La symbolique du noir chez les Abbassides (du blanc chez les - TopicsExpress



          

La symbolique du noir chez les Abbassides (du blanc chez les Omeyyade au vert chez les Fatimides) Les califes Abbassides ont adopté le noir comme couleur du pouvoir. La symbolique de cette couleur est liée au Prophète qui était le neveu d‟al-„Abbâs, aïeul des Abbassides. Ces derniers puisaient leur légitimité religieuse et historique et leur idéologie du pouvoir. L‟étendard noir du Prophète(ou des Abbassides) a gagné du terrain. Du Khurâsân, il a conquis tout l‟empire islamique. Le vêtement noir devenait l‟habit du calife, de ses fonctionnaires et militaires. Mais aussi toute la population devait mettre cette couleur comme signe de soumission à l‟Etat et à l‟idéologie abbasside. Les ennemis des Abbassides, Shîtes Alaouites ou partisans des Omeyyades etc.., ont marqué leur refus du pouvoir et de l‟idéologie abbasside parl‟adoption d‟une autre couleur verte ou blanche. L‟avènement des Fatimides avec l‟obligation de porter le vert correspondait à la date de la mort politique des Abbassides. Le noir revient actuellement dans le monde arabe et islamique et est porteur d‟un nouveau message déologique et religieux les Abbassides- le noir-étendard-„imâma- le Prophète-Khurâsân-Mawâlî- AlMussawîda- Al-Ma‟moun- le vert-„Ali Ibn Abî Tâlib -les Shîtes-les Omeyyades-le blanc-jizya. Introduction Le noir était une couleur choisie par les Abbassides afin d‟établir une nouvelle symbolique dupouvoir. Les Abbassides ont inauguré une nouvelle ère idéologique dans l‟institution du califat, une période caractérisée essentiellement par l‟appartenance à la famille du Prophète. Le noir sobre, simple et austère rentre apparemment dans le cadre d‟une nouvelle symbolique du pouvoir. Les sources arabes présentent un problème majeur pour notre étude consistant dans la rareté des informations. Cette étude nous pose plusieurs problématiques : comment le noir était-il un vecteur d‟influence chez les « Abbassides » ? Comment les « Abbassides » ont-ils réussi à imposer le noir comme couleur officielle du pouvoir ? Comment cette couleur a t elle évolué tout au long de l‟époque abbasside ? Et enfin comment cette couleur a-t-elle pu drainer les foules dans le monde arabo-islamique jusqu‟à nos jours ? L‟étude de la couleur noire pour l‟historien de l‟Islam s‟inscrit dans le cadre d‟une étude spécifique. Michel Pastoureau considère que les couleurs de l‟historien, du sociologue ou de l‟anthropologue ne sont pas celles du neurologue ou du biologiste : « Pour l‟historien, parler de couleur, c‟est donc parler tout d‟abord de l‟histoire des mots et des faits de langue…Mais c‟est aussi et surtout parler de sa place dans la vie quotidienne, des codes et des systèmes qui l‟accompagnent, des règlements émanant des autorités, des morales et des hommes de science, des inventions des hommes de l‟art ». Pastoureau précise que « la couleur noire est alors mise en avant comme symbolique d‟une force de vie, d‟une force créatrice et d‟une lumière née….. ». Pastoureau a démontré également que « Le symbole est toujours plus fort et plus vrai que la personne ou la chose réelle qu‟il a pour fonction de représenter parce que, au Moyen Age, la vérité se situe toujours hors de la réalité, à un niveau qui lui est supérieur. Le vrai n‟est pas le réel » 3 . « L‟accent mis sur le mode d‟intervention du symbole plus que sur le répertoire grammatical des équivalences ou des significations souligne également comment, dans les sociétés médiévales, il est impossible de séparer les pratiques symboliques des faits de sensibilité. Dans le monde des symboles, suggérer est souvent plus important que dire,sentir que comprendre, évoquer que prouver ». Ainsi le noir a été choisi par les Abbassides comme vecteur d‟influence dans la vie politique et idéologique. Si les Abbassides se sont approprié cette couleur sobre c‟est qu‟ils considèrent que le noir, ayant appartenu au Prophète, leur revient de