La conscience d’Enki était à lisière, entre rêve et - TopicsExpress



          

La conscience d’Enki était à lisière, entre rêve et réalité. L’esprit engourdi, il avait encore conscience de ce qui se passait autour de lui, mais était dans l’incapacité de réagir. Il était allé bien au-delà de ses limites et avait lutté pour tenir aussi longtemps qu‘il avait pu, mais cette fois son combat désespéré semblait être sur le point de prendre fin. Il allait s’endormir et s’enfoncer dans le sommeil. Un sommeil dont il ne se réveillerait pas et il ne pouvait rien y faire. Comment cela se pouvait-il ? Ce ne devait pas se terminer ainsi. Il l’avait pourtant vu. Cette pensée le préoccupa, un instant, puis la fatigue reprit ses droits et il oublia. Il était si fatigué. Il n’aspirait plus qu’à se laisser glisser dans l’inconscience, lorsqu’une voix lointaine arriva à atteindre le peu de conscience qu’il lui restait. - Lève-toi, Enki. Si tu renonces maintenant, tout ceci n’aura servi à rien. N’oublie pas qui tu es. Qui suis-je ? Pensa Enki. Oui, c’était aussi pour ça qu’il était venu. Et il était grand temps de le révéler au monde et de voir si le monde l’accepterait. Cette résolution lui permit de tirer une force et une détermination nouvelles qui lui permirent de lutter pour se réveiller. Très vite, il eut cette sensation étrange qu’ont parfois certaines personnes au moment du réveil d’être privées de l’usage de leur corps. L’impression de n’être ni vraiment éveillé, ni vraiment endormi, mais un peu des deux à la fois. Son esprit était désormais parfaitement conscient, il entendait même parfois ce que les gens qui s’agitaient autour de son corps inanimé racontaient. Pourtant, il était incapable de parler ou de bouger comme si son esprit était réveillé, mais pas son corps. Pas encore du moins. Il lui fallut faire un effort de volonté et un effort soutenu de plusieurs minutes avant de pouvoir retrouver le contrôle de son corps et de sa voix. Finalement, il ouvrit les yeux. Non sans surprise, il vit une jeune fille d’environ dix-huit ans qui lui était parfaitement inconnue. - C’est ma sœur, répondit à sa place Elira. Se redressant sur son siège, Enki réfléchit. Ce devait être sa voix qui l’avait sorti de son rêve, se dit-il. On ne pouvait se méprendre sur la signification de ses paroles cela signifiait, on savait qui il était et apparemment, il pouvait espérer un certain soutien dans l’ultime bataille qu’il s’abritait à livrer. Il comptait sur cela depuis le début sans pour autant ce faire trop d’illusion. Tout se passait comme prévu, finalement. Décidément, la vie était étrange, dire qu’un instant plus tôt tout semblait perdu. - Merci, murmura-t-il d’une voix à peine audible. Si je m’étais enfoncé dans le sommeil, je ne me serais jamais réveillé. La jeune fille lui adressa un sourire. - Pas de quoi ! Tu peux signer ça, dit-elle en lui tentant un papier. Enki le prit d’une main tremblante. « C’est pour forcer la main du roi si besoin était. Il est très tatillon sur ce genre de chose et pourrait bien te refuser le droit de toucher l’épée, malgré ce que tout ce que tu as fait. Enki s’y était attendu. Aucune importance, une fois qu’il aurait l’épée, ce papier et ce qu’il contenait n’aurait plus aucune importance, signature ou pas. Cependant, les quelques mots qu’il lut lui indiquèrent qu’il se trompait sur la nature du document, qu’au contraire c’était même son exact opposé. On lui accordait le droit de porter le nom des Valmont et de jouir de toutes les prérogatives d’un fils de la famille. Il sourit, peut-être finalement avait-il sous-estimé ces gens. Très vite, on l’aida à se lever, mais le magicien voulut se déplacer seul. Question de dignité. D’un pas hésitant et mal assuré, il franchit la porte du palais. La salle d’audience se trouvait dans le grand bâtiment richement ornementé devant lequel ils étaient passés en arrivant. En le traversant, Enki remarqua qu’il mêlait l’ancien et le moderne. À l’extérieur, il n’était que fenêtres en ogive et flèches gothiques. À l’intérieur, il régnait un bourdonnement d’activité moderne. Les murs de la salle d’audience étaient décorés de fresques magnifiques qui s’étendaient du sol au plafond. Au-dessus du trône les blasons des sept grandes maisons royales étaient suspendus et, sur le trône était assis un vieillard à l’air suffisant. Le guérisseur sut, rien qu’en le regardant, qu’il ne devait pas compter sur lui pour accéder à sa requête. À sa droite se tenait un chevalier en armure blanche, et à sa gauche se tenait son fils. La salle était également remplie de toute la noblesse. Le magicien n’avait pas prévu qu’il y aurait autant de monde. Toutes ces robes superbes, tous ces costumes magnifiques… Malgré tout, il n’aimait pas la lueur de mépris qu’il lisait dans le regard des courtisans. - Votre Majesté, je vous présente le magicien Enki qui… commença Bleys avant d’être interrompu par le roi d’un mouvement de la main. - Nous savons tout cela. Ce que nous ignorons, en revanche, est ce que va nous coûter le petit service qu’il nous a rendu. - Si je puis me permettre, Majesté, commença Bleys, les sourcils froncés et l’air franchement contrarié, il ne s’agit pas d’une si petite chose que ça. La vie de centaines de personnes a été épargnée grâce à l’intervention de ce magicien. De plus, si l’épidémie s’était étendue… Le roi d’un signe de la main l’enjoignit de se taire - Si fait, Monsieur le Duc. Je vous ai bien compris, mais tout est question de perspective. En tant que roi, je vois les choses au niveau du pays et de l’intérêt du plus grand nombre. Si l’on considère les six millions d’habitants que compte mon état, la vie de quelques centaines de personnes ne représente pas grand-chose. Bleys se mordit la lèvre supérieure ce qui était chez lui était un