. Dans le bâtiment parasismique, en été, la température peut atteindre 40 °C lorsque la climatisation s’arrête. G. T. Pour ma part, je pense que les ouvriers vont être de plus en plus nombreux à tomber malades, à moins qu’on ne raccourcisse la durée de chaque intervention. Trois mille employés travaillent actuellement sur le site. Si on doublait le personnel, la durée de chaque intervention pourrait être divisée par deux et le risque serait réduit. S. K. Il y a autre chose. Nous savons bien que le problème est insoluble, mais il n’empêche : les équipements de protection comme les masques intégraux entravent les mouvements et contribuent aussi à retarder l’exécution des opérations. Par-dessus ses gants en coton, un liquidateur doit porter deux ou trois paires de gants en caoutchouc et une paire de gants de travail. Comment voulez-vous effectuer des tâches de précision avec un tel attirail ? Des opérations banales comme enrouler une bande adhésive autour d’une pièce ou serrer une vis deviennent une gageure. G. T. La faiblesse des rémunérations, les risques sanitaires et la précarité de l’emploi sont autant de raisons qui éloignent les ouvriers qualifiés. J’ai vu des équipes constituées de débutants, incapables ne serait-ce que de serrer un boulon ! Sur les quatre ou cinq personnes qui se trouvent alors sur le terrain, seul le chef d’équipe est apte à intervenir dans les lieux très exposés, les autres l’observent en restant à l’arrière. Résultat : les chefs les plus compétents s’exposent plus que les autres ouvriers aux radiations et sont les premiers à ne plus être en mesure de travailler. GOBO Même un robot spécialement conçu pour opérer sur un site hautement radioactif finit tôt ou tard par s’effondrer, parce que son microprocesseur s’abîme à cause des rayonnements. Un deuxième robot est alors envoyé pour aider le premier, mais il tombe aussi en panne. Finalement, on est obligé d’envoyer un humain pour les récupérer. Au cours d’une telle intervention, le risque est grand de s’exposer à la dose maximale autorisée. En pareil cas, le salarié d’un grand groupe aurait toujours la possibilité d’être muté dans un lieu de travail non exposé aux radiations, comme une centrale à gaz. Mais les petits sous-traitants qui nous emploient licencient purement et simplement l’ouvrier. S. K. Or ce sont les employés des sous-traitants du quatrième et cinquième rang qui sont le plus souvent envoyés sur les sites les plus dangereux. La centrale de Fukushima Daiichi a adopté [après le tsunami] des systèmes d’assainissement des eaux contaminées conçus par le groupe français Areva ou l’américain Kurion et qui tombaient régulièrement en panne. A chaque avarie, nous devions, pour réparer ces équipements, évoluer dans un environnement où nous étions exposés à 1 millisievert par minute. Nous devions en plus, pour respirer, porter une lourde bouteille d’oxygène sur le dos [l’air ambiant étant chargé de poussières radioactives]. Alors que ce sont eux qui prennent le plus de risques, les employés des sous-traitants de dernier rang sont payés à peine quelques milliers de yens de plus par heure que les autres liquidateurs. Ils sont littéralement de la chair à canon. GOBO Beaucoup d’accidents à Daiichi ne sont pas rendus publics. Pourtant les débuts d’incendie sont monnaie courante. Des camions de pompiers et des policiers sillonnent le site, mais les ouvriers qui sont sur place ne sont jamais informés de ce qui se passe. S. K. Cela me fait penser à la façon dont sont traités les accidents du travail. Tant qu’aucun blessé ne doit être transporté à l’hôpital en ambulance, ils ne sont pas signalés… G. T. Démanteler Daiichi coûterait plusieurs milliards de yens par an [sur vingt à trente ans]. Il est évident que Tepco n’en a pas les capacités financières. L’Etat a fini par recapitaliser le groupe, mais cela n’a pas empêché une politique de réduction des coûts qui pèse sur les opérations sur le terrain. GOBO Le gouvernement a officiellement déclaré en décembre 2011 que le site était stabilisé, ce qui a dû inspirer un certain soulagement. Mais toujours est-il que la réduction des coûts s’est poursuivie et que la qualité des équipements de protection a continué de se dégrader. S. K. Un exemple : depuis le milieu de l’année dernière, le linge de corps distribué par les employeurs est réutilisé plusieurs fois. Les vêtements sont nettoyés et redistribués. Mais ils sont tachés, froissés, et certains de mes collègues se plaignent de ces linges malodorants. Les casquettes en coton ont tellement rétréci au lavage qu’on ne peut plus les porter. D’accord, les opérations sur le chantier n’en sont pas directement affectées. Mais le constat, pour nous, c’est que nous ne sommes pas du tout respectés. G. T. Selon moi, les opérations de réparation ou de démantèlement ne doivent pas être régies par les règles de la concurrence, sinon la priorité va à la réduction des coûts. Les rémunérations et la sécurité des travailleurs sont tout de suite sacrifiées. Or il faut offrir des conditions satisfaisantes pour attirer une main-d’œuvre qualifiée. Non mais, franchement, je ne touche que 140 000 yens [1 059 euros] par mois ! C’est ce qui me reste après déduction des frais : uniformes, livret de contrôle des radiations ou visites médicales. Et je ne touche même pas d’allocation spéciale dédiée aux travaux dangereux. S. K. Tepco affirme verser une enveloppe journalière de 80 000 à 100 000 yens à son sous-traitant direct [605 à 757 euros par ouvrier]. Ce qui est proprement scandaleux, c’est que ce prestataire de premier rang va ensuite prélever une marge de 55 % avant de distribuer ce travail à des