Lettre à Monsieur le Directeur Génénral de la Création - TopicsExpress



          

Lettre à Monsieur le Directeur Génénral de la Création Artistique de la DRAC Ile de France Cher Monsieur, Je viens de recevoir votre lettre mindiquant que vous ne donnez pas suite à ma candidature pour le poste de directeur du Centre Dramatique National de Saint-Denis. Je ne vous dirai pas que je suis surpris, ni même déçu, et ne vous réponds pas pour vous faire part de mon indignation. Non, je vous écris juste pour essayer de faire en sorte que ma candidature nait pas été un pétard mouillé et ait au moins eu leffet de vous faire connaître mon nom et découvrir la vitrine de mon travail (je lespère...) Jai tout de même une certaine aigreur à découvrir quil a suffi que certain(e)s se plaignent et trépignent pour quun délai supplémentaire leur soit accordé alors que dautres avaient fait leffort de se contraindre au cadre premièrement donné. Ma petite aigreur tient aussi du fait que jai candidaté pour ce poste pas seulement parce que je me sentais lenvie et la capacité de lassumer, mais aussi (et surtout) parce que cétait un moyen détourné et « culotté » de faire parvenir mon nom et mon travail (en tout cas ce qui est visible de mon travail en dehors des spectacles) dans les hautes sphères qu théâtre « institutionnel » dIle de France. Je mets « institutionnel » entre guillemets non pas pour mésestimer votre mission, mais pour marquer la quasi-inutilité de cet adjectif aujourdhui. Comme la très bien dit Diane Scott, le théâtre institutionnel, celui des scènes conventionnées et des CDN, est aujourdhui le seul aboutissement envisageable pour les artistes. Cest le seul endroit où lart est encore protégé, accompagné et où la liberté est accordée aux artistes. On ne choisit pas le théâtre institutionnel à défaut dun autre. Il ny a pas dalternative... Sauf que – et jimagine à quel point vous en êtes conscient – ça coince. Ça coince parce que cet endroit est inaccessible (ou quasi) aux jeunes artistes, quelle que soit la porte dentrée quon tente douvrir. Si on prend lexemple que jai sous la main : moi. Jai moins de trente ans, jai écrit plusieurs pièces, la dernière va être éditée dans une petite maison, jai mis en scène plusieurs spectacles, reçu un succès destime(s) et quelques « récompenses ». Je fais ce travail depuis cinq ans. Il y a peu, un de vos collègues de la DRAC me signifiait avec le sourire quil était inutile que jattende aucune aide de cette institution avant datteindre les dix ans dexistence, que seulement au bout de ces dix ans jaurai le statut dartiste émergent. Comme si cétait le Graal... Quand je lui signifiais mon désarroi, il me répondit quil fallait bien écrémer, vu le nombre de compagnies. Je ne dénonce pas son cynisme, et apprécie au contraire sa franchise. Face à des directeurs/trices de lieux de résidence subventionnés (encore il y a peu, vu que pour ma prochaine création je suis désespérément en manque de partenaires), jentends aussi ce genre de discours : pas assez connu, pas assez de partenaires institutionnels (pas du tout même)... Ou pire : pas assez connu, mais qui a fait trop de choses... Soit ils veulent découvrir une pépite vierge de tout, soit ils sont comme des DRH qui recherchent des jeunes diplômés avec dix ans dexpérience dans une boîte reconnue. Avouez que cest marcher sur la tête ! (Bien sûr, je mets tout le monde dans un paquet commun par souci de synthèse, il existe bien heureusement des exceptions.) Et ça, ce nest que le début. Une fois résigné(e) payer avec ses deniers personnels des salles de répétition hors de prix, après avoir réuni une équipe qui accepte non seulement de répéter sans être payée, mais même la possibilité quon ne puisse jamais se payer et que les représentations se résument à trois dates en location, une fois quon a bien travaillé et quon a quelque chose de présentable (type maquette), personne ne se déplace, bien quon ait longuement réfléchi aux dates et aux époques propices à la venue de programmateurs (même démarche que lorsquon part à la chasse) parce quencore une fois pas assez connu / pas assez (du tout) de partenaires. Quand enfin on arrive à jouer, au mieux en « co-réalisation » (il y a si peu de lieux dans Paris qui proposent de réelles co-réalisation, lieux