Royaume céleste -Un texte de François Bayrou sur Pau paru dans - TopicsExpress



          

Royaume céleste -Un texte de François Bayrou sur Pau paru dans Libération Le 18 mars 2006 à 20h40 Au commencement, il y a la géographie. Pau est une falaise au bord dun océan. Mais locéan est de terre, de collines, de moutonnements darbres, et la vague bleue qui se forme à lhorizon, ce sont les Pyrénées. Et pardessus tout cela, le plus beau ciel du monde. Ce nest pas moi qui le dis, cest Lamartine écrivant à Stendhal. Il y a cette falaise, ce balcon sur la plaine, ce belvédère. Il y aura donc un château. Car viennent les figures de lhistoire. Le premier qui savance est un homme flamboyant, doué pour tout, la chasse, les lettres, la guerre, la politique. Parfois, quand il se lâche, il trucide ses rejetons. Il se nomme Gaston, on lappelle Phébus, comme Apollon, comme le soleil. Il proclame lindépendance du Béarn, après avoir protégé son pays libre dune ceinture de forteresses chargées de le défendre contre le roi de France aussi bien que contre le roi dAngleterre. La première tour, ce sera Pau. Cest le XIVe siècle en Béarn. La deuxième figure est un peu pâle. Cest celle dun jeune homme fragile qui, épousant lhéritière du trône voisin de Navarre, apporte à sa dynastie la seule chose qui lui manquait : une couronne de roi. Et quimporte que bientôt, Pampelune conquise, la Navarre soit une couronne sans royaume. Le Béarn est un royaume à qui il ne manquait quune couronne. Cest le XVe siècle en Béarn. La troisième figure est une femme, la plus grande intellectuelle de son temps alors que le mot nexiste pas encore, surtout au féminin. Elle est soeur unique et aimée du roi de France, François Ier. Elle sera femme de roi, Henri dAlbret, roi de Navarre. Pour laccueillir, le château fort sest fait palais de la Renaissance. Elle ouvre la voie à la quatrième figure de la saga, son petit-fils, qui naît une nuit de décembre et à qui est réservé le plus extraordinaire des destins. Il verra son père, chef des catholiques, faire la guerre à sa mère, chef des protestants. Plus de mille de ses compagnons, rassemblés pour son mariage, seront massacrés sous ses yeux à la Saint-Barthélemy. Il sera résistant, conquérant, pacificateur. Il sera roi de France, en riant, amoureux, en pleurant, et mourra poignardé pour avoir fait la paix dans son peuple en signant lédit de Nantes. Il sera Henri IV, le premier roi de France et de Navarre. Cest le XVIe siècle en Béarn. Ce nest pas une ville, cest une saga. Tout sy tient, tout sy lit, dans le paysage et dans le ciel. Deux siècles plus tard, cest Wellington, celui de Waterloo qui sarrête à Pau, à la tête des armées anglaises, de retour dEspagne. Wellington, ses troupes, ses chevaux, ses chiens, et force Irlandais, ses compatriotes, pour soigner les uns et honorer les autres. Les soldats, les chevaux, les chiens et les Irlandais, pêle-mêle, tombent amoureux du pays. Je le sais bien. Je descends de lun deux. Parmi eux, un médecin, Alexander Taylor, qui décide sur-le-champ quil ne pourra plus vivre ailleurs quau sein de ce paysage, quil sinstallera là une fois la guerre achevée et que ce climat unique sera le meilleur du monde pour soigner la tuberculose des fils de famille et la mélancolie de ceux qui ont trop dargent. Les uns et les autres affluent. Ce que navaient su faire ni Gaston Phébus, ni Marguerite de Navarre, ni même Henri IV, Taylor le fera. Le monde se donne rendez-vous à Pau. Pendant un demi-siècle, les grandes familles britanniques et les riches familles américaines entraînent la ville dans un tourbillon de chasses, de courses de chevaux, de fêtes, de golf, de folies plus ou moins alcoolisées, au premier rang desquelles la plus enivrante de toutes : la découverte de laviation. A Pau, la terre entière vient apprendre à voler. Et ceux qui volent ne seront pas volages. On le verra quand la guerre viendra. Car les fils de famille, les milliardaires encanaillés, les cavaliers intrépides, les aviateurs téméraires, un grand rire à la bouche, quitteront les somptueuses villas à peine construites, sangleront leur uniforme comme ils boutonnaient leur habit pour la chasse, convoqueront leur banquier pour payer eux-mêmes leur avion et entreront dans la fournaise où ils se feront tuer pour la liberté de la France. Trente ans se passent, agricoles et artisanaux. Pau, qui était capitale du monde, est redevenu chef-lieu du Béarn. Ma mère, qui nest pas encore ma mère, livre du lait et du beurre aux villas décrépites. Mon père, qui nest pas encore mon père, vend au foirail du maïs et des haricots. Mais les Pyrénées bleues navaient pas tout dit de leurs secrets. Les années 50 vont sonner. Quelques foreurs quasi ruinés, perçant leur dernier puits avant dépôt de bilan, découvrent du pétrole, très près de la surface. On croit que cest le Texas. Ils font fortune en quelques mois et, comme on ne se refait pas, ils continuent à forer. Le 19 décembre 1951, gigantesque explosion : le gaz formé il y a quelques millions de siècles, au temps où les Pyrénées étaient une mer, le gaz piégé par le surgissement des montagnes, explose dans le ciel du Béarn. Ça tombe bien, jai 6 mois. Pour fêter ce surgissement, on convoque Red Adair, histoire de dompter limmense geyser et dempêcher la nappe de gaz doccire les foreurs et les bébés du coin. Alors des puits, alors des torchères, alors des lumières jusquà lhorizon, le Béarn davant-garde et les villes nouvelles. Gaz et pétrole rameutent techniciens, ingénieurs et chercheurs, géologues, informaticiens et chimistes. A leur tour, ils se jettent sur les gisements dau-delà des mers et le grand large revient à Pau. Dans la plaine, cest laviation qui est reine, puisque se fabriquent ici deux sur trois des moteurs dhélicoptères qui volent dans le monde. Le gaz sépuisera, bien sûr, mais plus rien ne fera oublier à cette ville, en liaison avec les cinq continents, quelle est redevenue une capitale. Et par-dessus tout cela, le plus beau ciel du monde. François Bayrou
Posted on: Mon, 11 Nov 2013 19:39:57 +0000

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