Un texte de Geneviève Jacques paru dans la revue "France - TopicsExpress



          

Un texte de Geneviève Jacques paru dans la revue "France Amérique latine" DE L’AMERIQUE LATINE A LA FRANCE : EXIL, ACCUEIL ET SOLIDARITE L’écho des tragédies qui se jouaient en Uruguay et au Chili depuis les deux coups d’état militaires de cette année 1973 a résonné d’une façon nouvelle en France à partir du jour où le premier avion est arrivé à l’aéroport d’Orly avec à son bord un groupe de chiliens, réfugiés à l’Ambassade de France à Santiago, qui venaient d’obtenir des sauf conduits de la Junte. Ils étaient 24 seulement ce 4 Novembre 1973 et nous étions un petit groupe de La Cimade et de France Terre d’asile pour les accueillir. Des milliers d’autres allaient suivre. De Novembre 1973 à Novembre 1974, 1075 exilés chiliens et latino-américains qui s’étaient réfugiés dans le Chili d’Allende furent conduits en France dans des vols organisés par le HCR et le CIME (Comité inter-gouvernemental pour les migrations européennes). Des milliers d’autres viendront les rejoindre par d’autres moyens. L’accueil de cette vague d’exilés politiques contraints de fuir la traque aux militants de gauche engagée par les militaires « golpistas » de l’Amérique du Sud va mobiliser pendant une dizaine d’années des initiatives exceptionnelles à travers toute la France. A situation exceptionnelle, accueil exceptionnel Il faut se replacer dans le contexte de l’époque pour comprendre le caractère exceptionnel de l’accueil des exilés latino-américains : -sur le plan politique : la répercussion du coup d’état de Pinochet a été considérable en France. Véritable caricature du dictateur militaire en croisade contre « le péril rouge », il écrasait de manière sanglante une expérience de socialisme démocratique qui avait suscité beaucoup de sympathie depuis l’arrivée de Salvador Allende au pouvoir. - sur le plan humanitaire : la brutalité de la répression visait tous ceux qui avaient agi publiquement pendant les 3 années de l’Unité populaire et ne laissaient à ceux qui avaient été « repérés » d’autre choix que la clandestinité ou l’exil, du moins pour les militants qui n’avaient pas été déjà arrêtés, emprisonnés ou « disparus ». Les conditions de la mort de Salvador Allende dans la Moneda bombardée, les images du stade de Santiago jusqu’aux récits de torture bouleversèrent l’opinion publique et suscitèrent indignation et solidarité. Dans ces circonstances, des réponses nouvelles et inédites se sont mises en place pour faire face dans un laps de temps très court aux besoins de protection d’un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants en danger. Au Chili d’abord, des organisations comme le Comité national pour les réfugiés latino-américains, le Comité Pro Paz, dissous par la Junte fin 1975 et remplacé par la Vicaria de la solidaridad de l’Eglise catholique, assumèrent les premières tâches de protection. Non seulement, ces organisations accueillirent les familles de victimes, cachèrent les militants en danger, utilisèrent tous les recours du droit pour défendre les prisonniers, mais elles jouèrent aussi un rôle essentiel pour informer le monde extérieur et pour organiser le départ des personnes menacées vers des terres d’asile. La délégation du HCR, le CIME, la Croix Rouge se mobilisèrent efficacement pour organiser des voyages et obtenir des visas. De nombreuses ambassades, dont celle de la France, contribuèrent également à la protection de personnes en danger en ouvrant leurs portes. Dès les premières semaines qui suivirent le 11 Septembre 1973, le gouvernement français donna son accord pour accueillir des réfugiés chiliens et latino-américains présents au Chili. Un comité fut donc constitué par le Ministère des Affaires étrangères comprenant le HCR, l’OFPRA et des associations « opérationnelles » dans l’accueil des réfugiés, dont La Cimade, le Secours Catholique et le SSAE (Service social d’Aide aux Emigrants). Il fut décidé de mettre en place officiellement un plan d’urgence pour l’accueil des réfugiés du Chili comprenant la prise en charge par l’Etat dans des centres d’hébergement, l’aide médicale gratuite et des cours d’apprentissage du français. C’était une première dans l’histoire de l’asile en France. Devant l’ampleur des tâches à réaliser, l’ensemble des associations mobilisées autour de l’arrivée des réfugiés du Chili décidèrent de coordonner leurs actions au sein d’un comité de coordination. France Terre d’Asile fut plus particulièrement chargé des questions d’hébergement. La Cimade quant à elle accueillit des centaines de réfugiés du Chili dans son Foyer international de Massy et assura pour des milliers d’entre eux des tâches d’accompagnement individuel, d’organisation de cours de français, de recherche de bourses d’études ou de logement et, comme nous le verrons plus loin, un rôle de plateforme de solidarité avec les familles de prisonniers et les organisations de défenses des droits de l’homme dans les pays d’origine. Au-delà de la mobilisation intense des associations d’accueil des réfugiés et de