EXTRAIT DE "VERCOQUIN ET LE PLANCTON" DE BORIS VIAN. UN LYRISME - TopicsExpress



          

EXTRAIT DE "VERCOQUIN ET LE PLANCTON" DE BORIS VIAN. UN LYRISME DÉCOIFFANT ! Extrait de « Vercoquin et le plancton » de Boris Vian, ce morceau d’anthologie lors d’un duel de peauaimes entre Le Major et Fromental. Le Major - l’auteur de cette merveille - triompha, comme l’on s’en doute : « Chaussé d’escarpins verts et coiffé d’un béret, Un flacon de trois-six dans sa poche de gauche, Harmaniac le soiffard vivait dans la débauche, Forniquant et buvant nuit et jour sans arrêt. Il était né là-bas, près des côtes de France Où le soleil lui-même embaume l’aïoli. Vu qu’il était poète, et qu’il était joli, Il ne travaillait pas, vivait Rue de Provence. Entretenu de corps par cinq filles habiles Et son esprit planant près d’illustres rivaux, Il composait ses vers vautrés dans les caveaux Peuplés de nez luisants et de têtes débiles. Et ses burnes, gonflées de puissante liqueur Se détendaient la nuit en soubresauts splendides. Tel un cheval en rut nourri de cantharides, Il tirait dix-sept coups, puis repartait, vainqueur. Hélas, la ghoule verte aux chancres suppurants, La livide vérole à l’œil cerné de mauve, S’en vint le visiter un soir que, dans l’alcôve, Il culbutait, sans frein, trois tendrons délirants. L’intensité du mal est d’autant plus terrible Que l’on en est frappé dans des jeux plus ardents. Harmaniac, déchiré par les cruelles dents De spectres bandouilleurs, connut la peine horrible. Le tabès s’empara de ses membres perclus. Il se traînait, baveux ... Puis, ce fut l’aphasie Grapho-motrice, et puis l’âpre paralysie ... Cependant, les espoirs n’étaient point tous exclus ; Il pouvait en guérir. Et, toute la journée, Les savants le traitaient, l’enveloppaient d’onguents, Bouillaient dans des vaisseaux des outils arrogants Pour piquer sans repos sa veine empoisonnée. Mais les vers, refoulés dans la vaste cervelle, Empêchés de sortir par le manque de voix Du poète, cloué sur sa couche, aux abois, Vinrent à se lever dans une horreur nouvelle. L’alexandrin rageur, aux douze anneaux gluants, L’octosyllabe sec, se tordant en délire, Les vers impairs, fluets, pointus, pleins de male ire ... Il en naissait toujours, et leur tas, refluant Des centres cérébraux vers le bord de son crâne, Grouillait en un chaos répugnant et mortel, Et l’oeil rouge des vers dardait un feu cruel Qui pelait la méninge ainsi qu’une banane. Harmaniac résistait encore. Un prosateur N’eut pas tenu longtemps sous cet assaut funeste, Mais le poète est fait par l’ouvrier céleste Pour survivre aussi bien sans cerveau. Les docteurs Continuaient de guider le remède en ses veines, Mais les vers dévorants, sans trêve ni répit Foisonnaient à l’envi. Lors, le corps décrépit D’Harmaniac, consumé d’une ardeur inhumaine Se raidit tout soudain, puis s’immobilisa Le peuple reculait en découvrant sa tête, Attribuant son deuil à l’humble spirochète. Un homme s’approchait, qui doucement posa Sa main sur le thorax du mort. Alors, stupeur ! Il bat toujours, dit-il, et leva le suaire ... Et l’on vit apparaître, environné de glaire, Le ver immonde et noir qui lui broutait le coeur ... »
Posted on: Tue, 02 Jul 2013 00:29:34 +0000

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