Lœuvre de Cheikh Anta DIOP Commentaires, critiques, - TopicsExpress



          

Lœuvre de Cheikh Anta DIOP Commentaires, critiques, témoignages,hommages Ville de Bénin au 16ème siècle entourée d’un rempart de 30 km de circonférence ; la plus longue rue : 7 km. 250 000 habitants Un exemple de lécriture africaine Lidéologie occidentale dominante : La hiérarchisation raciale de J. C. Nott et G. R. Gliddon, 1854 (Cf. Stephen Jay Gould, La Mal -Mesure de lHomme, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997 Un extrait du livre Parenté génétique ... portant sur la similitude des pronoms démonstratifs en égyptien ancien et en wolof, La psychologie des élites africaines est “étudiée” à Paris avec entre autres objectifs détourner les étudiants et chercheurs Africains des travaux de Cheikh Anta Diop. Article de Philippe Decraene, Le Monde, 4 mars, 1965, p. 6. Une partie des participants au Colloque d’égyptologie du Caire de droite à gauche : W. Kaiser (Allemagne), J. Leclant (France), R. El Naduri (Egypte), T. Obenga (Congo), S. Sauneron (France), T. Säve Söderbergh (Suède), P. L. Shinnie (Canada), J. Vercoutter (France). Les autres participants, dont Cheikh Anta Diop, étaient en face de ceux figurant sur cette phot En avril-mai 1982, à linitiative des Éditions Sankoré dirigées par le linguiste et sociologue Pathé Diagne, est organisé à lUniversité de Dakar, un symposium sur lensemble de l’œuvre de Cheikh Anta Diop. En De nombreux universitaires, historiens, sociologues, philosophes, égyptologues, linguistes, juristes, économistes, mathématiciens, physiciens, médecins, … questionnent l’œuvre de Cheikh Anta Diop : Mamoussé Diagne, Pathé Diagne,Ibou Diaité, Amady Ali Dieng, Adama Diop, Babacar Buuba Diop, Djibril Fall, Yoro Fall, Saliou Kandji, Abdoulaye Kane, Aboubacry Moussa Lam, Massamba Lame, Geneviève Lebaud, Sékéné Mody Cissoko, Habib Mbaye, Rawane Mbaye, Mamadou Mbodj, Alassane Ndaw, Aloyse Raymond Ndiaye, Djibril Tamsir Niane, Souleymane Niang, Babacar Sall, Mame Sow, Saxiir Thiam, Cheikh Touré, Bakary Traoré, Cheikh Anta Diop au tableau procédant à une démonstration. Une occasion rare aussi pour la jeunesse étudiante d’avoir un contact direct avec Cheikh Anta Diop, au Sénégal dans le cadre de débats sur les grandes problématiques de l’histoire, de la sociologie, de la linguistique, de la philosophie Une méthodologie novatrice Lœuvre de Cheikh Anta Diop fixe un cadre géographique et chronologique neuf pour étudier le passé des peuples Noirs. Elle dégage des orientations de recherche qui conduisent à des découvertes insoupçonnées sur les peuples dAfrique et leurs relations avec les peuples des autres continents. Ce faisant, elle propose une méthodologie de recherche historique novatrice. Le temps historique et l’unité culturelle africaine Au moment où Cheikh Anta Diop entreprend ses premières recherches historiques (années quarante) lAfrique noire ne constitue pas, nous l’avons vu plus haut, un champ historique intelligible. Il est symptomatique quencore plus d’une dizaine d’années après, dans le numéro doctobre 1959 du Courrier de lUNESCO, lhistorien anglais Basile Davidson introduise son propos sur la “Découverte de lAfrique“ par la question : “Le Noir est-t-il un homme sans passé ?” et que cette même interrogation apparaît sous une forme à peine différente -LAfrique, un continent sans histoire ?- dans un dossier photographique récent de La documentation française [Pierre Boilley, Jean-Pierre Chrétien, Histoire de lAfrique ancienne, VIIIe-XVIe siècle, dossier n°8075, mai-juin 2010, pp. 2-3]. Dans son ouvrage Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Théophile Obenga montre en quoi consiste loriginalité et la nouveauté de la problématique historique africaine ouverte et développée par Cheikh Anta Diop. “En refusant le schéma hégélien de la lecture de lhistoire humaine, Cheikh Anta Diop sest par conséquent attelé à élaborer, pour la première fois en Afrique noire une intelligibilité capable de rendre compte de lévolution des peuples noirs africains, dans le temps et dans lespace [...] Un ordre nouveau est né dans la compréhension du fait culturel et historique africain. Les différents peuples africains sont des peuples historiques avec leur État : lÉgypte, la Nubie, Ghana, Mali, Zimbabwe, Kongo, Bénin, etc. leur esprit, leur art, leur science. .... [Théophile Obenga, Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Paris, Présence Africaine/Khepera, 1996, p. 28]. Nations nègres et Culture – De lAntiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de lAfrique daujourdhui– que publie en 1954 Cheikh Anta Diop aux Éditions Présence Africaine dAlioune Diop est le livre fondateur dune histoire africaine scientifique. La reconstitution scientifique du passé de lAfrique devient possible grâce à lintroduction du temps historique et de lunité culturelle dans les “Études africaines”. Autrement dit, les sociétés africaines, comme les autres sociétés européennes, asiatiques, amérindiennes, ont une histoire qui s’étudie sur la longue durée. S’il existe une diversité évidente des peuples africains, ceux-ci sont cependant rattachés, à des degrés divers, les uns aux autres par des liens culturels multiformes (langues, coutumes, organisation sociale, conception du pouvoir, totémisme, philosophie, etc.), témoins d’une vie commune de leurs ancêtres notamment dans la vallée du Nil, en partant de la région des Grands Lacs (Kenya, Tanzanie). Par