La participation des organisations religieuses au Sénat : une - TopicsExpress



          

La participation des organisations religieuses au Sénat : une atteinte au principe constitutionnel de laïcité « Il ne faut pas laisser le fantôme entrer dans la maison avant de chercher à en fermer les portes. » Il y a un an, ce proverbe moaga était repris lors du Forum national sur la laïcité par Arsène Bongnessan Yé, ministre chargé des Relations avec le Parlement et des Réformes politiques. Ces propos visaient à souligner l’urgence pour l’Etat burkinabè d’anticiper tout risque d’atteinte à la paix sociale qui résulterait de l’extrémisme religieux. Ces déclarations ainsi que la manière dont le forum national sur la laïcité s’est déroulé accréditaient implicitement l’idée que pour les autorités politiques de notre pays, la menace principale à la laïcité émanait ou était susceptible d’émaner des structures religieuses et/ou de leurs représentants. Cependant, depuis deux mois, l’approche adoptée par les autorités politiques conduit à soutenir la position inverse, à savoir que nos gouvernants actuels pourraient bien être la menace principale à la laïcité dans notre pays. La décision prise en Conseil des ministres de subventionner le Hadj 2013, une activité privée ayant un but privé constitue une atteinte grave à la laïcité en ce sens qu’il s’agit de l’utilisation de fonds publics à des fins strictement privées et une rupture du principe d’égalité entre les citoyens. Il n’est pas interdit à l’Etat de financer des structures privées lorsque celles-ci remplissent une mission de service public telles que l’éducation ou la santé. Néanmoins, le pèlerinage est une activité privée qui ne peut se prévaloir de rentrer dans cette catégorie. Cette atteinte à la laïcité pourrait être anecdotique si elle ne semblait pas être motivée par une autre atteinte beaucoup plus grave à ce principe, à savoir la participation des organisations religieuses à l’exercice du pouvoir politique et plus précisément le pouvoir législatif. Cette seconde violation de la laïcité est plus grave car elle est destinée à s’institutionnaliser et donc à s’inscrire dans le paysage politique de notre pays. Elle induirait un certain nombre de conséquences politiques et juridiques dont beaucoup peinent encore à prendre la pleine mesure. Nous avons ici affaire à deux mesures visant à l’instrumentalisation des autorités religieuses en vue de servir des desseins politiques. Depuis quelques mois, les communautés religieuses prennent position ou sont sommées de prendre position sur l’instauration d’un Sénat et sur leur éventuelle participation à cette institution. Lorsqu’elles prennent position sans y avoir été invitées, les réactions vont de l’approbation totale au désaccord le plus absolu. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs en ce moment totalement déboussolées par la question du Sénat et ne savent absolument pas comment réagir, de telle sorte que certains arguments qu’elles avancent pour expliquer leur éventuelle participation peuvent difficilement être conciliés avec les principes républicains qui devraient être les piliers de notre démocratie. Dans le présent article, nous soutenons qu’en se fondant sur le principe de laïcité, les organisations religieuses peuvent de droit justifier leur non participation au Sénat sans pouvoir être accusées de prendre parti pour un camp politique ou pour l’autre. Cela impose d’analyser au préalable les contours de ce principe dans le contexte burkinabè, tant dans ce domaine, les amalgames le disputent souvent à l’ignorance. L’article 31 (1) de la Constitution burkinabè consacre le principe de laïcité lorsqu’il déclare que « Le Burkina Faso est un Etat démocratique, unitaire et laïc ». Cette consécration emporte une conséquence immédiate, celle du caractère non confessionnel de l’Etat burkinabè, c’est-à-dire le fait qu’il ne puisse être identifié à aucune religion ou organisation religieuse. On sait en effet qu’il y a dans le monde des Etats qui s’identifient à une religion ou une structure religieuse particulière. C’est ainsi que l’Eglise évangélique luthérienne est l’Eglise nationale danoise (article 4 de la constitution du royaume de Danemark du 5 juin 1953), que l’Eglise catholique est Eglise d’Etat à Monaco ou encore que l’Islam est religion d’Etat dans la plupart des Etats arabes. L’affirmation du caractère laïc de l’Etat burkinabè emporte une seconde conséquence, celle de sa neutralité et de son impartialité en matière religieuse. La troisième conséquence du caractère laïc de l’Etat est le fait que celui-ci ne puisse intervenir en matière religieuse sauf pour préserver l’intérêt public, cette dernière conséquence ayant un corollaire : l’interdiction pour