droit. En effet, les Abbassides se voient comme les seuls détenteurs de la légitimité religieuse car leur aïeul est l‟oncle du Prophète. Toutefois, cette couleur va marquer le monde musulman dans sa totalité et elle reviendra en force ces deux derniers siècles pour représenter l‟idéologie shîte alaouite en Iran et en Iraq. Une couleur du Prophète La coiffe,‘imâma’ 5 (coiffure) du Prophète était noire1 (au moment de la conquête de la Mecque en l‟an 8 de l‟Hégire). Les étendards/ bannières –râyât- (symbole de la victoire militaire du Prophète face aux mécréants de sa propre tribu Quraysh) étaient également noirs. Les étendards assurent une fonction militaire : « Au Moyen Age, l‟emblème n‟est pas le symbole, même si la frontière entre le premier et le second reste toujours perméable. L‟emblème est un signe qui dit l‟identité d‟un individu ou d‟un groupe d‟individus : le nom, l‟armoirie, l‟attribut iconographique sont des emblèmes. Le symbole au contraire a pour signifié non pas une personne physique mais une entité abstraite, une idée, une notion, un concept ». Les Abbassides ont adopté l‟étendard du Prophète et l‟ont chargé d‟une symbolique nouvelle et efficace « Les drapeaux et leurs ancêtres-bannières, enseignes, gonfanons, étendards,etc.-constituent pourtant des riches documents d‟histoire politique et culturelle. A la fois images emblématiques et objets symboliques, ils sont soumis à des règles d‟encodage contraignantes et à des rituels spécifiques qui, progressivement, les ont placés au cœur de la liturgie étatique et nationale3 ». Dans ce travail, nous tenterons de souligner l‟importance politique et militaire des étendards abbassides. Couleur de mobilisation Autour du noir, les Abbassides ont drainé toute l‟opposition essentiellement les Arabes et les Mawâlî ou les « „Ajam » (étrangers) convertis à l‟Islam mais marginalisés par le pouvoir omeyyade, au Khurâsân (wilâya-ou gouvernorat perse d‟une importance stratégique à l‟Etat omeyyade). Le noir est ici mobilisateur des Arabes et des « ‘Ajam » sous la même bannière (noire) de l‟Islam. Au moyen de cette couleur va un rapprochement donc opérer et surtout un brassage entre les arabes et les Mawâlî. Le noir facilitait de ce fait une politique d‟islamisation longtemps prohibée par les Omeyyades. Les Mawâlî ou étrangers convertis à l‟Islam devaient payer la capitation ou jizya à l‟Etat omeyyade. Ceci a constitué une violation des préceptes du Coran (égalité entre les musulmans). L‟étendard abbasside unissait les sympathisants des Abbassides, arabes et étrangers pour la première fois dans l‟histoire de l‟Islam. Abû Muslim al-Khurâsânî (chef de la révolution abbasside et lui-même un mawlâ) était le premier à officialiser le noir qui était devenu un signe d‟apparat dans le vêtement, les bannières et les étendards4 .Cette armée aux étendards noirs était invincible : la noirceur des bannières a signé la défaite de l‟armée omeyyade et la fin de cet Etat. Marwân II a vu un groupe de corbeaux qui volaient à côté des étendards noirs des Abbasides5 . L‟apparition de cette famille de corbeaux a été fatale pour les Omeyyades. Le corbeau est un oiseau détesté dans toutes les cultures. Pastoureau présente le corbeau comme le « premier oiseau nommé par la Bible, et deuxième animal après le serpent-apparaît comme une créature négative, un être charognard, un ennemi de Dieu. Ce qu‟il restera tout au long de l‟Ancien Testament, vivant dans les ruines, dévorant les cadavres, crevant les yeux des hommes pécheurs. La colombe, au contraire est obéissante et pacifique. Dès lors, chacun des deux oiseaux transmet à sa couleur la symbolique qui est la sienne dans l‟histoire de l‟arche : le blanc est pur et vertueux, signe de vie et d‟espérance ; le noir est sale et corrompu, signe de péché et de mort... » Ce signe de mauvaise augure précédant la dernière bataille a annoncé au dernier calife omeyyade sa défaite et sa mort (un nuage noir). Ses hommes ont également eu peur et se sont découragés. Le