signe d’irritation. Comme il aurait aimé rabattre son caquet à ce vieillard condescendant et imbu de sa petite personne ! S’il lui avait laissé terminer sa phrase, il lui aurait fait remarquer que si Enki n’avait pas enrayé l’épidémie, elle se serait sans doute étendue au pays tout entier. Mais ce n’était pas une bonne idée d’irriter le souverain, avant qu’Enki ne lui présente sa requête, même si, connaissant les préjugés du monarque, il estimait qu’il y avait peu de chance pour que cette dernière aboutisse. L’attitude du Veil homme ne faisait que confirmer ses craintes. En tentant de minimiser l’exploit qu’avait accompli, Enki, le monarque signifiait implicitement qu’il était certes, prêt à offrir une aumône pour bons et loyaux services, du moment que les exigences du jeune homme restaient raisonnables. Bleys s’abstint de répondre et se contenta d’acquiescer. Estimant que cet intermède était clos, le souverain se tourna à nouveau vers Enki. - Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, Jeune Homme. Toute peine méritant salaire, que désirez-vous ? De l’or, des terres, une situation ? Parlez ! - Roi d’Ambre, je ne désire rien de tout cela. Je ne souhaite qu’une seule et unique petite chose qui ne vous coutera rien ni à vous, ni à votre peuple. Je ne sollicite que l’honneur de toucher le pommeau de l’épée d’Homenxe. J’ai des raisons de penser que si l’épée ne me tue pas, elle pourrait bien me sauver la vie. Le souverain fronça les sourcils, visiblement outré par cette requête. - Comment osez-vous demander cela ? Une petite chose dites-vous ? Co… Le veillard s’interrompit, se rendant compte que le magicien venait de lui renvoyer le qualificatif qu’il avait lui-même employé un instant plus tôt. Il grogna puis repris : « Ignorez-vous que l’épée d’Homenxe est le symbole de notre pouvoir et qu’elle tue toute personne étrangère à notre famille qui aurait l’audace de poser la main sur elle ? - Je sais cela, Majesté. Malheureusement, dans la situation où je me trouve, je n’ai pas grand-chose à perdre et tout a gagner. Si l’épée me tue, rien ne changera pour moi puisque, dans l’état moribond où vous me voyez, je suis de toutes façons condamné. En fait, même dans ce cas j’y gagne une mort rapide et sans douleur et le supplice de l’agonie me sera épargné. Et dans le cas très improbable où je survive, je serais sauvé. Enki leva alors un regard plein de défi vers le souverain et ajouta : « Même si je ne suis pas légitime. » Le souverain, la mâchoire crispée, fixa en silence le magicien. Son regard gris, aussi froid que le plus dur des hivers, la colère et la haine, déformaient son visage. Tous comprirent que quelque chose venait de se passer entre le souverain et le magicien et dont la teneur leur échappait. Car en vérité, rien dans les paroles du magicien ne justifiait une telle colère. De son côté, Enki savait désormais que le vieil homme connaissait ses origines et que sa présence ne lui plaisait guère. - Il suffit ! éructa le souverain. Un silence de mort tomba alors sur la salle d’audience. À l’évidence, la réaction du monarque était excessive, et tous, des soldats de garde aux courtisans, en passant par les valets de pied, durent s’interroger sur la raison de l’énervement du roi. La princesse se leva, visiblement fort contrariée des réticences du roi qu’elle ne comprenait pas. - Majesté, commença-t-elle avec une irritation nettement perceptible dans la voix, je ne vous comprends pas. S’il tient à toucher l’épée tout en connaissant les risques, alors pourquoi ne pas accéder à sa requête ? - L’épée d’Homenxe est le symbole de notre pouvoir, scanda une nouvelle fois le monarque comme si cette raison expliquait tout. Je ne la souillerais pas en laissant ce bâtard la toucher. Cette fois, de la colère brillait dans les yeux de la princesse. Elle pointa un doigt en direction du magicien. - Cet homme est dans cet état parce qu’il a sauvé des centaines de vies, dont celle de mon fils. Est-ce que la vie d’un enfant appartenant à votre propre lignée a si peu de valeur à vos yeux ? - Il n’a fait que son devoir ! Un rictus plein de cynisme étira les lèvres d’Enki. - Suis-je donc devenu soudain l’un de vos sujets, Majesté ? Vous aurais-je prêté allégeance ? Je pense pourtant vous avoir entendu dire que je n’étais qu’un étranger. Il faudrait savoir. Si je suis un étranger, je ne vous dois aucune allégeance. - Silence ! ordonna le vieil homme. Pour qui te prends-tu pour parler à Ton Roi sur ce ton ? En temps normal, il ne se serait pas privé de lui rappeler que, pour la raison précédemment cité, il n’était pas son roi il aurait accompagné cette déclaration d’une réplique cinglante qui n’aurait pas manqué de faire passer le visage du vieux roi au cramoisi. Mais pour l’instant, et dans l’état où il était, il n’avait plus la force pour les joutes verbales. Il se dit qu’il devait être vraiment pitoyable pour renoncer à tout esprit de répartie. Enki poussa un long et profond soupir et, baissant la tête, se résigna. - Qui suis-je ? lança-t-il d’une voix pleine de lassitude. Plus rien ou presque, je suppose. Juste un homme qui va livrer son ultime et dernier combat. Un silence de plusieurs secondes passa sans que nul ne s’avisât de briser. Puis redressant la tête, il planta son regard dans celui du prince héritier qui se tenait toujours à la gauche du trône et dit d’une voix qui malgré son extrême faiblesse fut assez fort pour être audible de tous. - Reconnais-moi ou laisse-moi mourir, lâcha-t-il dans un souffle. Un murmure choqué parcourut la pièce. La rumeur cessa aussi vite qu’elle était née, lorsque le prince se leva et déclara d’une voix forte : - Il se peut effectivement qu’il paraisse d’origine humble. Je peux cependant vous affirmer qu’il descend d’une très ancienne lignée royale. J’en