formidables mais forcément submergés, comme La Loge) au pire en location, même topo, avec en plus certains programmateurs qui ne veulent pas venir parce que le lieu les rebute. Doù les conseils avisés de bien choisir son lieu, sauf que lexpérience prouve que cest lieu qui nous choisit, ou qui justement ne nous choisit pas ! Je ne vous écris pas pour me plaindre, mais étant donné que vous me permettez de répondre à votre refus de ma candidature, jen profite pour mépancher un peu. Très honnêtement, je fais un travail de qualité, sérieux, réfléchi et original. Je sais quil y a beaucoup de jeunes compagnies qui font un travail de qualité, sérieux, réfléchi et original. Mais je ne veux pas croire que la seule explication à ces portes impossibles à ouvrir soit le trop grand nombre dartistes. Je crois que sont aussi en cause, de part et dautre, un abyssal problème de communication (on ne se connait pas, on ne se rencontre jamais, on se fantasme lun lautre), une certaine frilosité dune partie de linstitution, la même qui a un amour du statut quo (les mêmes artistes qui se passent les un(e)s les autres les mêmes lieux, en vase clos, qui font pousser les mêmes fleurs avec la même eau...) En posant candidature, je voulais avoir loccasion de faire connaître mon travail, de faire entendre une proposition de gestion dun espace institutionnel, de faire entendre ma voix et de porter celles dautres jeunes artistes pas encore considéré(e)s comme émergent(e)s. Il faut se rendre compte quà notre génération de créateurs on ne propose plus que des festivals, aux conditions parfois douteuses, et surtout qui ne mettent en avant que notre jeunesse et trop rarement notre propos ! On nous cantonne dans ces sortes de concours, comme si tout nétait jamais quune course où on devrait arriver premier/ère, devant les autres. On estime quon peut comparer le travail des jeunes créateurs/trices parce que tous ces travaux ont en commun quils sont le fruit de la « jeunesse ». Cette rhétorique na pas de sens. Il y a trop peu de gens pour parier sur des jeunes artistes, pour prendre le risque, et cest compréhensible peut-être, le risque est sûrement trop grand à prendre. Non pas quon veuille tout tout de suite (ce quon reproche souvent à notre génération sur de faux arguments), mais nous estimons quil serait juste quon puisse être vus et entendus par ces fameuses « personnes qui décident » en tant quartistes et pas en tant que jeunes artistes. Je comprends très bien que vous ayez refusé ma candidature, je ne reviens aucunement sur cette décision et je suis sûr que des projets bien plus aboutis vous ont été présentés. Jai souri, je lavoue, en recevant votre lettre, parce quelle est du même acabit que la majeure partie des réponses que je reçois des personnes que je contacte : une lettre type de refus qui massure de toute la considération de lexpéditeur. Je sais que vous (vous, quon appelle les « professionnels ») croulez sous les dossiers, les relances, les invitations, et que vous faites ce que vous pouvez, je naccuse personne sinon le système. Ce système qui permet lécrémage dont me parlait mon conseiller DRAC. À en croire cette personne, fort sympathique au demeurant, je suis à la moitié de mon périple dans le désert, et je sens déjà arriver le point de rupture (la preuve : il y a deux ans je ne me serai jamais permis de vous envoyer ce courrier.) Honnêtement, jespère tenir, pour ne pas avoir fait tout ça pour rien et pour ne pas avoir embarqué léquipe de gens formidables avec qui je travaille pour une destination stérile. Le mieux, serait quenfin on puisse tous mettre les choses à plat, savouer que les choses telles quelles sont ne sont pas tenables et faire en sorte de trouver ensemble la marche à suivre, faire que les murs bougent assez pour que les portes tombent, quil nen reste plus que des encadrements, quenfin le monde de la culture soit un monde multi-générationnel, multi-provenances, multi-esthétiques et dabsolue liberté de circulation. Dans tous les cas, soyez assuré, Monsieur, que je vous remercie du temps que vous avez pris pour examiner ma candidature et pour lire cette lettre. Très chaleureusement, Matthias Claeys
Posted on: Mon, 04 Nov 2013 11:44:30 +0000

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