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NOTRE-DAME-DES-LANDES, UNE MOBILISATION EXEMPLAIRE 10 Quelle que soit l’issue de ce combat de longue haleine, la manifestation du 17 novembre 2012 en plein bocage nantais sur le site où doit être construit le futur aéroport de Nantes, à Notre-Dame-des-Landes, fera date. Quarante mille personnes, de très nombreux jeunes notamment, sont venues de tout le pays et même d’au-delà manifester pour « réoccuper » la désormais célèbre ZAD, la « zone d’aménagement différé » devenue « zone à défendre », acronyme typique du technocratisme français dont la portée sémantique s’est désormais chargée de l’esprit de rébellion. Ce succès vient de loin et s’explique d’abord par le patient travail de militants et le refus d’obtempérer de paysans menacés d’expropriation sans qui rien n’aurait été possible. Il signifie que ce qui est désormais appelé NDDL est devenu un enjeu national, et non une simple lutte locale. Il s’explique par le travail d’un ensemble de collectifs et d’associations, non sans tensions parfois, mais avec finalement une efficacité liée à leur capacité à s’accorder sur des perspectives de mobilisation. Il s’explique aussi par l’alliance forgée dans la lutte entre paysans et « zadistes ». Et il n’est pas étranger à la charge d’utopie portée par les occupants, leurs modes d’action et les alternatives qu’ils promeuvent. Conflit à la fois social, écologique et économique, la bataille contre NDDL se joue dans la rue et dans les champs, dans les arbres et dans les prétoires, dans les conseils municipaux et régionaux, à Nantes et à Paris, d’autant qu’y siège maintenant l’ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre socialiste et initiateur de la relance du projet d’aéroport en 2000. Une des clés du succès réside sans doute dans la capacité des opposants à allier les différents modes de contestation, à combiner radicalité et recherche d’un soutien large et massif de la population. L’invention et l’ironie sont aussi au rendez-vous avec des slogans soixante-huitards passés au vert : « Faites labour pas la guerre ! », « Des légumes pas du bitume ! », ou encore « De l’humus pas des airbus ! ». 11 Le procès en « ringardisation » semble avoir du mal à prendre. Pourtant, certains n’ont pas hésité à sortir l’artillerie lourde actualisant la vieille ritournelle du retour à la bougie : « Je n’accepte pas que des hommes et des femmes politiques, par ailleurs impliqués dans la gestion quotidienne de nos collectivités locales, cautionnent l’idée que dans le bocage de Loire-Atlantique naisse un nouveau modèle de société symbolisé par des cabanes dans les bois et des potagers autogérés », a ainsi vitupéré Jacques Auxiette, président socialiste de la région des Pays de la Loire[10][10] Le Monde, 7 décembre 2012, p. 20. ... suite. Mais le projet prend l’eau et a même bu la tasse. Passé au crible de la critique des opposants, il ressort en lambeaux. Il semble en effet cumuler tout ce que les politiques publiques affichées sont censées combattre : disparition de zones humides, disparition de terres de culture, atteinte à la biodiversité, destruction d’emplois agricoles, développement d’un mode de transport fortement émetteur de gaz à effet de serre. Pour autant, sa viabilité économique est loin d’être assurée comme une étude d’un expert indépendant a pu le démontrer. Côté emploi, le bilan n’est guère meilleur : le développement de NDDL affaiblirait l’autre aéroport nantais, menacerait les emplois de celui de Rennes, détruirait les emplois paysans. Quant aux emplois liés au transport aérien qui pourraient être créés, ils risquent d’être d’autant moins nombreux et stables que le développement de NDDL a toutes les chances de se fonder sur la desserte par des compagnies à bas coût, peu créatrices d’emplois. Rien ne permet non plus de comprendre pourquoi le choix n’est pas fait de développer l’aéroport existant loin d’être saturé. Enfin, cette construction s’opère sous le régime du partenariat public privé (PPP), un système dont de plus en plus de projets ont démontré le coût pour les deniers publics, sans que le service attendu soit au rendez-vous. En l’espèce, le groupe Vinci dont la filiale a été choisie pour construire puis exploiter l’aéroport a d’ores et déjà bénéficié d’avances sur recettes de la future exploitation. 