Musique enregistrée : le mirage numérique français – 26 juin - TopicsExpress



          

Musique enregistrée : le mirage numérique français – 26 juin 2013 – Philippe Astor Le marché de gros français de la musique enregistrée s’imagine peut-être avoir une chance de renouer avec la croissance cette année, après être parvenu à ramener la baisse de son chiffre d’affaires à moins de 5 % en 2012. Mais tout indique au contraire qu’il va droit dans le mur, alors que le miracle du numérique s’apparente de plus en plus à un mirage, et que de graves menaces pèsent sur le marché physique, qui représente encore l’essentiel de ses revenus. Avec une baisse de seulement 4,4 % en valeur sur un an en 2012, malgré un nouveau recul des ventes physiques de 11,9 %, le marché français de la musique enregistrée semble être en passe de toucher le fond ; ce qui pourrait être enfin annonciateur d’un rebondissement en 2013, après dix années de dégringolade (- 31 % en valeur depuis 2007). La lecture détaillée du rapport annuel du SNEP (Syndicat national des éditeurs phonographiques), sur « L’économie de la production musicale, édition 2013« , révèle cependant certaines faiblesses structurelles du marché français, qui risquent de transformer toute perspective de reprise en mirage. Si l’on exclut les droits voisins (copie privée, radio, télévision, lieux sonorisés), en progression de 7,5 % sur un an à 101 M€, le marché de gros de la musique enregistrée n’a pesé que 489 M€ en 2012, et accuse en réalité une baisse de 6,6 % en valeur. Le numérique, en hausse de 13 % à 125 M€, contre 110,6 M€ en 2011, n’a compensé qu’à hauteur de 29,4 % la baisse du marché physique l’an dernier, qui s’est élevée à 48,9 M€. Le taux de substitution de 43 % retenu par le SNEP dans son rapport, qui inclut la hausse des droits voisins (1), ne correspond donc pas au taux de substitution réel du numérique. La perspective que ce taux de substitution atteigne 100 %, ce qui ramènerait le marché français à l’équilibre, à défaut de lui permettre de renouer avec la croissance, reste donc encore très éloignée. Une marché du téléchargement plus qu’en berne Il en va tout autrement au niveau mondial, avec un marché presque parvenu à l’équibre en 2012, selon les chiffres de l’IFPI (Fédération internationale de l’industrie phonographique). Si l’on exclut les droits voisins et les revenus de la synchro (utilisation de la musique à l’image ; dans le cinéma, la pub, à la télévision…), la baisse du marché mondial de la musique enregistrée n’a été que de 0,4 % en 2012 (2). Le numérique n’a progressé que de 8 % en valeur, mais les ventes physiques n’ont baissé que de 5 %. De fait, le marché physique a perdu 490 millions de dollars sur un an, à 9,4 milliards de dollars, quand le numérique engrangeait 427 millions de dollars de plus, soit un taux de substitution de 87 %, presque trois fois supérieur à celui enregistré en France ! La part de marché du numérique dans les ventes de musique enregistrée en Fra nce en 2012, de 34,3 % (3) n’est pourtant pas si éloignée de ce qu’elle fut à l’échelle mondiale (38 %). La structure du marché numérique français de la musique enregistrée a à vrai dire de quoi susciter l’inquiétude. Le téléchargement, qui représente 50 % de ses revenus en 2012, à hauteur de 63 M€ (4), a pesé moins de 13 % des ventes globales hors droits voisins pour les membres du SNEP (13,5 % selon les extrapolations de l’IFPI à l’ensemble du marché), contre 50,3 % aux Etats-Unis et 36,2 % au Royaume Uni. Même en Allemagne, où la part du marché physique hors droits voisins et synchro avoisinne les 80 % en 2012, contre 73,4 % en France si l’on se base sur les chiffres de l’IFPI, la part de marché du téléchargement est de 17,8 %. De ce point de vue, parmi les cinq premiers marchés mondiaux, la France affiche des performances similaires à celle du Japon, où le téléchargement a représenté 13,2 % des ventes l’an dernier ; à ceci près que dans ce pays, le numér ique n’est plus un facteur de croissance depuis trois ans – il affiche une baisse de plus de 40 % depuis 2009 – quand les ventes physiques y ont connu une progression de 13,1 % en valeur en 2012, pour s’établir légèrement au dessus de ce qu’elles ont été en 2009. Avec une croissance de plus en plus en berne au cours des quatre dernières années – elle fut de 56 % en 2009 ; de 25 % en 2010 ; de 18,4 % en 2011 ; et de 12 % en 2012, selon les chiffres du SNEP – le téléchargement n’incarne plus le Deus Ex Machina susceptible de redresser le marché français de la musique enregistrée, d’autant qu’il affiche une baisse de 5,3 % au premier trimestre 2013. Un constat d’autant plus alarmant que le marché du streaming – avec une baisse de 6,9 % sur les trois premiers mois de l’année, après avoir connu une croissance de près de 32 % en 2012 – ne se porte pas beaucoup mieux. Les revenus de l’abonnement sont en effet condamnés à plafonner à court voire moyen terme (5), et les revenus publicitaires ne sont pas mieux lotis – avec un recul de 13,8 % au premier trimestre, contre une croissance de 22,9 % en 2012. La baudruche du streaming se dégonfle. Dans ce secteur du streaming, où elle se revendique à tort comme championne (6), la France pourrait bien avoir déjà mangé son plein blanc ; quand d’autres marchés bien plus proches de la rémission, à l’instar des Etats-Unis (dont le marché de la musique enregistrée est en baisse de seulement 1,35 % en 2012, hors synchro et droits voisins, avec une part de marché de l’abonnement de seulement 8 % dans le numérique), n’ont pas encore activé le relais de croissance qu’il est susceptible de constituer à l’avenir. Dans ces conditions, un scénario à la suédoise, où l’abonnement représente 59 % du marché global, ventes physiques inclues, est peu probable en France. Pas plus que ne l’est un scénario à la japonaise, qui voit les ventes physiques relever la tête. La liquidation des magasins Virgin Megastore et l’avenir très incertain de la FNAC en tant que distributeur spécialisé – alors que la part de marché des grandes surfaces spécialisées n’a cessé de croître au cours des dix dernières années de crise, pour passer de 36,1 % des ventes de CD et DVD musicaux en 2002 à 51,7 % l’an dernier, selon le SNEP – ferment définitivement la porte à cette perspective, et augurent même d’un impact désastreux sur les ventes physiques en 2013. De la à pronostiquer que le marché français de la musique enregistrée va droit dans le mur cette année, il n’y a qu’un pas, que les rumeurs d’une chute significative du chiffre d’affaires d’Universal Music France depuis un an invitent à franchir. A l’heure où le gouvernement se penche sur les suites à donner à la mission Lescure, qui semble être passée complètement à côté de ce constat plus qu’alarmant, l’heure est certainement à une réaction vigoureuse pour sauver les meubles. Les pistes à suivre ont déjà été identifiées à de multiples reprises : forte segmentation des offres de streaming sur toute l’échelle du consentement à payer ; priorité donnée à l’innovation dans les services et les applications musicales ; soutien à la distribution physique mais aussi et surtout à la conquête, par les acteurs du marché français, d’une multitude de marchés émergents promis à une forte croissance… Une stratégie qui commande de trouver de nouvelles sources de financement, publiques et privées, pour accompagner l’ensemble de la filière dans ce nouvel élan. A défaut, l’exception culturelle française en matière de musique pourrait avoir à en souffrir durablement.
Posted on: Thu, 27 Jun 2013 08:14:22 +0000

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