Duchesse dAbrantes, Voyage au Vignemale (Pyrénées). 1ère partie - TopicsExpress



          

Duchesse dAbrantes, Voyage au Vignemale (Pyrénées). 1ère partie extrait du Journal des jeunes personnes, 1833 Hauteur : 1,776 toises au-dessus du niveau de la mer. Ce fut le 28 août de lannée 1809 que jentrepris de monter au sommet du Vignemale, la plus élevée des cimes françaises, puisque le mont Perdu est considéré comme appartenant à la chaîne espagnole. Depuis mon arrivée à Cauterets, chaque jour voyait croître en moi le désir de faire ce voyage entrepris jusqualors par une seule femme (1) et qui depuis ne le fut que par quelques hommes courageux, dont le but était même de décider une question de science. Chaque soir, en voyant le soleil couchant colorer dune teinte rosée le haut sommet du Vignemale, couronné de neiges éternelles, je me transportais par la pensée au milieu de ses régions inconnues. Je voulais aller fouler de mon pied ces neiges vierges, et de ma propre main tracer mon nom sur le rocher triangulaire qui domine lAragon et le Bigorre, et, malgré les dangers que présentait ce voyage, mon désir devint bientôt une volonté ferme quil me fallut exécuter. Il était déjà tard (2) pour entreprendre une course aussi sérieuse. Martin et Clément, les deux chefs des guides de Cauterets, ayant été consultés par moi, me conseillèrent de remettre lexécution de mon projet à lannée suivante. Cet avis était sans doute bien désintéressé ; il avait de plus lavantage dêtre donné par des hommes parfaitement au fait de tout ce qui pouvait être à redouter dans un voyage de cette nature; jaurais dû les écouter ; mais je tenais à accomplir mon projet. Je dis donc à Martin de monter jusquau lac de Gaube, de passer ce lac et de pénétrer jusquau petit glacier; il devait avoir en cet endroit tous les renseignemens nécessaires. Il partit et revint le lendemain me rapportant une réponse satisfaisante. La neige était encore très dure, et depuis plusieurs jours le pâtre solitaire qui demeure au-delà du lac de Gaube navait entendu aucun bruit annonçant la chute dune avalanche. Enfin, le résultat de ses observations était que je pouvais entreprendre mon voyage. - Je sautai de joie !.... javais vingt-trois ans et je désirais avec passion ce que jallais exécuter ! Dès le même jour, Martin soccupa des crampons, des bâtons ferrés, du choix des guides, et ma femme de chambre prépara ma toilette de voyage. Le lendemain Martin vînt mavertir que tout était prêt et quil me conseillait de me hâter, parce que depuis la veille le temps menaçait de tourner à lorage, et lorsquà cette époque de lannée les nuages sabaissent sur les hautes cimes, on na plus lespoir de voir revenir le beau temps. - Mais au moment de partir un singulier empêchement faillit me contraindre à remettre, comme le voulait Martin, mon voyage à lannée suivante. Bien que je fusse entourée de beaucoup damis, je navais personne que je pusse emmener : labbé de Cherval, dont lesprit si supérieur et les connaissances profondes me le faisaient désirer, avant tout autre, pour mon compagnon, ne pouvait entreprendre une si longue course dans létat de santé où il était et surtout à son âge. Mme la baronne Lallemand ne pouvait quavec peine venir à pied à la source de la Rallière, où les malades même les plus faibles vont chaque matin boire leur verre deau. Le général Lallemand réunissait pour moi toutes les qualités que je pouvais demander à un compagnon de route au milieu des glaciers et des rochers du Vignemale; mais il nétait pas encore arrivé dEspagne où il faisait alors la guerre. Il y avait bien à Cauterets et dans les lieux deaux environnans plus de prétendans à faire ce voyage que je nen avais même besoin; mais jétais alors trop jeune et dans une position trop remarquable dans le monde pour me mettre à courir non pas les champs, mais les montagnes, avec une personne qui nétait au fait pour moi quun inconnu, car on sait que les connaissances deaux sont encore plus passagères que toute autre rencontre de voyage. Cependant il fallait me décider. Je le fis dune manière qui tranchait toute difficulté et ne blessait personne par une préférence. - Je partis seule, nemmenant avec moi que le médecin des eaux, M. Labbat, Joseph, mon valet de chambre particulier, les deux guides, Clément et Martin, et quatre autres montagnards choisis par eux ; de plus nous prîmes avec nous deux chasseurs disard (3) afin de tenter cette chasse difficile si nous avions le bonheur de rencontrer une troupe de ces cousins ou plutôt de ces frères des chamois des Alpes suisses. M. Labbat, le médecin des eaux de Cauterets, depuis, je pense, que les eaux existent, mavait connue toute petite enfant lorsque ma mère était venue à Cauterets. Cétait bien le meilleur des humains ; il avait alors cinquante-huit ans et marchait comme un isard. - Jeus dabord quelque peine à le décider, car depuis le moment où javais mis dans ma tête daller au sommet du Vignemale, M. Labbat navait jamais pu comprendre ma folle envie de courir au travers de mille dangers, dont pour lui le plus important était de mal déjeuner. Lorsquil fut rassuré par moi à cet égard-là, en voyant le menu de tout ce que contiendrait une vaste corbeille confiée aux soins particuliers dun jeune garçon de Cauterets, M. Labbat consentit enfin à maccompagner , quoiquil se fit une pauvre idée, disait-il à M. Cherval, de ce que nous allions voir là-haut; car, après tout, ce sont des pierres, de la neige, et puis de la neige et des pierres. Et il se mettait à rire, tout enchanté quil était de sa plaisanterie; cétait, du reste, un digne homme, honnête créature sil en fût jamais, mais ennuyeux assez souvent, chose très compatible malheureusement avec la probité. Toutes mes dispositions étant faites, le 27 août à sept heures du soir je pris avec Martin mes derniers arrangemens; il devait venir méveiller à trois heures le lendemain matin, parce que le chemin bien connu de Cauterets à la Cerisay pouvait se faire dans lombre du crépuscule et cétait autant de gagné sur notre fatigante journée. Martin était joyeux et fier dêtre mon guide; lui et ses camarades nont pas beaucoup de vénération pour les noms et les titres, choses pour eux assez insignifiantes; mais quelquun , une femme surtout qui marche bien et longtemps, qui gravit, descend et saute les rochers; une telle femme inspirait la plus profonde vénération à Martin et à Clément. Cétait ainsi quils me considéraient comme la femme la plus parfaite quils eussent encore vue à Cauterets. La reine Hortense, qui marchait aussi comme une biche, avait captivé leur admiration; mais dans leur balance montagnarde jétais de plus de poids, parce que, plus robuste que la reine Hortense, je gravissais plus rapidement et marchais plus long-temps. Dans cette partie de la chaîne des Pyrénées, elle et moi nous sommes connues, surtout des guides-porteurs de Cauterets, pour notre manière de marcher. - Marcher ! pour eux cest tout ce que lon peut faire de plus admirable. Aussi ne sinquiètent-ils aucunement de ce que vous êtes. Si vous marchez mal hum ! ils vous regardent..., secouent la tête, sourient entre eux et vous voilà jugé.- Après cela, faites demander, le jour daprès, Martin et Clément pour vous servir de guides pour aller au Mouné ou bien aux Granges de la reine (4), sils nont rien à faire ils iront avec vous ; mais si la bonne marcheuse les demande en même temps, ils refuseront toute autre proposition pour aller avec elle, et ce nest pas du tout, je le répète, pour le nom ni le rang. - Ils appelaient la reine Hortense la reine, ils mappelaient la duchesse, comme ils nous auraient nommées Marguerite ou Pasqualita; et cest si vrai quil y a eu bien souvent des duchesses à Cauterets et que pour eux jétais moi, sans que mon nom fût mis au bout de mon titre; tout-à-fait comme la duchesse de don Quichotte. Cétait donc une vraie fête pour Clément et pour Martin que dentreprendre avec moi la grande course du Vignemale!... la plus élevée de nos Pyrénées françaises !... Monter sur le Vignemale ! quelle gloire pour Martin depuis si long-temps obsédé par la réputation de Laurence !... Laurence, ce guide fidèle de Ramond ! ... Laurence qui est monté plus haut que M. Ramond sur le pic du midi !... Eh bien! Martin va gravir une cime plus élevée.... Oh ! il était bien content, Martin; aussi fut-ce avec une sorte de joie délirante quil me montra le soleil couchant colorant de mille feux éblouissans le sommet neigeux du Vignemale, et faisant étinceler ses chatoyans reflets démeraudes et de rubis sur un ciel bleu vif et pur. - Je nétais pas moins satisfaite que lui, et je le congédiai pour faire ma toilette, car javais un bal pour le même soir, et à cette époque il nexistait aucun motif qui pût me faire priver dun bal. Je dansai donc jusquà une heure du matin, et me jetai