Un personnage central du livre : Charles. Manille, Philippines, - TopicsExpress



          

Un personnage central du livre : Charles. Manille, Philippines, le 20 Mai - 21h00 C’était encore une fois dans un endroit sordide, un hangar désaffecté pas bien loin du port. Un ring sommaire, entouré de gradins faits de planches et de bambous, avait été élevé en son centre. Ça sentait la sueur et le sang. Les bookmakers se baladaient de travée en travée pour récupérer les mises. Sa cote n’était pas celle du favori. Dans l’une des deux cabanes de chantier qui tenaient lieu de vestiaires, il terminait son échauffement avec celui qui lui servait de partenaire à l’entraînement. Cela faisait deux ans qu’il pratiquait le combat en free-fight, le combat libre où tous les coups étaient permis. Seul, un pseudo arbitre, qui en fait ne servait qu’à marquer les rounds, pouvait vous éviter un séjour à l’hôpital ou un autre plus prolongé à la morgue, en intervenant lorsque l’un des combattants avait perdu connaissance. Depuis deux ans, il n’avait perdu qu’une seule fois, sur blessure, remportant trente-deux combats par ko avant la limite. Malgré tout, cela ne lui avait pas rapporté un seul peso, puisqu’il reversait tout à la communauté chrétienne dont il était le curé. Lorsqu’il entra dans le hangar, comme à l’habitude il balaya des yeux les premiers rangs de la foule. Les excités habituels, parieurs invétérés, bouteille de whisky entre les jambes, saluèrent son arrivée par des cris et des quolibets. Son adversaire l’attendait, lui tournant le dos. Parfois au milieu des asiatiques, apparaissaient des touristes en mal de sensations fortes, amenés là par un guide local pour quelques dollars. C’est alors qu’il le vit. L’homme dégageait de la sérénité et du respect. Le cheveu court, mince, on pouvait lui donner la cinquantaine alerte. En fait, il en avait dix de plus et rien dans sa tenue n’indiquait que l’on était en présence de Monseigneur Giuseppe Baldner, de la première section de la secrétairerie du Vatican, chargé des Affaires générales. Il ne l’avait jamais rencontré mais il sut tout de suite que c’était pour lui. De toute façon ça devait bien arriver un jour. Ici à Manille, toute la communauté savait qu’un prêtre participait à des combats clandestins, mais il était curieux de savoir qui était ce type avec la veste ornée d’un pin’s en forme de croix sur le revers. Le gong venait de retentir. Comme à chaque fois, il prit deux secondes pour aller chercher dans ses pensées les plus intimes quelques images de sa vie d’avant. Comme à chaque fois, sa bibliothèque cérébrale lui envoya les pires, celles qu’il voulait oublier et qui étaient à l’origine de sa vocation. Lorsqu’il ouvrit les yeux, l’endroit lui parut plaisant, idyllique serait exagéré, mais plaisant. La foi n’avait plus rien à faire ici, il allait démolir Ivan, ce kazakh qu’on lui opposait aujourd’hui. Vite, il fallait aller vite. L’autre le tenait à distance. Il vit tout de suite que c’était un boxeur, la position des appuis ne le trompait pas. Donc, gaffe aux allonges qui allaient partir. En voilà une, il esquive en plongeant le torse vers la droite, et il sent le poing qui l’effleure sur la base de la nuque. À cet instant, l’autre a une bonne partie de son poids sur sa jambe gauche la droite étant en retrait. Alors, il se retire très vite et balance un crochet plein menton avant de reprendre sa position de garde. Le kazakh n’a pas bronché. Le voilà qui revient avec des enchainements gauche droite à assommer un buffle. Il esquive quelques coups mais encaisse quand même au niveau des côtes. Lui, il n’a pas pu en placer une, il n’a fait qu’esquiver. ¨Bordel, je ramasse¨. Le gong sonne. Il regagne son coin, le sparring-partner lui tend la serviette en même temps qu’il l’informe sur la côte. Le kazakh est favori, clairement, à six contre un. - Je vais encore attendre un peu... - Pourquoi faire ? Pour attaquer ? Il t’aura démoli avant ! Ce mec est un panzer ! Bouge-toi le cul mon frère, sinon il y aura extrême-onction à la paroisse ce soir. T’as remarqué, il n’utilise pas ses jambes, enfin jusque-là il ne les a pas utilisées. Sers-toi des tiennes ! C’est reparti. L’autre semble chercher le corps à corps. Il est sûr de sa force. D’ailleurs dans le free-fight ça se finit souvent comme ça : brutalement l’un des combattants se précipite sur son opposant pour le faire chuter en gardant l’avantage d’une position supérieure. Une fois l’adversaire à terre, il faut le finir ! Je vais le conforter dans son intuition, se dit Charles. Le kazakh lève les bras, lui fait signe...allez viens, viens...ne pas répondre aux provocs, attendre le trou. L’autre s’approche sûr de lui. Le curé se détend d’une fausse gauche, le kazakh esquive en reculant le torse, jambes fixes. C’était prévu. Le poing droit de Dieu, un seul bloc main-poignet-avant-bras, part en vrille sous les côtes du Sarrazin. Putain, ça fait mal ! Il accuse, le bougre, il vient vers l’avant souffle coupé, maintenant vite la suite : coup de pied de face, mae-geri, puissant, toute l’énergie est dans la jambe, retour en garde. L’homme des steppes plie mais ne rompt pas. Il sait maintenant que le combat à distance n’est pas gagné. Il va donc venir au corps à corps, c’est ce que veut l’envoyé du Seigneur. Approche mon fils que je t’extermine ! C’est ce que fait Ivan. Il s’approche, bras fléchi, feintant de gauche à droite, attendant le bon moment pour se saisir du curé. À son tour, celui-ci feinte en se penchant vers l’avant et c’est parti ! Le kazakh se détend, il l’attend un genou à terre. Surpris, l’autre baisse les bras pour le saisir à la gorge, c’est l’instant ! Il frappe presque à la verticale, entre les bras de son adversaire, le coup parfait, rapide et puissant. Il visait la base du nez, il atteint la pommette droite. Il sent que ça vibre dans la tête de l’infortuné. Il faut enchaîner, il se remet debout, vient au contact et enchaine par une série de coup de genoux dans les flancs. Le Kazakh ramène sa garde et cherche à se mettre à distance. Dans sa précipitation à se soustraire à la violence de l’attaque, il perd ses appuis. L’homme d’église n’attendait que cela. Balayage violent, strangulation par une clé de jambes, le simili-cosaque frappe le sol du plat de la main, le prêtre regarde l’arbitre qui tel César va arrêter le combat ou au contraire prolonger les souffrances de son adversaire. D’ailleurs celui-ci est en train de tourner de l’œil, le cou pris dans l’étau des jambes de l’homme d’église. L’arbitre regarde l’organisateur qui regarde les combattants et sur un signe de tête, le combat s’arrête net. ¨Maintenant vite le fric car il est des coins où il ne vaut pas mieux traîner et celui-ci en est un¨ pensa le curé. L’autre, avec sa croix au revers, l’attendait dans son vestiaire. - Vous êtes ? Il se présente. Ainsi le Vatican s’était ému de ses prestations de combattant clandestin. Il allait devancer l’envoyé pontifical dans ses explications, lorsque Monseigneur Baldner l’arrêta. - Ce n’est pas le curé que je suis venu voir. - C’est qui alors ? Le boxeur ? - Je suis venu voir Charles. Le français Charles Marchandier, du Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN). Le passé venait de refaire surface.
Posted on: Tue, 03 Sep 2013 13:00:52 +0000

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