donne m’a parole et, en tant que telle, elle ne peut en aucun cas être contestée. C’est donc à la fois son droit de sang et une obligation liée à son rang que de le soumettre au jugement de l’épée. - Pas un mot de plus… Je t’interdis de prononcer une seule autre parole. L’expression du prince, la manière dont il se retourna, exprimait un certain mépris qu’il ne pouvait totalement dissimuler envers le roi. Le concernant c’était chose assez rare. À l’ordinaire, dissimulé derrière un masque darrogance, il ne laissait jamais filtrer ses véritables émotions. Mais en cet instant l’expression qu’arborait le prince était bien effrayante. C’était le visage d’un homme dangereux. Un serpent lové prêt à mordre à la première provocation. Quel que soit le personnage quil avait créé pour comme masque à la Cour, celui-ci semblait sêtre craquelé, si bien quà présent il ne lui restait plus rien pour cacher ses émotions. - En tant que prince de sang, je peux prendre mes propres décisions seul. Puis se retournant vers la foule des courtisans, il déclara : « Comme vous l’avez sans doute compris, ce jeune homme est mon fils. Il est né avant mon mariage. Au vu et en raison de ces derniers actes, je le reconnais et lui accorde le droit porter le nom des Valmont ainsi que tous les droits et privilèges propres à un prince de sang. - Espèce de misérable bâtard, rugit le roi. Le prince lui adressa un sourire espiègle. - Non ! Laissons de côté vos erreurs de jeunesse, ce n’est vraiment pas le moment. - Je t’ordonne de revenir, immédiatement sur la déclaration que tu viens de faire. - N’y comptez pas ! répondit le prince d’une voix étrangement profonde et qui reflétait une détermination sans faille. J’en ai plus qu’assez de n’être qu’un souffle de vie dans la nuit. - Je suis le Roi ici, Sharidan, moi et non toi ! Moi ! dit-il en se frappant le haut de la poitrine. Moi ! Je suis toujours le Roi ! Le prince lui fit face. Les deux hommes se provoquaient du regard. - Plus pour très longtemps si vous vous obstinez dans cette voie. - Oserais-tu me menacer ? Le prince haussa les épaules avec nonchalance. - Je ne fais qu’énoncer une évidence indiscutable. Maintenant, qu’Enki est reconnu, ça change tout. Vous ne pouvez persistez a renier ses droits de sang, vous devrez en répondre devant le conseil royal. De plus, (il s’avança et planta son regard gris acier dans celui du vieil homme) si mon fils meurt à cause de Vous, je jure de saisir la première occasion qui s’offrira à moi pour vous briser. Le souverain surpris eut l’air un instant décontenancé, voire même effrayé. Dans le petit monde hypocrite des intrigues de palais, ce type de déclaration était plutôt inédit. Après un instant de flottement pourtant, le roi se reprit et déclara : - Cela ne change rien. Je n’accéderai pas à cette requête. Et quant à ce simulacre de reconnaissance, je saurais bien te faire revenir sur cette déclaration ridicule, dussè-je te faire emprisonner. Le magicien, impassible lors de l’échange entre le père et le fils, se releva péniblement. Tremblant sur ses jambes, il avait toutes les peines du monde à se tenir debout - Puisque vous n’accédez pas à ma requête, je suppose que je n’ai d’autre choix que de mourir. Il est donc temps de prononcer ma malédiction. Le roi blêmit. Tous les regards des courtisans étaient braqués sur le magicien. À la lueur déterminée dans son regard, on ne pouvait douter qu’il fût prêt à mourir en véritable prince d’ambre. Le sang dans sa bouche ne lempêcherait pas de rire, il mourrait en prononçant une malédiction irrévocable. Tous les princes d’Ambre avaient cet étrange pouvoir à l’instant de leur mort. - Tu ne peux pas faire ça ! bredouilla le roi d’une voix qui se voulait déterminée, mais qui trahissait l’effroi. Tu n’es pas un vrai prince ! Tu n’es pas légitime. Tu n’as pas ce pouvoir. - Dans ce cas, pourquoi avez-vous l’air tellement horrifié ? Ne vous inquiétez pas ! Ma malédiction, c’est à un autre que vous que je l’ai réservée, à lui l’ennemi d’Ambre… Joignant le geste à la parole, il désigna d’un doigt inquisiteur un courtisan entre deux âges, vêtu de noir. - Quoi ? hoqueta l’homme l’air outré. Je ne me laisser… - Taisez-vous ! s’emporta Enki. Je ne suis pas arrivé jusqu’ici pour perdre mes derniers instants à échanger des paroles malhonnêtes avec un tueur d’enfants. Bleys n’y tenant plus, leva la main, sautillant d’impatience. - Enki, fichtre et foutre, peux-tu m’expliquer de quoi tu parles ? - Je l’ai déjà dit. La maladie était d’origine magique. Cette épidémie n’était donc pas d’origine naturelle. Elle a été créée par magie noire et lâchée sur ton domaine. La raison, je l’ignore et franchement, je m’en moque, mais c’est cet homme qui en est à l’origine. - Comment peux-tu en être sûr, demanda la princesse qui semblait être passée au tutoiement depuis qu’elle avait appris qu’il était son frère. - La magie à une odeur et celle qui a provoqué l’épidémie était particulièrement reconnaissable. Cet homme est imprégné de la même puanteur. - Je ne me laisserais pas insulter de la sorte, s’indigna le courtisan. - Je sais ce que tu as fait ! Entends donc ma condamnation, meurtrier des tiens. S’il existe une justice divine, tu brûleras en enfer jusqu’à la fin des temps. Mais dans le doute, tu brûleras sur terre pendant un an. Tu souffriras l’agonie des grands brulés sans connaitre pour autant la délivrance de la mort. Tu brûleras pendant un an… Ensuite tu mourras… As-tu compris ? Sans attendre une hypothétique réponse, il plongea son regard dans celui de sa victime et y lut la terreur, simple primaire, animale. Il s’en délecta avant de conclure par ce seul mot : - Brûle ! Sa malédiction prononcée, Enki s’effondra. Mort à n’en pas douter, car la malédiction ne faisait effet qu’à la mort de son auteur. L’homme