La Conquête revue et corrigée à la française… Laurent - TopicsExpress



          

La Conquête revue et corrigée à la française… Laurent Veyssière au Devoir – La Conquête ne fut pas un abandon Des historiens remettent à plat l’histoire de la guerre de Sept Ans Christian Rioux, Le Devoir, 22/11/13 La guerre de Sept Ans ? Un sondage rapide démontrerait facilement que 95 % des Québécois n’en ont jamais entendu parler. De toute façon, les historiens québécois et français ne s’y sont guère attardés et il est rare que les manuels scolaires y consacrent plus que quelques lignes. C’est pourtant au terme de cette première grande guerre internationale (1756-1763) et des négociations qui suivirent que la France perdit le Canada. Les organisateurs du 400e anniversaire de Québec avaient sciemment écarté les historiens de ces célébrations à haut risque. Voilà qu’à l’occasion du 250e anniversaire du Traité de Paris, ils prennent leur revanche. À Paris, se tient ces jours-ci, sous l’égide du ministère français de la Défense, un important colloque franco-québécois qui vient clore une série de rencontres et de publications destinées à resituer « la Conquête » dans les enjeux géostratégiques de l’époque. Plusieurs de ces nouvelles recherches mettent à mal la thèse de l’« abandon » du Canada par la France pourtant unanimement admise chez nous. Ancien stagiaire des Archives nationales du Québec aujourd’hui responsable du patrimoine au ministère de la Défense, à Paris, Laurent Veyssière vient de diriger (avec Bernard Fonck) la publication de plusieurs ouvrages majeurs (La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, Septentrion) qui ébranlent quelques certitudes. Quel abandon? « Il faut être très prudent avec la notion d’abandon, dit Veyssière. Qu’il y ait eu un sentiment d’abandon, c’est normal. Quand une communauté de 60 000 personnes se retrouve seule, elle éprouve évidemment un sentiment d’abandon. » Mais, pour l’historien, rien ne prouve que, sur le plan politique, militaire et diplomatique, la France a « abandonné » le Canada comme on le dit si souvent. Pour l’historien, il faut remettre la « Conquête » dans le contexte de l’époque. Pour la France, dans cette guerre, le théâtre nord-américain est secondaire. Si les troupes anglaises se concentrent au Canada, à l’inverse, la France concentre ses opérations en Allemagne, où plus de 100 000 hommes partent à la conquête du Hanovre. « Pour la France, il s’agit d’humilier le roi anglais, fils de l’électeur du Hanovre Georges 1er, pour être ensuite en position de négocier, dit Veyssière. Le Hanovre est une simple monnaie d’échange. C’est là que s’est joué le sort du Canada ! » Toutes les guerres de ce siècle ressemblent à un jeu d’échecs. Pour la France, le rôle de Montcalm et de Vaudreuil consiste d’abord à tenir le plus longtemps possible. L’historien québécois Marcel Fournier, qui a dirigé le projet de recherche Montcalm, a montré que la France avait envoyé suffisamment d’hommes pour soutenir un conflit qui ne devait pas durer si longtemps. Jamais, dit Veyssière, les Français n’ont imaginé que dans cette guerre ils pourraient perdre le Canada. Même dans les négociations qui s’ouvrent en 1761, les Français n’étaient pas prêts à abandonner le Canada. « Au printemps de 1761, le plénipotentiaire français envoyé à Londres a pour consigne de conserver le Canada, dit-il. Mais, rapidement, il comprendra que l’Angleterre ne rendra jamais le Canada. » Pas de monnaie d’échange Le grand problème de la France, c’est que dès 1761, elle n’a plus rien à offrir comme monnaie d’échange. Elle perd même la Martinique et Belle-Île. « La France n’a pas d’autre choix que de définir ses priorités. Or, le Canada s’y retrouve en queue de liste derrière les pêches de Terre-Neuve, les Antilles et même le Sénégal. » Curieusement, c’est l’historien anglais Jonathan Dull, grand spécialiste de l’histoire militaire, qui a montré que ce choix fut le bon. Ce qui aurait pu être une déconfiture complète