conséquent, lapproche diachronique étudie l’Afrique dans le temps, identifie les rapports existants entre les différents peuples d’Afrique et aussi avec ceux des autres terres habitées. La dimension historique doit être introduite dans toutes les disciplines : “Cest le lieu de dire quaucune pensée et, en particulier aucune philosophie, ne peut se développer en dehors de son terrain historique. ... En renouant avec lÉgypte nous découvrons, du jour au lendemain, une perspective de cinq mille ans qui rend possible létude diachronique, sur notre propre sol, de toutes les disciplines scientifiques que nous essayons dintégrer dans la pensée africaine moderne” [Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie, Paris, Présence Africaine, 1981, p.13]. Lapproche diachronique réinsère l’Afrique dans le mouvement historique de l’humanité duquel elle avait été exclue, comme un élément essentiel de compréhension de l’évolution du monde (cf. Chapitre 1). Elle s’oppose radicalement à la méthode ethnographique d’étude des peuples non “Blancs” qui juxtapose des descriptions, dont certaines “feraient rougir un singe”, des populations dans la synchronie, c’est-à-dire à un instant donné et qui ignore l’évolution dans le temps. Cette introduction du temps historique et la restitution de l’unité culturelle africaine constituent un premier apport méthodologique fondamental de Cheikh Anta Diop dans le domaine de lhistoire des peuples négro-africains. La réfutation du concept de race au sens de lidéologie occidentale dominante L’étude de l’Afrique était abordée avant Cheikh Anta Diop avec un préjugé racial. En effet, la notion de race telle qu’elle est conceptualisée par nombre de philosophes, les anthropologues et les ethnologues occidentaux depuis le Siècle des Lumières, établit des corrélations entre le type physique (que les spécialistes dénomment phénotype : couleur de la peau, nature des cheveux, prognathisme, etc.) et les capacités intellectuelles des individus [Théophile Obenga, Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Paris, Présence Africaine/Khepera, 1996 ; Claude Liauzu, La société française face au racisme – De la Révolution à nos jours, Paris, Editions Complexe, 1999 ; Dominique Schnapper, Sylvain Allemand, Questionner le racisme, Paris, Gallimard Éducation, 2000]. Blanc est devenu synonyme d’intelligence, de rationalité, de créativité, Noir synonyme de bestialité, de paresse, d’émotivité. Il découle de cette conception de la communauté humaine l’existence d’une hiérarchie entre les différentes races. L’ethnologie et l’anthropologie occidentales appréhendent les sociétés africaines à travers ce découpage vertical de l’humanité. Dans un tel cadre de pensée, un Nègre n’a jamais créé de civilisation, ou bien n’a jamais été l’auteur d’une quelconque découverte ou innovation. Ceci explique la “naissance du mythe du Nègre [Cheikh Anta Diop, Nations nègres et Culture, 4ème édition, p. 49] et la notion de “vrai Nègre” [Jean Vercoutter, LÉgypte et la Vallée du Nil, Paris, PUF, Nouvelle Clio - Lhistoire et ses problèmes, 1992, p. 39] sorte doutil méthodologique conçu par des spécialistes occidentaux pour étudier l’histoire des peuples africains afin de ne jamais être en contradiction avec leur propre conception hiérarchisante de la race : Les anthropologues ont inventé la notion ingénieuse, commode, fictive du vrai Nègre qui leur permet de considérer au besoin tous les Nègres réels comme de faux Nègres se rapprochant plus ou moins dune sorte darchétype de Platon, sans jamais latteindre [Cheikh Anta DIOP, Antériorité des civilisations nègres – Mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence africaine, 1967, 1993, p. 24.] La “mécanique” du mythe du Nègre/“vrai Nègre” fonctionne de la manière suivante - tout fait de civilisation mis au jour en n’importe quel endroit du continent africain, est l’œuvre d’un non-Nègre. - tout peuple Nègre responsable d’une civilisation est en fait un peuple Blanc, quitte à être un peuple Blanc à peau noire ! Tel est le cas des Égyptiens, des Nubiens, et de tous les autres Négro-Africains responsables des constructions anciennes du Zimbabwe, de l’architecture soudanaise de Djenné et de Tombouctou, de limpluvium yoruba, etc. L’étude de la société Baoulé par Maurice Delafosse dans son article “Sur des traces probables de civilisation égyptienne et dhommes de race blanche à la Côte dIvoire [LAnthropologie, tome 11, Paris, 1900], et les considérations de Félix Dubois sur la civilisation Songhaï dans son livre Tombouctou la Mystérieuse, publié en 1897, sont des illustrations typiques du mythe du Nègre à lœuvre dans les “Études africaines”. Dans le premier cas, seuls des Blancs (introuvables) ont pu apporter les éléments de la civilisation aux Nègres Baoulés, et dans le second, les Soudanais, auteurs des œuvres architecturales des cités du Niger, Djenné, Tombouctou, ... bien que noirs de peau et crépus de cheveux, ne sont pas des Nègres. Dans ce contexte dobscurantisme et de racisme ambiants, l’apport déterminant de Cheikh Anta Diop est : de récuser toute corrélation entre couleur de la peau (l’apparence physique de manière générale ou phénotype) et capacités intellectuelles, de récuser toute hiérarchie raciale : les différentes races humaines possèdent les mêmes aptitudes intellectuelles. de réfuter les caricatures raciales et de considérer les grandes familles humaines, Noirs, Blancs, Jaunes, dans leur variabilité respective de