les organisations religieuses de gérer les affaires politiques. C’est ainsi que l’on définit traditionnellement la laïcité comme la conception politique qui implique la séparation de la société civile et de la société religieuse, l’Etat n’exerçant aucun pouvoir religieux, et les organisations religieuses aucun pouvoir politique. Ces éléments préliminaires énoncés, pour déterminer en quoi la participation des organisations religieuses constituent une atteinte au principe de laïcité et à d’autres principes constitutionnels connexes (II), il conviendra de cerner les activités de ces dernières ne remettant pas en cause la laïcité de l’Etat burkinabè (I). I. Les activités des organisations religieuses ou de leurs représentants qui ne constituent pas une atteinte à la laïcité L’Etat ne peut ignorer les organisations religieuses et réciproquement. Dans le cadre de leurs missions, ces organisations peuvent exercer certaines activités ou être amenées à collaborer avec l’Etat sans que cela ne constitue une violation du principe de laïcité. Nous pensons à la participation aux organismes consultatifs et/ou indépendants de l’Etat (1), au financement de certaines activités des organisations religieuses ou à la subvention pour restauration de certains lieux de culte (2), et également les prises de positions sur la vie politique nationale (3). 1. La participation des organisations religieuses à des organismes consultatifs ou indépendants de l’Etat n’est pas une atteinte au principe de laïcité Par définition, les organismes consultatifs même lorsqu’ils sont institués par l’Etat ne dispose d’aucun pouvoir de décision. Ils n’ont qu’un pouvoir de recommandation à l’égard des acteurs politiques. C’est ainsi que la participation des autorités religieuses au Conseil consultatif sur les reformes politiques (CCRP) ne constitue pas une atteinte à la laïcité, puisque ce Conseil n’exerce aucun pouvoir étatique et que la mise en œuvre des recommandations émises relève du pouvoir discrétionnaire des autorités politiques. La participation des autorités religieuses au Collège des sages en 1999 relèvent également de ce cas de figure. En rappel, selon le décret n°99-158/PRES portant création, composition et missions du Collège de Sages, celui-ci avait entre autres pour mission « de faire des recommandations susceptibles de promouvoir la réconciliation nationale et la paix sociale ». A côté des organismes consultatifs, il y a des structures indépendantes de l’Etat auxquelles les autorités religieuses peuvent participer. Le cas de figure emblématique en l’espèce est clairement la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). En rappel, il appartient au Ministère de l’administration territoriale et de la sécurité d’organiser les élections. C’est le cas dans les vielles démocraties du monde et c’était aussi le cas dans notre pays jusqu’en mai 1998, lorsque la Commission Nationale d’Organisations des Elections (CNOE) a été remplacée par la CENI dont la dernière version institutionnelle relève du Code électoral du 3 juillet 2001. Ce changement institutionnel était essentiellement dû au fait qu’une telle structure entièrement dépendante de l’Etat était perçue comme peu crédible par les différents partis politiques de l’opposition et par la société civile. La création subséquente d’une Commission indépendante de l’Etat visait donc à rendre les élections plus crédibles et à instaurer la confiance entre les différents protagonistes. Elle a eu pour conséquence de légitimer la participation des autorités religieuses à une telle commission, précisément en raison de son détachement et de son indépendance supposée à l’égard de l’Etat. En dehors de la participation des organisations religieuses à des organismes consultatifs et/ou indépendants de l’Etat, ce dernier peut-il financer certaines activités des dites organisations sans risque d’atteinte à laïcité ? 2. Le financement des activités des organisations religieuses relevant d’une mission de service public n’est pas une atteinte au principe de laïcité Il appartient à l’Etat d’assurer les besoins de ses populations en matière de santé, d’éducation, etc. Cependant, l’Etat est rarement en mesure de remplir seul ses obligations dans ces domaines. Des entités privées peuvent ainsi pallier ses limites en la matière. Les organisations religieuses sont souvent investies dans le domaine de la santé et de l’éducation. Comme ces activités relèvent du service public, ces organisations peuvent recevoir un financement de l’Etat à condition qu’elles remplissent un certain nombre de conditions précisées dans un cahier de charges et qu’elles assurent l’accès sans discrimination des citoyens burkinabè aux services qu’elles proposent. A notre connaissance, le