Larbre de mon climat à moi, cest lolivier ; il est fraternel et - TopicsExpress



          

Larbre de mon climat à moi, cest lolivier ; il est fraternel et à notre exacte image. Il ne fuse pas dun élan vers le ciel comme vos arbres gavés deau. Il est noueux, rugueux, il est rude, il oppose une écorce fissurée mais dense aux caprices dun ciel qui passe en quelques jours des gelées dun hiver furieux aux canicules sans tendresses. A ce prix, il a traversé les siècles. Certains vieux troncs, comme les pierres du chemin, comme les galets de la rivière dont ils ont la dureté, sont aussi immémoriaux et impavides aux épisodes de lhistoire ; ils ont vu naître, vivre, et mourir nos pères et les pères de nos pères. A certains on donne des noms comme à des amis familiers ou à la femme aimée (tous les arbres sont chez nous au féminin) parce quils sont tissés à nos jours, à nos joies, comme à la trame des burnous qui couvrent nos corps. Quand lennemi veut nous atteindre, cest à eux tu le sais, quil sen prend dabord. Parce quil pressent quen eux une part de nous gît… et saigne sous les coups. Lolivier, comme nous, aime les joies profondes, celles qui vont par-delà la surface des faux-semblants et des bonheurs dapparat. Comme nous, il répugne à la facilité. Contre toute logique, cest en hiver quil porte ses fruits, quand la froidure condamne à mort tous les autres arbres. Cest alors que les hommes sarment et les femmes se parent pour aller célébrer avec lui les rudes noces de la cueillette. Il pleut, souvent il neige, quelquefois il gèle. Pour aller jusquà lui, il faut traverser la rivière et la rivière en hiver se gonfle. Elle emporte les pierres, les arbres et quelquefois les traverseurs. Mais quimporte ! Cela ne nous a jamais arrêtés ; cest le prix quil faut payer pour être de la fête. Le souvenir émerveillé que je garde de ces noces avec les oliviers de lautre côté de la rivière - mère ou marâtre selon les heures - ne seffacera de ma mémoire quavec les jours de ma vie. Et puis quoi ? Rappelle-toi : lolivier cest larbre dAthéna, déesse de lintelligence. Athéna, sortie toute armée du cerveau de Jupiter (nest-ce pas une merveilleuse chose que de pouvoir ainsi à lagréable et utile, joindre lintelligence ?), Athéna, déesse aux symboles libyens (légide dit Hérodote cest le nom berbère du chevreau et cest vrai, cest le même mot quon emploie aujourdhui: Ighid). Te dirai-je, Jean, quil ne me déplaît point que larbre de nos champs plonge si loin les racines de son inusable vitalité ; les dieux de ces temps traversaient les mers pour aller féconder dautres terres (et de quelle façon !). Larbre et sa couleur bi-chrome : les feuilles sont vertes dun côté, blanches de lautre et tu ne sais jamais, quand tu es dessous, quel ton va prendre sous le vent la chevelure diaprée qui chatoie par-dessus toi. Je sais, des fois âpres et exclusives sont venues depuis, des fois nées dans les déserts sans arbres qui ont relégué les divinités humaines et douces dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts : nous navons plus, hélas, la déesse casquée, mais Jean, il nous reste au moins larbre de ses vœux, celui dont elle fit don à la plus humaine des cités. Extrait dun entretien de Mouloud Mammeri avec Jean Pelegri, Numéro 0 de Dunes internationales, 1988. marenostrumarcadia.org/index.php?option=com_content&view=article&id=21:mammeri-qlarbre-de-mon-climat-a-moi-cest-lolivierq&catid=7:mythes-kabyles&Itemid=152
Posted on: Tue, 29 Oct 2013 02:09:45 +0000

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