types physiques. d’affirmer l’origine monogénétique africaine de l’espèce humaine : l’humanité est une dans sa diversité [Cheikh Anta Diop, Lunité dorigine de lespèce humaine, in Actes du colloque dAthènes : Racisme science et pseudo-science, Paris, UNESCO, coll. Actuel, 1982, pp. 137-141]. Dans Nations nègres et Culture, en 1954, Cheikh Anta Diop écrit à propos de la civilisation égyptienne “ […] la civilisation dont il [le Nègre] se réclame eût pu être créée par n’importe quelle autre race humaine – pour autant que l’on puisse parler d’une race – qui eût été placée dans un berceau aussi favorable, aussi unique” [Cheikh Anta Diop, Nations nègres et Culture, op. cit., 4ème édition, p. 401] Cheikh Anta Diop rend caduque, ruine la conception occidentale hiérarchisante et hégélienne de lhumanité, en montrant que si la réalité humaine présente de manière évidente une variété de types physiques différents, désignés faute de mieux par le terme de races, celles-ci sont toutes à placer sur le même plan. Pour lui, la notion de hiérarchie raciale est scientifiquement un non-sens. Les données actuelles de la science mettent en relief la justesse et la précocité de lanalyse de Cheikh Anta Diop. En effet, aujourdhui, la génétique récuse la notion de race au sens d’une hiérarchisation raciale affirmant par là même linexistence de toute corrélation, biologiquement parlant, entre la couleur de la peau et les capacités intellectuelles des différents groupes humains de l’humanité actuelle. Mais, les généticiens signalent l’existence et la permanence de certains caractères héréditaires comme la couleur de la peau, et utilisent les termes de Blancs, de Jaunes, de Noirs, de race, de facteurs raciaux, etc. [J. Ruffié, De la Biologie à la Culture, Flammarion, Paris, 1976, pp. 392-393 ; J.-Y. Nau, Le Monde, Sciences et Médecine, Mercredi 15 mars, 1989, p. 19 ; R. Cooper, C. Rotimi, Ryk Ward, Pour la Science, n° 258, avril 1999, pp. 62-68 ; Jean Bernard, Le sang et l’histoire, Éditions Buchet/Chastel, 1983, pp. 12, 13, 77 ; ...] A titre dexemple, quil suffise ici de citer la définition de la race donnée par le généticien, militant anti-raciste, Luca Cavalli-Sforza : “Un ensemble d’individus qui ont une origine commune et conservent donc une certaine ressemblance génétique, c’est-à-dire une ressemblance au niveau des caractères dont ils ont biologiquement hérité. Ils peuvent avoir conservé ou non une certaine identité culturelle : traditions communes, langue commune, unité politique, ou bien avoir perdu l’un de ces traits ou plusieurs. Les identités culturelles sont en général plus instables, et les identités génétiques plus durables dans le temps ; c’est pourquoi nous nous occuperons uniquement de ces dernières pour définir une race” [L. et F. Cavalli-Sforza, Qui sommes-nous ?, Paris, Albin Michel, 1994, p. 326 Cette remise en cause radicale de la conception occidentale dominante de la race héritée des 18ème et 19ème siècles constitue un deuxième apport décisif de Cheikh Anta Diop. Approche pluridisciplinaire et comparatisme Une troisième composante de la méthodologie que met en œuvre Cheikh Anta Diop pour étudier le passé de l’humanité réside dans la pluridisciplinarité et la démarche comparative critique. Les disciplines sollicitées sont : larchéologie, la linguistique, lethnonymie/toponymie, la sociologie, les sciences exactes, etc. [Cf. Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – Mythe ou vérité historique ?, chapitre X ; Cheikh Anta Diop, “Pour une méthodologie de létude des migrations” dans Histoire générale de lAfrique : Études et Documents 6, “Ethnonymes et toponymes africains” (1978), UNESCO, 1984, pp. 97-121]. Concernant la documentation, la connaissance directe des sources dinformation (textes hiéroglyphiques, grecs, latins, arabes, etc.) doit être systématiquement recherchée chaque fois que cela est possible. Il accorde un rôle déterminant aux conditions géophysiques et matérielles d’existence, prises comme éléments de compréhension, par exemple, du type d’organisation sociale des peuples étudié Il s’agit d’une méthodologie qui offre une toute autre perspective que la juxtaposition de monographies exclusivement descriptives dans des domaines cloisonnés, émiettés, sans effort de synthèse, sans vue d’ensemble Cherchant à dégager les grandes lois qui gouvernent lévolution des sociétés, il opte pour une approche comparatiste du fait humain (langues, institutions politiques, coutumes, structures sociales, etc.) “non pas par référence, non pas pour hiérarchiser, mais pour comprendre”. L’approche pluridisciplinaire fait intervenir - les faits archéologiques. De l’archéologie il dit : “Elle introduit la certitude brutale là où il ny avait que doute, scepticisme ou supputation. Ses résultats ruinent chaque jour les dogmes fondés sur les notions peu scientifiques de vraisemblance historique…”. - “lethnonymie et la toponymie”, - lanalyse des “faits linguistiques”, - létablissement ”des corrélations entre des événements intérieurs et extérieurs”, - lanalyse des “phases dévolution politico-sociales” des sociétés, - les méthodes des sciences exactes, auxquelles lhistoire africaine peut désormais avoir recours sont : les techniques de datations des échantillons archéologiques, les analyses chimiques et métallurgiques, les techniques de détection, la photographie aérienne, etc. [Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, op. cit., Chapitre X : “Esquisse dune