Le théâtre, les jeux de rente et les festi-bouffes Par Ahmed - TopicsExpress



          

Le théâtre, les jeux de rente et les festi-bouffes Par Ahmed CHENIKI Jamais le théâtre na connu une situation aussi tragique. Le public a fini par déserter les travées dun territoire artistique, broyé par les petites affaires et une absence presque totale dintelligence, se suffisant du nombre de pièces produites comme si jouer devant des salles souvent vides était la vocation dune entreprise culturelle alors que les centres culturels français font salle comble. Aujourdhui, les structures théâtrales publiques dont lorganisation ne correspond plus aux réalités du moment, ne semblent pas trop accorder beaucoup dimportance à cette question essentielle quest le public. Il faudrait voir comment fonctionne la préparation des «générales» et de la suite pour sen convaincre. Une corvée à passer. Les pièces sont produites à la va-vite, mal phagocytées et manquant sérieusement de profondeur et de densité sur les plans dramaturgique et scénographique. Linterprétation laisse souvent à désirer. La foule ne peut, dans ces conditions, se déplacer pour aller assister à un spectacle qui napporte absolument rien de probant et de beau. Sans compter labsence presque totale dune gestion rationnelle de lentreprise théâtrale où des festibouffes appelés festivals narrivent pas à faire oublier que ces théâtres publics sont fermés durant une grande partie de lannée. En plus, les directeurs et les autres responsables qui narrêtent pas de crier à qui voudrait les entendre que leurs caisses sont vides, trouvent des moyens ingénieux pour se partager une rente transformant le «patron» et ses adjoints en «commissaires» et en «directeurs de production» de pièces, qui, même lentrée gratuite, narrivent souvent pas à dépasser la dizaine de spectateurs, exception faite de la «générale» et des séances de festi-bouffes, en mobilisant bus et autres moyens pour amener des spectateurs qui sennuient vite, à force de pièces trop pauvres. Cest vrai quaucun travail de promotion nest fait par les gestionnaires des théâtres publics qui ne dépassent presque jamais la programmation du nombre de représentations obligatoires. Les festi-bouffes pullulent un peu partout. Ainsi, le directeur se mue en «commissaire » (gagnant un cachet conséquent en dehors de son salaire) et dautres se déplacent, avec des frais de mission alors que ce ne sont que des activités ordinaires dun théâtre qui programme beaucoup plus les activités politiques de partis et dautres manifestations que des pièces de théâtre pour le peu de journées ouvrables. Cest dans ce contexte quil a été décidé de faire des théâtres municipaux des structures régionales, multipliant encore les jeux de la rente et de faux bénéfices à distribuer, omettant magistralement la question fondamentale de la réception. Aujourdhui, il est temps de se poser la question de labsence du public : pourquoi le public boude-t-il depuis les années 1990 le théâtre ? Cest autour de ce problème-clé que devraient sarticuler tous les débats sur la représentation théâtrale en Algérie. Des solutions pourraient être proposées, embrassant tous les espaces de lart scénique (mise en scène, discours, écriture dramatique). De 1963 à 1965, le TNA accueillit 116 565 spectateurs (places payantes) pour 311 représentations, ce qui représente une moyenne de 363 spectateurs par représentation. Les séances scolaires et officielles ne sont pas comptabilisées dans ce chiffre. Les années 1970 virent le public commencer à diminuer, avec 300 spectateurs en moyenne par représentation. Cest lère de la décentralisation qui a connu lapparition avec le statut de théâtre régional des théâtres dAnnaba, de Constantine, dOran et de Sidi-Bel-Abbès. Les années 1980 ont conservé ce public. La crise senvenima durant les décennies 1990 et 2000 qui ont connu un grave recul du public dû essentiellement à la disparition des grands de la scène nationale (Allel el Mouhib, Hadj Omar, Kateb Yacine, Malek Bouguermouh, Mustapha Kateb, Alloula, Kaki, Medjoubi) ou à leur départ à létranger. Mais il faut aussi dire que le répertoire était diversifié. On montait des pièces dauteurs algériens (Kaki, Safiri, Rouiched, Alloula, Benaïssa, Kateb Yacine) et étrangers comme ONeil, Shakespeare, Goldoni, Molière, Brecht, Beckett, Calderon, Roblès et bien dautres. Les pièces explicitement politiques étaient trop peu nombreuses. Les sujets dordre individuel (lamour, la bonté, etc.) dominaient la scène. Les théâtres dEtat arrivaient à séduire le public qui sy déplaçait volontiers, achetant son billet dentrée. Des hommes comme Allel el Mouhib, Mustapha Kateb, Kateb Yacine, Hadj Omar, Alloula, Benaïssa, etc., très bien formés, possédaient une grande culture leur permettant de maîtriser tous les contours de la représentation. Les choses ont changé. Le «vide» a engendré une situation tragique. Le manque de background des hommes et des femmes de théâtre daujourdhui, le retour à la centralisation, lopportunisme ambiant et labsence de culture théâtrale sont les lieux les mieux partagés dans un univers où les directeurs sont nommés à vie, sans aucun projet à présenter, ni de comptes sérieux à rendre. Le TNA devient le lieu central de toute lactivité théâtrale. Tout le monde se met à monter les pièces de ce comédien-directeur général du TNA (faisant apparemment doublon avec la direction des arts du ministère de la Culture) qui narrive pas encore à dépasser un style monologique où manque cette polyphonie qui fait les textes de Alloula ou de Kateb Yacine. Il faudrait reconnaître quaujourdhui, il nexiste plus de véritables auteurs dramatiques, ni de metteurs en scène, à même de donner à voir