Sprego 2 J ouvris les yeux, et me retrouvai attablé, face à - TopicsExpress



          

Sprego 2 J ouvris les yeux, et me retrouvai attablé, face à une inconnue, dans un lieu inconnu, écoutant des propos que je ne comprenais pas. Une carte des menus se tenait debout sur sa tranche. Sur ma droite un verre de vin rouge scintillait sous les spots dissimulés dans le plafond. Des serveurs flottaient de table en table, tenues impeccables et sourires irréels. Des effluves de viandes et dépices, mêlées aux senteurs suaves et artificielles dune chandelle aromatisée, embaumaient lendroit, dinstant en instant. La jeune femme se tenait droite sur sa chaise et me parlait, fuyant mon regard et cherchant du courage dans son verre. Elle portait une robe en soie bleue, fendue au niveau de la cuisse droite, plutôt serrée, qui faisait ressortir sa jolie poitrine. — Tes livres, ne se vendent plus ! Tu as beau essayer, tes trois derniers romans ont généré plus de perte que de profit, sans compter que tu as mis la main à la poche. Elle but une gorgée, ses boucles doreilles se balancèrent un instant, puis elle reprit: — À ce train là, on naura plus les moyens de vivre convenablement. Regarde, où est-ce que tu m’amènes dîner! Un boui-boui de seconde zone, sans étoiles... Son carré plongeant, entourait sa gêne dun halo cuivré. Je ne pus m empêcher de sourire, charmé par tant de beauté et de vie. — Moque-toi de moi, je sais ce que tu penses... Je pensais quelle était sublime. Et je pensais à lui faire lamour dans les toilettes. — Mais, dit-elle, tu nas aucune conscience. Tu ne te rends pas compte de la portée de tes actes, et de leurs conséquences. Tout pour lart et la renommée et rien pour les autres, et tu vois comment il te le rend lart? En hypothèque et crédit sans fin... Je me contentai de lécouter. Je voulais profiter de mon verre, mais peut-être le prendrait-elle pour un affront ? Je posai ma main autour du socle et le fis tourner...le portai à mes lèvres...goûtai le vin. Il était corsé. Il coula dans mon estomac et me réchauffa un peu le corps. Je scrutais une réaction. Elle me copia, éclusa son verre, puis resta immobile, les yeux clos, comme pour mieux sentir leffet de l’alcool sur son organisme. — Je pense que nous devrions le faire...dit-elle, les yeux toujours clos. Je sais les risques que cela comporte. Mais...jai bien réfléchi, et je crois que cest lunique solution. Une serveuse passa, avec un chariot. Dessus, étaient disposés plusieurs sortes de petit pains, de fromage et de charcuterie. Mon invitée déclina linvitation et le chariot, couinant, bifurqua vers dautres tables. Faire quoi ? me demandais-je. — Jamais la difficulté na été aussi élevée, et les gains aussi juteux. Je suis sûre que lon peut y arriver. Je le sens, précisa-t-elle. Elle rouvrit ses yeux. Ils débordaient doptimisme, ils étaient vert olive. Je levai mon regard de sa poitrine et pris le risque de répondre: — Tu en es sûre? fis-je, calmement. — Oui, répondit-elle sans hésiter. Le gouvernement autorise laccès à la planète terre, à tous ceux qui le désirent. Il récompense, tous ceux qui en reviennent. Et paie grassement, ce qui décontamine la vibration, et forme des îlots de reconnaissance. Tu te rends compte ? On parle de beaucoup dargent, sans parler de la publicité énorme que cela ferait à ta carrière. Penses-y. Si on parvient, seulement à te faire revenir, ça suffirait amplement. Lenthousiasme , le vin aidant, la possédait. Elle chopa mon verre et en but la moitié. Je ne cherchai même pas à comprendre de quoi elle me parlait. Je répondais, en reprenant, l’essentiel de ce quelle me disait, espérant tomber juste. — On peu y arriver...dis-je. — Oui... évidemment, le degré du rythme hypnotique de la vibration inférieure est devenu infernal, et quiconque pénètre la sphère terrestre perd instantanément la mémoire, et son lien cosmique. Cest le prix à payer pour entrer sur terre. Donc, nous serons déconnectés, du moins en surface, mais si on prépare bien ton plan de vie, on devrait pouvoir téléguider lâme jusqu’à un point de reconnaissance, un signal qui te rappellera qui tu es réellement. Elle leva la main, commanda une bouteille, puis reprit : — Jai soif.. attends. Elle sortit, de son sac Birkin, un dossier épais comme un manuel de magistrature. — Ne men veux pas... dit-elle. Elle me fit un clin d’œil et se mordilla la lèvre inférieure. La bouteille de vin arriva. — Un Château-Papillon, tout droit venu de la terre. De Bordeaux, précisa le serveur, avec sérénité. Il déposa deux verre propres sur notre table, débarrassa les autres, versa une rasade dans le mien, puis la jeune femme et le serveur attendirent mon verdict, avec un vif intérêt. — Excellent, fis-je. Le serveur montra ses dents un bref instant ; la jeune femme poussa son verre avec empressement. Le serveur, avant de quitter notre table, nous souhaita une agréable dégustation et nous rappela quil était à notre service, comme toujours, avec un temps de latence avant de sen aller pour de bon. La jeune femme, me donna un coup de pied sous la table : — Et le pourboire? — Jai oublié... — Radin ! Je déteste ça, tu le sais bien... — Je lui donnerai discrètement quand on sen ira, en lui serrant la main ! Quelle réplique, pensais-je. Du grand art ! —Tu as intérêt ! fit-elle, on nest pas des clochards, je te signale, pas encore... — Calme-toi, je ten prie ! Ne te fais pas remarquer, dis-je. — Très bien, très bien...bon...où en étais-je ? Ah oui....Jai monté un dossier, je my suis mise à fond, en plus. (Elle tapota le dossier comme le crâne un animal docile.) Cest intéressant de planifier une vie dêtre humain tu sais ? Cest fou la diversité et la complexité infinie, de lhomme et de la femme, sans parler des animaux et de la matière en général. — Je bus une lampée sans la quitter des yeux. Vraisemblablement, j’étais en position de force, elle venait dabattre ses cartes, et avait perdu son sang froid. Jattendis la suite. — Si, on te fait naître dans un quartier défavorisé, un environnement délabré, en Europe si possible, un pays où tu puisse travailler sa dialectique, un pays avec des lettres de noblesse, avec des parents illettrés, alcooliques, violents, malades, et avec beaucoup de frères et sœurs, et quon fasse en sorte que tu nétudies et ne lises pas jusquà la trentième année de ta vie, et quon te fasse subir un choc violent psychiquement, on est à coup sûr dans la possibilité de créer une brèche par laquelle nous pourrons établir le contact. Elle me rendait nerveux. Toute ce quelle venait de débiter, en lisant son pavé, n’était ni plus ni moins que ma vie. Le nausée me vint, et je la fis disparaître avec un cul sec de rouge. Je commençais à comprendre... Lambiance avait évolué dans le restaurant. L’affluence commençait. Un quinquet de jazz sinstalla dans le coin de la salle. Les musiciens sortirent leur instrument sans se presser. — Donc, tu veux menvoyer là-bas dans cet endroit pourri et isolé, et mort, pour de largent ? demandais-je. C’était un autre qui avait parlé, pas moi. C était comme si je minsérais sur un écran de cinéma en pleine avant-première. Les musiciens saccordaient. Accords de guitares, envolées de basses, coups de cymbales, attaques de saxos, se faisaient entendre timidement. — Chéri, dit-elle en posant sa main sur la mienne, pense à ta carrière, à tout ce que tu vas pouvoir apprendre et raconter dans tes prochains livres. Pense à nous et aux enfants quon désire tant avoir. Jai consulté des spécialistes de “la vie”, jai monté ce dossier avec eux, ça ma coûté une petite fortune. — Combien en sont revenus? ( Un, deux, un deux). Le groupe testait les micros. — Une cinquantaine d’après les sources officielles. Sans compter ceux qui ne veulent pas revenir. — Cinquante, sur six milliards et demi... Tout un tas dhommes et de femmes qui on tenté leur chance ...fis-je. Ma voix semblait celle dun autre. Un autre, excité par cette aventure, qui sy intéressait avec un fort intérêt. — La pulsation inférieure du champs bleu prend de la puissance, de la force, dans le temps, de battement de cœur en battement de cœur, s’enfonçant profondément dans la chair de lesprit, et les personas et les âmes sans vergogne, se sont établis maîtres-geoliers aux abords des passages dimensionnels. Ils bombardent les humains, de bien et de mal, de vie et de mort.... Le leader du groupe, bedonnant, souriant, feutre en daim posé sur sa tête, présenta son groupe, souhaita une agréable soirée à tous, avant de lancer un décompte en anglais : « A three, a two, a one... » puis le band se lança dans un magnifique morceau dont je ne connaissais pas lorigine. — OK.. fit ma bouche sans mon autorisation. On va le faire, ma belle. On va gagner plein de fric, et quand je vais raconter tout ça dans mon nouveau roman, jackpot !!! Mon pied battait la mesure, mon cœur suivait les syncopes, mon âme hurlait comme ce vieux sax, mon verre se vida, la salle se remplissait. — Oh, mon amour !!! Je savais que tu étais raisonnable ! Je te le promets, tout va bien se passer. Je vais prendre des cours desprit et commencer lapprentissage de maître sourcier. Tu verras je vais te cajoler, den haut, tu ne manqueras de rien. Je serai toujours avec toi, et je ferai tout pour te récupérer avant la fin de ta vie sur terre. Je suis certain que notre amour sera plus fort. De toute façon, seuls, les vrais couples peuvent participer... — Si ça foire, dis-je. Oublie-moi et refais ta vie. La jeune femme me sourit, me fit signe de la suivre, puis elle se leva et se rendit en direction des toilettes. Jattendis un peu, regardai autour de moi, puis me levai aussi. Les clients étaient rivés sur la musique. Je passai la porte battante des toilettes pour femmes, et vis la silhouette bleue entrer dans une cabine. Je la suivis. Je serrai entre mes mains son visage, javais envie de serrer davantage, elle passa sa cuisse autour de ma jambe, ses lèvres écrasèrent les miennes, et jentendis les applaudissements, les sifflements, qui venaient depuis la salle. Le morceau était fini.
Posted on: Wed, 06 Nov 2013 08:24:32 +0000

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