méthodologie en matière dhistoire africaine”, pp. 195-215]. Cheikh Anta Diop a adopté demblée cette approche pluridisciplinaire en étudiant lÉgypte ancienne dans son contexte négro-africain : “Partant de lidée que lÉgypte ancienne fait partie de lunivers nègre, il fallait la vérifier dans tous Ies domaines possibles, racial ou anthropologique, linguistique, sociologique, philosophique, historique, etc. Si lidée de départ est exacte, létude de chacun de ces différents domaines doit conduire à la sphère correspondante de lunivers nègre africain. Lensemble de ces conclusions formera un faisceau de faits concordants qui éliminent le cas fortuit. Cest en cela que réside la preuve de notre hypothèse de départ. Une méthode différente naurait conduit quà une vérification partielle qui ne prouverait rien. Il fallait être exhaustif ” [Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, op. cit., p. 275]. Analytique, la démarche de Cheikh Anta Diop est également synthétique. Elle propose une vision cohérente du passé africain. En cela, elle soppose à la méthode exclusivement analytique et ethnographique de nombre dhistoriens occidentaux de lAfrique, qui dissout la réalité collective africaine dans le menu détail rejetant à linfini le stade de la synthèse. C’est par cette méthodologie scientifique novatrice appliquée à l’étude des civilisations africaines que Cheikh Anta Diop sort l’Afrique de l’ethnologie coloniale pour la faire entrer dans l’Histoire de l’humanité Exigence de rigueur Dans le domaine de lhistoire africaine Cheikh Anta Diop a donc élaboré un nouveau cadre fécond de recherche et une méthodologie de travail pluridisciplinaire novatrice. Il reste cependant pleinement conscient des imperfections de son travail : “Lensemble du travail, nest quune esquisse où manquent les perfections de détail. Il était humainement impossible à un seul individu de les y apporter : ce ne pourra être que le travail de plusieurs générations africaines. Nous en sommes conscients et notre besoin de rigueur en souffre : cependant les grandes lignes sont solides et les perspectives justes” [Cheikh Anta Diop, Nations nègres et Culture, op. cit., p. 12.] Dans Antériorité des civilisations nègres - Mythe ou vérité historique ?, il écrit: “Dans Nations nègres et Culture, nous avions rapporté exprès un ensemble de faits grammaticaux les uns quasi certains, les autres probables ou simplement possibles. Nous étions en effet conscient du fait que la recherche était à peine commencée et quil fallait reconnaître le terrain et signaler à lattention des futurs chercheurs africains tout ce qui méritait de lêtre. Certains critiques feignent de méconnaître cette attitude”. [Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, op. cit., p. 275]. Sagissant de lélaboration de son lexique égyptien ancien - walaf (wolof) il précise encore : “Nous avons établi ce lexique à laide du Wörterbuch [Wöterbuch der Aegyptischen Sprache, dictionnaire de la langue de lÉgypte ancienne en plusieurs volumes établi par des égyptologues allemands A. Erman et H. Grapow.], et des textes qui laccompagnent, du dictionnaire de Faulkner et du lexique de Lambert comme cela a été dit page 94. Il va de soi que les fausses étymologies sont nombreuses dans un lexique de ce genre et quun long travail de plusieurs chercheurs, seul, permettra de réduire progressivement leur nombre. Mais que lon soit sur la bonne voie, cela ne fait aucun doute. Ce qui manque tragiquement, cest le labeur des générations !”[Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de légyptien pharaonique et des langues négro-africaines, Dakar, Abidjan, Université de Dakar-IFAN/Nouvelles, Éditions Africaines, 1997, p. 161.Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de légyptien pharaonique et des langues négro-africaines, Dakar, Abidjan, Université de Dakar-IFAN/Nouvelles, Éditions Africaines, 1997, p. 161.] Autrement dit, le cadre et les axes de recherches fixés dans Nations Nègres et Culture sont solides car scientifiquement étayés. Le terrain de la recherche féconde a été reconnu, déblayé, de nombreuses voies dinvestigation ont été tracées, autant de sujets de travail. Cependant, au sein de ce nouveau paradigme de la recherche historique dans lequel lÉgypte ancienne est replacée dans son contexte naturel négro-africain, la tâche du chercheur reste considérable pour cerner avec plus de précision les liens divers qui unissent lÉgypte pharaonique à lensemble du continent sur la longue durée. De nouvelles questions surgissent sur lesquelles les chercheurs sont conduits à confronter leurs points de vue, leurs interprétations des faits. Dans sa préface du livre de Théophile Obenga LAfrique dans lAntiquité, Cheikh Anta Diop rappelle avec force que dans cette quête de la connaissance, la compétence technique et la mise en œuvre dune démarche strictement scientifique constituent des exigences incontournables. Ces mêmes exigences sont requises pour instruire une critique constructive. [Théophile Obenga, LAfrique dans lAntiquité - Égypte pharaonique / Afrique Noire, Paris, Présence Africaine, 1973, chapitre 8, pp. 264-268. Préface de Cheikh Anta Diop.] Cheikh Anta Diop, comme tout homme de science, considère la critique comme une nécessité, une exigence faisant partie de l’appareil méthodologique du scientifique. L’œuvre de Cheikh Anta Diop a fait et continue de faire l’objet d’analyses, de critiques et de commentaires de la part de spécialistes appartenant à différents domaines, notamment : lhistoire, la préhistoire, larchéologie, lanthropologie, la sociologie, la linguistique, légyptologie, la littérature, lart, la philosophie, la politique. De son vivant il a répondu aux critiques qui lui ont été adressées critiques non seulement par écrit mais également lors de débats scientifiques. Réponses à quelques critiques et débats scientifiques En 1967, Dans Antériorité des civilisations nègres - mythe ou vérité historique ?Cheikh Anta Diop répond de manière minutieuse, circonstanciée à un certain nombre de critiques qui lui ont été faites par les historiens africanistes Raymond Mauny, Jean Suret-Canale, Louis Vincent Thomas, Jean Devisse [cf. Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres - mythe ou vérité historique ?, 1967, pp. 229-274 de la réédition de 1993 ; [Raymond Mauny, Bulletin de l’IFAN, Tome XXII, juillet-octobre 1960, n°s 3-4, Notes bibliographiques, pp. 544-555 ; Jean Suret-Canale, Recherches africaines, n°4, octobre-novembre 1960 ; Louis-Vincent Thomas, “Temps, mythe et histoire en Afrique de l’Ouest”, Revue Présence Africaine, n°39, 1961, pp. 12-58 ; Philippe Decraene, Le Monde du 5 mars 1965 (p. 6) : Mardi au C.H.E.A.A.M. Un colloque a traité de la psychologie des élites dAfrique noire”, colloque organisé par le Centre des Hautes Études Administratives sur lAfrique et lAsie Modernes – C.H.E.A.A.M ; Georges Balandier, L’Afrique ambiguë, Paris, 1957]. Deux rencontres directes de Cheikh Anta Diop avec dautres spécialistes ont eu un écho particulièrement important : - le Colloque dégyptologie du Caire en 1974 où ont été éprouvées la solidité scientifique de ses travaux et de ceux de Théophile Obenga et la faiblesse de largumentation adverse. il a été rendu compte de manière circonstanciée des débats et donc des critiques exprimées de la part des uns et des autres dans les actes publiés par l’UNESCO [Le peuplement de lÉgypte ancienne et le déchiffrement de lécriture méroïtique, Histoire générale de lAfrique, Études et documents 1, Paris, UNESCO, 1978, pp. 65-71.]. Rappelons en effet, quen 1970, Cheikh Anta Diop a été sollicité officiellement par René Maheu, directeur général de lUNESCO, pour devenir membre du Comité scientifique international pour la rédaction de lHistoire générale de lAfrique. Le secrétaire général de ce comité est le Béninois Maurice Glélé. Guidé par son exigence dobjectivité Cheikh Anta Diop pose trois préalables à sa participation à ce projet. Les deux premiers consistent en la tenue dun colloque international, organisé par lUNESCO, réunissant des chercheurs de réputation mondiale, pour dune part, débattre de lorigine des anciens Égyptiens, et dautre part faire le point sur le déchiffrement de lécriture méroïtique. La rédaction de lHistoire générale de lAfrique lancée par lUNESCO rend primordial de traiter la question de savoir à quelle aires culturelle et anthropologique appartient lÉgypte ancienne compte tenu de létat des connaissances. Une confrontation des travaux de spécialistes du monde entier lui apparaît indispensable pour faire avancer la science historique. Le troisième préalable concerne la réalisation dune couverture aérienne (par avion et satellite) de lAfrique susceptible de révéler les voies anciennes de communication du continent et lexistence de vestiges archéologiques. Cest dans ce contexte, que se tient au Caire du 28 janvier au 3 février 1974, organisé par lUNESCO dans le cadre de la Rédaction de lHistoire générale de lAfrique, le colloque intitulé : “Le peuplement de lÉgypte ancienne et le déchiffrement de lécriture méroïtique”. Cheikh Anta Diop se rend en Égypte pour la première fois. Il avait également demandé à ce que les participants pressentis soient contactés longtemps à l’avance afin qu’ils puissent disposer de tout le temps nécessaire à la préparation de leur contribution à cette future rencontre. Il était en effet essentiel qu’aucun argument autre que scientifique puisse être invoqué pour affaiblir la portée du compte rendu et des conclusions du colloque. Dans le même ordre d’idée, il a également souhaité, que le rapporteur soit une personne autre que lui-même ou Théophile Obenga, les seuls représentants, avec A. M. Abdalla du Soudan, de lAfrique subsaharienne à ce colloque. Le colloque dÉgyptologie du Caire a ainsi rassemblé vingt spécialistes, cinq observateurs et deux représentants de lUNESCO appartenant à quatorze nations différentes. - le Symposium de Dakar de 1982 où lensemble de lœuvre historique, sociologique et égyptologique est mise en question par les universitaires, à lUniversité de Dakar, au cours de deux semaines de débats passionnants. A propos de la critique africaniste Contrastant avec la lecture critique sereine dun intellectuel comme Jean Duvignaud [cf. Jacques Julliard, Michel Winock (sous la direction de), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Éditions du Seuil, 1996, Jean Duvignaud, p. 415 ; Jean Duvignaud : Idéologies africaines, in Preuves n°113, juillet 1960, pp. 84-86 ; cf. C. A. Diop, Antériorité des civilisations nègres ..., note p. 229.], la critique et le commentaire africanistes se sont cristallisés, ossifiés au fil du temps autour des analyses et des propos souvent très subjectifs des premiers critiques africanistes de l’œuvre cités plus haut [cf. François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot, Afrocentrismes. L’histoire des Africains en Égypte et Amérique, Paris, Karthala, 