va permettre, grâce aux pêches, de préserver une marine française, d’assurer le redressement de la balance commerciale et de relancer l’économie. « On ne peut évidemment pas parler d’une victoire quand on perd le Canada, le Sénégal et une partie des Antilles. Mais la France ne s’en tire pas si mal », dit Veyssière. Le pays va se redresser au point de pouvoir prendre sa revanche lors de la guerre d’indépendance américaine. Ce que les Habitants (ou Canadiens) vivent comme un drame, n’importe quelle puissance coloniale l’aurait fait à cette époque, estime Veyssière. « Nous sommes nombreux à être convaincus que la France n’avait pratiquement pas de chance de conserver le Canada dans cette négociation. Je pense que c’est en train d’être admis par les historiens. On ne peut plus traiter de la Conquête, comme on l’a fait, sans parler de l’ensemble de la guerre de Sept Ans. Si la France avait remporté la guerre en Allemagne, elle aurait eu la monnaie d’échange pour récupérer le Canada. » Le discours du conquérant D’où vient alors ce discours dominant sur l’abandon ? « Le discours de l’abandon, c’est d’abord le discours du conquérant, dit Veyssière. Dès le début, il sera repris par le premier gouverneur britannique, James Murray, et par son successeur, Carleton. Il est évident qu’il est plus facile de parler à un peuple conquis en lui disant que sa mère patrie l’a abandonné et que l’Empire britannique ne lui offre que des bienfaits. » La propagande britannique se met rapidement en branle. Elle fera de Wolfe, pourtant dépressif et détesté par ses propres généraux, un héros. Ce qui contribue à exagérer l’importance de la bataille des plaines d’Abraham. Elle fera de l’Empire le pourvoyeur de nouvelles libertés. Ce qui n’est pas faux, dit Veyssière, comme le montre l’arrivée des journaux qui n’existaient pas en Nouvelle-France. Mais de là à décrire la Nouvelle-France comme la pauvre victime d’un régime tyrannique, il y a une limite à ne pas franchir. « Lorsqu’on étudie les destins individuels des Canadiens de cette époque, on voit que leur mode de vie était très libre, dit Veyssière. Comme ils étaient loin du pouvoir, leur liberté était immense, au point de ne pas se sentir opprimés par la monarchie absolue. D’ailleurs, au moment de l’Acte de Québec, en 1774, lorsque les pétitions des Canadiens partent à Londres, à aucun moment ils ne réclament de représentation parlementaire alors que la minorité anglo-protestante la réclame à cor et à cri. Pour les Canadiens, pétris des valeurs de l’ancien régime français, ce n’était pas une question qui se posait. » Parmi les réalités que ces nouvelles recherches ont permis de découvrir ou de redécouvrir, il y a la violence radicale de cette guerre. « La guerre de Sept Ans fait partie de ces guerres que l’on commence à qualifier de « guerres totales », dit Veyssière. La guerre de Trente Ans, juste avant, a aussi été d’une violence inouïe. Wolfe l’annonce. Il va mettre en place une violence réglée contre la population et fait brûler les villages. La guerre en Europe n’a rien à envier à ce qui se passe en Amérique. On pratique une politique de la terre brûlée. » S’il y a « abandon » quelque part dans cette histoire, c’est peut-être dans le fait que jamais la France ne songera véritablement à récupérer le Canada une fois le Traité de Paris signé. « La France est dans une logique continentale et terrienne, alors que l’Angleterre est maritime, dit Veyssière. La France fait toujours passer ses intérêts continentaux d’abord. Récupérer la colonie du Canada, elle n’en voit pas l’intérêt. Ce qui souligne encore plus le mérite des Canadiens d’avoir su conserver leur langue et leur manière de vivre. C’est un exemple dans l’histoire mondiale. Il a fallu retrousser ses manches et survivre. C’est tout à l’honneur des Québécois. » ledevoir/societe/actualites-en-societe/393419/la-conquete-ne-fut-pas-un-abandon
Posted on: Sat, 23 Nov 2013 09:49:17 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015