transformé en torche humaine semait la panique dans la salle d’audience. Les flèches et les épées des gardes le transpercèrent, mais ne aucunes ne l’atteignirent. Rien de surprenant du reste, la malédiction énoncée par le magicien ne disait-elle pas que le supplicié ne pouvait être tué avant la fin de sa peine ? Il brulerait ainsi un an sans connaitre la délivrance de la mort et au terme de cette année seulement, il mourrait. Une peine appropriée au crime qui avait causé tant de souffrances. Bien évidemment, à force de courir dans tous les sens, il finit par provoquer des débuts d’incendie un peu partout dans la salle. On dut faire évacuer la salle par les gardes. Ce qui n’empêcha pas l’incendie. Une fois, hors de danger, courtisans et serviteurs impuissants ne purent que regarder le château brûler. Très vite, le roi invectiva son fils. - Tout est de ta faute ! Toi et ton foutu bâtard… Il ne put aller plus loin. Comme un éclair, l’épée du prince jaillit de son fourreau et frappa le ventre du souverain. Un tel coup aurait suffi à l’éventrer s’il avait été porté avec le tranchant et non avec le plat. Il ne fallait pourtant pas y voir une quelconque magnanimité d’un fils pour son père, mais plus le désir sadique du tortionnaire désireux de prolonger au maximum les souffrances de sa victime. Cela fut d’ailleurs confirmé par un deuxième coup d’épée à l’épaule, un troisième dans les côtes et un quatrième à la mâchoire. Chaque coup porté avec plat de l’épée, mais chacun d’eux ayant suffisamment de force pour briser un os. Le prince avait désormais une lueur de folie meurtrière. Il frappait avec la frénésie d’un dément. Et il ne fait aucun doute qu’il aurait fini par le tuer le pauvre roi impotent si l’un des gardes ne l’avait pas maîtrisé. - Mettez ce fou en prison, ordonna le roi. Je ne le connais plus. - Ne me volez pas mes répliques, père, répondit le prince retrouvant son calme, mais avec toujours de la haine dans le regard. C’est moi qui ne vous connais plus et c’est vous qui irez en prison. - Aux dernières nouvelles, j’étais encore roi. Il me semble d’ailleurs de l’avoir dit. - Exact ! Et je vous avais répondu plus pour longtemps si vous continuez dans cette voie. - Encore des menaces, tu ne fais rien pour améliorer ta situation. - J’aimerais vous retourner la politesse, mais vous êtes désormais au-delà de toute aide. En refusant d’accéder à la requête de mon fils, vous avez provoqué votre chute. - Espères-tu des regrets de ma part ? lança le souverain presque amusé. - Ho, oui ! Vous allez le regretter, et bien plus vite que vous ne le pensez. N’oubliez pas que je l’avais reconnu ! C’est donc la mort d’un prince de sang que vous avez sur les mains. Vous devrez en répondre devant le conseil royal. Pour ma part, sachez que je requerrai la peine de mort. Le roi eut un reniflement méprisant. - Ta petite déclaration publique n’avait aucune valeur légale. Une expression sadique et de profonde satisfaction apparut sur le visage du prince. - C’est là, ou vous vous trompez ! Avant d’être introduit dans la salle d’audience, Enki avait signé tous les papiers d’adoption. C’est donc bien à un prince de sang à qui vous avez dénié ses droits et vous devrez en répondre. Le roi blêmit. - Personne ne me condamnera pour ça. - N’en soyez pas si certain, intervint Bleys. Je peux d’or et dejà vous annoncez que vous ne devez pas espérer un quelconque soutien de la famille Otori. Et comme Sharidan parlera au nom de votre famille cela fera d’ores et déjà deux voix sur sept contre vous. Bleys se pencha. - Croyez-vous vraiment que le scrutin en restera là ? lui demanda-t-il d’une voix moqueuse en désignant les courtisans. Le monarque remarqua alors l’hostilité dans leur regard. Apparemment, même les plus conservateurs réprouvaient son attitude. Il sut alors que tous étaient perdu. Impitoyable, le prince Sharidan vint alors se planter face à son père et déclara : - Le roi Obéron est présentement déposé de son tire de roi. Désormais, il ne fait plus partie de la lignée des Valmont. Il est donc privé de tous les avantages et privilèges qui étaient autrefois liés du fait de son appartenance à cette maison. Il est banni à jamais de cette famille. Emmenez ce bâtard (Il insista, particulièrement et à plaisir sur ce dernier mot). Deux gardes s’emparèrent du vieil homme qui gesticulait et protestait. Trois jours après sa destitution, il fut exilé. On l’accompagna à la frontière et on lui signifia que s’il la franchissait à nouveau, ce jour serait celui de sa mort. On veilla à offrir à Enki des funérailles dignes des plus grands princes. Ménestrels et conteurs chantèrent pendant des siècles, l’histoire de ce prince qui, bien que renié et méconnu avait sauvé son peuple d’une terrible épidémie. Un détail rendait cette histoire particulièrement populaire : il était en effet de notoriété publique que le tombeau où était censé reposer la dépouille du prince magicien était vide. On n’avait effectivement jamais retrouvé son corps, pas plus que l’épée d’Homenxe dans les ruines du château. Cette double disparation donna lieu à toutes les spéculations. La plus populaire était que le prince n’était pas mort et, profitant de la panique causée par l’incendie s’était finalement emparé de l’épée qui l’avait sauvé. Ces spéculations devinrent vite une légende, avant de finir une certitude. Pour le peuple d’Ambre il ne faisait aucun doute que leur prince magicien avait survécu. Vous en voulez la preuve ? Allez donc en Ambre et demandez à n’importe qui homme, femme, enfant ou vieillard « ou est Enki ?». Il vous expliquera alors que leur prince s’est retiré dans une montagne ou il attend le jour où son peuple aura à nouveau besoin de lui. Allez-y ! Essayez ! Vous verrez, Ils lèveront le doigt pour vous montrer la montagne. » La