financement des écoles privées par l’Etat burkinabè n’a plus cours. A notre avis, en raison des ressources limitées de notre pays, il ne convient pas de réintroduire un tel financement. En dehors de ce cas bien déterminé des missions de service public, l’Etat peut également financer la reconstruction ou la restauration des lieux de culte qui appartiennent au patrimoine national sans remettre en cause le principe de laïcité. Un lieu de culte qui est en même temps un patrimoine culturel doit être préservé au même titre que tout le patrimoine culturel national. La grande mosquée de Dioulassoba (Bobo Dioulasso) relève de cette catégorie. Cette mosquée, candidate potentielle crédible au patrimoine mondial de l’UNESCO, est un patrimoine culturel et historique qui pourrait assurément bénéficier d’une subvention de l’Etat sans préjudice au principe de laïcité au cas où elle devait subir des travaux de restauration, en raison de son statut mixte de site cultuel et culturel d’envergure nationale. Tel n’est évidemment pas le cas de la subvention d’une activité cultuelle relevant strictement de la sphère privée tel que le pèlerinage à la Mecque ou en Terre Sainte. Il faut noter le cas particulier de l’organisation du pèlerinage à la Mecque. Autant que possible, l’organisation d’un tel pèlerinage doit revenir aux organisations religieuses. Cependant, en cas de défaillance de celles-ci, l’Etat a le droit et peut-être même le devoir de se charger de l’organisation d’un tel événement en raison de son obligation d’assurer la sécurité de ses citoyens quels qu’ils soient et de veiller au respect de leurs droits lorsqu’ils sont hors du territoire national. Les organisations religieuses ne se contentent pas de remplir des fonctions socio-éducatives. Elles s’expriment souvent sur la situation de la nation. 3. Les prises de position des organisations religieuses sur la vie politique nationale n’est pas une atteinte à la laïcité Depuis la prise de position en 2010 de la Conférence épiscopale du Burkina Faso sur la non-révision de l’article 37 de la Constitution, des débats ont eu lieu sur le droit pour une structure religieuse de prendre position sur une question politique. Ce débat s’est accentué ces derniers temps avec la prise de position de la même Eglise sur la pertinence de la création du Sénat et sur sa participation à cette institution. Dans le même temps, la pression s’est accentuée sur les autres organisations religieuses de notre pays, sommées de prendre position sur le Sénat. D’où l’interrogation suivante : les prises de position des organisations religieuses sur des questions touchant la vie politique nationale sont-elles une violation du principe de laïcité ? Il faut répondre par la négative à cette interrogation. Les organisations religieuses ont le droit de prendre position sur l’actualité politique nationale, et cela n’est pas une atteinte à la laïcité. Ce droit de prendre position se fonde sur le droit à la liberté d’expression dont sont titulaires aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. En tant que personne morale de droit privé, une organisation religieuse dispose donc du droit de donner son avis sur la situation nationale en vertu de son droit à la liberté d’opinion qui est une composante du droit à la liberté d’expression, et ce même si l’opinion émise ne va pas dans le sens des autorités politiques en place. En retour, ces dernières ne sont nullement tenues d’y donner une suite favorable. Comme l’a si bien relevée la Cour européenne des droits de l’homme, « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions essentielles primordiales de son progrès ; elle vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ; ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ». D’un côté, une organisation religieuse n’est pas obligée de prendre position sur des sujets brûlants. C’est la dimension négative de toute liberté : « la faculté de ne pas …. ». Il lui revient d’apprécier l’opportunité politique et morale d’une prise de position. De l’autre, si elle le faisait, cela ne pourrait être considéré comme une atteinte à la laïcité, car elle dispose d’un tel droit en vertu de son droit à la liberté d’opinion. Ce principe général comporte néanmoins une exception de taille, à savoir une prise de position d’une organisation religieuse en faveur d’un homme politique ou d’un parti politique à l’occasion d’une joute électorale. Une telle prise de position de la part d’une organisation religieuse reviendrait pour elle à chercher à s’identifier à un acteur politique. Si cet acteur politique devait par la suite gérer des affaires publiques, la question de son indépendance réelle à l’égard de l’organisation religieuse qui l’aurait soutenue se poserait inévitablement. Dans