Extraits de la pièce Lueurs, la vie deux fois écrite par - TopicsExpress



          

Extraits de la pièce Lueurs, la vie deux fois écrite par Juliette Baron dans le cadre des ateliers "En scène toutes ! Les Héroïnes modernes" et créée en juin 2011 au Centre Curial à Paris dans une mise en scène de Sophie Troise. Avec : Zizette Krief, Nadia Azizi, Hortense Traoré, Aïcha Coulibaly et Nora Kennouffa. Ania: C’est beau, c’est calme, on a la paix là mais qu’est-ce qu’il y a comme moustiques! Ces fichues bestioles, y en a partout. (Elle prend un flacon et vaporise autour d’elle) Si on se retrouve ici cette nuit, c’est à cause d’elle, enfin c’est pour elle, la petite là. Elle a débarqué chez moi un peu avant 14h, je finissais à peine de manger quand on a sonné plusieurs fois de façon insistante. Qui est-là, j’ai dit. C’est EDF qu’on m’a répondu. J’ouvre et là la petite elle jaillit comme un diable de sa boîte, rodéo et je t’en passe, elle a fait des roulés boulés, poussé des petits cris de chouette effrayée ou dopée aux hormones: je dis c’est EDF ou le GIGN il faut savoir. Alors elle s’est redressée. Sibel : j’aime mon corps Je regarde mon corps dans le miroir et j’aime mon corps, je ne veux pas avoir d’enfant. Maintenant je suis mariée et mon mari veut des enfants mais moi je ne veux pas, ma mère en a eu 16 et moi je ne veux pas faire comme elle et puis j’ai peur je ne sais pas si je saurai les élever, j’ai peur d’être pas une bonne mère, je ne sais pas comment faire Je ne veux pas être comme ma mère, et ma fille elle voudra-t-elle être comme moi ? La vie passe, se transforme, on a envie d’autre chose, on se libère, on accouche de soi-même, on subit, on bouche les trous et on recommence Moi je voulais être un homme faire la guerre au lieu de la lessive manger comme 4 courir comme six au lieu de ça on m’a mis des jupes, on va fait pousser les cheveux pour cacher mes sentiments Et comment ferai-je avec un tout petit qui m’enracinerait comme une betterave à la terre, une salade déjà flétrie Je ne veux pas passer mon tour, je ne veux rien passer du tout par ce que j’ai l’impression de n’avoir rien fait du tout, alors qu’est-ce que je pourrais passer je veux que ça soit moi la star l’héroïne, le premier plan, le premier plat comment m’occuperai-je d’un enfant moi qui ait déjà tant de mal à m’occuper de moi, je veux vivre dangereusement, courir les routes de mes semelles de vent, je suis petite fille jeune encore, je veux goûter ma légèreté m’envoler sans retomber comme une crêpe monologue de Céu Quand Ania a appelé, je n’ai pas hésité. Ania, c’est ma voisine, je ne peux rien lui refuser, mais là c’était différent. Il y avait quelque chose, je ne savais quoi qui m’avait fait lui dire oui tout de suite. J’ai fait mon sac très vite, Ania m’avait dit le minimum et puis je ne savais même pas où on allait. J’avais laissé un mot à Abou et puis au moment où je prenais mon sac et ma veste, au moment où j’y allais, il est rentré. Je lui ai dit très vite je pars je pars quelques jours je reviens bientôt d’accord a dit Abou, il a souri, n’a rien demandé de plus. J’ai souri moi aussi, je l’ai embrassé rapidement et je suis sortie. je ne lui avais jamais dit, je ne l’avais jamais imaginé, je ne l’avais jamais fait, partir. Le laisser seul, laisser les petits. Partir loin de lui, loin d’eux. 3)Le départ Ania : Bédira a absolument voulu lancer de l’eau derrière nous pour qu’on ait un bon départ et qu’on lance aussi de l’eau dans son sillage à elle, Bédira : c’est pour nous faciliter les choses, vous verrez Ania : je n’ai rien dit je me suis inclinée de bonne grâce, ça avait été déjà tellement difficile de la convaincre de venir Bédira : du camping ? en plein mois de février ? Ania, ma s?ur, tu es tombée sur la tête ? et avec la piscine, comment je vais faire ? Ania : Bédira, ma s?ur, telle que je te connais toi qui ne manque jamais, qui n’es jamais malade, toujours ponctuelle et disponible, tu as bien quelques petits jours de congés à récupérer, non ? Bédira : oui c’est vrai mais je les gardais pour l’Algérie cet été Ania : d’accord mais Bédira ma s?ur des congés tu en auras d’autres et puis là c’est un cas tout à fait exceptionnel, rare et épineux un cas qui demande ta présence, et puis une vie, on n’en n’a qu’une, il faut suivre ses mystères, faire du hors-piste s’il le faut, ces raretés là, il faut les écouter Et puis, Bédira, ma s?ur, ce genre d’escapade dans la nature, cette quête d’un havre de paix préservé et hors du temps, d’ordinaire, c’est toi qui en es si friande, c’est toi qui te levais chaque matin avant l’aube pour courir voir le soleil se lever, c’est toi qui me suppliais de t’accompagner et de n’en rien dire aux parents Bédira : oui. Oui