INTERVIEW DE RENE ABANDI, chef de la délégation du M23 - TopicsExpress



          

INTERVIEW DE RENE ABANDI, chef de la délégation du M23 négociant à Kampala et en charge des relations extérieures. Rencontré lors de son transit à Bruxelles, en route vers Kampala où la négociation doit reprendre avec la délégation gouvernementale. LE SOIR : Selon de nombreux témoignages, plus de 600 familles, venues du Rwanda, s’installent sur la portion de territoire contrôlée par votre mouvement. Qui sont ces gens ? RENE ABANDI : Depuis que nous contrôlons notre espace, il y a des vagues d’arrivées, les gens viennent chez nous car ils fuient les combats et l’insécurité, mais comme on ne veut pas dire que « chez les rebelles cela fonctionne » on ne fait pas écho à des déplacements dans notre direction. LE SOIR : D’où viennent ces nouveaux venus ? Du Rwanda, de Tanzanie ? Et s’il s’agît de réfugiés qui rentrent chez eux, ont-ils été identifiés par le Haut Commissariat aux réfugiés qui, en principe, devrait les aider à se réinstaller ? RENE ABANDI : La majorité vient de zones occupées par les forces gouvernementales. Mais il y a aussi des familles lassées de vivre dans les camps de réfugiés à l’extérieur, qui ont traversé la frontière. Ce sont des retours individuels. Je vous rappelle le contexte : à Kampala, le M23 a proposé qu’il y ait sécurisation des « pôles d’attraction citoyens ». On ne va pas, comme avec une baguette magique, sécuriser tout l’espace, mais on peut convenir de points de retour, où peuvent venir et les réfugiés et les déplacés internes. Nous avons déjà créé de tels points et le gouvernement, de son côté, pourrait faire la même chose. Ces familles devraient tout de même pouvoir prouver qu’elles sont bien originaires de l’endroit à où elles veulent aller s’installer… Mais nous, en général, nous les connaissons ! Je ne peux pas demander à mon cousin de prouver qu’il est de chez moi…On se connaît tous et on sait que ces gens rentrent chez eux après beaucoup d’années. Ma version c’est que parmi eux, il y a un peu de tout, certains viennent aussi de Kitchanga… Il faut aussi se rappeler que des familles, en 2009, ont été brusquement priées de quitter le Congo par les autorités. A qui maintenant doivent elles demander l’autorisation de rentrer ? A Kinshasa on les considère comme des apatrides, des non Congolais. Même si ces gens ont connu la souffrance des camps, ils doivent encore prouver, à l’Etat qui les avait chassés, qu’ils sont bien des Congolais. LE SOIR : Je suppose qu’en arrivant le HCR les a répertoriés et qu’ils ont des papiers…Pourquoi ne pas désamorcer la suspicion ? RENE ABANDI : Pourquoi doivent ils prouver leur nationalité ? Nous, nous connaissons nos familles, mieux que le HCR. S’il suffisait de donner des preuves pour avoir les droits, on pourrait en donner une quantité. Beaucoup peuvent prouver que leur maison a été détruite, leurs biens ravagés… L’idéologie doit changer au niveau de l’Etat : pourquoi, moi qui suis du Kivu, devrais je prouver à l’Etat que je suis un Congolais, alors que c’est cet Etat qui est responsable de ma misère… ? On ne pose pas cette question à d’autres communautés… Il faut créer une mission vraiment chargée de gérer le retour des réfugiés. LE SOIR : A combien estimez vous le nombre de réfugiés qui pourraient réclamer ce « droit au retour » ? RENE ABANDI : Tous ont le droit au retour. LE SOIR : Oui, mais ils combien sont-ils ? RENE ABANDI : Il y a des réfugiés originaires de tout le pays, mais ceux de l’Est, partis en Ouganda, Rwanda, Burundi, je ne sais pas très bien, mais je me demande si leur nombre n’atteint pas le demi million. Chez nous les statistiques, c’est un terrain très glissant si on veut s’y hasarder. Kinshasa, depuis une dizaine d’années n’éprouve même pas le besoin de dénombrer ces réfugiés. Vous ne les avez pas comptés de votre côté non plus. Si on négocie, il faut tout de même le faire à partir de chiffres objectifs, de