Monde «Ce sont les Frères musulmans qui ont voulu - TopicsExpress



          

Monde «Ce sont les Frères musulmans qui ont voulu l’affrontement» 15 août 2013 à 21:36 "Mahmoud Hussein", pseudo collectif de Bahgat Elnadi et Adel Rifaat, dans les locaux de Libération. (Bruno Charoy) Interview Pour les écrivains Bagat Elnadi et Adel Rifaat, connus sous le pseudonyme commun de Mahmoud Hussein, la répression des pro-Morsi soulève des interrogations, mais s’explique avant tout par «la posture du martyr» voulue par les islamistes. Par ALEXANDRA SCHWARTZBROD Le 10 juillet, ils publiaient dans Libération une tribune à la gloire du peuple égyptien qui, avec l’aide de l’armée, avait su se débarrasser de Mohamed Morsi. Intitulée «Le peuple a donné, le peuple a repris», elle finissait sur ces mots : «Quand la légalité démocratique devient le paravent d’une autocratie rampante, elle doit céder le pas devant la légalité des transitions révolutionnaires.» Au lendemain de la tuerie du Caire, nous avons demandé à Bagat Elnadi et Adel Rifaat, alias Mahmoud Hussein, s’ils gardaient la même foi dans le soulèvement égyptien. Comment réagissez-vous au coup de force mené mercredi par les autorités contre les Frères musulmans, qui a fait plusieurs centaines de morts ? Ce qui importe d’abord, c’est de savoir comment le peuple égyptien, dans son immense majorité, a réagi. Il a vécu la mise en place de ces camps retranchés comme une insulte à sa volonté, exprimée lors de sa gigantesque marche du 30 juin, de voir la fin de la dictature obscurantiste que les Frères musulmans étaient en train d’établir. Après la destitution de Morsi, il a vu se construire ces deux bastions armés au beau milieu de sa capitale et il n’a pas compris qu’on ne les disperse pas aussitôt. Il attendait cela, avec une impatience croissante, jusqu’à la journée de mercredi. Il a donc salué la dispersion des sit-in. Il est clair qu’il aurait préféré que cela se passe autrement, qu’il n’y ait pas de sang versé. Mais il fait porter sur les Frères musulmans la responsabilité de ce dénouement. Ce sont eux qui ont voulu l’affrontement ; ils ont rejeté toutes les offres qui leur ont été faites d’accepter le verdict populaire et de s’inscrire dans le nouveau contexte, de participer à une démocratie plurielle. Ils ont préféré la posture du martyr. L’intervention des forces de l’ordre a quand même été d’une violence inouïe ! C’est vrai. Comme beaucoup d’Egyptiens, nous ne comprenons pas pourquoi les choses se sont déroulées ainsi. Le ministère de l’Intérieur avait clairement dit qu’il y avait moyen d’intervenir dans un cadre beaucoup plus pacifique, par étapes, en bouclant les issues, en utilisant les moyens connus de pression croissante, trombes d’eau, gaz lacrymogènes, etc. Pourquoi a-t-on décidé tout à coup de boucler l’opération en quelques heures, au prix de tant de sang versé ? Est-ce parce qu’on a trop longtemps semblé hésiter qu’il fallait ensuite montrer une poigne de fer ? Toujours est-il que le retour d’une police musclée doit être suivi avec une grande vigilance dans l’avenir… Comment voyez-vous cet avenir ? Le peuple égyptien a des attentes pressantes, politiques et économiques, et c’est bien pourquoi il voulait que tout cela finisse. Pour passer à la reconstruction démocratique du pays. Il y a une feuille de route pour cela. Elle commence par l’écriture d’une nouvelle Constitution. Le travail est déjà avancé. Il s’agira d’une Constitution où on ne permettra plus l’existence de partis religieux, où la voix d’un musulman sera égale à celle d’un copte, et la voix d’un homme égale à celle d’une femme. Bref, une Constitution moderne, où le politique et le religieux sont définitivement séparés. Après le référendum prévu pour voter cette Constitution, des élections doivent se dérouler à brève échéance, parlementaires et présidentielles. Entre-temps, l’économie du pays doit être remise en marche, des mesures d’extrême urgence prises en faveur des plus défavorisés. Avec la marginalisation des Frères musulmans, n’y a-t-il pas un risque de scénario à l’algérienne ? Il n’y a aucun rapport. En Algérie, à la fin des années 80, il y avait une grande effervescence démocratique, le peuple en avait assez de la dictature du FLN, il voyait dans le FIS islamiste une chance de changement. Au premier tour des élections législatives, le FIS s’est effectivement trouvé en position de gagner. L’armée a brisé cet élan en