De la Démocratie en Afrique postcoloniale Farmo Moumouni La chute - TopicsExpress



          

De la Démocratie en Afrique postcoloniale Farmo Moumouni La chute du mur de Berlin, ultime vestige de la guerre froide, libère le procès de la démocratie, et la conférence de la Baule, une année plus tard (1990) en liant l’aide au développement à la liberté, convainc un grand nombre de pays africains à marcher sur le chemin de la démocratie. Les assemblées constituantes, le multipartisme, les référendums, les élections présidentielles ou législatives qui étaient jusqu’alors curiosités ou raretés, deviennent désormais des lieux communs. L’effervescence des conférences nationales souveraines, la poussée de lois fondamentales, la floraison des partis, les consultations générales plus ou moins régulières, donnaient alors à penser que ces pays, enfin touchés par une sorte de grâce politique, marchaient résolument vers des régimes dans lesquels les peuples exerceraient effectivement leur souveraineté, dans un environnement stable, propice au développement. La démocratisation de nos pays serait donc vieille de deux décennies; des décennies jalonnées d’interventions militaires. Vingt d’entre elles se sont soldées par des coups d’État, soit, en moyenne, un coup d’État par an. Autrement dit, de sa mise en branle (il y a vingt ans) à nos jours, le mouvement de la démocratie aura été interrompu vingt fois en Afrique. Le constat est alarmant : notre démocratie est malade. À défaut de panacée, faisons un diagnostic en escomptant qu’une action sur les symptômes contribue sinon à guérir notre démocratie, au moins à atténuer son mal être. En effet, si les peuples dits souverains mettent en place des institutions, élisent des hommes pour les animer, si l’armée dont la vocation n’est point de gouverner le pays, mais de le défendre, investit les lieux du politiques, la preuve est suffisamment faite que notre démocratie ne fonctionne pas. Mais où se situent ses défaillances, au niveau du peuple, au niveau des institutions ou au niveau des élus ? Des peuples En dépit de l’établissement ancien de nos peuples sur des territoires, théâtres d’une histoire pluriséculaire commune, et de l’ancrage dans une culture première dont les manifestations particulières occultent l’unité fondamentale, la vie de nos peuples continuent encore aujourd’hui d’être traversée par des événements dont le caractère dramatique n’a d’égal que l’archaïsme. Le racisme et la xénophobie, les conflits interconfessionnels et religieux, les épurations ethniques et les génocides, latents ou manifestes, n’épargnent aucune région de notre continent. On pourrait arguer que l’Afrique ne détient pas le monopole des ces fléaux humains. Mais dans quelle région du monde commettrait-on l’outrecuidance de justifier leur existence ? Ces phénomènes qui soumettent la cohésion sociale à rude épreuve ne sont pas seulement intolérables, ils sont aussi inquiétants. Ils soulèvent concomitamment des questions graves qui ne peuvent être tues davantage, car de la résolution transparente de ces questions dépend le devenir de nos peuples. Je me demande si des peuples qui doivent leur sentiment d’appartenance à un vécu territorial continu et à des interpénétrations historiques et culturelles multiséculaires agiraient comme des étrangers les uns envers les autres; et si ces peuples, dans le règlement de leurs conflits, seraient mus par une haine meurtrière ? Je sais en revanche que ceux qui ont forgé ce sentiment dans le labeur de leur vivre-ensemble durable ne sont point enclins à commettre de tels excès. Ils constituent un corps politique qu’il est convenu de nommer : nation. Pour que la république s’érige et que la démocratie s’épanouisse, il faut que ce corps politique se constitue, et qu’en ce corps réside la souveraineté. Or, on ne peut dire d’un peuple qui croit que l’autorité suprême vient non pas de son sein, mais du ciel; qui, dans sa majorité, n’entend que peu de choses à la constitution et aux institutions, qu’il détient la souveraineté. Et, à supposer que le peuple détienne la souveraineté, il serait absurde de croire qu’il délèguerait ses pouvoirs à des représentants, pour que ceux-ci œuvrent contre ses intérêts. N’ayons donc pas peur de dire ce qui est : nos républiques ne servent pas l’intérêt général, nos peuples ne sont pas des nations achevées, ils ne savent pas que la souveraineté leur appartient, et nos démocraties sont le reflet de cette confusion politique. Je suis convaincu que la nation, la république, la démocratie ne peuvent prospérer là où l’ignorance règne, et que des peuples éclairés par les lumières de l’éducation et de l’instruction ne peuvent demeurer longtemps sous le joug des potentats. Des hommes Combien de fois ai-je entendu des