Par Junia Barreau Depuis quand les Dominicains se souciaient du sort de la population haïtienne plus que les Haïtiens eux-mêmes ? Je lis dans les interventions dominicaines l’argument de la "faim de la population haïtienne" qui revient souvent, comme si les Dominicains nous faisaient de la charité en nous vendant leurs produits souvent de qualité douteuse… Comme s’ils ne réalisaient des centaines de millions de bénéfices sur une Haïti dénudée par la mal-gouvernance de nos dirigeants. Je sais que les Dominicains vont faire traduire ce message en espagnol par les services de traduction et qu’ils vont me mettre dans la catégorie anti-dominicaine. Je ne cultive aucune haine contre les voisins, ni aucune envie de leur situation parce que je sais que Haïti pourra aussi se développer quand elle aura des dirigeants valables et des élites responsables. Je peux parler sans langue de bois sans inciter à la haine ni contre les Haïtiens ni contre les Dominicains. Nos voisins ne sont pas nos frères vu le traitement réservé aux Haïtiens sur leur territoire. Combien d’Haïtiens ont été assassinés, violés, torturés, maltraités en République dominicaine ces vingt dernières années ? Et combien de Dominicains ont été assassinés, violés, torturés, maltraités en Haïti ces vingt dernières années ? Rien qu’à faire le décompte et la comparaison, on saura qui sont les véritables méchants sur l’Île d’Haïti. L’histoire est l’histoire et on ne peut la refaire, mais il me semble que Trujillo avait vengé les Dominicains tués sous Boyer. Combien de temps va durer la vengeance dominicaine contre les Haïtiens pour l’occupation de Boyer qui était dictée par les impératifs du moment dans un contexte tout à fait différent. Rien n’excuse la barbarie qu’ont subie les Dominicains sous l’occupation de Boyer, rien non plus n’excuse la barbarie que subissent actuellement les Haïtiens chez les voisins et ce depuis plusieurs décennies. La haine des Haïtiens est savamment entretenue par une classe dominicaine dont les intérêts ne sont pas toujours clairement identifiés. Si les Dominicains se mettent à parler de l’immigration illégale haïtienne chez eux, il faudra aussi qu’ils lèvent le voile sur le commerce illégal et la corruption qu’ils entretiennent en Haïti. Leurs industries profitent allègrement de la main d’oeuvre haïtienne bon marché ou en situation d’esclavage dans leurs champs. Mais dans ce dernier cas, ils ne sont pas les seuls responsables. Nos dirigeants aussi ont une grande part de responsabilité, celui qui a vendu la main d’oeuvre haïtienne bon marché dans les bateys contre argent n’est autre que le dictateur Jean-Claude Duvalier. Les Dominicains n’ont que des intérêts en Haïti qu’ils veulent préserver. Si l’élan naturel du peuple dominicain envers le peuple haïtien suite au séisme de janvier 2010 est à respecter et apprécier, les politiciens et entrepreneurs dominicains ont su tirer grand profit du malheur haïtien. L’élan naturel est très vite devenu intéressé se transformant en une stratégie commerciale très claire des Dominicains. Faut-il rappeler à cet ancien président dominicain que les Haïtiens avaient secouru de la même façon les Dominicains après un cyclone qui avait ravagé Santo Domingo dans les années 50. Ce n’est que de la réciprocité entre "bons voisins". Si les Dominicains nous traitent d’ingrats c’est qu’ils ont la mémoire courte, trop courte. L’Université de Limonade est un deal trouvé par l’ancien premier ministre Bellerive pour faire passer la pilule amère de l’octroi irrégulier des contrats aux firmes dominicaines pour plus de 500 millions US. Les Dominicains nous ont construit une université valant 50 millions dit-on. Une partie du budget de construction de cette université a été financée par plusieurs pays donateurs parmi lesquels le Taiwan, l’Espagne, le Japon et l’Allemagne. Quelle fut la contribution exacte de la République dominicaine ? Il faut considérer toute contribution dominicaine comme une commission à ajouter à celles qu’ont reçues les dirigeants haïtiens sur ces fameux contrats. On ne sait pas non plus si la construction de cette université a coûté réellement les 50 millions US, les firmes dominicaines ont été les maîtres d’ouvrage et n’ont rendu aucun compte à la partie haïtienne. D’ailleurs, le bâtiment construit est déjà fissuré. Cela dit tout sur la qualité du travail des firmes dominicaines et nous autorise à questionner le budget réel de "l’investissement" dominicain. Sur les poules et œufs de discorde : celui qui te nourrit te contrôle ! Peut-on laisser nos voisins "aussi bien intentionnés soient-ils" nous apporter à manger tous les jours, sans une fois se décider à préparer à manger nous-mêmes ? Je ne connais aucune famille qui pourrait vivre dans ces conditions. Imaginons un peu, chaque jour la voisine prépare à manger et nous apporte à manger pour toute notre famille, et nous ne faisons rien, seulement attendre que la voisine passe avec son plat du jour. Serait-ce normal ??? L’industrie haïtienne peut relancer rapidement la production de poules et d’œufs sur son territoire, il est temps qu’on s’y mette afin de créer des emplois chez nous pour nos frères et sœurs. Si je peux faire une suggestion à nos voisins dominicains : il faut qu’ils diversifient leurs partenaires commerciaux. Haïti est le deuxième partenaire commercial dominicain, pensent-ils vraiment brandir l’épouvantail de fermeture des frontières ? Contre qui cette mesure serait le plus dommageable ? Les Haïtiens réduiront leurs importations certes mais se tourneront vers d’autres fournisseurs, ce qui serait la pire option, la meilleure étant de relancer notre production. Ou l’industrie dominicaine trop dépendante d’Haïti. Oui pour un accord commercial entre Haïti et la RD afin de régulariser les échanges et de lutter contre la contrebande. Non au libre-échange entre Haïti et la RD qui ne profitera qu’aux Dominicains. Haïti veut un accord gagnant-gagnant. Elle ne peut pas toujours perdre sur toute la ligne… Junia Barreau
Posted on: Fri, 21 Jun 2013 19:11:26 +0000
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