faisant son coup d’Etat, un vrai coup d’Etat celui-là… En Egypte, au contraire, les Frères musulmans ont pu arriver au pouvoir et ils ont montré leur vrai visage. C’est le peuple qui, en l’espace de neuf mois, les a démasqués. C’est le peuple qui s’est mis en marche pour les chasser. Cela change tout. Rappelons que, dans leur histoire de près d’un siècle, les Frères musulmans ont connu plusieurs périodes de répression violente, parfois sanglante, mais c’étaient les appareils de répression qui les frappaient, ils s’en relevaient. Là, c’est différent, le peuple leur signifie une défaite sans doute irrémédiable. Depuis le mois de janvier 2011, le peuple joue un rôle crucial pour ouvrir de nouvelles situations révolutionnaires, mais ce n’est pas lui qui détient les clés de leur dénouement. Il vit une longue étape de transition révolutionnaire, avec de formidables bonds en avant, comme la chute de Moubarak, puis celle de Morsi. Mais, pour trancher les choses, il n’y a que l’armée, colonne vertébrale de l’Etat national. Elle a pris les choses en mains après la chute de Moubarak, de la pire des manières, puisque c’est elle finalement qui a fait la courte échelle aux Frères musulmans. Maintenant, elle reprend les rênes, avec une nouvelle génération de dirigeants, dont nous avons lieu de penser qu’ils pourront tirer la leçon du passé et qu’ils devront tenir compte de la formidable poussée du mouvement populaire. Il est clair, pour tout dirigeant digne de ce nom, que le peuple égyptien a définitivement vaincu la peur, qu’il gagne en assurance et en maturité, qu’il tient les dirigeants pour ses mandataires et non ses maîtres, et qu’il exige d’eux qu’ils lui rendent des comptes. Les dirigeants à venir ne pourront plus gouverner comme avant. Et si certains d’entre eux croient pouvoir revenir en arrière, au bon vieux temps des sujets du sultan, ils seront vite détrompés. L’Egypte a changé, en profondeur, mais les nouvelles formes politiques qui doivent répondre à ce changement ne sont pas encore prêtes, elles doivent être réinventées, elles mettront sans doute des années encore à s’affirmer. Vous ne craignez pas non plus un scénario à la syrienne ? Là non plus, rien à voir. Le peuple égyptien est ethniquement très homogène, il n’est pas composé de clans et de tribus dont chacun est un monde en soi. Et l’armée égyptienne est, depuis deux siècles, une armée dont l’histoire se confond avec celle de la nation moderne. Les Egyptiens se reconnaissent tous en elle, même quand il leur arrive de critiquer politiquement ses chefs. Non, pas de scénario syrien. Tout de même, les Frères musulmans ont bien été élus démocratiquement ? Tout d’abord, si Morsi a été élu, c’est dans des conditions qui sont tout sauf régulières et loyales. Il n’y avait pas d’Etat de droit, mais un état d’urgence et les pleins pouvoirs au maréchal Tantaoui, des milliers de jeunes révolutionnaires jetés en prison, des manifestations réprimées dans le sang… Et, surtout, les gens l’ont oublié, la commission qui présidait le processus électoral avait reçu le pouvoir incroyable de tout organiser, jusqu’à l’annonce du résultat, dans le secret le plus absolu et sans contrôle ni recours possible. Lorsque tous les votes ont été réunis, il avait été prévu qu’elle annonce les résultats un jour après. Elle a mis une semaine, une pleine semaine, avant d’annoncer les résultats, une semaine durant laquelle tout le monde attendait dans le noir… La plupart des Egyptiens pensent que Morsi avait en fait perdu l’élection et que ce sont les Américains qui ont fait pression sur Tantaoui pour annoncer la victoire de Morsi. Ce sont des rumeurs invérifiables, mais cela en dit long sur la nature démocratique de cette élection. Ce qui compte, c’est qu’après la victoire de Morsi, le peuple a vite compris qu’elle menait le pays à une catastrophe. On nous le répète ici [en France, ndlr] : «Mais le peuple n’avait qu’à attendre trois ans, il aurait sanctionné Morsi dans les urnes !» C’est une sinistre plaisanterie. Les Frères musulmans avaient condamné toute possibilité d’alternance. En fait, le coup d’Etat, c’est Morsi qui l’a fait, en s’adjugeant des pouvoirs sans retour. Sous la signature commune de Mahmoud Hussein, Bagat Elnadi et Adel Rifaat publieront en octobre un nouvel essai, «Ce que le Coran ne dit pas» (Grasset). > > >
Posted on: Fri, 23 Aug 2013 19:36:13 +0000

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