conscience d’Enki était à lisière, entre rêve et réalité. L’esprit engourdi, il avait encore conscience de ce qui se passait autour de lui, mais était dans l’incapacité de réagir. Il était allé bien au-delà de ses limites et avait lutté pour tenir aussi longtemps qu‘il avait pu, mais cette fois son combat désespéré semblait être sur le point de prendre fin. Il allait s’endormir et s’enfoncer dans le sommeil. Un sommeil dont il ne se réveillerait pas et il ne pouvait rien y faire. Comment cela se pouvait-il ? Ce ne devait pas se terminer ainsi. Il l’avait pourtant vu. Cette pensée le préoccupa, un instant, puis la fatigue reprit ses droits et il oublia. Il était si fatigué. Il n’aspirait plus qu’à se laisser glisser dans l’inconscience, lorsqu’une voix lointaine arriva à atteindre le peu de conscience qu’il lui restait. - Lève-toi, Enki. Si tu renonces maintenant, tout ceci n’aura servi à rien. N’oublie pas qui tu es. Qui suis-je ? Pensa Enki. Oui, c’était aussi pour ça qu’il était venu. Et il était grand temps de le révéler au monde et de voir si le monde l’accepterait. Cette résolution lui permit de tirer une force et une détermination nouvelles qui lui permirent de lutter pour se réveiller. Très vite, il eut cette sensation étrange qu’ont parfois certaines personnes au moment du réveil d’être privées de l’usage de leur corps. L’impression de n’être ni vraiment éveillé, ni vraiment endormi, mais un peu des deux à la fois. Son esprit était désormais parfaitement conscient, il entendait même parfois ce que les gens qui s’agitaient autour de son corps inanimé racontaient. Pourtant, il était incapable de parler ou de bouger comme si son esprit était réveillé, mais pas son corps. Pas encore du moins. Il lui fallut faire un effort de volonté et un effort soutenu de plusieurs minutes avant de pouvoir retrouver le contrôle de son corps et de sa voix. Finalement, il ouvrit les yeux. Non sans surprise, il vit une jeune fille d’environ dix-huit ans qui lui était parfaitement inconnue. - C’est ma sœur, répondit à sa place Elira. Se redressant sur son siège, Enki réfléchit. Ce devait être sa voix qui l’avait sorti de son rêve, se dit-il. On ne pouvait se méprendre sur la signification de ses paroles cela signifiait, on savait qui il était et apparemment, il pouvait espérer un certain soutien dans l’ultime bataille qu’il s’abritait à livrer. Il comptait sur cela depuis le début sans pour autant ce faire trop d’illusion. Tout se passait comme prévu, finalement. Décidément, la vie était étrange, dire qu’un instant plus tôt tout semblait perdu. - Merci, murmura-t-il d’une voix à peine audible. Si je m’étais enfoncé dans le sommeil, je ne me serais jamais réveillé. La jeune fille lui adressa un sourire. - Pas de quoi ! Tu peux signer ça, dit-elle en lui tentant un papier. Enki le prit d’une main tremblante. « C’est pour forcer la main du roi si besoin était. Il est très tatillon sur ce genre de chose et pourrait bien te refuser le droit de toucher l’épée, malgré ce que tout ce que tu as fait. Enki s’y était attendu. Aucune importance, une fois qu’il aurait l’épée, ce papier et ce qu’il contenait n’aurait plus aucune importance, signature ou pas. Cependant, les quelques mots qu’il lut lui indiquèrent qu’il se trompait sur la nature du document, qu’au contraire c’était même son exact opposé. On lui accordait le droit de porter le nom des Valmont et de jouir de toutes les prérogatives d’un fils de la famille. Il sourit, peut-être finalement avait-il sous-estimé ces gens. Très vite, on l’aida à se lever, mais le magicien voulut se déplacer seul. Question de dignité. D’un pas hésitant et mal assuré, il franchit la porte du palais. La salle d’audience se trouvait dans le grand bâtiment richement ornementé devant lequel ils étaient passés en arrivant. En le traversant, Enki remarqua qu’il mêlait l’ancien et le moderne. À l’extérieur, il n’était que fenêtres en ogive et flèches gothiques. À l’intérieur, il régnait un bourdonnement d’activité moderne. Les murs de la salle d’audience étaient décorés de fresques magnifiques qui s’étendaient du sol au plafond. Au-dessus du trône les blasons des sept grandes maisons royales étaient suspendus et, sur le trône était assis un vieillard à l’air suffisant. Le guérisseur sut, rien qu’en le regardant, qu’il ne devait pas compter sur lui pour accéder à sa requête. À sa droite se tenait un chevalier en armure blanche, et à sa gauche se tenait son fils. La salle était également remplie de toute la noblesse. Le magicien n’avait pas prévu qu’il y aurait autant de monde. Toutes ces robes superbes, tous ces costumes magnifiques… Malgré tout, il n’aimait pas la lueur de mépris qu’il lisait dans le regard des courtisans. - Votre Majesté, je vous présente le magicien Enki qui… commença Bleys avant d’être interrompu par le roi d’un mouvement de la main. - Nous savons tout cela. Ce que nous ignorons, en revanche, est ce que va nous coûter le petit service qu’il nous a rendu. - Si je puis me permettre, Majesté, commença Bleys, les sourcils froncés et l’air franchement contrarié, il ne s’agit pas d’une si petite chose que ça. La vie de centaines de personnes a été épargnée grâce à l’intervention de ce magicien. De plus, si l’épidémie s’était étendue… Le roi d’un signe de la main l’enjoignit de se taire - Si fait, Monsieur le Duc. Je vous ai bien compris, mais tout est question de perspective. En tant que roi, je vois les choses au niveau du pays et de l’intérêt du plus grand nombre. Si l’on considère les six millions d’habitants que compte mon état, la vie de quelques centaines de personnes ne représente pas grand-chose. Bleys se mordit la lèvre supérieure ce qui était chez lui était un signe d’irritation. Comme il aurait aimé rabattre son caquet à ce vieillard condescendant et