ensuite sur mon lit pour, y prendre deux heures de repos. Mais quelle fut ma contrariété lorsque ma femme de chambre, en tirant mes rideaux avec les yeux à demi ouverts et comme disposée à les refermer la minute daprès, me dit que Martin était là avec tout mon monde, mais quil ne croyait pas que le voyage pût se faire, attendu que depuis une heure le brouillard enveloppait tous les environs du lac de Gaube et quil croyait que... Je linterrompis au milieu de sa période, et sautant à bas de mon lit je courus à la fenêtre, et louvrant aussitôt je jugeai mot-même ne ce quelle mannonçait. Je vis en effet la vallée de Cauterets totalement noyée dans cette mer de brouillards qui descend sur elle et lenveloppe aussitôt que les jours dété sont passés. Une brume épaisse était surtout plus particulièrement abaissée sur le Sommet de la nuit, première montagne que nous avions à passer pour nous rendre au lac de Gaube. Cette déception qui remplaçait une joie espérée me fut tellement désagréable et presque amère que jéprouvai un sentiment désagréable et presque pénible. Je repoussai vivement la fenêtre et je regagnais lentement mon lit quand une réflexion vint rapidement éclairer tout ce qui mentourait. Il était évident que ce brouillard si voisin de nos toits, plus il était prés de nous, plus les pics élevés devaient en être dégagés. Jappelai Martin et Clément et leur communiquai mon idée en leur demandant sils me garantissaient le voyage jusquà la cascade de la Cerisay. A peine eus-je dit ce mot qui fit deviner mon projet à Martin, quil fit un saut en pirouettant et faisant fortement claquer ses doigts au-dessus de sa tête... - Cest cela ! cest cela ! sécria-t-il; en route ! en route ! seulement il faut porter la duchesse jusquà la Cerisay pour quelle ne soit pas mouillée en arrivant au lac de Gaube de façon à en être malade. En route ! répétait-il en courant vers lappartement de M. Labbat qui, tout satisfait davoir vu le brouillard, sétait tranquillement recouché et ronflait déjà quand Martin fut le réveiller en sonnant de sa trompe des montagnes (5). -Mais il ny a pas de bon sens, répétait-il tout en shabillant, partir par ce temps-là !... cest votre faute , Martin... cest vous qui avez mis ce voyage maudit dans la tête de la duchesse.... Ah! mon Dieu, on ny voit non plus que dans un four. Tandis que M. Labbat faisait sa toilette, je faisais aussi la mienne, et voici comment jétais habillée : mon costume nétait pas précisément un modèle délégance, mais pour ce que jallais entreprendre il convenait admirablement. Javais pour chaussure de gros souliers faits par un M. Ackert dArgelès qui les avait soignés comme pour sa Marianous (6) : ils devaient mépargner une partie de la douleur que je devais nécessairement trouver en traversant des plaines entières de lavanges pierreuses aux arêtes vives et saillantes. Ce soulier était fait pour supporter le crampon, car aussitôt que nous aurions gagné le bas du principal pic du Vignemale, Martin mavait prévenu que nous trouverions de la glace sur ces plaines aériennes, ces nappes formées par une neige primitive quun oiseau ne froisse même jamais de son aile. Au talon de ces souliers on avait mis de gros clous destinés à servir de crampons sur une sorte de neige congelée qui est plus dangereuse peut-être pour marcher que ne lest la glace bien durcie. Javais en outre des guêtres pour garantir mes jambes des ronces, des bruyères et des genêts épineux qui croissent en foule autour de la cascade du pont dEspagne et dans la forêt du vieux monde. Je portais un pantalon de nankin, une petite redingote en casimir extrêmement léger, venant seulement au-dessous du genou, et sur ma tête une grande capote de batiste écrue. Mon costume montagnard était complété par un bâton ferré surmonté dune corne disard bien noire et bien polie; mais ce qui achevait de le rendre parfait, cétaient une taille svelte et des jambes qui savaient gravir les montagnes les plus rodes, franchir les torrens, descendre dans les précipices, et ne reculaient devant aucun péril. Peut-être bien la tête y était-elle pour quelque chose. Mais nimporte; dans cette journée si remarquable dans mes souvenirs dune bien grande et bien utile ressource. Nous partîmes de Cauterets plus tard que nous lavions arrêté, mais toute cette incertitude de temps nous avait beaucoup retardés, et nous mîmes plus dune demi-heure à nous rendre à Mahourat (7) , en raison de lépaisseur dit brouillard qui nous gênait pour marcher en rendant le sentier humide et glissant. Mais à peine eûmes-nous dépassé cette première cascade que je mapplaudis davoir pris le parti de braver le brouillard. A mesure que nous nous élevions lair devenait plus pur et plus léger. Ce nétait cette vapeur épaisse et fétide qui nous oppressait de notre sortie du village, et bientôt nous pûmes distinguer le ciel que laube blanchissait déjà. A nos pieds la vallée et le village de Cauterets avec les maisons blanches et les toits ardoises étaient cachés par cette mer de brouillard que nous venions de traverser, tandis que le pic Sombre (8), le pic de Viscoz, le Mouné, se coloraient rapidement des premiers feux du matin. Ce ne fut quà la cascade de la Cerisay que je marrêtai pour prendre du repos. Le jour était alors tout-à-fait levé et le soleil commençait à darder ses premiers rayons à travers les masses de lépais feuillage qui forme lenceinte et le dôme de ce lieu magnifique. Le bruissement léger du vent du matin accompagnait le chant dune multitude doiseaux qui peuplent cette belle solitude et faisaient un joyeux salut à cette heure de la journée, toujours si admirablement belle dans les montagnes. En arrivant dans le vestibule de cette merveille, si lon peut parler ainsi, jôtai le manteau dont je métais enveloppée en partant de Cauterets, et que le brouillard avait imbibé deau, et je marrêtai pour jouir du coup dœil magique offert à mes yeux par, le, plus bel accident naturel quon puisse rencontrer dans les Pyrénées et dans les Alpes, çà dailleurs ils sont si fréquens. Je descendis ensuite avec précaution la pente humide qui conduit au bord du précipice formé par deux rochers dun granit rouge brun, taillés à pic et entre lesquels se précipite une rivière qui déjà au pont dEspagne tombe dune hauteur de deux cents pieds, coule quelque temps entre les vieux sapins à longues hyeuses de la forêt du vieux monde, puis se précipite de nouveau entre les rochers de la Cerisay dune élévation de cent quatre-vingt pieds et je parvient même quen une pluie nuageuse au fond du précipice, tant les rapides secousses ont ébranlé sa masse. À ce moment de la journée cette vapeur fine et condensée qui sélève en colonne spirale au-dessus du précipice, frappée par les premiers feux du soleil, se colorait ainsi fortement de toutes les couleurs du prisme et formait un arc-en-ciel parfait, surmontant comme une couronne lentrée du gouffre épouvantable où disparaît tout un fleuve... Cest un beau spectacle ! mais pour en jouir il faut presque courir un danger. Lesplanade couverte dune herbe courte et épaisse est presque toujours tellement humide que cest avec peine quon évite une chute pour arriver au bord de la cascade. Et lorsque lon y est arrivé, il nest aucun moyen de voir le bel effet de sa chute, si ce nest en sappuyant contre une moitié de tronc de sapin suspendu sur labîme et qui tremble lui-même à chaque secousse donnée aux rochers bruns et stériles qui forment toute cette belle œuvre de la création. Il est bien difficile de donner par la simple description une idée de ladmirable effet produit par la Cerisay. Le pinceau peut seul reproduire une impression forte et encore sera-t-il toujours loin de la réalité. Cependant nous devons avoir une grande obligation à M. Duperreux qui nous a donné les vues les plus remarquables des Pyrénées (9) ; dans, cette charmante la cascade de la Cerisay et la grotte de Gèdres se font surtout admirer. La cascade de la Cerisay est formée par lun des gaves (10) des Pyrénées qui, étant sorti des glaciers du Vignemale, où il a pris naissance , traverse le lac de Gaube et après avoir formé, comme je lai dit plus haut, les cascades du Pont-dEspagne vient faire celle de la Cerisay, puis celle de Mahourat et enfin se termine en gave de Cauterets et de la vallée dArgelès. Les rochers entre lesquels il tombe à la Cerisay sont tellement lisses quils semblent polis par la main dun habile ouvrier. Cette énorme masse deau produit nu tel choc contre les rochers qui forment son enceinte que le retentissement se fait sentir jusquà une distance bien éloignée dans la montagne. Mais je ne puis assez recommander à ceux qui feront le voyage des Pyrénées daller à la Cerisay, mais surtout au soleil levant pour avoir la vue magique de cette ceinture, puis de cette couronne irisée , brillant de tous, les feux du