c’est vrai, tu as raison. Ania : Alors elle a fini par dire oui et moi, je me suis laissée tremper. De toutes façons, je me disais, là où nous irons il fera beau, ça séchera vite. « C’est le soleil qui nous dira où nous arrêter » je lançais à la petite qui ne disait rien, qui se laissait faire, qui se laissait embarquer dans cette histoire. Alors je répétais plus fort « c’est le soleil qui nous dira où nous arrêter » et je proposais à qui en voulait des chamallow, petite douceur, régressive juste ce qu’il faut dont je raffolais quand j’attendais mes enfants, je m’étais dit, ça lui donnera des idées à la petite. Bédira : J’ai toujours aimé l’eau, maintenant je travaille à la piscine Jean Tardieu dans le 12è arrondissement, dans la rue Dupuis-Vaujean juste après Monceau Fleurs. J’aime ça, je connais bien les gens je passe mon temps à les regarder, il y a ceux qui arrivent un peu essoufflés ou pas bien réveillés, emmitouflés dans leurs bonnets, ils ne sont pas vraiment de bonne humeur, ils grinchent un peu essaient d’avoir un tarif réduit même s’ils n’y ont pas droit. Remarquez mon collègue de la caisse n’est pas très aimable non plus, il est plutôt du genre intransigeant si vous voyez ce que je veux dire. Et puis il y a ceux qui ressortent, épanouis décoiffés un sourire béat sur les lèvres, ils ont retrouvé la parole, ils disent au revoir d’une voix bien claire et ça me fait plaisir. Mais ce que je préfère c’est être dedans, en haut, juste au-dessus des bassins, j’accueille les usagers, je déchire leurs tickets et leur ouvre les vestiaires. Là haut, la chaleur m’inonde m’enveloppe et presque tout le monde m’adresse un joli sourire. C’est un peu comme si j’étais la maîtresse de maison, allez entrez bienvenue venez vous faire du bien. C’est fou le pouvoir de transformation de l’eau. Ils ressortent tout propres, fatigués et heureux, fiers d’eux et de leur corps qui a fait du sport. Moi je ne sais pas nager mais comme j’ai toujours aimé l’eau, je m’arrange avec une petite collègue Cathy et à la fermeture, oui oui vous pouvez y aller, on s’en occupe, on se prend une douche chaude mais chaude, le jet est puissant là-bas à Tardieu alors mes épaules mon dos reçoivent avec bonheur cette douche chaude. Ca nous rend complètement euphoriques. Tellement que une fois j’ai accompagné Cathy au café, je ne vais jamais dans les cafés, question d’habitude, mais là Cathy elle avait tellement insisté c’est à côté de la piscine, c’est juste pour prendre une limonade s’il –te-plaît Bédira pour une fois. Bon j’y suis allée. Il y avait beaucoup de monde, mais on était bien installées, Cathy connaît le patron et il nous a laissé une table tranquille près de la fenêtre. Il faisait beau, j’étais bien et à un moment donné, Cathy était au téléphone, je suis allée aux toilettes. C’était occupé donc j’ai attendu un petit peu et là je vois qui je vois sortir ? un homme assez grand avec des gants en caoutchouc rose, ça existe si je vous jure ça existe je l’ai vu, un homme avec des gants Mappa, il sortait des toilettes femmes attendez un instant s’il vous plaît madame je récupère le produit et le balai voilà ça y est vous pouvez y aller dit-il en me tenant la porte. Je n’en croyais pas mes yeux, je n’avais jamais vu un homme faire le ménage et être si gentil. Je vais aux toilettes et je l’entends parler à un homme qui vient d’entrer en lui disant moi aussi j’ai fait un boulot comme ça et mon homme enfin l’homme répond y a pas de sot métier et puis moi ça me dérange pas de faire le ménage, je le fais chez moi, alors et l’autre répond heureusement qu’il y a des mecs comme nous, sinon ce serait dégueulasse. Je suis bien d’accord je me suis dit en tirant la châsse. Alors, j’ai pris une grande inspiration comme je vois faire les nageurs avant une coulée de brasse, j’ai ouvert la porte et j’ai dit : bonjour Monsieur, est-ce que vous voulez nager avec moi ? Il a lentement enlevé ses gants Mappa, m’a regardé en fronçant un peu les sourcils, j’ai pu voir une petite cicatrice qu’il avait là au-dessus du sourcil gauche : nager avec vous ? enfin je veux dire moi je ne sais pas nager mais je travaille à la piscine à côté et j’ai des entrées gratuites alors si vous aimez l’eau … Oui j’aime beaucoup l’eau mais c’est ma femme qui n’aime pas, là j’ai senti que je tombais, je n’avais pas envisagé cette éventualité je veux dire je ne pensais pas qu’il pouvait être marié, alors j’ai bredouillé vous n’avez qu’à demander Bédira à l’entrée et je suis partie en passant mes deux mains sur mes joues en feu et en entendant derrière moi un merci madame d’une voix terriblement lointaine et mélodieuse.
Posted on: Sat, 27 Jul 2013 12:47:44 +0000

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