Origine du mot Genie La folle inspiration ou la folie - TopicsExpress



          

Origine du mot Genie La folle inspiration ou la folie inspirée Génie chimique, civil, militaire, génétique… Le mot « génie » vient ici du latin ingenium désignant la puissance créatrice, mais on notera que le mot génie ne se passe d’adjectif que dans le domaine des arts. D’ordinaire on considère que le génie désigne une forme supérieure de l’intelligence dont l’origine peut être trouvée dans des êtres surnaturels, doués d’un pouvoir magique. Dans la tradition antique et tout au long de la Renaissance, on loue le génie comme « divine ardeur », « fureur démoniaque », « inspiration surhumaine ». L’âme qui cherche au moyen des sens à saisir la beauté divine est transportée par une frénésie (fureur) dans un état de « divine folie », d’inspiration. Le propre de la beauté est de se révéler comme un absolu universel : les œuvres d’art ont donc une beauté d’emprunt qu’elles tiennent de leur ressemblance avec l’idée de beau mais cette ressemblance est très imparfaite, l’idée se dégradant dans la réalité sensible. Pour Platon, un bon peintre peut tout juste tromper des enfants ou des « gens qui n’ont pas toutes leurs facultés » s’il veut faire passer son dessin pour la réalité… On comprendra alors que le génie caractérise avant tout le poète et il faudra attendre la moitié du XVe siècle, avec l’interprétation du philosophe florentin Marsile Ficin, pour pouvoir considérer les plasticiens aussi comme des génies. Parier sur le génie, c’est se donner la beauté comme enjeu, une beauté absolue, divine, totalement inspirée mais qui comporte le risque de la folie : le feu platonicien de l’inspiration divine s’interprétera très vite comme démence. Ainsi, Aristote, dans son fameux Problème, pose la question : « Pour quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception […] sont-ils manifestement mélancoliques, et certains au point même d’être saisis par des maux dont la bile noire est l’origine ? » et, dans la Poétique (1455a-32), il affirme « l’art poétique appartient à l’être bien doué de nature ou au fou (manikoû) ». Pourquoi ? Parce que les premiers se modèlent facilement et que les autres sortent d’eux-mêmes (ekstatikoi) ; or l’art antique se comprend essentiellement à travers la catégorie d’imitation (mimesis). L’être doué peut mimer facilement, le fou se projette hors de lui-même et prend toutes les positions des autres, ce qui est une autre manière de mimer. Il s’agit de deux façons de devenir autre, de s’aliéner. Ceux qui ont un mélange de bile noire (mélancolie) dans leurs humeurs5 sont portés à la folie et doués par nature. On n’est créateur qu’en étant autre, qu’en se laissant devenir autre6. Un bon poète est inspiré comme dans un délire, dans une prise de possession par une force divine, Muses ou Apollon, ou dans un hors de soi plus ou moins bien défini, qui le fait mimer l’oiseau qui chante, le murmure de l’eau, l’homme au désespoir ou plein de joie, etc. Dans Ion, Socrate remarque que la poésie ne saurait être une vraie technique puisque le poète n’est pas à l’origine de ce qu’il dit, il prend sa source en dehors de lui, il ne saurait rendre compte de ses paroles. Mais là où Platon parle d’élection divine, Aristote utilise la causalité physique de la bile noire pour exprimer cet Autre qui est dans le poète. Il remplace la gratuité du choix divin par le hasard du mélange qui nous constitue et, ce faisant, il « laïcise » le génie en le mettant en relation avec la mélancolie. Ainsi, notre imaginaire culturel s’est organisé à partir de la confluence de plusieurs traditions qui articulent génie et pathologie, sagesse et folie, inspiration et dépossession de soi. Parier sur le génie, n’est-ce pas une façon de réintégrer la folie dans la culture dès lors que la question de l’inspiration divine n’est plus qu’un lieu commun poétique ou qu’un topos pictural ? Une originalité imprévisible L’application de la notion de génie