imbu de sa petite personne ! S’il lui avait laissé terminer sa phrase, il lui aurait fait remarquer que si Enki n’avait pas enrayé l’épidémie, elle se serait sans doute étendue au pays tout entier. Mais ce n’était pas une bonne idée d’irriter le souverain, avant qu’Enki ne lui présente sa requête, même si, connaissant les préjugés du monarque, il estimait qu’il y avait peu de chance pour que cette dernière aboutisse. L’attitude du Veil homme ne faisait que confirmer ses craintes. En tentant de minimiser l’exploit qu’avait accompli, Enki, le monarque signifiait implicitement qu’il était certes, prêt à offrir une aumône pour bons et loyaux services, du moment que les exigences du jeune homme restaient raisonnables. Bleys s’abstint de répondre et se contenta d’acquiescer. Estimant que cet intermède était clos, le souverain se tourna à nouveau vers Enki. - Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, Jeune Homme. Toute peine méritant salaire, que désirez-vous ? De l’or, des terres, une situation ? Parlez ! - Roi d’Ambre, je ne désire rien de tout cela. Je ne souhaite qu’une seule et unique petite chose qui ne vous coutera rien ni à vous, ni à votre peuple. Je ne sollicite que l’honneur de toucher le pommeau de l’épée d’Homenxe. J’ai des raisons de penser que si l’épée ne me tue pas, elle pourrait bien me sauver la vie. Le souverain fronça les sourcils, visiblement outré par cette requête. - Comment osez-vous demander cela ? Une petite chose dites-vous ? Co… Le veillard s’interrompit, se rendant compte que le magicien venait de lui renvoyer le qualificatif qu’il avait lui-même employé un instant plus tôt. Il grogna puis repris : « Ignorez-vous que l’épée d’Homenxe est le symbole de notre pouvoir et qu’elle tue toute personne étrangère à notre famille qui aurait l’audace de poser la main sur elle ? - Je sais cela, Majesté. Malheureusement, dans la situation où je me trouve, je n’ai pas grand-chose à perdre et tout a gagner. Si l’épée me tue, rien ne changera pour moi puisque, dans l’état moribond où vous me voyez, je suis de toutes façons condamné. En fait, même dans ce cas j’y gagne une mort rapide et sans douleur et le supplice de l’agonie me sera épargné. Et dans le cas très improbable où je survive, je serais sauvé. Enki leva alors un regard plein de défi vers le souverain et ajouta : « Même si je ne suis pas légitime. » Le souverain, la mâchoire crispée, fixa en silence le magicien. Son regard gris, aussi froid que le plus dur des hivers, la colère et la haine, déformaient son visage. Tous comprirent que quelque chose venait de se passer entre le souverain et le magicien et dont la teneur leur échappait. Car en vérité, rien dans les paroles du magicien ne justifiait une telle colère. De son côté, Enki savait désormais que le vieil homme connaissait ses origines et que sa présence ne lui plaisait guère. - Il suffit ! éructa le souverain. Un silence de mort tomba alors sur la salle d’audience. À l’évidence, la réaction du monarque était excessive, et tous, des soldats de garde aux courtisans, en passant par les valets de pied, durent s’interroger sur la raison de l’énervement du roi. La princesse se leva, visiblement fort contrariée des réticences du roi qu’elle ne comprenait pas. - Majesté, commença-t-elle avec une irritation nettement perceptible dans la voix, je ne vous comprends pas. S’il tient à toucher l’épée tout en connaissant les risques, alors pourquoi ne pas accéder à sa requête ? - L’épée d’Homenxe est le symbole de notre pouvoir, scanda une nouvelle fois le monarque comme si cette raison expliquait tout. Je ne la souillerais pas en laissant ce bâtard la toucher. Cette fois, de la colère brillait dans les yeux de la princesse. Elle pointa un doigt en direction du magicien. - Cet homme est dans cet état parce qu’il a sauvé des centaines de vies, dont celle de mon fils. Est-ce que la vie d’un enfant appartenant à votre propre lignée a si peu de valeur à vos yeux ? - Il n’a fait que son devoir ! Un rictus plein de cynisme étira les lèvres d’Enki. - Suis-je donc devenu soudain l’un de vos sujets, Majesté ? Vous aurais-je prêté allégeance ? Je pense pourtant vous avoir entendu dire que je n’étais qu’un étranger. Il faudrait savoir. Si je suis un étranger, je ne vous dois aucune allégeance. - Silence ! ordonna le vieil homme. Pour qui te prends-tu pour parler à Ton Roi sur ce ton ? En temps normal, il ne se serait pas privé de lui rappeler que, pour la raison précédemment cité, il n’était pas son roi il aurait accompagné cette déclaration d’une réplique cinglante qui n’aurait pas manqué de faire passer le visage du vieux roi au cramoisi. Mais pour l’instant, et dans l’état où il était, il n’avait plus la force pour les joutes verbales. Il se dit qu’il devait être vraiment pitoyable pour renoncer à tout esprit de répartie. Enki poussa un long et profond soupir et, baissant la tête, se résigna. - Qui suis-je ? lança-t-il d’une voix pleine de lassitude. Plus rien ou presque, je suppose. Juste un homme qui va livrer son ultime et dernier combat. Un silence de plusieurs secondes passa sans que nul ne s’avisât de briser. Puis redressant la tête, il planta son regard dans celui du prince héritier qui se tenait toujours à la gauche du trône et dit d’une voix qui malgré son extrême faiblesse fut assez fort pour être audible de tous. - Reconnais-moi ou laisse-moi mourir, lâcha-t-il dans un souffle. Un murmure choqué parcourut la pièce. La rumeur cessa aussi vite qu’elle était née, lorsque le prince se leva et déclara d’une voix forte : - Il se peut effectivement qu’il paraisse d’origine humble. Je peux cependant vous affirmer qu’il descend d’une très ancienne lignée royale. J’en donne m’a parole et, en tant que telle, elle ne peut en aucun cas être contestée. C’est donc