défense des droits de l’homme, on assista à un foisonnement d’initiatives exceptionnel à travers tout le pays. Des initiatives individuelles ou collectives (municipalités, syndicats, universités, médecins, etc) permirent de trouver des logements, des équipements ménagers, du travail, des inscriptions en faculté, des soins, etc. Des liens de solidarité humaine, concrète, se sont tissés avec les exilés autour des centres d’hébergements répartis dans toute la France. Des Comités de solidarité s’organisèrent un peu partout pour dénoncer les violations des droits de l’homme et les dictatures. L’expression culturelle fut un levier puissant de ce mouvement de solidarité : à travers des concerts, des pièces de théâtre, des expositions de peinture, la société française découvrait une forme de résistance populaire nouvelle portée par des artistes latino-américains exilés : Les Quilapayun, Inti illimani, le Cuarteto Cedron, Daniel Viglietti, Angel et Isabel Parra, Oscar Castro, Eduardo Galeano, Julio Cortazar, pour n’en citer que quelques-uns, alimentèrent et enrichirent la compréhension de ce qui se jouait dans leurs pays grâce à leur art. Solidarité ici et là-bas Sans chercher à idéaliser les exilés latino-américains des années 70, parmi lesquels se retrouvaient des histoires de vie très différentes, le fait est que la grande majorité d’entre eux avaient eu un parcours politique d’engagement dans leur pays et que l’exil était le prix qu’ils devaient payer pour leur militance passée. Pour beaucoup, la préoccupation constante était de pouvoir continuer à agir en France en solidarité avec leurs camarades ou leurs parents restés au pays : l’action en faveur des prisonniers politiques et des prisonniers « disparus » représentait une marque importante de cette solidarité. Ils comprirent vite qu’ils ne pouvaient pas agir seuls et se tournèrent donc vers des acteurs de la société française. Dès l’année 1974, nous avons reçu à La Cimade un nombre de plus en plus important de réfugiés qui sollicitaient notre aide et notre soutien concret pour intervenir à leurs côtés en faveur de leurs camarades ou de leurs proches victimes de la répression des dictatures militaires (Brésil, Uruguay, Chili, Argentine...). Pour nous, il était évident que répondre à ces demandes de solidarité « là-bas » faisait partie intégrante de notre volonté de respect et d’accompagnement de réfugiés dans la totalité de leur parcours , en reconnaissant en eux non seulement des personnes qui avaient besoin de notre soutien comme réfugiés dans notre pays mais aussi comme des militants désireux de contribuer à la défense des droits de l’Homme dans leur pays. La Cimade a donc ouvert en 1975, en coordination avec le Conseil Œcuménique des Eglises basé à Genève, un Bureau de défense des droits de l’homme en Amérique latine. En lien avec de multiples réseaux de soutien aux prisonniers politiques et de défense des droits de l’homme en Amérique Latine et en Europe, nous avons constitué des centaines de dossiers individuels de prisonniers politiques , en majorité au Chili mais aussi en Uruguay, en Argentine, en Bolivie et réalisé des actions diverses avec les familles et les avocats sur place pour faire connaitre leurs cas et tenter de les faire sortir de prison. Dans certains cas particulièrement graves nous avons été à l’origine ou nous nous sommes associés à des interventions urgentes pour tenter d’éviter la torture ou la mort. Enfin, nous avons contribué avec d’autres à dénoncer les violations des droits de l’homme en organisant des missions sur place, en aidant des victimes à témoigner devant la Commission des droits de l’homme des nations unies, en publiant des articles et des rapports. Après avoir découvert au Chili, au cours d’une mission, le travail extraordinaire des ateliers « d’arpillieras », André Jacques avec La Cimade s’est engagé à faire connaitre ces merveilles de résistance populaire en organisant des ventes de ces petites tapisseries (dont le produit était reversé aux ateliers de femmes au Chili), en produisant des milliers de cartes postales et d’affiches diffusées dans tous les actes de solidarité. Nous avons aussi publié un petit livre illustré reproduisant des arpilleras, intitulé « Chili, un peuple brode sa vie et ses luttes » qui a été diffusé à des milliers d’exemplaires par des groupes de solidarité avec le peuple chilien . Comme beaucoup d’autres qui se sont mobilisés autour des réfugiés latino-américains et contre les dictatures, nous avons appris de nombreux réfugiés ce que peut être la force de la solidarité « ici et là-bas ». Et nous avons mieux compris le sens des paroles de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano lorsqu’il évoque les deux faces de l’exil ; « l’exil nous oblige à naître une deuxième fois. Il ferme une porte mais il en ouvre d’autres. C’est une pénitence mais en même temps une liberté et une responsabilité. Il y a un visage noir et un visage rouge de l’exil » Geneviève Jacques
Posted on: Wed, 11 Sep 2013 11:27:28 +0000

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