aux beaux-arts est tardive et concomitante de l’apparition d’un statut de l’artiste en tant que tel, il fallait une individualisation de l’artiste, non plus artisan ou maître d’atelier, mais sujet « créateur » à l’égal de Dieu. C’est en 1436 que l’architecte et sculpteur italien Alberti, dans Della pittura, présente l’artiste comme un autre dieu, un alter deus, et le distingue des gens dits « normaux ». Le génie est affranchi dans la vie comme dans ses œuvres des normes morales et des règles communes de l’art. On trouvera dans les Vies de Vasari quantité d’anecdotes sur les artistes de la Renaissance tel Michel Ange ou encore dans les biographies des artistes eux-mêmes comme la célèbre Vie de Cellini, qui tendent à prouver le caractère hors du commun du génie. Ces anecdotes révèlent aussi une capacité de travail surhumaine qui n’est exclusive ni d’une sorte d’oisiveté créatrice ni d’un don inné. Au XVIIIe siècle, on continue de voir dans le génie « un homme surnaturellement doué, de naissance quasi miraculeuse, en avance sur son temps ». Mais l’article « génie », paru en 1757, dans l’Encyclopédie et attribué à Diderot, établit une distinction essentielle entre l’homme génial et l’œuvre géniale. Dans le premier cas, il s’agit de psychologie ; dans le second cas de critique littéraire ou artistique. Cette différenciation est fondamentale car elle peut permettre de « sécuriser » notre pari : parier sur l’inspiration, qu’elle soit divine ou pathologique, demeure très aléatoire, parier sur une œuvre originale est sans doute plus identifiable et surtout plus intéressant en termes de gains… Parier sur l’œuvre géniale, c’est parier sur une exemplarité qu’on ne peut copier sans risque, le génie serait un modèle inimitable puisqu’il crée, selon Kant, de nouvelles règles : « Le génie est le talent (le don naturel) qui permet de donner à l’art ses règles . » Mais comme ce talent est inné (ingenium, disposition innée de l’esprit), le génie n’est finalement que ce à travers quoi la nature donne à l’art des règles. Kant va même plus loin en disant que sans génie pas de beaux-arts puisque, dans le domaine du beau, il n’y a pas de concept déterminant la manière dont une œuvre d’art est possible et en même temps « tout art suppose des règles ». Par conséquent, l’art n’existe que par le génie, c’est-à-dire un sujet à travers lequel la nature donne ses règles à l’art, mais le génie ne s’apprend pas. La qualité première du génie est l’originalité, il ne crée pas par imitation mais ses œuvres sont exemplaires. Si le génie donne ses règles à l’art, il le fait en tant que nature c’est-à-dire sans passer par l’intermédiaire d’un concept comme source de détermination. Causalité aveugle puisque dépourvue de concept, le génie ignore les conditions de sa création, la source de son inspiration lui échappe. Le génie peut donc choquer l’ordre établi et s’imposer contre la bienséance, contre le goût qui s’efforcera éventuellement de le dresser, c’est-à-dire de le civiliser, de lui « rogner les ailes ». Ainsi, faire l’apologie du génie conduit à une théorie économique des gains et des pertes : un certain manque caractérise le génie dont Nietzsche soulignera la nature organique, une certaine immoralité aussi, une parenté avec l’instinct, quelque chose de tyrannisant. Parier sur le génie, cela peut signifier parier contre le goût : « du point de vue du génie, un art est surtout plein d’âme, mais ne peut être qualifié véritablement de bel art que du point de vue du goût… ». Le pari d’une originalité imprévisible comporte bel et bien un risque puisque c’est choisir contre la beauté, contre l’ordre et la clarté, c’est choisir « la richesse de l’imagination » qui dans « une liberté sans loi » ne produit que le non-sens, c’est être, pour reprendre l’expression kantienne, dans le « trop-plein des pensées », dans ce qui n’est pas encore civilisé.
Posted on: Thu, 27 Jun 2013 05:27:25 +0000

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