à la fois son droit de sang et une obligation liée à son rang que de le soumettre au jugement de l’épée. - Pas un mot de plus… Je t’interdis de prononcer une seule autre parole. L’expression du prince, la manière dont il se retourna, exprimait un certain mépris qu’il ne pouvait totalement dissimuler envers le roi. Le concernant c’était chose assez rare. À l’ordinaire, dissimulé derrière un masque darrogance, il ne laissait jamais filtrer ses véritables émotions. Mais en cet instant l’expression qu’arborait le prince était bien effrayante. C’était le visage d’un homme dangereux. Un serpent lové prêt à mordre à la première provocation. Quel que soit le personnage quil avait créé pour comme masque à la Cour, celui-ci semblait sêtre craquelé, si bien quà présent il ne lui restait plus rien pour cacher ses émotions. - En tant que prince de sang, je peux prendre mes propres décisions seul. Puis se retournant vers la foule des courtisans, il déclara : « Comme vous l’avez sans doute compris, ce jeune homme est mon fils. Il est né avant mon mariage. Au vu et en raison de ces derniers actes, je le reconnais et lui accorde le droit porter le nom des Valmont ainsi que tous les droits et privilèges propres à un prince de sang. - Espèce de misérable bâtard, rugit le roi. Le prince lui adressa un sourire espiègle. - Non ! Laissons de côté vos erreurs de jeunesse, ce n’est vraiment pas le moment. - Je t’ordonne de revenir, immédiatement sur la déclaration que tu viens de faire. - N’y comptez pas ! répondit le prince d’une voix étrangement profonde et qui reflétait une détermination sans faille. J’en ai plus qu’assez de n’être qu’un souffle de vie dans la nuit. - Je suis le Roi ici, Sharidan, moi et non toi ! Moi ! dit-il en se frappant le haut de la poitrine. Moi ! Je suis toujours le Roi ! Le prince lui fit face. Les deux hommes se provoquaient du regard. - Plus pour très longtemps si vous vous obstinez dans cette voie. - Oserais-tu me menacer ? Le prince haussa les épaules avec nonchalance. - Je ne fais qu’énoncer une évidence indiscutable. Maintenant, qu’Enki est reconnu, ça change tout. Vous ne pouvez persistez a renier ses droits de sang, vous devrez en répondre devant le conseil royal. De plus, (il s’avança et planta son regard gris acier dans celui du vieil homme) si mon fils meurt à cause de Vous, je jure de saisir la première occasion qui s’offrira à moi pour vous briser. Le souverain surpris eut l’air un instant décontenancé, voire même effrayé. Dans le petit monde hypocrite des intrigues de palais, ce type de déclaration était plutôt inédit. Après un instant de flottement pourtant, le roi se reprit et déclara : - Cela ne change rien. Je n’accéderai pas à cette requête. Et quant à ce simulacre de reconnaissance, je saurais bien te faire revenir sur cette déclaration ridicule, dussè-je te faire emprisonner. Le magicien, impassible lors de l’échange entre le père et le fils, se releva péniblement. Tremblant sur ses jambes, il avait toutes les peines du monde à se tenir debout - Puisque vous n’accédez pas à ma requête, je suppose que je n’ai d’autre choix que de mourir. Il est donc temps de prononcer ma malédiction. Le roi blêmit. Tous les regards des courtisans étaient braqués sur le magicien. À la lueur déterminée dans son regard, on ne pouvait douter qu’il fût prêt à mourir en véritable prince d’ambre. Le sang dans sa bouche ne lempêcherait pas de rire, il mourrait en prononçant une malédiction irrévocable. Tous les princes d’Ambre avaient cet étrange pouvoir à l’instant de leur mort. - Tu ne peux pas faire ça ! bredouilla le roi d’une voix qui se voulait déterminée, mais qui trahissait l’effroi. Tu n’es pas un vrai prince ! Tu n’es pas légitime. Tu n’as pas ce pouvoir. - Dans ce cas, pourquoi avez-vous l’air tellement horrifié ? Ne vous inquiétez pas ! Ma malédiction, c’est à un autre que vous que je l’ai réservée, à lui l’ennemi d’Ambre… Joignant le geste à la parole, il désigna d’un doigt inquisiteur un courtisan entre deux âges, vêtu de noir. - Quoi ? hoqueta l’homme l’air outré. Je ne me laisser… - Taisez-vous ! s’emporta Enki. Je ne suis pas arrivé jusqu’ici pour perdre mes derniers instants à échanger des paroles malhonnêtes avec un tueur d’enfants. Bleys n’y tenant plus, leva la main, sautillant d’impatience. - Enki, fichtre et foutre, peux-tu m’expliquer de quoi tu parles ? - Je l’ai déjà dit. La maladie était d’origine magique. Cette épidémie n’était donc pas d’origine naturelle. Elle a été créée par magie noire et lâchée sur ton domaine. La raison, je l’ignore et franchement, je m’en moque, mais c’est cet homme qui en est à l’origine. - Comment peux-tu en être sûr, demanda la princesse qui semblait être passée au tutoiement depuis qu’elle avait appris qu’il était son frère. - La magie à une odeur et celle qui a provoqué l’épidémie était particulièrement reconnaissable. Cet homme est imprégné de la même puanteur. - Je ne me laisserais pas insulter de la sorte, s’indigna le courtisan. - Je sais ce que tu as fait ! Entends donc ma condamnation, meurtrier des tiens. S’il existe une justice divine, tu brûleras en enfer jusqu’à la fin des temps. Mais dans le doute, tu brûleras sur terre pendant un an. Tu souffriras l’agonie des grands brulés sans connaitre pour autant la délivrance de la mort. Tu brûleras pendant un an… Ensuite tu mourras… As-tu compris ? Sans attendre une hypothétique réponse, il plongea son regard dans celui de sa victime et y lut la terreur, simple primaire, animale. Il s’en délecta avant de conclure par ce seul mot : - Brûle ! Sa malédiction prononcée, Enki s’effondra. Mort à n’en pas douter, car la malédiction ne faisait effet qu’à la mort de son auteur. L’homme transformé en torche humaine semait la panique dans la salle d’audience. Les flèches et les