Ultra moderne. Je viens de la gare où mes regards ne - TopicsExpress



          

Ultra moderne. Je viens de la gare où mes regards ne doivent pas s’attarder sur les gens qui m’entourent. Ce n’est pas la loi communément admise. Ne fais pas ça ! Tu n’as pas le droit ! La règle prône : l’autonomie – je suis l’être moderne, sur-adapté ! Mon dernier livre ? mais je n’ai pas le temps… Je peux bien l’avouer : je n’en vois plus l’intérêt ; j’en ai perdu le goût, le sens. Ne me reste que de vagues réminiscences de ces lectures d’enfance qui pourtant autant que je m’en souvienne me procuraient du plaisir. De plus, mes capacités de concentration sont devenues nulles. La littérature me semble si abstraite, si dérisoire, sans rapport au concret que représente mon implication dans la marche du monde. Et puis la culture, quel terme pompeux ; chargé de prétention, de suffisance…. Certains disent de moi que j’assène des vérités gênantes, d’autres pensent que je suis plein de clichés. J’ai donc fini par me construire sur des apparences, mais au fond de moi un cancer me ronge. Mort l’enfant intérieur, étiolée la fleur de l’âme en son jardin, abandonné aux mauvaises herbes, aux miasmes de ma mauvaise conscience qui en a fait son territoire pervers. Mes prochaines vacances ? Un plan dégoté sur internet… Une prison doré, loin d’ici. Dans quel pays ? Je ne me rappelle plus… Un pays africain en crise que les voyagistes bradent. Une superbe affaire : piscine, open-bar, des employés qui se plient en quatre afin exaucer nos volontés Et puis ça leur procure un travail, un salaire… Ainsi au plaisir personnel s’ajoute l’intérêt général, je joins l’utile à l’agréable – logique implacable, la boucle est bouclée, passons à autre chose s’il vous plait…! J’ai mon cercle d’amis, ma famille, un travail. Je tapote sur l’écran digital de mon Smartphone. Je suis connecté. Alors pourquoi me soucier de cet inconnu que je ne reverrais jamais et qui semble ignorer le code de bonne conduite : le bon sens validé par l’inconscient collectif, corroboré par une cohorte des faits divers inquiétant déversés dans les flux continuels d’une overdose d’informations. Ne sait-il pas que ce monde est dangereux ? En l’observant en douce, je remarque qu’il porte des vêtements démodés. Son comportement est inadapté : le nez en l’air à bailler aux corneilles. Pour moi, un poète ça pue des pieds, c’est sale, ça me dérange ! Moi, je tiens le monde entre mes mains, que peut-il lui, m’apporter de plus ? Je possède le dernier modèle de baladeur, je fonctionne en autarcie, je n’ai besoin de rien d’autre. En phase avec mon époque, je mute. Enfin de l’action, le téléphone sonne, je réponds avec diligence. Là, je ne suis plus dans le flou méditatif. Je ne supporte plus cette sensation de flottement. Je dois combler ce sentiment de vacuité qui m’angoisse. Je m’organise pour avoir toujours quelque chose à faire. Et je suis fier de montrer à mes amis l’ampleur de la frénésie de mes activités. Je planifie, ne laisse rien au hasard, pas un bout, pas une miette, pas une once d’espoir laissée à l’incertitude, au doute, – j’aime l’ordre. Je suis dans le bon wagon, en accord avec l’inéluctabilité du mouvement général. Je ne me contente pas de regarder passer les trains, moi… Je suis bien là sur les rails, je ne dévierai pas. Tout doit marcher selon les règles. Je suis un être moderne, sur-adapté. Une jeune femme est assise près de moi. J’ai envie de lui sourire ; mais je ne le ferai pas ; je n’enfreindrai pas la loi ! Mais pourquoi me regarde-il encore ? Baisse tes yeux ! Tu n’as pas le droit ! Non, tu n’as pas le droit ! N’as-tu pas appris les principes de la survie en milieu urbain ? Ne regarde personne dans les yeux, ce peut-être dangereux -- la connexion peut s’embraser. Baisse tes yeux ! Baisse tes yeux ! Pourquoi ne veux-tu pas apprendre. Je l’ai bien fait moi !
Posted on: Fri, 05 Jul 2013 09:58:49 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015