des spectacles vivants et agréables. Ce déficit marqué par la rapidité avec laquelle on écrit et on monte des pièces est lexpression dune incompétence flagrante et dune méconnaissance des règles et des techniques de lart dramatique. Alloula, par exemple, prenait tout son temps pour écrire et mettre en scène ses textes. Tous les théâtres régionaux se mettent à réaliser des pièces pour le «festival national du théâtre professionnel » qui aurait lieu en mai. Lessentiel, cest dy être. Le théâtre devient hors-jeu, il est exclu des lieux. On ne sait pour quelles raisons on continue à mépriser lintérieur en programmant les «générales» au TNA, faisant des théâtres dits régionaux des annexes de celui dAlger. Cette centralisation irréfléchie de la chose culturelle engendre un rapport foncièrement inégal dassujettissement entre le centre et la périphérie et une remise en question de lordonnance de 1970 portant décentralisation des théâtres. Cette propension à la mise en valeur du centre reflète bien le discours ministériel qui, ainsi, élude la dimension politique sous-tendant le jeu de la décentralisation. Les «coopératives» (fonctionnant encore comme des entités trop peu autonomes, calquées sur les coopératives agricoles) qui nont rien à voir avec les «coopératives» françaises comme celle du théâtre du Soleil et les théâtres publics présentent souvent le même style, une écriture dramatique décousue, sans profondeur, ni densité, les mêmes techniques et des jeux scénographiques similaires. Fonctionnement pléonastique. Redondance au niveau des choix esthétiques et scéniques Ce regard monologique contribue grandement à la mise en veilleuse du public qui, désormais, sennuie au théâtre et ne sembarrasse pas de bouder des représentations dont lentrée est pourtant gratuite. Mais contrairement à ce qui est souligné ici et là, ce public pourrait redécouvrir les plaisirs du théâtre si les pouvoirs publics réfléchissent à un autre fonctionnement de lentreprise théâtrale favorisant le théâtre jeune public et la formation, pas celle en vogue ces derniers temps, sassimilant à de lagitation non opératoire et à une entreprise rentière. Ce serait bon de méditer certaines expériences du passé (Bachetarzi, TNA des années 1960, 1970 et 1980, pièces de Alloula, Kateb Yacine, Rouiched, Benaïssa). Tous les corps et les métiers du spectacle sont complémentaires, participent de lélaboration du sens et souffrent de labsence sérieuse de formation. LIsmas (Institut supérieur des arts et des métiers du spectacle) de Bordj-El- Kiffan, délaissé, manquant dun encadrement de qualité (même sil renferme quelques rares compétences) et de moyens financiers conséquents, a connu une forte contestation des étudiants qui ont réagi contre cette triste situation. Cet établissement qui souffre de lamateurisme ambiant serait mieux géré par le ministère de lEnseignement supérieur. La gestion des espaces publics du théâtre devrait se caractériser par une grande rigueur et une réelle transparence qui donnerait à voir le vrai projet de lentreprise et sa vocation. Ce qui nest malheureusement pas le cas dans les conditions actuelles faites dopacité et dune gestion bouilleuse, sans repères. Alloula a proposé un nouveau schéma dorganisation, très intéressant. Il faut voir comment sont gérés les «festivals » qui devaient, en principe, sinscrire dans le cadre de lactivité ordinaire, mais qui se muent en des lieux de distribution de la rente. Aucune structure sérieuse, ni appels doffres ou à communications, tout est fait dans lopacité la plus totale comme sil sagissait dune entreprise privée. Léchange de bons procédés reste le lieu le mieux partagé où on invite des étrangers sans sinterroger sur leur apport réel. Lexpérience du «festival du théâtre professionnel » dAlger qui devrait avoir lieu dans deux mois est symptomatique de cette mentalité épicière. On ignore tout des diverses activités ou des colloques. Limprovisation semble la maîtresse des lieux. On décide en catimini et dans lapproximation, cest-à-dire clandestinement, alors que tout devrait-être rendu public. Tout sera fait à la va-vite, excluant les artistes égyptiens alors quils étaient les lieux centraux de cette manifestation, remplacés par dautres invités venus du Machrek, Jordanie et Syrie, deux pays qui nont pas un théâtre florissant. Triste retournement des choses frisant le ridicule. Même Samiha Ayoub qui trônait au-dessus de cette manifestation serait, elle aussi, indésirable. Dépit damour ! Qui choisit quoi ? Enigme. La censure est de la partie dans ce type de festi-bouffe qui semble se répéter avec des «recommandations» (presque toujours les mêmes) dignes dune réunion de dictatures à parti unique dun jury dont on ne comprend pas la présence. Les grands festivals nont pas de prix. Les «recommandations » sont dun autre âge. Ne serait-il pas temps douvrir un débat sérieux, sans complaisance sur les questions culturelles et mettre un terme aux sermons triomphalistes du ministère de la Culture et des responsables du théâtre qui devraient faire leur autocritique et admettre la critique des uns et des autres, notamment de ceux qui considèrent que le ministère des festivals sest substitué à celui de la culture, apparemment vacant ? En attendant, la mémoire seffiloche, les théâtres publics se défaussent, les «festivals» sans objectifs se multiplient, lopacité gagne du terrain et largent public entreprend une triste danse du ventre. La ministre de la culture s’auto-congratule et s’auto-célèbre sans fin. Le théâtre a besoin de son public pour survivre, loin des chiffres comptables de sièges pourvus.
Posted on: Tue, 22 Oct 2013 22:11:20 +0000

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