le contexte politique burkinabè, le droit des organisations religieuses de se prononcer sur l’article 37 de notre Constitution et sur la création du Sénat a d’autres fondements spécifiques. Pour ce qui est de l’article 37 de la Constitution, le fondement des organisations religieuses à prendre position est à rechercher dans le décret instituant le Collège des sages. En intégrant les autorités religieuses dans la composition de ce Collège, le gouvernement de l’époque a voulu en faire un organisme indépendant et impartial qui emporterait l’adhésion de toute la classe politique. Les autorités religieuses ont donc engagé leur crédibilité, ce qui les autorisent à attendre du gouvernement qu’il prenne au sérieux les recommandations dudit Collège des sages. Puisque la limitation du mandat présidentiel figurait parmi les recommandations du Collège des sages, la perspective du non-respect par le gouvernement de cette recommandation autorise les autorités religieuses à prendre position sur la non-mise en œuvre des mesures qu’elles ont contribuées à élaborer en vue de la paix sociale dans notre pays. En ce qui concerne le Sénat, le droit spécifique pour les autorités religieuses de prendre position sur sa création se fonde sur le fait que des sièges leur sont octroyées au sein de cette structure. L’octroi de sièges sénatoriaux aux différentes composantes religieuses obligent celles-ci à se prononcer sur la pertinence d’une telle institution dans notre contexte national. En l’absence de toute prise de position explicite de leur part, leur simple participation à cette institution constitue à n’en pas douter une adhésion à la pertinence de celle-ci. C’est pourquoi, il n’est pas possible pour les autorités religieuses d’afficher une position de neutralité à l’égard du Sénat. La seule porte de sortie neutre qui leur reste est alors d’invoquer le principe républicain de laïcité pour justifier un refus de participation au Sénat. II. La participation des organisations religieuses au Sénat est une violation du principe de laïcité et d’autres principes constitutionnels qui lui sont connexes La participation des organisations religieuses au Sénat remet en cause le principe de la séparation des structures religieuses de l’Etat (1), est une violation du principe de l’élection comme mode de désignation des parlementaires (2), et porte atteinte au principe de nullité du mandat impératif (3). 1. La participation des organisations religieuses au Sénat viole le principe de la séparation de la société civile et de la société religieuse Dans son Principe de politique constitutionnelle, Benjamin Constant déclarait que « la religion et l’Etat sont deux choses parfaitement séparées, dont la réunion ne peut que dénaturer l’une et l’autre ». La souveraineté de l’Etat appartient au peuple (article 32 de la Constitution) qui l’exerce à travers ses représentants. Le pouvoir souverain comprend les fonctions exécutives, législatives et judiciaires. Il en ressort que l’exercice du pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire pour une entité religieuse en vertu de sa nature religieuse est précisément une violation du principe de laïcité. Alors que la Constitution de certains pays tels que le Mexique (article 130 de la Constitution de 1922) et l’Argentine (article 17 de la Constitution de 1994) interdit aux ministres de culte l’accès aux fonctions politiques électives, la Constitution burkinabè n’interdit pas à une personnalité religieuse de se présenter à des élections. L’article 12 de la Constitution qui dispose que « tous les Burkinabè sans distinction aucune, ont le droit de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la société » ne mentionne aucune exception pour ce qui est des personnes occupant une fonction religieuse ou cultuelle. Il en ressort que Mgr Paul Ouédraogo, El Hadj Souleymane Compaoré et le Pasteur Samuel Yaméogo peuvent tout à fait se présenter à des scrutins nationaux ou locaux dans notre pays. Toutefois, ils ne peuvent le faire qu’à titre individuel et non en tant que représentants de leur communauté religieuse. C’est là toute la différence avec la participation des organisations religieuses au Sénat. En effet, au sein de cette institution, les personnes qui représenteront les communautés religieuses siègeront en tant que représentants de leurs communautés. Cette observation vaut pour les autorités coutumières. Or, à partir de leur élection, les députés et les sénateurs « représentent au Parlement la Nation tout entière et non la population des circonscription d’élection ». En permettant à des sénateurs de siéger en tant que représentants de leurs communautés religieuses, le gouvernement porte atteinte au principe de l’unicité du peuple burkinabè