12 Le non-sens écologique, social et économique du projet semble flagrant. À se demander pourquoi les dirigeants de l’agglomération nantaise, de la région, mais aussi le gouvernement, s’entêtent à continuer à le promouvoir. Manifestement, il s’agit de parier sur le développement de Nantes et de ses arrières dans la concurrence acharnée entre territoires qui se joue à l’échelle européenne, voire mondiale. C’est la métropolisation de Nantes qu’ambitionnent Jean-Marc Ayrault et bien d’autres. Dans ce cadre, un nouvel aéroport d’envergure internationale (les A380 doivent pouvoir atterrir à Nantes) constitue un passage obligé. Atout économique affiché autant qu’argument de prestige. Accessoirement, la construction du nouvel aéroport devrait permettre de lever les limitations au développement urbain dues au bruit généré par le trafic de l’aéroport existant. Face à la montée en puissance de Lille ou de Toulouse, l’ouest de la France va-t-il être capable de rester attractif pour les investisseurs, qui choisissent d’y installer ou non leurs unités de production et de services ? C’est dans le cadre de cette dynamique de concurrence que raisonnent bon nombre d’élus : croître ou dépérir, tel semble être le dilemme. Le géographe David Harvey a remarquablement analysé les mutations des formes de la concurrence entre territoires caractéristiques du développement du capitalisme contemporain[11][11] Voir certaines de ses études regroupées dans le volume... suite. La défense et la promotion du territoire, face à la puissance d’acteurs économiques dont la taille leur permet de jouer délibérément, d’opposer les territoires entre eux, tendent à unifier les forces politiques et les classes autour de projets de développement qui peuvent réussir ou se révéler catastrophiques. 13 En dépit de l’ampleur du soutien populaire à la contestation, le projet garde des soutiens politiques importants : PS et PCF alliés dans la majorité municipale à Nantes le soutiennent activement. La droite n’est pas en reste. L’opposition politique au projet à gauche est le fait des écologistes, de l’ensemble des forces du Front de Gauche (à l’exception du PCF) et d’une partie de l’extrême gauche. On voit donc que la fracture productiviste traverse profondément la gauche. Fait intéressant toutefois, l’ampleur de la mobilisation a fait bouger les lignes. Ainsi la CGT Pays de la Loire a pris une position neutre, et plusieurs fédérations départementales du PCF ont pris position contre le projet, tout comme certaines sections locales du PS. Du côté des paysans, seule la Confédération paysanne soutient les paysans en lutte contre les expropriations et participe aux différentes initiatives. Si l’étau s’est desserré, on voit donc bien combien une telle lutte continue à diviser, même si nombre de citoyens se mobilisent évidemment sans tenir compte des positions ou des consignes de la force politique pour laquelle ils ont pu voter. 14 Indéniablement c’est un autre projet de société que dessine l’opposition à la construction de l’aéroport NDDL. Si bien des variantes y cohabitent, le fond commun est pourtant réel. Les opposants clament la nécessité d’une politique à la fois écologique et sociale, où l’activité économique ne règne pas en maître mais se trouve subordonnée au développement humain. Nulle surprise dans ces conditions si la question d’une agriculture paysanne et de sa défense se trouve au cœur de cette lutte qui symbolise toutes les résistances à la disparition définitive d’un monde « enchanté » … Cette disparition, le réalisateur Richard Fleischer l’avait déjà imaginée en 1973, dans un remarquable film d’anticipation. Il est utile d’y revenir pour repousser le cauchemar qu’il annonçait. SOLEIL VERT, QUARANTE ANS APRÈS ! 15 L’histoire de Soleil vert[12][12] Soylent Green, réalisé par Richard Fleischer, États-Unis,... suite se déroule à New York en 2022. La planète est dévastée par la pollution et la surpopulation. Se pose également la question du réchauffement climatique d’où le titre français Soleil vert, traduction « libre » du titre américain originel, Soylent Green, contraction de soybean-lentil (lentille de soja), nom d’une multinationale, la Soylent Company, qui fabrique des pastilles vitaminées, des sortes d’alicaments à l’image de la pastille verte tant recherchée, le soylent green, censé être fabriqué à partir de plancton. 