terme utilisé pour désigner la victoire des „Abbassides est Yusawwâdû : « s‟habiller en noir » c‟est-à-dire adopter l‟idéologie „abbasside au Khurâsân. Les Abbassides et leurs sympathisants sont appelés al-Mussawîda3 « ceux qui portent le noir ». Le noir était devenu une couleur politique. Une couleur du pouvoir Le noir est l‟absence de toute couleur. Le terme premier pour désigner le noir, en arabe, est l‟adjectif « aswad »/ « sawdâʼ ».La même racine s-w-d nous donne l‟adjectif « aswad » (noir) et le substantif « sayyid » (cf. le Sid) : le chef, le maître.Cette parenté étymologique et sémantique ne semble pas fortuite. La racine, avec ses deux dérivés, a tout l‟air d‟impliquer une notion de pouvoir, d‟autorité, de dignité. Les Arabes ont-ils senti dans le noir une couleur maîtresse, qui aurait exercé sur eux une fascination mêlée de crainte ? Le noir, c‟est à proprement parler l‟ombre, l‟obscurité, la nuit, le mystère qui imposent le respect. Le noir, c‟est la livrée de la mort, du deuil et de toutes les tristesses. La tradition de nos vêtements de deuil vient de loin (Chine,Grèce,Inde,Perse). Comme l‟indique Pastoureau, cette couleur joue un rôle très particulier dans un très grand nombre de cultures. Condensant à la fois l‟imaginaire de la mort, de la nuit et des origines, elle semble bien armée pour s‟ancrer de façon ferme dans nos esprits. La couleur est envisagée, au niveau purement perceptif, avec ses trois variantes sensorielles de tonalité(« couleur » au sens strict du terme),luminosité ou leucie(« valeur » des peintres) et saturation(« vivacité » ou « intensité » de la couleur) :ce sont les trois composantes psycho-physiologiques de la couleur. Le noir n‟est pas une couleur pas plus d‟ailleurs que le blanc. Si le blanc est la réunion de toutes les couleurs, le noir est l‟absence de toute couleur, c‟est-à-dire de toute lumière. Le corps noir en physique est celui qui, absorbant toutes les lumières, n‟en transmet aucune. Le noir a connu une institutionnalisation différente avec les Abbassides. La racine s-w-d implique une notion de pouvoir, de puissance. Le terme « sayyid » (maître) en est issu. Le substantif « al-aswad »(le noir), se rencontre aussi avec des sens très variés.„Ȃisha,une des épouses du Prophète, disait que Muhammad et elle avaient été dans un tel état de pauvreté qu‟ils n‟avaient pour toute ressource(nourriture) que « les deux noirs »(al-aswadân). Pour certains, cette expression désignait les dattes et l‟eau. Le masdar « sawâd » qui donne le nom de couleur « assawâd » (la noirceur), revêt aussi le sens de cohue, de foule, de multitude, de nuée. La région très fertile en palmiers et vergers qui s‟étendait autour de la ville de Kûfa en Iraq est appelée « AsSawâd, un vert foncé qui tend vers le noir. Nous rencontrons, dans la littérature de l‟Espagne arabo-musulmane comme celle d‟Orient, le substantif « ad-dahmâʼ » pour désigner les gens de condition obscure2. Ainsi, le noir dans la langue arabe, exprime en même temps la noblesse, la pauvreté et la couleur vert foncé. Il devient donc une couleur riche, chargée de messages idéologiques. Les Abbassides ont généralisé le port du noir à toutes les catégories sociales et administratives à partir de l‟année 153 de l‟hégire : le calife al-Mansûr a obligé la populace à se vêtir en longs qalânis(noirs) 3( longues tuniques pour hommes) et ce, contrairement aux pratiques Omeyyades plus élitistes en matière d‟habillement. Le noir devient la couleur officielle : le vêtement califal ainsi que les habits des officiers dans l‟armée, ceux des fonctionnaires de l‟Etat comme la police par exemple étaient obligatoirement noirs. La fille du calife al-Mahdî, était une femme policière et était également vêtue de noir. Son père l‟aimait à tel point qu‟il l‟a vêtue en garçonne et elle se déplaçait avec lui à cheval. Le noir devient la couleur religieuse par excellence mais une différence énorme existe au niveau de l‟étoffe. Le noir des califes est brillant et lumineux