Francette marchait au bord du fossé, en tendant négligemment le - TopicsExpress



          

Francette marchait au bord du fossé, en tendant négligemment le pouce sans véritable conviction. Elle était tiraillée par l’envie de continuer sa route, et celle de rejoindre sa sœur. Elle avait passé la nuit à la belle étoile, sous un chêne magnifique en contrebas de la route, puis au petit matin était reparti après avoir pris un petit déjeuner à Saint Just. Juste au moment où elle apercevait un camion qui allait dans sa direction, elle se ravisait, et au lieu de tendre le pouce, se grattait le bout du nez, l’air de rien. Rien ne lui garantissait qu’elle puisse arriver à rallier Saint Etienne dans la journée. D’autre part, elle commençait à réaliser que son geste n’était pas raisonné, et d’ailleurs, si elle souhaitait vraiment faire la route jusqu’à cette maudite école, il lui suffisait de nous en faire part, et on n’aurait trouvé aucune objection à faire le trajet avec elle, bien au contraire. Sans autre forme de procès, elle traversait la route pour prendre le chemin du retour. La soirée commençait fort pour les invités de la guinguette. On s’efforçait de donner le change, mais le cœur n’y était pas. Je ne pouvais tenir en place et, pour me rendre utile, je sillonnais la terrasse avec un plateau rempli d’amuses gueules et de verres de punch. Marie-Ange et Florence restaient légèrement en retrait dans un coin, et je voyais bien que malgré la jovialité ambiante, on était trois à ne pas vraiment être dans le coup. Une jeune nana me suivait un peu partout, en faisant tournoyer ses glaçons dans son cocktail, s’efforçant d’être sympa en me proposant même un coup de main. Je ne savais trop quelle attitude adopter, devant cette personne qui semblait tout de même ne pas être intéressée plus que ça par les autres types bronzés et musclés comme des surfeurs, et qui ne manquaient pas dans l’assemblée. Croyant l’effaroucher, dès que j’en avais l’occasion je lui glissais dans l’oreille que si ça la branchait, on pouvait se retrouver derrière la cuisine, et que je pouvais lui en donner « en veux-tu en voilà » pour peu qu’elle prenne la pilule. Contrairement à ce que j’escomptais, elle attendait à peine que j’aie fini ma phrase pour se diriger illico dans la pénombre que la guinguette projetait. J’étais dans de beaux draps. Ne voulant toutefois pas la laisser en plan, je déposais mon plateau sur le bord du comptoir, puis la rejoignais sans attendre. Si tôt passé du côté pile des cuisines, deux mains m’agrippaient avant que je puisse comprendre quoi que ce soit. J’avais beau me débattre, rien n’y faisait. Elle semblait avoir décidé que ce soir là précisément, elle perdrait son pucelage avec un inconnu. Je ne pouvais pas lui laisser penser que les choses étaient aussi simples et faciles que cela. Je la repoussais sans aucune brusquerie, puis lui saisissait la tête entre les deux mains avant de lui dire ce que pensais être le plus simple : « Tu es très jolie et je suis sur qu’il y a pleins de types sur la terrasse qui ne demanderaient qu’à le confirmer. Mais je ne suis pas ce qu’on pourrait dire quelqu’un de facile, d’autant que ma petite amie dont je suis complètement dingue, doit déjà être en train de se demander où je suis passé. Fort heureusement, elle ne prenait pas mal tout mon baratin et relâchait son étreinte en douceur. Elle s’excusait d’avoir été aussi directe, je lui répondais qu’en d’autres circonstances, c’est moi qui me serais demandé si j’avais ma chance. On était bien d’accord, et pour ne pas se quitter comme ça, elle sortait de son sac à main un petit stick déjà tout prêt, l’allumait et me le tendais après avoir tiré une longue bouffée qu’elle soufflait en mettant sa bouche en cul de poule, tout en retirant de ses lèvres les quelques brins de tabac restés accrochés. « T’as raison, je sais pas ce qui m’a pris », dit-elle en me soufflant la fumée sous le nez. Je lui expliquais en vitesse le pourquoi du comment de notre présence ici et ce soir. Elle ouvrait des grands yeux ronds, en hochant de la tête avant de me dire qu’elle avait vu Francette, car ce ne pouvait-être qu’elle, quelques minutes avant de débarquer ici, sur le pont de Saint Martin. Elle n’avait pas terminé sa phrase que j’entendais les voix de Florence et de Marie-Ange m’appeler. On sortait ensemble de la pénombre pour apercevoir les deux jumelles se serrant dans les bras, et la foule des fêtards agrandir le cercle autour d’elles en frappant dans les mains, sans savoir vraiment pourquoi. Mais la joie des deux frangines était tellement communicative, que n’importe qui, fût il à jeun, n’aurait pu y être insensible. Si tôt passées les embrassades, les jumelles se précipitaient carrément sur moi pour m’attraper par les bras en poussant de petits cris joyeux. Il était inutile de dire à Francette qu’on avait flippé grave. On avait tout oublié à l’instant comme une douleur qui s’arrête d’un coup. Francette nous racontait son périple plein d’incertitudes. Elle avait même été tentée d’aller faire un tour à Pont Saint Esprit. Je leur promettais derechef de les y amener quand elles le souhaiteraient. J’avais déjà en tête l’itinéraire qu’on pouvait emprunter, sur les pas de mon enfance.
Posted on: Wed, 18 Sep 2013 07:24:08 +0000

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