données quantifiables… Nous avons demandé à nous rendre là bas, dans les camps, afin de les compter, de savoir qui veut rentrer et où. Mais Kinshasa refuse : lorsque les gens qui étaient à Moba (Sud Katanga) ont voulu rentrer au Sud Kivu, le gouverneur les en a empêchés… Kinshasa recherche sa légitimité non pas en tentant de résoudre les problèmes des citoyens mais en les stigmatisant davantage. LE SOIR : Pourquoi ne pas créer une commission mixte, qui irait voir et dénombrer ces candidats au retour ? RENE ABANDI : Nous n’en faisons même pas un préalable : nous essayons, dans ces négociations, d’être le plus constructifs possible. Nous amenons une proposition. Nous avons accepté de négocier dans le cadre de la Constitution congolaise, nous ne demandons pas qu’on la change. Mais quand on demande qu’elle soit respectée, on nous traite de rebelles, on nous demande de quel droit nous invoquons la constitution… Nous ne demandons pas un changement de régime, nous demandons que ce régime nous donne notre dû. Ce que nous exigeons à Kampala, c’est le retour des réfugiés, le désarmement des groupes armés, les Hutus des FDLR bien sûr, mais aussi les ADF (groupes ougandais). Nous voulons le désarmement de ces groupes étrangers qui, curieusement, commencent à avoir plus de droits que les nationaux. Il faut aussi désarmer les groupes congolais Mai Mai, Raia Mutomboki, mais, eux, ce sont des Congolais. Moi, depuis 1995, je n’ai plus pu me rendre dans la ferme de mon père, dans le Masisi : elle est occupée par des Hutus membres des FDLR, de manière permanente. Elle est inaccessible et ceux qui l’occupent ont plus de droits que moi.… A l’époque, vous aviez soutenu le CNDP de Laurent Nkunda. Libérer cette ferme, et d’autres encore, cela aurait du être sa priorité…Par la suite, lorsque le CNDP (Conseil national pour la défense du peuple) fut intégré au sein de l’armée congolaise en 2009, cela aurait du être son premier objectif…… En théorie, c’était la mission. Mais tout de suite, Kinshasa a commencé à le priver des moyens nécessaires pour faire ce travail. Les éléments du CNDP qui étaient dans l’armée ont écrit beaucoup de lettres aux autorités, demandant qu’on leur donne des moyens d’action. Mais les grands chefs n’avaient pas cette ambition, les chefs de bataillon n’étaient que des exécutants… LE SOIR : Le général Bosco Ntaganda, issu du CNDP, était cependant le commandant en chef des opérations ? RENE ABANDI : Lui, avait d’autres priorités, il voulait s’enrichir. L’argent était devenu une passion terrible pour lui. Mais en même temps, il était devenu l’allié de Kabila, il jouissait de ses faveurs…Le colonel Makenga (aujourd’hui chef militaire du M23) lui voulait faire ce travail, il y a perdu des militaires… Maintenant nous pensons qu’il faut tenir un discours rassembleur, lancer un nouveau départ…Les communautés congolaises doivent pouvoir se parler, les notables doivent parler à leurs enfants, se demander quand l’harmonie a été rompue. Il faut pouvoir parler du monastère de Ntoto, au Nord Kivu, où en 1993 déjà des paysans hutus avaient été massacrés à l’instigation des autorités. LE SOIR : Un nouveau départ… Cette volonté est-elle partagée ? RENE ABANDI : Avec le populisme de quelqu’un comme le Ministre de l’Information Lambert Mende, il n’y a pas beaucoup d’espoir, d’espace pour une solution en profondeur… Mais des réunions, il y en a déjà eu beaucoup. Je me souviens des « barzas communautaires », de la « conférence de Goma ».. On n’arrête pas de se parler mais chaque fois, pratiquement tous les deux ans, la guerre reprend… C’est le problème des grand messes…A l’époque du gouverneur Kanyamuhanga (ndlr. mis en place en 1997 par Laurent Désiré Kabila )des structures de travail permanentes avaient été mises en place, où on évaluait les situations concrètes, on intervenait sur le terrain. Après sa mort, ces structures n’ont plus eu de contenu. Je ne crois pas aux grand messes, avec per