tandis que l‟autre noir des fonctionnaires et du peuple est mat. La couleur noire est un construit social, un construit profondément ambigu puisqu‟il existait, dans les sociétés anciennes deux mots pour qualifier le noir : « en latin,niger,désigne le noir brillant(il a donné le français « noir »),et ater signifie « noir mat,noir inquiétant » .Une couleur idéologique« Quelques auteurs estiment qu‟il existe un lien entre le mot color et le verbe celare(cacher). La couleur, c‟est ce qui cache, ce qui dissimule, ce qui trompe. Les spéculations étymologiques des Anciens rejoignent ici l‟opinion de quelques savants du XXesiècle, n‟hésitent pas à inclure, à leur tour, le mot color dans la grande famille des termes latins évoquant l‟idée de cacher : celare, clam (en cachette), clandestinus (clandestin), cilium (paupière), cella (cellier, chambre), cellula (cellule), caligo (brouillard,obscurité), etc., tous termes s‟articulant autour du même radical ». Les Abbassides sont les seuls détenteurs de la légitimité au dépens de leurs cousins Alaouites (fils de „Ali Ibn Abî Tâlib, cousin et gendre du Prophète). Ils ont usurpé le pouvoir et ils ont persécuté les Shîtes Alaouites.L‟idéologie abbasside s‟est propagée rapidement comme une sorte de contagion. Le noir avait une charge symbolique très forte. Le qâdî(juge) Abû Yûssuf du calife Hârûn al-Rashîd) trouvait de la lumière divine dans le noir2 , une façon de vanter le noir car un faqîh(un savant dans le Coran et la tradition prophétique) abbasside a affirmé que le noir est la couleur la plus détestable puisqu‟elle est interdite en pèlerinage, qu‟aucun mort ne peut la mettre comme linceul et qu‟aucune mariée ne la porte. Le noir des Abbassides impose l‟idéologie islamique : renforcement du Coran et de la Sunna du Prophète (c‟est-à-dire la tradition prophétique). A travers cette couleur, les Abbassides se présentent comme les seuls parents du Prophète. Chez les Abbassides, le noir acquiert une forte charge symbolique et affective puisque derrière le noir, c‟est la présence du Prophète Muhammad lui-même qui est suggérée. Le noir est supposé renvoyer à la présence de „Ali, mais ceci n‟était qu‟un camouflage pour usurper le pouvoir aux dépens des Shîtes Alaouites ou descendants de „Ali. Se considérant comme les seuls représentants du Prophète et les continuateurs de sa mission religieuse et métahistorique, les Abbassides ont annoncé la rupture idéologique avec les Omeyyades, anciens mécréants de Quraysh, qui ont été anti-islamiques. Les Abbassides leur reprochent surtout d‟avoir marginalisé et occulté le souvenir du Prophète. La couleur noire, brandie par les Abbassides s‟oppose au blanc des Omeyyades couleur officielle de l‟étendard, mais aussi au rouge et au jaune, couleurs du pouvoir omeyyade. Le blanc qui était la couleur officielle des Omeyyades3 ,est une couleur qu‟on peut mettre dans la vie de tous les jours et qu‟on utilise comme linceul (un hadith) . L‟historien tunisien Mohamed Tahar Mansouri l‟a démontré dans un livre sur les vêtements à l‟époque islamique : « …Or a posteriori le blanc va devenir la couleur distinctive des Omeyyades. En 132h./750, après la prise du pouvoir par les Abbassides, Abi al-Ward ,compagnon de Marwân b. Muhammad, qui avait d‟abord reconnu l‟autorité du nouveau calife abbasside Abu‟l Abbâs al-Saffâh, se rebella en arborant la couleur blanche au lieu du noir, couleur officielle des Abbassides. Il ordonna même à ses administrés de porter du blanc en signe de révolte et de soutien au rétablissement des Omeyyades. Le blanc devint donc une couleur omeyyade et le verbe blanchir prît le sens de se révolter en souvenir des Omeyyades ou de s‟afficher comme partisan de la reconstruction de leur autorité perdue » . En outre, les Omeyyades se réservaient la soie rouge et jaune (couleurs du pouvoir) et offraient les autres couleurs à leurs alliés2 . Le rouge rappelle le pourpre romain et byzantin, couleur officielle des empereurs3 . Par contre, le noir est