ressortissants du Niger, du Gabon, de la République Démocratique du Congo, de l’Afrique du Sud, du Burkina Faso, du Tchad, de la Guinée et ceux d’autres pays africains s’identifier par leurs ethnies plutôt que par leurs nationalités? Ces Africains dont je parle sont ceux avec lesquels je vis, ceux de la diaspora, particulièrement ceux qui, parce qu’ils détiennent quelques parchemins, s’autoproclament intellectuels. Tout se passe comme si pour ces Africains, l’ethnie primait la nationalité. Mais cette primauté de l’ethnie sur la nationalité n’est pas seulement le propre des Africains de l’étranger : parce que j’ai vécu avec les Africains d’Afrique, je sais qu’elle est aussi à l’œuvre à l’intérieur de nos pays, qu’elle affecte de manière plus ou moins subtile toutes les sphères de la vie publique. Les remarques faites concernent l’élite africaine. Leur dessein est de nous interpeler sur la présence du sentiment national au sein de cette catégorie d’Africains. Je dis pour ma part que l’élite africaine est fille du peuple. Ce qui a été dit du peuple reste vrai dans une large mesure pour l’élite. Mais je sais que la fille n’est pas identique à la mère, et c’est pour cette raison que je me garde de généraliser. Si donc, ce sentiment national se trouve chez nombre d’individus, on ne peut affirmer qu’il soit la chose la mieux partagée au sein de l’élite. Dans nos pays, le gouvernant est persuadé qu’il est au-dessus du gouverné; le gouverné croit que le gouvernant a reçu le pouvoir de Dieu. Le gouvernant dépouille le gouverné de ses biens (les deniers publics) lui jette quelques miettes; le gouverné loue la générosité du gouvernant. Ici, les rôles sont inversés : le gouverné est au service du gouvernant; le gouvernant est le souverain, le gouverné est son mandataire, quand il n’est pas son sujet. La société est morcelée en autant de principautés qu’il y a d’hommes politiques. Les hommes au pouvoir se comportent en tyrans, ceux de l’opposition en despotes. Tous croient que les administrés, les électeurs, les partisans leur sont redevables. Dans les cercles du pouvoir, cet homme a jeté son dévolu sur un ministère, cet autre gère une société publique comme son patrimoine, un troisième a décrété que le pays avec ses hommes et ses richesses est sa propriété. Tous les trois considèrent le trésor public comme un grenier à l’intérieur duquel ils puisent à volonté. En attendant de les remplacer, les opposants se contentent de régner sur les partis politiques. Arrive le temps de l’alternance, le monarque qui s’est préparé à mourir sur le trône n’entend point céder le pouvoir; le peuple qui serait orphelin sans lui, le plébiscite au cours d’une consultation théâtrale. Il arrive au soir de sa vie, il s’éteint, son fils lui succède : la démocratie de père en fils ou démocratie héréditaire est née en Afrique ! Il faut se rendre à l’évidence : notre manière de vivre le pouvoir, notre manière de l’exercer s’apparentent plus à des comportements monarchistes qu’à des comportements républicains. Notre conception du pouvoir est manifestement antirépublicaine et antidémocratique. La conciliation de cette conception du pouvoir avec les idées de république et de démocratie exige que nous extirpions le monarque qui sommeille en chacun de nous, pour que le citoyen s’épanouisse. Des institutions Les instituions s’entendent ici des structures et des règles qui permettent d’asseoir une démocratie saine dans une république. Les unes tendent vers l’universel, tandis que les autres diffèrent suivant les coutumes et les mœurs des pays dont elles servent les desseins. Dans la mesure où les structures et les règles sont des moyens, elles ne peuvent être dissociées des hommes qui les utilisent pour atteindre une fin. Aussi longtemps que les hommes qui animent les structures ne s’évertueront pas à respecter les règles organiques, les meilleures institutions tourneront à vide. Et, puisque selon le mot de Montesquieu « toute personne qui détient un pouvoir est tenté d’en abuser » on veillera à doter toutes les aires de la vie publique de codes d’éthique et de déontologie qui spécifieront entre autres choses, les valeurs que les hommes qui s’occupent de la chose publique devront observer; les règles qu’ils sont tenus de respecter; les incompatibilités de leurs fonctions; les conflits d’intérêts; de même que les sanctions auxquelles ils s’exposent en cas d’abus. Il ne saurait y avoir de démocratie sans pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire qui s’équilibrent et se contrôlent. Si la question de leur séparation ne se discute point, en revanche celle de la modalité de leur séparation doit retenir notre attention. Au regard du risque inhérent à la détention du pouvoir et de ce qui a été dit de notre conception du