N’OUBLIONS PAS L’AVENIR Ces dernières années, comme toujours, des gens naissent et d’autres meurent. Voilà un peuple qui s’entend mourir chaque jour aux avis d’obsèques, mais jamais ne semble pareillement s’entendre naître. Parmi les morts, il en est de plus célèbres que d’autres. Ceux-là ne font qu’amplifier le bruit de pages d’histoire qui se tournent. On évoque leurs vies, leurs exploits, leurs carrières, leurs rêves réalisés, les beaux moments du temps passé traduits en actualité du jour, le temps d’un journal, d’un micro-trottoir, de quelques communiqués, de larmes obligatoires ou de regrets convenus. Alors, ça ne gêne personne d’abonder en superlatifs. Comme qui dirait « Un(e) grand(e) guadeloupéen(ne) est un(e) guadeloupéen (ne) mort(e) ». On s’habitue ici à n’aimer les femmes et les hommes de ce pays qui ont œuvré pour le plus grand nombre que sur des pages qui se referment. Je ne perçois aucune intention de les relire jamais, utilement, aux nouvelles générations. Tout se passe comme si on se souciait de la relève moins que de sa dernière oraison funèbre. La Guadeloupe préfèrerait s’entendre mourir que mettre de l’espoir dans ce qui d’elle-même s’efforce de naître. J’avoue que je m’y habitue de moins en moins. Je regarde la vie, tout ce qu’il y a à faire ou qui reste à faire, ou à inventer, et je sens moins de regards qui rencontrent le mien que lors des veillées , autour de tel ou tel célèbre disparu. Ces derniers temps, j’ai perdu pas mal d’amis chers, chaque fois un de moins que je verrai vieillir ( ou qui me verra vieillir) davantage. Vu la génération qui est la mienne, ça s’arrangera pas avec le temps. Maintenant, j’incline à remplir mon agenda d’autres rendez-vous et d’autres célébrations. Je me dis : s’il faut se souvenir, il vaut mieux se souvenir de l’avenir, et tenir l’héritage des disparus comme un stock précieux de connaissance de nous-mêmes, à consulter et enrichir sans cesse.
Posted on: Sat, 24 Aug 2013 18:03:06 +0000
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