qui ne doit pas reposer sur des subdivisons religieuses, ethniques ou autres. Dans le cadre de la république, il n’y a pas des bobolais et des ouagalais, des Mossi et de Peuls, des musulmans et des chrétiens, mais simplement des citoyens burkinabè. La république dans son enceinte la plus sacrée qu’est le parlement, ne devrait pas connaître des distinctions sur la base de la religion, de l’ethnie ou autre. En effet, « la nation n’est pas le peuple réel dans toute sa diversité, mais le peuple pensé dans ce qui fait son unité. La nation ne connaît rien des races, des religions, des croyances, des ethnies ; elle ne connaît que des hommes libres et égaux en droit qui sont citoyens de la République ». Or, la participation des organisations religieuses au Sénat du fait de leur nature religieuse met en concurrence l’allégeance à la république avec d’autres formes d’allégeance dont l’allégeance religieuse. Elle accrédite l’idée que l’appartenance religieuse peut l’emporter sur l’appartenance nationale. Elle favorise le communautarisme. Elle favorise le développement des intérêts individuels aux dépens de l’intérêt national. Ainsi, les propos de El Hadj Souleymane Compaoré selon lequel : « Nous sommes prêts à aller au Sénat parce que les musulmans trouvent leurs intérêts dans le Sénat », ne peuvent être compris en dehors de la décision préalable qui a conduit à déterminer la composition du Sénat en prenant en compte des critères d’ordre religieux. En agissant de la sorte, le gouvernement a légitimé a priori tous les discours tendant à favoriser des intérêts particuliers sur les intérêts nationaux. De la sorte, le poids démographique vrai ou supposé attribué aux différentes communautés religieuses devient un critère décisif. C’est pourquoi M. Souleymane Compaoré pouvait ajouter que « les musulmans représentent 60% de la population au Burkina ». Ce n’est pas donc pas tant à M. Souleymane Compaoré qu’il faut s’en prendre qu’à ceux qui ont favorisé ce discours communautariste au lieu de promouvoir l’idée républicaine si importante pour un Etat-Nation en construction. L’article 8 de la Constitution du Niger dispose qu’« aucune religion, aucune croyance ne peut s’arroger le pouvoir politique ». On pourrait dire que dans le cas du Burkina Faso, le pouvoir politique est en train d’introduire les germes favorisant à moyen ou long terme un risque d’immixtion de structures religieuses dans l’exercice du pouvoir politique. Le parlementaire est censé être par excellence le représentant du peuple burkinabè. Lorsque celui-ci est choisi par une organisation n’ayant aucun mandat électif ni républicain, il s’agit d’une remise en cause du principe de l’élection comme mode de désignation des parlementaires dans le cadre du gouvernement représentatif. 2. La participation des organisations religieuses au Sénat viole le principe de l’élection comme mode de désignation des membres du parlement L’exercice du droit de suffrage et la qualité d’électeur sont étroitement liées à la souveraineté nationale en tant qu’elle représente l’universalité des citoyens. Choisir certains représentants du peuple par d’autres moyens que l’élection interroge la légitimité desdits représentants. Les parlementaires sont traditionnellement appelés « les élus ». Cette expression n’est évidemment pas fortuite car l’élection au suffrage universel direct ou indirect des membres du parlement est au fondement de la démocratie politique moderne. En effet, dans la démocratie athénienne, le tirage au sort était perçu comme le mode éminemment démocratique de désignation des autorités politiques tandis que l’élection était considérée comme fondamentalement aristocratique. C’est pourquoi Montesquieu pouvait encore dire au XVIIIe siècle que « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le tirage par le choix est celle de l’aristocratie ». Comment expliquer alors l’abandon du tirage au sort au profit de l’élection ? Bernard Manin nous en fournit la réponse en constatant qu’au XVII et au XVIIIe siècles, on est parvenu au « principe affirmé que toute autorité légitime dérive du consentement de ceux sur qui elle est exercée ou, en d’autres termes que les individus ne sont obligés que par ceux à quoi ils ont consenti. […] Quels que soient par ailleurs ses mérites et ses propriétés, le tirage au sort présente en effet ce caractère incontestable qu’il ne fait pas intervenir la volonté humaine et ne peut pas passer pour une expression du consentement. [...] En ce sens, le sort n’est pas, en lui-même, une procédure de légitimation du pouvoir, mais seulement une procédure de sélection des autorités et de répartition des charges. L’élection au contraire accomplit deux choses à la fois : elle sélectionne les titulaires des