pouvoir, le régime présidentiel (séparation rigide des pouvoirs) ne me semble pas être le meilleur des régimes. Le cas du Niger où un président démocratiquement élu a transformé la république en monarchie et s’est lui-même métamorphosé en monarque est à la fois révélateur et dissuasif. Les formations politiques font partie des institutions entendues au sens large. Je crois d’abord, que plus les hommes feront l’apprentissage de la démocratie au sein de leurs partis, mieux notre démocratie se portera au niveau national. Je crois ensuite que si le multipartisme vivifie la démocratie, le foisonnement des partis donne des airs de foire à la scène politique. Par ailleurs dans un contexte où la référence identitaire première est plus l’ethnie que la nationalité, le risque que partis et ethnies se chevauchent est bien réel. Je crois enfin que le financement transparent des partis politiques est un gage du bon fonctionnement de notre démocratie. Les partis politiques ont besoin d’être libérés de leurs démons qui ont pour noms : financements occultes, contributions des entreprises nationales ou étrangères, dons des hommes d’affaires analphabètes et illettrés, mais riches qui hantent nos parlements. On rendrait un grand service aux partis politiques en interdisant les premiers et en limitant les seconds. Le financement public quant à lui devrait se faire de manière plus rigoureuse. Il pourrait par exemple être attribué en fonction du nombre de voix obtenues au cours d’une élection, et tout parti qui n’aura pas atteint un certain pourcentage de suffrages ne bénéficierait pas dudit financement. Ensemble, ces mesures pourraient limiter le pullulement des formations politiques. Dans le système représentatif qu’est la démocratie, ce n’est pas trop demander que d’insister sur l’intégrité de ceux qui au nom du peuple conduisent les affaires du pays. Nul ne saurait solliciter un mandat du peuple s’il a commis des crimes à l’endroit de ce peuple. Au moment où la disqualification ou non de certaines personnalités politiques défraie la chronique au Niger, je veux croire que ce ne sont ni les supputations des hommes, ni leurs vœux qui décideront de l’éligibilité ou de l’inéligibilité des personnes en cause, mais les faits établis par une justice équitable. Celles qui auront réussi leur examen d’intégrité continueront à exercer leur métier de politicien, celles qui auront échoué, songeront à changer de métier après avoir purgé leurs peines. L’alternance au pouvoir est un signe de bonne santé démocratique. Afin d’éviter les présidences à vie nos constitutions se sont avisées de limiter le mandat présidentiel. Ici on a décidé d’un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois, là-bas, on a préféré un mandat de sept ans non renouvelable. Mais pourquoi? Qu’est-ce qui fondent historiquement et culturellement ces choix? Rien apparemment, hormis le mimétisme. Nous ne pouvons vouloir des institutions qui s’ancrent dans nos mœurs et nos coutumes, sans nous inspirer de ce que nos cultures et notre histoire ont produit. On sait par exemple depuis les travaux de Cheikh Anta Diop, notamment, que dans plusieurs royautés africaines précoloniales, le roi, après huit ans de règne était mis à mort, puis que cette mise à mort effective a évolué en mise à mort symbolique. Ce qui est important ici, c’est l’idée que la limitation du mandat n’était pas étrangère à nos cultures. Partant de cette expérience authentiquement africaine, on pourrait accorder aux présidents de nos républiques actuelles, un mandat de quatre ans renouvelable une fois, soit huit ans au total. En même temps que nous aurons limité le mandat présidentiel, nous lui aurons donné une signification historique et culturelle. La parité hommes-femmes dans le gouvernement, contrairement à ce que beaucoup croient n’est pas chose nouvelle en Afrique, elle était déjà à l’œuvre dans le Dahomey précolonial où les décisions concernant la vie collective étaient prises par une assemblée d’hommes et par une assemblée de femmes qui avaient les même prérogatives. Notre histoire est une source d’inspiration qui nous permet de créer, d’innover, en nous sentant chez nous, en démocratie. De ce point de vue, Joseph Ki Zerbo a eu raison de dire qu’ « un peuple ne peut vraiment affronter son avenir sans une vision de son passé. On ne peut vivre avec la mémoire d’autrui, or l’histoire est la mémoire collective des peuples.» Au demeurant, rien ne sert de mettre en place des institutions démocratiques si par l’éducation et l’instruction, par la formation et l’information, on ne permettait pas aux citoyens de les approprier afin de participer pleinement à la vie politique du pays.
Posted on: Wed, 26 Jun 2013 19:44:09 +0000

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