prisme. Jai vu toutes les merveilles des Alpes et des montagnes dEspagne, jai admiré les plus beaux effets de la création et je puis affirmer que la cascade de la Cerisay est une des beautés de la nature qui. ont produit en moi la plus vive impression. En quittant la Cerisay, je jetai un dernier regard sur cette colonne toute semée démeraudes, de rubis et de saphirs, et dominant de son luxe étincelant la blancheur de la neige écumeuse qui ressort plus éclatante encore à côté du brun rougeâtre des rochers, tandis que la couronne du bois de hêtre et des chênes qui surmonte cette magnifique décoration complète admirablement-ce beau spectacle. En quittant la Cerisay, on traverse un cahos (11) à peu près semblable à celui de Gèdres, si ce nest quil est plus circonscrit et moins grandiose dans ses proportions. Il ne donne pas comme celui de Gèdres la pensée fantastique quon est sur le champ de bataille des Titans. Je parlerai plus tard du cahos de Gèdres. Celui des cascades du Pont-dEspagne na pas ce caractère de tristesse et de désolation qui frappe dabord dans lautre : ces mille sources dune eau bouillante et sulfureuse dont la chaleur brûle vos pieds, tandis que la vapeur fétide qui vous enveloppe vous fait croire un moment que vous êtes en enfer; ces sources qui dessèchent tout autour delles ne sont pas au cahos du Pont-dEspagne ; ici tout est de la plus effrayante originalité et dans une de ces proportions gigantesques qui frappent lame dune impression quil est impossible de décrire. Cette même masse deau qui vient de vous présenter une vue ravissante à la Cerisay avec son cadre de fleurs, de verdure, tout son prestige dune création magique, vous la retrouvez au Pont-dEspagne, comme un de ces sites qui soffraient au voyageur, lorsque dans un des contes du moyen-âge vous voyez un enchanteur frapper dun coup de baguette une riante vallée pour la changer en un désert affreux aux accidens terribles et gigantesques; tout est différent de ce que vous venez dadmirer ; leau elle-même recevant un reflet rougeâtre de ces rochers de granit sanguin entre lesquels elle se précipite vous présente un objet qui trouble presque votre raison lorsque, rassuré en partie par les guides, vous vous hasardez sur le pont tremblant jeté au-dessus de labîme à une élévation de près de deux cents pieds. Ce pont nest formé que par deux troncs de sapin noués lun à lautre par de fortes écorces et recouverts seulement par un peu de terre; nulle rampe pour vous soutenir si un vertige vous fait chanceler... nul appui ! (12)... Et tandis que le gave, en se précipitant dans le gouffre, ébranle les énormes masses qui le forment, le voyageur qui passe sur cette bande de bois à laquelle en vérité on ne peut donner le nom de pont, sent trembler cette bande légère sous ses pieds tandis quil est suspendu sur labîme, et ne voit autour de lui que des vestiges de désolation, de ruines de la nature, comme si lépée de feu de lange du Seigneur avait moissonné tout ce que la main de Dieu avait primitivement versé avec profusion de fleurs, dombrages et deaux limpides et de fraîches prairies, dans ce désert entouré de merveilleuses beautés et seul marqué dun sceau de malédiction. Après avoir quitté les cascades du Pont-dEspagne, on traverse une forêt de sapins appelée par les gens de la montagne la forêt du vieux monde. La tradition du pays est que jamais la main de lhomme na mis la cognée dans un de ces arbres au tronc noueux, aux longues hyeuses, aux mousses argentées qui recouvrent leurs branches chevelues. Cest dans cette forêt quon trouve pour la première fois larbre vert, le chêne qui donne le gland nommé bellota (13+) dont mangent les Espagnols. Il y a également le chêne qui donne le liège. Cest immédiatement après avoir traversé cette forêt quon arrive au lac de Gaube. Cétait là que nous devions déjeuner ; il était alors huit heures, et je marchais depuis le point du jour. La duchesse dAbrantès (La suite au prochain numéro.) (1) La reine Hortense. Ce voyage était si périlleux que les deux guides dont je vais parier reçurent de la reine une pension de 300 fr. et le droit de porter à leur boutonnière une plaque dor sur laquelle était écrit : Voyage au Vignemale, 25 juillet 1808. (2) A la fin de lété les avalanches sont bien plus à craindre que quelques semaines plus tôt, le soleil ayant ébranlé les masses de neige et de glace et pénétré dans les plus profondes