flamboyant et brillant et peut renvoyer notamment chez les mystiques musulmans à une image qui consisterait à pénétrer un territoire presque infini, celui de la divinité qui éblouit4 . Le noir était à l‟époque médiévale en Occident, la couleur du diable associé aux ténèbres, à la nuit et au monde souterrain. « Ils (les diables) deviennent nombreux au XIIIe siècle, spécialement dans le vitrail, et contribuent à leur tour à dévaloriser la couleur qui les habille. L‟origine s‟en trouve probablement dans l‟hostilité croissante entre chrétiens et musulmans : le vert étant la couleur emblématique du Prophète et la couleur religieuse de l‟Islam, l‟iconographie chrétienne, à l‟époque des croisades, se plaît à l‟employer pour peindre les diables et les démons » 5 . Le noir était ainsi devenu une couleur « positive » en Occident à partir de la Renaissance. Il incarnait l‟élégance par excellence : « …Le noir protestant et le noir catholique semblent en effet se rejoindre (sinon fusionner) pour faire de cette couleur la plus employée dans le vêtement masculin...le noir domine et sa nature est double. Il y a, d‟une part, le noir des rois et des princes, le noir luxueux, né à la cour de Bourgogne à l‟époque de Philippe le Bon et transmis à la cour d‟Espagne avec l‟ensemble de l‟héritage bourguignon ; et de l‟autre, le noir des moines et des hommes d‟Eglise, celui de l‟humilité et de la tempérance, celui aussi de tous les mouvements qui prétendent, à un titre ou un autre, retrouver la pureté et la simplicité de l‟Eglise primitive6 ». En outre, les Abbassides ont donné au noir une fonction messianique qui a été très efficace dans l‟élaboration et la consolidation de l‟Etat abbasside. Le noir est une couleur messianique Le message messianique est lié au noir idéologique. « L‟exhibition par les Hachémites d‟étendards noirs, adoptés plus tard comme emblèmes pour la dynastie abbâsside, avait à ce moment une signification messianique. Les étendards noirs figuraient parmi les signes et les présages énumérés dans les prophéties eschatologiques courantes à cette époque ; ils avaient déjà été utilisés comme emblèmes de révolte religieuse par les rebelles anti-Umayyades. Leur utilisation par Abȗ Muslim constituait donc un encouragement aux espérances « messianiques » 1 . « Les étendards noirs ou rayât soûd viendront du Khurâsân, ils batteront tout ceux qui se trouvent sur leur chemin….Quraysh est versé dans une Fitna (la dicorde) jusqu‟à l‟arrivée de personnes de l‟Orient, vêtus de noir, leurs drapeaux sont noirs, ils sont imbattables. La Fitna sera vaincue grâce à eux et ils accorderont le pouvoir à mon proche» (Un hadith) 2 . Une couleur ambivalente Couleur du pouvoir mais aussi du mal, de la mort, de l‟abîme, dans l‟histoire des superstitions du monde musulman, la couleur noire occupe une place de choix. Citons, à titre d‟exemples : Le mythe du chat noir, dont le pouvoir magique est immense. Création de Satan, il immunise des maladies celui qui mange sa chair. Sa rate accrochée à une femme qui a ses menstrues, les arrête, etc. Le mythe de l‟oiseau noir est encore plus vivace. L‟oiseau, par lui-même contient de nombreux symboles. Ceux-ci sont renforcés quand l‟oiseau se trouve être de couleur noire…Le corbeau est d‟ailleurs l‟oiseau fatidique par excellence : son cri est désagréable et lugubre et sa couleur est noire. Il exerce chez maints peuples musulmans-comme il le fit, d‟ailleurs, parbeaucoup d‟autres peuples-une influence funeste, de pessimisme et de mauvaise augure… Dans le langage populaire, l‟ennemi juré est qualifié de « aswad al-kabid »(noir de foie, ou en l‟occurrence noir de cœur) : « qalb aswad »(un cœur noir) s‟applique à une nature basse et vulgaire. Pour toutes ces raisons et en relation essentiellement avec des motifs idéologiques, le noir a été « attaqué » à l‟époque abbasside. Une propagande contre le noir Les Shîtes Alaouites, ennemis des Abbassides, ont raconté que „Ali Ibn Abî Tâlib a dit : « Le noir est la couleur