diem, grosses délégations etc… La réalité, c’est que quelqu’un doit bosser, sur le terrain. Il faut que le pouvoir central ordonne à des gens de faire le travail. LE SOIR : Le retour des réfugiés, le processus de réconciliation… cela ne me paraît pas insurmontable. Qu’est ce qui bloque vraiment ? RENE ABANDI : La réalité, c’est que ces points là n’engendrent pas de résultats immédiats. Ils sont le résultat d’un travail dans la durée, planifiée dans le court et le long terme… Si ces mécanismes étaient mis en place, on pourrait conclure assez vite et s’engager dans des solutions à moyen et long terme. Mais cela bloque malgré tout. Où est l’obstacle ? Le problème, c’est la communauté internationale, ainsi que des ONG qui parfois travaillent contre la palabre et qui réussissent à obtenir de la part de Kinshasa un discours qui sabote la négociation en cours. Ce sont des ONG politiques, qui viennent avec des conclusions préétablies, qui jugent des personnes qu’elles n’ont jamais écoutées, qui n’ont pas l’occasion de venir se justifier. Elles publient des rapports extraordinaires, à la veille de chaque sommet important, afin d’orienter les conclusions. Ces ONG sont devenues très importantes, très efficaces et causent beaucoup de dommages. Elles sont parfois à l’origine de la non réconciliation. Ces ONG politiques ne nous aident pas du tout, elles empêchent de trouver un consensus entre nous. Et quelle est leur légitimité ? Elles contribuent à durcir les positions et jettent du feu sur les conflits, nous dirigent vers des solutions opposées aux intérêts du peuple. C’est devenu un sérieux problème dans notre région. LE SOIR : Voulez vous dire que ces ONG publient des listes de responsables de votre mouvement, ou d’autres, qui devraient être exclus de mesures d’amnistie et être jugés pour les crimes commis? RENE ABANDI : Voilà le problème. Ces listes finissent par devenir officielles, adoptées par le gouvernement congolais, conforté dans son intégrisme, son intransigeance. LE SOIR : Ne pensez vous pas qu’il faut combattre l’impunité, à la source de bien des récidives ? RENE ABANDI : Certes, mais il faut aussi se rappeler que chacun est présumé innocent et doit pouvoir se défendre. La présomption de culpabilité ne peut pas être une règle, on ne peut cibler et sanctionner quelqu’un qui n’a jamais été entendu. Cela viole les valeurs mêmes dont ces organisations occidentales se réclament… A Kampala, on doit s’asseoir ensemble et réfléchir, et non communiquer par médias interposés. LE SOIR : Quel est le principal point d’achoppement de Kampala ? RENE ABANDI : Je crois que le gouvernement ne veut plus négocier, que la communauté internationale et les ONG dont je vous parle arment Kinshasa pour ne pas avancer. On l’arme en disant qu’accepter de négocier, c’est déjà une concession maximale, extraordinaire. Quant aux causes du conflit on désigne uniquement les groupes armés, comme si la cause de la violence c’était la violence… Il ne faut pas mélanger les acteurs et les causes : les causes profondes doivent être discutées et traitées, mais cela nul ne veut l’entendre. La seule qui a dit cela, bien isolée, c’est Mary Robinson… LE SOIR : L’envoyée spéciale de l’ONU prône une solution politique. Qu’entend on par cela ? RENE ABANDI : Cela signifie créer les conditions qui rendent impossible la reprise des hostilités, discuter et traiter les causes des conflits. Il faut d’abord un cessez le feu militaire, la création d’ une zone tampon, un mécanisme de contrôle qui détermine celui qui tire la première balle…Dans le processus de pacification de l’Ituri, qui a réussi, les communautés se sont mises d’accord entre elles, il y a eu un discret travail mené à la base, sans caméras ni publicité…Le processus de réconciliation s’est même mené entre tous les groupes, unis contre Kinshasa. 7 octobre 2013 LE SOIR
Posted on: Wed, 09 Oct 2013 05:44:10 +0000

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