2001 ; Alain Froment, “Origine et évolution de l’homme dans la pensée de Cheikh Anta Diop : une analyse critique”, in Cahier d’Études africaines, La Malédiction, n°121-122, 1991, pp. 29-64 ; Alain Froment, “Race et Histoire : la recomposition idéologique de limage des Égyptiens anciens”, in Journal des Africanistes, tome 64, Fascicule 1, 1994, pp. 37-64 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, in Cahier d’Études africaines, n°125, 1992, p. 136 ; Gilles Boëtsch, Jean Noël Ferrié, “Limpossible objet de la raciologie”, in Cahier d’Études africaines, n°129, 1993, pp. 14-15 ; Marc Michel, GDR 118, Histoire de l’Afrique : Mémoires et identités. Université d’Aix-en-Provence, décembre 1994 : “Cheikh Anta Diop fabriquant de mémoire” (sic) ; Jean-Loup Amselle, Figures de l’afrocentrisme dans le cadre de l’atelier Anthropologie et historicité, Enseignement Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie, 1997-1998, p.89 ; F. X. Fauvelle, LAfrique de Cheikh Anta Diop - Histoire et idéologie, Paris, Éditions Karthala/Centre de recherches africaines - Université Paris I, juillet 1996, préface du professeur Elikia MBokolo de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales ; Jahnheinz Jahn, Muntu, 15 ; M. Cornevin, Secrets du continent noir révélés par larchéologie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1998, p. 19, ...]. Cest ainsi que des auteurs sévertuent par des acrobaties littéraires interprétatives et/ou sappuyant sur des écrits de seconde main, à faire dire à Cheikh Anta Diop le contraire de ce quil a écrit à lexemple de ceux qui qualifient lœuvre de Cheikh Anta Diop dessentialiste. Souvent, ces mêmes auteurs en recourant à des amalgames grossiers qualifient aussi Cheikh Anta Diop dafrocentriste. La critique africaniste montre une adhésion, par filiation intellectuelle, à la conception occidentale hiérarchisante de l’humanité des siècles passés : l’expression de “véritable gobinisme nègre” [Raymond Mauny , cf. Bulletin de l’IFAN, Tome XXII, juillet-octobre 1960, n°s 3-4, Notes bibliographiques, pp. 55] employée par lhistorien africaniste Raymond Mauny pour qualifier lœuvre de Cheikh Anta Diop, illustre cette inclination à prêter sa propre vision (Blanc supérieur au Nègre) inversée (supériorité du Nègre par rapport au Blanc) de la réalité humaine à Cheikh Anta Diop . Qu’un Nègre dise ou écrive, preuves à l’appui, que les Égyptiens sont des Nègres est perçu, ressenti, interprété comme : le Nègre est supérieur au Blanc. La substance de cette critique est révélatrice de la double incapacité de ses auteurs de concevoir l’origine nègre de la civilisation égyptienne et dadmettre qu’un Nègre soit le fondateur de l’école historique scientifique africaine. Par construction, lunivers mental africaniste est réfractaire à lidée même dune égyptologie africaine. Cest aussi lensemble de cette critique africaniste, éminemment idéologique, que Théophile Obenga analyse dans différents écrits. [Théophile Obenga, Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Paris, Présence Africaine/Khepera, 1996, chapitre 2, pp. 27-44 ; “Un commentaire sur les réflexions de M. Luc Bouquiaux”, Ankh n°4/5, 1995-1996, pp. 317-346 ; Théophile Obenga, “Les derniers remparts de l’Africanisme”, Présence Africaine, n° 157, 1er semestre 1998, pp. 47-65 ; Théophile Obenga, Le sens de la lutte contre lafricanisme eurocentriste, Paris, Khepera/LHarmattan, 2001]. Cette critique africaniste tente de substituer au débat scientifique des analyses de texte et des discussions de nature psycho-sociologiques : A ceux qui critiquent ses travaux sans jamais se placer sur le terrain de la discussion scientifique, Cheikh Anta Diop répond : «On fuit le débat scientifique d’une façon qui ne trompe personne lorsqu’on substitue à la réfutation des arguments une explication “psychologique“ de la motivation d’une œuvre. Nous assumerons toujours allègrement la somme des qualificatifs divers par lesquels on peut décrire le flux et le reflux de nos états d’âmes de “colonisés” ou d’ex-colonisés “en situation de”, etc. Mais on peut rappeler à tous ces psycho-sociologues de circonstance ou de métier qu’ils dissimulent leur dérobade car les raisons qui poussent à écrire n’ont rien à voir avec la véracité ou l’exactitude de ce que l’on écrit. Or, c’est sur ce terrain qu’ils sont invités à se prononcer. Car il est le seul qui soit vraiment intéressant et accessible à une science objective.» [Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – Mythe ou vérité historique ?, op. cit., p. 11.] Odile Biyidi relève la nature pathologique de certaines critiques : “… Les réactions quasi névrotiques de la critique à son égard [Cheikh Anta Diop] sont venues corroborer ses dires. Autant “on” accorde généreusement au Noir une émotion animale, un sens “inné” du rythme, autant dinquiétantes résistances psychiques, déguisées en objections “scientifiques” empêchent dadmettre quil ait pu être lartisan dune des plus brillantes civilisations de lAntiquité.” [Cheikh Anta Diop, in Dictionnaire des Littératures de la langue française (J. P. Beaumarchais, D. Couty, A. Rey), Paris, Bordas, p. 658 ; voir aussi Alain Anselin, Ladieu aux hiéroglyphes de Jean Yoyotte (1927-2009), in Montray Kréyol, 16 juillet 2009]. En 1986, Jean Devisse, médiéviste venu aux “Études africaines”, adversaire acharné de Cheikh Anta Diop dans les années qui ont précédé le Colloque du Caire cité plus haut et dont il a été le