16 Le contexte sociopolitique de l’époque, celle des années 1970, est celui de l’accélération des problèmes environnementaux, de l’apparition d’un chômage qui va devenir structurel, des débuts du mouvement écologiste en particulier dans les pays « développés » et de la prise de conscience plus globale de l’incompatibilité entre croissance économique illimitée et préservation de l’environnement[13][13] Voir en particulier les conclusions du rapport du Club de... suite. 17 Le film décrit un monde qui advient après ce contexte d’accélération de la crise écologique et de destruction programmée de la planète sous l’effet de la généralisation de la logique capitaliste industrielle qui repose sur le développement de la technoscience, sur l’accélération dans les processus de production, sur le remplacement quasi généralisé de la valeur d’usage par la valeur d’échange, etc. C’est un monde « gris », sans joie – opposé au monde enchanté et coloré que visionne le « sage vieillard » du film avant d’être euthanasié –, qui est l’aboutissement d’une logique prédatrice vis-à-vis des ressources naturelles. Dans ce monde, les hommes se sont rendus « maîtres et possesseurs de la nature », c’est-à-dire qu’ils l’instrumentalisent. Censée se réaliser pour permettre à l’homme de s’épanouir, de s’émanciper en s’arrachant aux contingences de la matière, cette instrumentalisation de la nature s’accompagne également de la mise en œuvre d’une organisation industrielle de la société reposant sur la division et l’exploitation du travail, sur la hiérarchie entre les êtres humains, etc. Ce que dénonce ce film, c’est la logique portant cette organisation industrielle conduisant finalement à l’instrumentalisation de l’homme lui-même via des formes de barbarie qui s’incarnent dans divers processus de domination. Domination économique de ceux qui ont accès aux dernières ressources naturelles sur tous les autres qui vivent dans le dénuement le plus total et dont la seule préoccupation est de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires (se nourrir en particulier). Domination politique qui s’exerce par des formes de répression violente à l’image des bulldozers qui ramassent certains émeutiers sur les marchés pour les « recycler » en pastilles vertes qui serviront à nourrir la population, etc. Processus de domination qui conduisent finalement à la destruction de l’espèce humaine elle-même par le développement d’un cannibalisme industriel. 18 Certes, nous sommes encore loin du Soleil vert de Richard Fleischer. Et le pire n’est jamais sûr. Mais l’utilité de ce genre de dystopie est de permettre de s’interroger sur les dangers que recèle notre cours présent. Comment ne pas voir combien la fuite en avant dans la destruction de la nature est lourde de menaces politiques et sociales, desquelles une nouvelle barbarie peut émerger ? Comment ne pas constater l’impasse civilisationnelle que signe l’incapacité des classes dirigeantes, éclatante à Rio puis à Doha, de répondre à la gravité de la situation ? Comment refuser de voir la course à l’abîme enclenchée par le refus d’enrayer les causes du réchauffement climatique ? Comment ne pas percevoir le fossé toujours plus grand entre l’approfondissement continu de chacune des dimensions de la crise écologique globale (acidification des océans, dérèglement climatique, érosion de la biodiversité, pollution chimique généralisée, etc.) et l’immobilisme politique existant ? À son échelle, l’événement NDDL se dresse comme un défi face à l’inertie ambiante. Il permet de penser que le fossé peut être comblé. Une victoire à NDDL aurait ainsi incontestablement une grande portée politique. Nullement acquise, elle semble pourtant à beaucoup du domaine du possible. Cette victoire renforcerait l’espérance et le combat pour une politique sociale et écologique vraiment tournée vers l’avenir. 19 20 février 2013 cairn.info
Posted on: Tue, 22 Oct 2013 07:30:23 +0000

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