épées des gardes le transpercèrent, mais ne aucunes ne l’atteignirent. Rien de surprenant du reste, la malédiction énoncée par le magicien ne disait-elle pas que le supplicié ne pouvait être tué avant la fin de sa peine ? Il brulerait ainsi un an sans connaitre la délivrance de la mort et au terme de cette année seulement, il mourrait. Une peine appropriée au crime qui avait causé tant de souffrances. Bien évidemment, à force de courir dans tous les sens, il finit par provoquer des débuts d’incendie un peu partout dans la salle. On dut faire évacuer la salle par les gardes. Ce qui n’empêcha pas l’incendie. Une fois, hors de danger, courtisans et serviteurs impuissants ne purent que regarder le château brûler. Très vite, le roi invectiva son fils. - Tout est de ta faute ! Toi et ton foutu bâtard… Il ne put aller plus loin. Comme un éclair, l’épée du prince jaillit de son fourreau et frappa le ventre du souverain. Un tel coup aurait suffi à l’éventrer s’il avait été porté avec le tranchant et non avec le plat. Il ne fallait pourtant pas y voir une quelconque magnanimité d’un fils pour son père, mais plus le désir sadique du tortionnaire désireux de prolonger au maximum les souffrances de sa victime. Cela fut d’ailleurs confirmé par un deuxième coup d’épée à l’épaule, un troisième dans les côtes et un quatrième à la mâchoire. Chaque coup porté avec plat de l’épée, mais chacun d’eux ayant suffisamment de force pour briser un os. Le prince avait désormais une lueur de folie meurtrière. Il frappait avec la frénésie d’un dément. Et il ne fait aucun doute qu’il aurait fini par le tuer le pauvre roi impotent si l’un des gardes ne l’avait pas maîtrisé. - Mettez ce fou en prison, ordonna le roi. Je ne le connais plus. - Ne me volez pas mes répliques, père, répondit le prince retrouvant son calme, mais avec toujours de la haine dans le regard. C’est moi qui ne vous connais plus et c’est vous qui irez en prison. - Aux dernières nouvelles, j’étais encore roi. Il me semble d’ailleurs de l’avoir dit. - Exact ! Et je vous avais répondu plus pour longtemps si vous continuez dans cette voie. - Encore des menaces, tu ne fais rien pour améliorer ta situation. - J’aimerais vous retourner la politesse, mais vous êtes désormais au-delà de toute aide. En refusant d’accéder à la requête de mon fils, vous avez provoqué votre chute. - Espères-tu des regrets de ma part ? lança le souverain presque amusé. - Ho, oui ! Vous allez le regretter, et bien plus vite que vous ne le pensez. N’oubliez pas que je l’avais reconnu ! C’est donc la mort d’un prince de sang que vous avez sur les mains. Vous devrez en répondre devant le conseil royal. Pour ma part, sachez que je requerrai la peine de mort. Le roi eut un reniflement méprisant. - Ta petite déclaration publique n’avait aucune valeur légale. Une expression sadique et de profonde satisfaction apparut sur le visage du prince. - C’est là, ou vous vous trompez ! Avant d’être introduit dans la salle d’audience, Enki avait signé tous les papiers d’adoption. C’est donc bien à un prince de sang à qui vous avez dénié ses droits et vous devrez en répondre. Le roi blêmit. - Personne ne me condamnera pour ça. - N’en soyez pas si certain, intervint Bleys. Je peux d’or et dejà vous annoncez que vous ne devez pas espérer un quelconque soutien de la famille Otori. Et comme Sharidan parlera au nom de votre famille cela fera d’ores et déjà deux voix sur sept contre vous. Bleys se pencha. - Croyez-vous vraiment que le scrutin en restera là ? lui demanda-t-il d’une voix moqueuse en désignant les courtisans. Le monarque remarqua alors l’hostilité dans leur regard. Apparemment, même les plus conservateurs réprouvaient son attitude. Il sut alors que tous étaient perdu. Impitoyable, le prince Sharidan vint alors se planter face à son père et déclara : - Le roi Obéron est présentement déposé de son tire de roi. Désormais, il ne fait plus partie de la lignée des Valmont. Il est donc privé de tous les avantages et privilèges qui étaient autrefois liés du fait de son appartenance à cette maison. Il est banni à jamais de cette famille. Emmenez ce bâtard (Il insista, particulièrement et à plaisir sur ce dernier mot). Deux gardes s’emparèrent du vieil homme qui gesticulait et protestait. Trois jours après sa destitution, il fut exilé. On l’accompagna à la frontière et on lui signifia que s’il la franchissait à nouveau, ce jour serait celui de sa mort. On veilla à offrir à Enki des funérailles dignes des plus grands princes. Ménestrels et conteurs chantèrent pendant des siècles, l’histoire de ce prince qui, bien que renié et méconnu avait sauvé son peuple d’une terrible épidémie. Un détail rendait cette histoire particulièrement populaire : il était en effet de notoriété publique que le tombeau où était censé reposer la dépouille du prince magicien était vide. On n’avait effectivement jamais retrouvé son corps, pas plus que l’épée d’Homenxe dans les ruines du château. Cette double disparation donna lieu à toutes les spéculations. La plus populaire était que le prince n’était pas mort et, profitant de la panique causée par l’incendie s’était finalement emparé de l’épée qui l’avait sauvé. Ces spéculations devinrent vite une légende, avant de finir une certitude. Pour le peuple d’Ambre il ne faisait aucun doute que leur prince magicien avait survécu. Vous en voulez la preuve ? Allez donc en Ambre et demandez à n’importe qui homme, femme, enfant ou vieillard « ou est Enki ?». Il vous expliquera alors que leur prince s’est retiré dans une montagne ou il attend le jour où son peuple aura à nouveau besoin de lui. Allez-y ! Essayez ! Vous verrez, Ils lèveront le doigt pour vous montrer la montagne. »
Posted on: Mon, 04 Nov 2013 20:14:40 +0000

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