rapporteur, reconnaît l’existence de ses propres préjugés : “Je tiens à lui dire [à Cheikh Anta Diop], et je suis heureux de le faire à Yaoundé, à loccasion de ce colloque, que je lui suis profondément reconnaissant de mavoir, par sa ténacité, par son acharnement de chercheur, contraint à modifier plus dun de mes points de vue, à abandonner nombre de préjugés que mavait inculqués léducation que jai reçue. Même si je ne suis pas toujours daccord avec lui sur tous les points, je lui devais cet hommage”. [Jean Devisse, professeur émérite à lUniversité de Paris I, Apport de larchéologie à lhistorien de lAfrique, in Larchéologie du Cameroun, Actes du premier colloque international de Yaoundé, 6-9 janvier 1986, études réunies par Joseph-Marie Essomba). Ce colloque était présidé par Cheikh Anta Diop.] Ces deux citations traduisent lexistence dune barrière éducationnelle et psychologique qui empêche de considérer lÉgypte ancienne dans son contexte naturel négro-africain, tant les préjugés raciaux sont ancrés, vivaces et vécus, encore aujourdhui, dans les conscience La nature et lampleur des enjeux, en particulier linstitution d’une recherche historique africaine véritablement scientifique et autonome, éclairent aussi le fond et la forme de nombre de critiques exprimées à lencontre des travaux de Cheikh Anta Diop et de ceux de ses continuateurs : conspiration du silence, procès dintention, mépris, ironie, calomnie, insinuation malveillante, ... C’est ce dont finissent par témoigner certains africanistes eux-mêmes En 1980, deux linguistes européens, Maurice Houis et Emilio Bonvini, devant l’imposant ouvrage Parenté génétique de légyptien pharaonique et des langues négro-africaines dont ils prennent connaissance, se sentent obligés, dans la revue Afrique et Langage, de rompre le silence qui entoure l’œuvre de Cheikh Anta Diop et qu’ils dénoncent. Leur éditorial présentant le compte-rendu critique de ce livre est en effet explicite “… lanalyse qui en est donnée le présente comme un dossier ouvert et sur lequel il serait malhonnête de faire silence : les relations de lÉgypte pharaonique et de lAfrique Noire sont un écheveau dinterrogations que larchéologue, lhistorien et le linguiste ne peuvent éluder. ” “Lanalyse ici proposée accuse du retard. En effet, envoyée à une revue de linguistique générale, elle fut égarée. Elle fut alors envoyée à une revue orientaliste et biblique ; là, on laccepta sans laccepter, mais sans pour autant la refuser. Nous décidâmes alors de publier le texte dans ce numéro dAfrique et Langage.” [Revue Afrique et Langage (Paris, n°13, 1er semestre 1980) concernant le livre de Cheikh Anta Diop Parenté génétique de légyptien pharaonique et des langues négro-africaines (Dakar, IFAN-NEA, 1977 ans un article intitulé “Cheikh Anta Diop 1923-1986, et publié dans l’Encyclopaedia Universalis, Jean Devisse confesse : “ … lhomme et le savant [Cheikh Anta Diop] ont été au cœur de trop de contestations et de controverses, lœuvre est trop importante pour que le silence les recouvre. (…) LEurope, tout particulièrement la France, a beaucoup hésité à prendre en considération cet homme et les idées dont il était porteur. (…) Peu dhistoriens auront renversé autant didées reçues, bouleversé autant de perspectives, ouvert autant de pistes de recherches.” [Jean Devisse : Cheikh Anta Diop 1923-1986, in Encyclopaedia Universalis, Vies et Portraits — Les vies, p. 546.] Cheikh Anta Diop souligne, lors dune conférence-débat avec la jeunesse étudiante, que lun des défis que doit relever le chercheur novateur, lorsquil est face à lhostilité générale, est de défendre sur la durée la vérité scientifique quil a établie. [Conférence de Niamey, 1984]. Le renouvellement des Études africaines En 1967, Cheikh Anta Diop annonce déjà la fin de l’africanisme : « Il y a lieu dinsister en guise de conclusion, sur les nouvelles exigences des Études africaines... Pour pénétrer plus profondément la complexité de la réalité africaine, un contact direct avec le milieu, supposant une connaissance des langues africaines, sera nécessaire. La formation de lafricaniste traditionnel est devenue insuffisante. La connaissance de légyptien ancien, en particulier, deviendra indispensable pour faire des travaux sérieux danthropologie culturelle sur lAfrique noire. En effet on a commencé à se rendre compte que l’on avait séparé artificiellement, dogmatiquement et anti-scientifiquement, ce qui ne faisait qu’un ; et il faudra bien réunifier les parties pour retrouver l’ensemble, la macro-unité, le sens et la continuité, la profondeur. A défaut de cette adaptation, le rôle de lafricaniste traditionnel sera progressivement réduit à une activité quasi journalistique. En réalité, la notion d’africaniste correspondait à une phase du développement culturel et politique de l’Afrique noire dans les temps modernes, à une situation spécifique comme l’étaient naguère la notion de sinologue pour la Chine et dans une grande mesure encore celle d’orientaliste pour l’Asie occidentale. Elle suppose une tutelle culturelle et intellectuelle. Elle sera dépassée au fur et à mesure que les Africains prendront en main leurs destinées politiques et culturelles » [Antériorité des civilisations nègres - mythe ou vérité historique ?, pp. 213-214]. Léchec académique, entre autres, de cet africanisme est analysé dans un ouvrage édifiant de lhistorien Ch. Didier Gondola intitulé Africanisme : La crise dune illusion (LHarmattan, 2007) Des ouvrages collectifs récents ont mis en relief le rôle majeur des travaux de Cheikh Anta Diop dans la restitution de lhistoire africaine [Makhily Gassama (sous la direction de) LAfrique répond à Sarkozy, Paris, Ed. Philippe Rey, 2008 ; Adame Ba Konaré (sous la direction de) Petit Précis de remise à niveau sur lhistoire africaine à lusage du président Sarkozy, Paris, Ed. La Découverte, 2008 ; ...]