charges, mais en même temps, elle légitime leur pouvoir et crée chez ceux qui ont désigné un sentiment d’obligation et d’engagement envers ceux qu’ils ont désignés. Il y a tout lieu de penser que c’est cette conception du fondement de la légitimité et de l’obligation politique qui a entraîné l’éclipse du tirage au sort et le triomphe de l’élection ». Lorsque des parlementaires, des représentants du peuple, des sénateurs sont désignés par les organisations religieuses ou coutumières auxquelles ils appartiennent plutôt qu’élus par le peuple, la question de leur légitimité se pose donc avec acuité. L’un des principes de notre démocratie est que le peuple est l’auteur des lois lorsqu’elles sont adoptées par les parlementaires qui le représentent parce qu’ils sont choisis et légitimés par lui à travers l’élection car, comme l’a si bien relevé Rousseau, « le peuple soumis aux lois en doit être l’auteur ». A travers la désignation d’ « élus », ou plutôt de parlementaires par les organisations religieuses, coutumières, voire par le Président de la République, c’est ce principe qui est remis en cause. La source du pouvoir ne réside plus alors exclusivement dans le consentement et la volonté des gouvernés. En d’autres termes, la souveraineté nationale qui appartient au peuple et que celui-ci exerce de manière éminente à travers l’élection lui est retirée au moins partiellement pour être exercée par des organisations ou personnes dont la légitimité démocratique (à distinguer d’autres formes de légitimité) dans le cadre d’un gouvernement représentatif reste à établir. La participation des organisations religieuses ne porte pas seulement atteinte au principe de l’élection comme mode de désignation des parlementaires, il remet aussi en cause l’interdiction du mandat impératif. 3. La participation des organisations religieuses au Sénat remet en cause le principe de la nullité du mandat impératif Le mandat impératif est le mandat politique dans lequel le pouvoir est délégué à une personne ou une organisation pour mener une mission prédéterminée selon certaines conditions très strictes. Le non-respect de cette feuille de route implique une révocation du délégué. Le mandat impératif est lié à la notion de souveraineté populaire dans laquelle l’élu, le parlementaire représente ses électeurs et non la Nation tout entière. Le parlementaire est donc au service d’intérêts particuliers et peut être révoqué par ses électeurs si ceux-ci ont l’impression qu’il ne respecte pas le mandat à lui confié. Le mandat impératif s’oppose au mandat représentatif dans lequel l’élu n’est pas tenu par les promesses faites aux électeurs. Le mandat représentatif est lié à la notion de souveraineté nationale dans laquelle le parlementaire qu’il soit sénateur ou député ne représente pas ses électeurs mais la Nation toute entière. Il ne défend pas des intérêts particuliers mais les intérêts de la nation en général et ne peut être révoqué par ses électeurs s’il ne respecte pas ses promesses électorales. Alors que dans le mandat impératif, le parlementaire représente les intérêts d’un groupe qu’il soit politique, professionnel, ethnique, religieux ou linguistique, dans le mandat impératif, il représente les intérêts de la Nation dans sa globalité. En consacrant la notion de souveraineté nationale dans sa Constitution, le Burkina Faso a fort logiquement considéré en l’article 85 (1) de cette Constitution que « tout mandat impératif est nul ». Or, en permettant que des parlementaires soient désignés par des groupes religieux, professionnels ou coutumiers ou autres plutôt que d’être élus par les CITOYENS, le gouvernement accepte le principe que des parlementaires ne représentent plus la Nation mais des intérêts particuliers. Il s’agit d’une introduction de fait et de droit du mandat impératif. Alors que le mandat représentatif est général, non révocable et libre, il est permis de douter de la liberté d’un parlementaire à l’égard d’une organisation qui l’a désigné, d’un parlementaire qui ne dispose pas de la légitimité que confère l’élection. Selon l’article 85 (3) de notre Constitution, « Le droit de vote des parlementaires est personnel ». En quoi le droit de vote d’un parlementaire peut-il être personnel quand il a été désigné par un groupe religieux, coutumier ou professionnel ? il est en effet inimaginable que son suppléant lui aussi forcément désigné par le groupe qu’il représente puisse voter différemment. Le vote de ce parlementaire devient donc éminemment corporatiste et communautariste et porte atteinte à toute idée républicaine de la Nation. A quoi donc nous conduisent les développements précédents ? Le principe de laïcité est un principe d’organisation politique qui vise à protéger l’Etat des organisations