des Pharaons (c‟est-à-dire les „Abbassides). C‟est interdit de s‟habiller avec cette couleur. Une crise éclata en pleine période de croissance du pouvoir „abbasside. « Il semble que le premier dirigeant à faire de la couleur verte, la couleur officielle de son règne, fut al-Ma‟moun. Il aurait ordonné à Tâhir b. al-Husain de remplacer la couleur noire de ses vêtements par le vert et aurait ordonné aux officiers, aux officiels ainsi qu‟aux habitants de Bagdad de porter des vêtements de couleur verte. Cette décision ne fut pas appréciée par les Abbassides et leurs fidèles qui y ont vu une rupture avec leurs habitudes. Cet épisode est en relation avec le choix du futur calife et héritier d‟al-Ma‟moun qui n‟est autre que „Ali al-Ridha de la branche Alide parmi les descendants du Prophète à laquelle les Abbassides et les „Alides se rattachent par une relation du sang ou d‟ascendance. L‟adoption du vert au détriment du noir abbasside, fut même considéré comme une hérésie et un écartement de la tradition des ancêtres, voire un retour aux traditions sassanide qui lui aurait été inspirée par l‟un de ses proches,al-Fadhl Ibn Sahl. En conséquence, certains d‟entre eux se sont trouvés soutenir ses opposants et soutenir les révoltes qui se réclamaient de la tradition des ancêtres». Le vert avait plusieurs significations chez les musulmans. « Le vert est synonyme de la nature. C‟est la couleur dominante des végétaux. C‟est aussi celle de l‟eau, des fleuves et des lacs. Elle est à l‟origine même de la vie. Cet aspect de la couleur verte nous semble indispensable à souligner, pour sentir toute la valeur qu‟elle a revêtue dans la psychologie d‟un peuple très sensible aux dons de la nature et originaire de contrées souvent arides » 5 . Le Coran a précisé au surate ar-Rahmân l‟existence de deux jardins verts destinés aux élus d‟Allâh. Le Prophète avait aussi un burd vert6 (un habit). Le calife s‟est installé à Rusâfa (une nouvelle ville califale à l‟époque des Abbassides): ses habits, ceux de ses courtisans, leurs tentes, et leurs étendards étaient verts. On entrait chez calife habillé en vert, les habitants de Bagdad et les Banû Hâshim portaient tous cette couleur. Pendant huit jours, ils s‟étaient mis à déchirer tout ce qui était en noir. Tout le monde a obéi à l‟ordre du calife de porter le vert au lieu du noir sauf Ismâ„il Ibn Ja‟far Ibn Sulaymân Ibn „Ali al-Hâshimî. Ce gouverneur d‟al-Ma‟moun à Basra a refusé de mettre du vert car il considérait cet acte comme une violation de la loi divine7 . Il a par ailleurs décrété que la meilleure personne après le Prophète est „Ali ibn Abî Tâlib8 . Il a classé „Ali au-dessus d‟Abî Bakr et de „Umar, ce qui a mené à une discorde. Les banû al-„Abbâs et les généraux du Khurâsân ont reproché au calife d‟avoir abandonné la couleur de ses pères, de sa famille et de leur Etat et d‟avoir adopté le vert. Ils ont finalement demandé au calife de revenir au noir,vêtement de l‟Etat de ses Pères . Le noir a gardé tout son éclat pendant la période abbasside. Les Fatimides ont adopté de nouveau le vert. C‟est avec les Shîtes, en Iran et en Iraq, que le noir revint en force pour véhiculer jusqu‟à nos jours une idéologie shîte nouvelle. Le legs de la symbolique à travers la couleur persiste. Conclusion Les Abbassides ont réussi à établir leur couleur noire comme la couleur du pouvoir. Cette couleur était aussi un rappel continuel aux musulmans d‟une appartenance à la famille du Prophète ou Ahl al-Bayt. A travers cette symbolique, ils ont pu dominer politiquement et idéologiquement. Mais l‟avènement des califes Fatimides qui ont adopté le vert, a détruit cette symbolique. Les Shîtes Alaouites en Irak et en Iran réussirent à faire triompher de nouveau la couleur noire qui symbolise pour toujours« le deuil de Karbalâ », c‟est-à-dire le massacre d‟al-Husayn Ibn „Ali et tous ses fils par l‟armée omeyyade en Iraq.
Posted on: Mon, 29 Jul 2013 18:36:42 +0000

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