. Par ailleurs, lexistence de la recherche égyptologique africaine, lintérêt quelle suscite, conduisent les égyptologues occidentaux à y faire de plus en plus fréquemment allusion dans leurs publications, mais en privant dans bien des cas, le lecteur des références précises des travaux des chercheurs africains, objets de leurs commentaires [Christiane Ziegler, Jean-Luc Bovot, Art et archéologie : lÉgypte ancienne, Paris, École du Louvre, Réunion des musées nationaux, la Documentation française, Manuels de lÉcole du Louvre, 2001, p. 21 ; ArchéoNil, Bulletin de la société pour létude des cultures prépharaoniques de la vallée du Nil, n° 0, octobre 1990, p. 2, 8 et 9 ; Jean Vercoutter, LÉgypte et la vallée du Nil, Tome 1, Des origines à la fin de lAncien Empire, Paris, PUF, Collection Nouvelle Clio, 1992 ; Maurizio Damiano-Appia, L´Égypte, Dictionnaire encyclopédique de lancienne Égypte et des Civilisations nubiennes, Paris, Günd, 1999, p. 105 ; V. Davies and R. Walker, Editors, Biological Anthropology and the Study of Ancient Egypt, British Museum Press, 1993, p. 2. ; linformation donnée au lecteur sur les travaux des chercheurs africains est très souvent lacunaire : références absentes et/ou incomplètes ; Quentin Ludwig, Comprendre lÉgypte ancienne, Paris, Eyrolles Pratique, 2008 : plusieurs références faites aux travaux des égyptologues africains]. On note, par ailleurs, que des égyptologues anglo-saxons ont initié une analyse critique de leur propre tradition de recherche en égyptologie : “It cannot denied that many Egyptologists of previous generations shared the racist views that were endemic in their societies, and their work has often reflected this.” [Ann Macy Roth, “Afrocentrism”, in The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt, Donald B. Redford Editor in Chief, Volume 1, Oxford University Press, 2001.] Le Indianapolis Museum of Art aux États-Unis a réalisé une publication collective et une exposition intitulées Egypt in Africa [Theodore Celenko, editor, Egypt in Africa, Indianapolis Museum of Art, 1996]. “Egypt in Africa places ancient Egyptians in an African context, in contrast to the tendency of universities, museums, and the popular media to view ancient Egypt from Mediterranean, Middle Eastern, and European perspectives.” Plus de 20 ans après le colloque du Caire (1974), des colloques internationaux commencent à se tenir consacrés à la thématique Égypte-Afrique et où lÉgypte ancienne est progressivement replacée dans son contexte africain : Antic Egipte una civilizacio Africana, 1996, Barcelone, LÉgypte pré- et protodynastique, Toulouse, 2005, Egypt in its African Context, Manchester, 2009, ... Des résultats récents dans les domaines de légyptologie, de larchéologie, de la linguistique, de la paléontologie, de la génétique, etc. soulignent encore la fécondité des champs de recherche ouverts par Cheikh Anta Diop en 1954 avec Nations nègres et Culture. [cf. : ANKH, Revue dÉgyptologie et des Civilisations africaines (ankhonline), E. Huysecom, “Un néolithique ancien en Afrique de l’Ouest ?”, Pour la Science, n°358, août 2007, pp. 44-55 ; H. Bocoum (dir. publ.), Aux origines de la métallurgie du fer en Afrique - Une ancienneté méconnue. Paris, UNESCO, 2002 ; J. M. Bonnet-Bidaud, “L’observation de l’étoile Sirius par les Dogon”, ANKH n°10/11, 2001-2002, pp. 144-163 ; J. P. Mbelek, “Le déchiffrement des os dIshango – Confirmation de la naissance des mathématiques en Afrique équatoriale aux sources du Nil”, ANKH n°16, pp. 178-195, 2007 ; B. Sall, “Des grands lacs au Fayoum : l’odyssée des pêcheurs”, ANKH n° 12/13, 2003-2004, pp. 109-117 ; Bozet Nathalie (édité par), Aux origines de Pharaon, Éditions du CEDARC, 2009 ; David Rosalie (Edited by), Egyptian mummies and Modern Science, New York, Cambridge University Press, 2008 ; Béatrix-Mydant-Reynes, Comment la civilisation pharaonique est-elle née in Sciences et Avenir, Égypte – 3000 ans d’énigmes, n°165 janvier/février 2011, pp. 20-21 ; Béatrix-Mydant-Reynes, Aux origines de lEgypte pharaonique, Le Monde de la Bible, n°162, novembre-décembre 2004, pp. 19-25 ; Jean-Philippe Gourdine, Contribution de la biologie moléculaire du gène à létude du passé de lhumanité. Cas de lAfrique ancienne et moderne, in Cahiers Caribéens dEgyptologie, n°9, février/mars 2006 ; Ph. Charlier : interview par Caroline Lachowsky sur lADN de Toutankhamon dans le cadre de lémission Microméga diffusée le dimanche 21 février sur RFI ; ...] [Et] les études africaines ne sortiront du cercle vicieux où elles se meuvent, pour retrouver tout leur sens et toute leur fécondité, quen sorientant vers la vallée du Nil. Réciproquement, légyptologie ne sortira de sa sclérose séculaire, de lhermétisme des textes, que du jour où elle aura le courage de faire exploser la vanne qui lisole, doctrinalement, de la source vivifiante que constitue, pour elle, le monde nègre Antériorité des civilisations nègres - mythe ou vérité historique ?, p. 12].
Posted on: Sat, 26 Oct 2013 15:34:51 +0000

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