religieuses, mais aussi les organisations religieuses de l’Etat. Il vise à empêcher l’exercice du pouvoir étatique qu’il soit exécutif, législatif ou judiciaire par les structures religieuses et dans le même temps, a pour objectif d’empêcher que l’Etat porte atteinte à l’autodétermination des organisations religieuses. Dans la tradition républicaine française, la laïcité a eu tendance à insister sur la menace que les religions pouvaient exercer sur l’Etat. Dans la tradition républicaine américaine à l’inverse, la laïcité insistait plus sur la menace que l’Etat pouvait représenter pour les diverses communautés religieuses. Le Burkina Faso a hérité de la conception française de la laïcité avec l’anticléricalisme et le sentiment antireligieux en moins. A l’image de la conception américaine de la laïcité qui ressort du premier amendement à la constitution de 1791, il existe clairement dans notre pays un préjugé favorable à l’égard de la religion. Cependant, la conception française de laïcité n’est pas tombée dans un terrain vierge en ce domaine. Les différents systèmes politiques précoloniaux qu’a connus notre pays acceptaient le principe du pluralisme religieux. Le Dieu ou les dieux du Roi n’était pas forcement celui ou ceux de ses sujets et dans les sociétés dites « acéphales », la liberté absolue de chaque famille dans le domaine cultuel était souvent la règle. De plus, les grands empires que l’Afrique de l’Ouest a connus durant le Moyen-âge acceptaient le principe du pluralisme religieux. Si Kanga Moussa était un musulman pieux qui a tenu à faire le pèlerinage à la Mecque, la majorité de ses sujets dans l’Empire du Mali étaient animistes. Il existait donc dans l’Afrique précoloniale, dans cette portion de terre qui est devenue le Burkina Faso, le principe d’une acceptation du pluralisme religieux, celui d’une équité des autorités politiques à l’égard de toutes les pratiques religieuses et enfin la relativisation de la foi religieuse des autorités politiques par rapport à celles des gouvernés. Notre pays est donc l’héritier de tous ces sédiments pour ce qui est des rapports entre la société civile et les sociétés religieuses. Ce qu’il faut souligner avant tout, est que la laïcité est applicable en premier lieu à l’Etat, c’est-à-dire qu’il revient à ce dernier dans ses différentes formes et démembrements de respecter et de s’appliquer ce principe en vue de la paix sociale. Nos analyses précédentes ont permis de constater malheureusement que le principe de laïcité pouvait être de façon flagrante violé par l’Etat ou par ses représentants. Dans ce cas, il revient aux organisations religieuses de tenter de le faire respecter puisque comme dit plus haut, ce principe vise aussi à les protéger. Ces derniers mois ont permis de voir à quel point les communautés religieuses de notre pays pouvaient être ébranlées, déboussolées et divisées par le simple fait de la question de leur participation au Sénat. Le désarroi que la plupart d’entre elles vivent en ce moment est dû essentiellement au fait qu’il n’est pas neutre ou indifférent pour une entité religieuse de participer à l’exercice du pouvoir politique. Elle se trouve en effet comptable du bilan de l’exécutif en général et du parlement en particulier. Cela signifie qu’elle sera coresponsable des succès mais aussi et surtout des échecs du gouvernement sorti de la majoritaire parlementaire. Il n’est pas non plus neutre pour une organisation religieuse de participer à l’exercice du pouvoir politique car ses fidèles et ses adeptes appartiennent de fait et inévitablement à plusieurs bords et sensibilités politiques. Par ailleurs, l’exercice du pouvoir politique amenuise considérablement l’indépendance des organisations religieuses à l’égard du pouvoir. Or, le principe de laïcité permet à celles-ci d’échapper à ces inconvénients en instaurant le principe de séparation des organisations religieuses et de l’Etat. Il est significatif que dans les différentes interventions des principales organisations religieuses de notre pays quant à leur participation ou leur non-participation au Sénat, aucune d’elles n’ait fondé son argumentation sur le principe de laïcité. Les évêques ont certes affirmé que « l’Eglise catholique, fidèle à sa nature et à sa mission ne participe pas aux organes délibératifs, exécutifs, législatifs ou judiciaires », mais ce faisant, ils se sont juste fondé sur la doctrine sociale de leur communauté religieuse. Cela est légitime en soi, toutefois, en s’appropriant le principe de laïcité, ils auraient pu aller plus loin en expliquant qu’en vertu du principe constitutionnel de laïcité consacré dans la Loi fondamentale de notre pays, ils n’étaient pas en mesure de participer au Sénat. Leur argumentation