sous-traitants de deuxième, troisième, puis de quatrième rang qui vont eux aussi prélever leur marge. Ce qui fait que, lorsque le travail est sous-traité par mon employeur, le salaire ­journalier n’est plus que de 10 000 à 13 000 yens par ouvrier [76 à 100 euros]. En cas de contamination, il faut se présenter à un bureau situé au deuxième étage du bâtiment parasismique. Le comble, c’est que le travailleur contaminé doit, dans son rapport à Tepco, s’excuser d’avoir été irradié ! G. T. Tout ce que nous faisons, c’est du rafistolage, un ensemble hétéroclite de solutions temporaires. Ce genre de pratique se justifie en cas d’urgence. Le problème, c’est que, deux ans et demi après l’accident, nous continuons à utiliser des matériaux totalement inadaptés. S. K. Je suis d’accord avec toi : tout est provisoire sur le site. Il n’est pas possible d’installer des canalisations en fer [plus solides et plus résistantes que du plastique, mais plus lourdes à manœuvrer]. Mener un tel chantier sur un site où chaque ouvrier ne peut intervenir plus de quatre heures par jour représenterait des efforts et des coûts colossaux. GOBO Ceux qui opèrent aujourd’hui sur le site de Fukushima étaient auparavant chauffeurs de bus ou poissonniers [et ont perdu leur travail à cause de la catastrophe nucléaire]. Finalement, peu d’ouvriers sont dotés des compétences nécessaires pour réaliser ces travaux. S. K. C’est justement parce que de tels novices sont envoyés sur le terrain que le travail est mal fait. La majorité des erreurs qui sont commises auraient sans doute pu être évitées si les nouvelles recrues avaient été formées. G. T. Et les vétérans n’ont pas le temps de transmettre leur savoir-faire aux nouveaux. Personnellement, je trouve assez insupportable les manifestations antinucléaires. Les antinucléaires n’arrangent rien en prenant sans cesse Tepco comme cible. En critiquant l’augmentation du prix de l’électricité pour les particuliers, en refusant de donner un centime à la compagnie, ils ne font qu’encourager la réduction des budgets consacrés au démantèlement du centre. Nous sommes face à une insuffisance de ressources humaines et financières, à un calendrier tendu… Il ne serait pas étonnant qu’une catastrophe se reproduise. S. K. Fonctionnaires et experts auront beau élaborer des feuilles de route, tout ne peut se passer comme prévu. Si l’on nous impose d’effectuer une tâche alors que les délais impartis sont irréalistes, cela se traduira fatalement par un travail bâclé. La seule solution consiste à affecter davantage de travailleurs sans chercher à économiser les coûts. Ou à prendre le temps d’élaborer une réponse. Faute de quoi, effectivement, des accidents continueront de se produire. —Propos mis en forme par Mogura Kitamura Publié le 22 avril 2013 / 20 septembre sur le COURRIER Contexte : INSTABILITÉ Le 11 mars 2011, un séisme suivi d’un tsunami provoque un accident nucléaire à la centrale de Fukushima Daiichi. Trois réacteurs entrent en fusion et explosent, provoquant d’énormes fuites radioactives. Le gouvernement japonais annonce fin 2011 que le site est stabilisé. Il n’en est rien. En avril 2013, une nouvelle fuite est détectée au niveau des réservoirs d’eau contaminée. Le même mois, un rat grignote un câble électrique, provoquant une coupure de courant. En août, on découvre que 300 tonnes d’eau hautement radioactive se sont répandues dans l’océan Pacifique. Le 13 septembre, des vapeurs suspectes sont de nouveau aperçues au-dessus du réacteur 3. Cela n’empêche pas le gouvernement libéral-démocrate de vouloir revenir à l’énergie nucléaire, mise en sommeil depuis deux ans. LA JOURNÉE D’UN LIQUIDATEUR Les ouvriers employés par les sous-traitants à la centrale de Fukushima Daiichi sont généralement logés dans des auberges aux alentours de la zone d’évacuation. Leur journée commence par un trajet en bus jusqu’au J Village, un ancien stade à 20 kilomètres de la centrale accidentée, où ils enfilent une première combinaison de protection. Un autre car les conduit ensuite sur le site contaminé ; une fois arrivés au bâtiment parasismique, ils reçoivent une combinaison supplémentaire et un dosimètre. L’attente et l’habillage sont très longs, et c’est seulement ensuite qu’ils peuvent intervenir sur le site. Le travail est de courte durée. Ils doivent prendre un temps de repos obligatoire de deux à trois heures, pendant lequel ils mangent et font la sieste à l’intérieur du bâtiment parasismique ou dans les préfabriqués alentour, entassés dans des salles où ils n’ont parfois pas assez de place pour allonger les jambes. Ils repartent ensuite sur le chantier. A la fin de leur journée de travail, ils repassent par le bâtiment parasismique déposer leur dosimètre et passer les examens de contamination, avant de prendre le chemin du retour. DOSES : DES LIMITES FLUCTUANTES Les quantités de radiations reçues par un organisme sont exprimées en millisieverts (mSv), ou en microsieverts quand elles sont faibles. En France, pour la population civile, la dose annuelle admissible est de 1 mSv par an. Les travailleurs du nucléaire, eux, ne doivent pas dépasser 20 mSv par an. Au Japon, la dose annuelle maximale pour les travailleurs du nucléaire est de 50 mSv par an. Après la catastrophe, les autorités ont élevé temporairement ce seuil à 100 mSv par an. Actuellement, sur les 20 000 liquidateurs ayant travaillé à Fukushima Daiichi, 756 ont reçu au total entre 50 et 100 mSv, et 167 ont été exposés à plus de 100 mSv. courrierinternational/article/2013/09/20/fukushima-paroles-de-liquidateurs
Posted on: Wed, 09 Oct 2013 01:43:04 +0000

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