fissures. (3) Lisard des Pyrénées est absolument semblable au chamois des Alpes; la seule différence est dans la cerne quil a placée différemment . le chamois la porte comme tous les animaux cornus, lisard a la sienne dans le sens inverse. La chair de lisard est excellente à manger; elle a beaucoup de ressemblance avec le chevreuil, Cet animal ne marche jamais seul, et les troupes disards sont toujours nombreuses. Ils se gardent militairement; il y a une sentinelle qui pousse un cri aigu dès quelle voit quelque objet ou entend quelque bruit. (4) Cest une charmante métairie où la reine Hortense allait souvent goûter et boire du lait. Elle est construite en forme de châlet et domine toute la vallée de Cauterets, celle dArgelès, et une partie de celle de Luz. Elle est sur le sommet du pic de Viscoz par lequel on peut se rendre de Cauterets à Saint-Sauveur sans passer par Pierrefitte. On peut même faire cette course à cheval. Je lai faite plusieurs fois. Cest un site ravissant, surtout en ayant soin de traverser la lai de Tapuis. (5) Cest un long cornet en cuir ou en cuivre dont les pâtres se servent pour sappeler entre eux. Ils ont aussi à cet effet un signal qui produit plus de son peut-être: cest en sifflant avec trois doigts. Il faut avoir entendu ce bruit pour en avoir une idée. Jai retrouvé la même chose en Italie dans les Apennins (6) Quand une chose plaît on suppose que tout le monde la connaît. Moi, je crois toujours que tout le monde connaît madame Ackert. Cest une si ravissante créature que Marianous! - Lavez-vous lue ? Eh bien! si vous ne connaissez pas madame Ackert, lisez-la. - Celui qui a fait cette charmante nouvelle est un homme qui met de la poésie dans sa peinture et de la peinture dans sa poésie. - Et de lesprit profond , charmant , naturel , bon, aimable , de cet esprit devenu si rare aujourdhui et quon est si heureux de retrouver. Quand je vois un dessin de M. Gavarni, je lui dis. - Mon Dieu ! peignez donc davantage.... Quand il me lit une de ses nouvelles, comme par exemple madame Ackert, ou les Jarretières de la mariée, je dis aussitôt: - Si jétais de vous je ne ferais quécrire. - Le résultat de cela cest quil faut quil peigne et quil écrive. (7) Mahourat est une cascade formée par le même gave que celui qui fait la Cerisay, mais elle est plus basse dans sa chute. Tout au bord est une caverne sombre assez petite dans laquelle est une source deau sulfureuse dont boivent les malades et Chaude à 30 degrés. Cétait de cette eau que je buvais chaque matin à la dose de cinq et six verres. (8) Cest la même montagne que celle appelée le sommet de la Nuit par Ramond Reboul et Vidal. Elle est moins connue que le Mouné et beaucoup plus élevée. (9) M. Duperreux a fait de charmans tableaux où lon peut retrouver une partie de ses impressions, chose fort rare dans un peintre de paysage. Les vues les plus remarquables quil ait faites sont celles de la Cerisay, de Gèdres, la vallée dAzun, sieurs autres tout aussi parfaitement rendues. Mademoiselle Sarrazin vient de publier un voyage dans les Pyrénées où son crayon lithographique rappelle également la magie de son pinceau. (10) Nom générique donné à tous les torrens qui tombent des montagnes. (11) On appelle ainsi une immense quantité, non pas de pierres, mais de rocs détachés de la montagne probablement par quelque tremblement de terre ou quelque secousse partielle. (12) Les montagnards ne veulent pas convenir que leur pont est dangereux, Ils mettent à sa sûreté le plus comique des amours-propres. Lannée davant, il était arrivé un accident affreux. Lun des guides-porteurs, en allant au lac de Gaube, sétait laissé tomber dans le gouffre et son corps navait pas même été ramené sur les rochers de la cascade - Le plus léger vestige de son cadavre mutilé navait pas même été rendu par ces eaux bouillonnantes dont la force finit par broyer le marbre qui les enferme... Eh bien! dis-je à Martin... Eh bien! Me répondit-il, quest-ce que cela prouve pour la solidité du pont ?... Pierre a toujours été maladroit. (13) Quercus Bellota. - En Portugal il y en a une autre espèce dont le fruit est également bon à manger (les pauvres sen nourrissent seuls maintenant). Cest le quercus Ilex : les Portugais nomment son fruit bolota. Les deux espèces se mangent grillées comme des châtaignes.
Posted on: Sat, 09 Nov 2013 16:06:13 +0000

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