aurait alors dépassé le simple cadre de la doctrine politique d’un groupe particulier pour incarner une position significative et opposable à tous les citoyens, gouvernants comme gouvernés, et à toutes les composantes religieuses de notre pays. La position ambigüe des Eglises évangéliques incapables de se décider car conscientes de la délicatesse de la question et les divisions affichées par la Oumma confirment l’intérêt pour ces dernières de s’abriter derrière le principe de laïcité pour rétablir la sérénité dans leurs rangs. En se fondant sur ce principe pour justifier leur non-participation au Sénat, elles font coup double, renvoyant d’une part le gouvernement à ses obligations de respect de la Constitution et préservant d’autre part l’unité en leur sein. Rien n’est en effet plus redouté par une organisation religieuse que la division en son sein, ce que l’on appelle de façon classique la fitna ou le schisme (selon que l’on est musulman ou chrétien). Si les communautés religieuses abdiquaient finalement devant leur droit de faire respecter la laïcité dans le cadre de leur participation ou non au Sénat, il reviendrait aux citoyens, transcendant toute appartenance religieuse ou confessionnelle d’obliger nos gouvernants à le faire. Le Burkina Faso en tant qu’Etat membre de la CEDEAO a ratifié le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Selon l’article 1(f) de ce Protocole, « l’Etat est laïc et demeure entièrement neutre dans le domaine de la religion. […] La même laïcité s’impose à tous les démembrements de l’Etat […] ». La Cour de justice de la CEDEAO peut être directement saisie par les individus. En faisant prévaloir le lien de connexité entre le principe de laïcité et le droit à la liberté de religion, il est possible de contraindre notre Etat à respecter ses obligations internationales dans ce domaine devant la Cour de justice de la CEDEAO. Parmi les recommandations du Forum national de laïcité qui s’est tenu en septembre 2012, l’une des recommandations des participants était « l’enseignement de la constitution du 11 juin 1991 dans les langues locales ». Cette recommandation se justifiait sans doute par le fait que la Constitution en général et la laïcité en particulier n’est pas seulement une affaire des gouvernants et des communautés religieuses, mais aussi celle des citoyens. En recourant à toutes les voies démocratiques pour obliger les gouvernants à reconsidérer la participation des communautés religieuses au Sénat, les citoyens ne feraient que rappeler ce simple fait. Le droit et le devoir de respecter et de faire respecter la Constitution incombent principalement aux gouvernants, et subsidiairement aux communautés religieuses et aux citoyens. Nos gouvernants devraient de façon générale se rappeler que les conditions qui ont conduit en 2001 à la suppression de la Chambre des représentants n’ont pas disparu. La mise en place du Sénat n’est donc ni nécessaire ni opportune. Mais si ceux-ci devaient maintenir coûte que coûte cette institution, il faudrait alors revoir sa composition quant à la participation des communautés religieuses (mais aussi coutumières) pour se conformer aux principes républicains dérivant de notre Constitution. Cette contribution au débat sur le Sénat était en cours de rédaction lorsque le Président de la république a demandé au CCRP de lui faire de nouvelles propositions au plus tard à la date du 31 août 2013. Cette sortie du Président de la République a pu laisser penser que le principe d’un Sénat était en voie d’abandon. Les derniers développements ont permis de voir qu’il n’en était rien, et les rencontres récentes entre le Président du Faso et les différentes communautés religieuses de notre pays sur leur participation au Sénat m’ont finalement convaincu de la pertinence de cette contribution. Au cours du Forum national sur la laïcité organisé du 27 au 29 septembre 2012 à Ouagadougou, le Premier ministre Luc Adolphe Tiao avait déclaré que l’Etat allait assumer ses responsabilités à l’abri de toute influence religieuse et affirmé qu’il fallait tout faire pour ne pas perturber la cohabitation « paisible et harmonieuse » entre les partisans des différentes confessions religieuses tout en évitant au peuple d’expérimenter les effets néfastes de l’extrémisme. Ces propos qui traduisent apparemment un souci réel de respecter le principe de laïcité ne doivent pas se limiter à être un discours de circonstance prononcé fort opportunément, mais doivent être effectivement mis en pratique. Cela commence par reconsidérer la question de la participation des organisations religieuses au Sénat. Sanwé Médard KIENOU Un citoyen burkinabè
Posted on: Sun, 22 Sep 2013 12:43:37 +0000

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