Euromed / Documentaire / Censure Crop : Le siège Orwellien dun - TopicsExpress



          

Euromed / Documentaire / Censure Crop : Le siège Orwellien dun journal d’état et le poids des images Un documentaire de création subtil sur la censure et l’autocensure des images en Égypte Le réalisateur égyptien Marouan Omara, installé au Caire, a participé à la révolution égyptienne de 2011 dès le premier jour mais n’a jamais filmé une seule image de la célèbre place Tahrir, dit-il. Beaucoup d’autres prenaient déjà des photos et des films mais lui a toujours aimé soigner le cadre de ses images. « Les événements me dépassaient », explique-t-il. « J’ai besoin de prendre de la distance et de réfléchir. » Après une discussion dans un des cafés du centre du Caire un an plus tard, la vidéaste allemande Johanna Domke et lui ont réalisé Crop, un documentaire de création qui explore le changement dans la production d’images après janvier 2011, suite à des décennies de censure et d’autocensure dans les médias publics égyptiens depuis 1952. Dans Crop, la voix-off dAhmad, photojournaliste égyptien hospitalisé pendant la révolution de janvier 2011, relate ses 30 ans de service au journal d’État égyptien Al Ahram sous l’ancien président Hosni Moubarak, en citant des anecdotes sur la politique de l’image imposée par les anciens présidents Gamal Abel Nasser et Anouar El Sadate. Son récit est ponctué de détails stupéfiants sur la façon dont ces anciens leaders contrôlaient leur propre image et l’image de leur pays dans les photos, d’après les témoignages de 19 photographes de terrain et photojournalistes. Mais le film ne montre aucune des photos qu’il mentionne, que ce soit avant ou après la révolution de 2011. Le spectateur ne voit jamais la photo polémique de l’ancien président égyptien Sadate qui se brosse les dents en sous-vêtements, ni même l’image tristement célèbre retouchée par Photoshop de son successeur Moubarak, qui avance devant Obama sur le tapis rouge, lors de la conférence de paix du Moyen Orient en 2010. L’unique photo utilisée, celle de Sadate qui prend la pose pour une photo officielle, est celle de l’affiche du film. À l’inverse, Crop est tourné entièrement sur le site où ont été fabriquées ces images, à savoir le siège du journal d’état égyptien Al Ahram, lieu surréaliste, et quasi « Orwellien ». À mille lieues de l’excitation d’une salle de presse, des prises de vue minutieusement cadrées des hauts plafonds et des bureaux étonnamment silencieux de ces immeubles, des employés désœuvrés et des ascenseurs briqués posent la question : mais d’où vont bien pouvoir sortir les nouvelles du jour ? Dès qu’ils ont découvert le bâtiment, Omara et Domke ont immédiatement su qu’il fallait le filmer, dit-il. C’était là que se trouvait l’énorme machine qui contrôlait les images transmises aux Égyptiens et qui est le symbole des médias d’État du monde arabe. Il fallait absolument le montrer dans le film. Ils ont mis plus de trois semaines à acquérir l’autorisation de filmer sur place pendant les derniers jours du régime militaire avant les élections présidentielles de 2012. Ce n’est qu’après avoir transmis tous les documents requis et payé des droits de 5.000 LE par jour (environ 500 euros) qu’ils ont pu commencer à filmer. Avec le chargé des relations publiques du journal planté derrière la caméra, leur équipe germano-égyptienne a pu filmer les immenses salles de réunion, les archives photographiques, la cafeteria et leur propre cabinet dentaire, avec des employés qui ne regardaient pas la caméra en face la plupart du temps. Ils avaient de la chance, ajoute Omara. Car si le film s’était fait à l’époque de Moubarak ou même aujourd’hui on ne les aurait jamais autorisés à rentrer. Après le montage, Crop, c’esttrois films en un, affirme le co-réalisateur égyptien : un récit en voix off sur la censure des images en Égypte, une installation vidéo sans son à voir dans une galerie d’art qui expose l’autocensure et un film qui assemble les deux. « C’est peut-être trop attendre d’un public » dit-t-il. Mais la forme inhabituelle du film découle de leur volonté de dénoncer la propagande visuelle dont ont abusé les anciens présidents d’Égypte, et de permettre au public de prendre plus de distance par rapport aux événements pour forger leur propre point de vue. « Je respecte mon public », dit Omara. « Je veux qu’ils réfléchissent, je ne veux pas leur donner du prémâché. » Devant un public disposé à écouter, Crop montre une censure qui devient de l’autocensure de la part de photojournalistes dÉtat qui, pour essayer de garder leur travail et leurs avantages, présentent la réalité de façon sélective en expulsant hors champ la majorité de la population égyptienne : trop pauvre, trop conservatrice ou trop rurale. Il évoque comment, au nom du patriotisme, un régime arrive à tellement rabaisser une majorité de la population qu’elle refuse d’être photographiée, s’éliminant d’elle-même des images de son propre pays. Mais Crop laisse cependant une note d’espoir, dans la mesure où lors des premiers jours des événements de 2011, le narrateur, qui peu de temps après abandonne définitivement sa caméra, apprend que des égyptiens protestataires se sont réapproprié leur droit à l’image grâce à leur téléphone portable, alors qu’au même moment Al Ahram les ignorait complètement et déformait les événements. Comme si les gens luttaient contre les images qui les avaient trahis pendant si longtemps, dit le narrateur. Depuis le début de l’année, Crop a été présenté dans des festivals et des musées du monde entier. La semaine dernière par exemple, il a été projeté à Sarajevo, au festival documentaire Kassel Docfest en Allemagne où il a reçu une mention spéciale, aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal, en même temps que le film très acclamé The Square de Jehane Noujaim, ainsi qu’au festival Arab Camera de Rotterdam. Pendant ce temps Domke et Omara travaillent déjà sur leur prochain film. Le mois prochain, ils présenteront leur documentaire Dream Away, sur les Égyptiens travaillant à Sharm El Sheikh, la station balnéaire construite de toutes pièces sur la Mer Rouge, au marché de coproduction Dubai Film Connection. Alice Hackman Traduit de langlais par Emmanuelle Déprats
Posted on: Fri, 29 Nov 2013 03:53:09 +0000

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