(3) Au cœur de la violence La violence d’où qu’elle vienne - TopicsExpress



          

(3) Au cœur de la violence La violence d’où qu’elle vienne et quelle que soit la raison pour laquelle elle est utilisée laisse parfois des séquelles indélébiles. Ces marques, comme celles du fer dont étaient marqués les esclaves noirs aux Amériques nous suivent toute notre vie. Je suis à Abobo ce jour de décembre 2010. Noël est à nos portes et j’ai décidé de me rendre au quartier BC de cette commune pour passer la fête avec ma nièce et sa famille. Je ne suis pas seul. Ma femme m’accompagne. Nous ne sommes pas seuls, elle porte une grossesse de trois mois. Arrivés au rond point de la mairie, l’atmosphère s’alourdit brusquement. Les voitures arrêtent de circuler. Derrière moi, quelqu’un crie : « c’est l’heure, nous allons les tuer aujourd’hui là ! ». Ma femme n’a pas entendu et j’en suis soulagé. Mais par son instinct de femme, elle sait que quelque chose ne va pas. Doucement, je prends ses mains dans les miennes pour la rassurer. Le courage se cultive face au danger. Je me mets à sourire en racontant des blagues. Elle ne sourit même pas, elle qui avait l’habitude de rire aux éclats en écoutant mes blagues. La tension monte, de petits attroupements commencent à se faire et des barricades de fortune sont posées sur la voie expresse. J’ai peur, mais il ne faut surtout pas que celle qui marche à mes côtés le sache sinon se serait la catastrophe totale. Je lui susurre " il n’y a rien chérie, je suis là". Je n’arrête pas de répéter cette phrase idiote en laquelle je ne crois pas moi-même, pas plus qu’elle d’ailleurs. Nous faisons un grand détour par le collège Saint Joseph avant de nous diriger vers la gendarmerie. L’excitation semble gagner du terrain chez ceux qui nous entourent. Les quelques commerçantes présentes aux abords du trottoir rangent leurs affaires. Les gens se font des signes codés. Je me sens comme au sein d’un vaste complot dans lequel tout le monde est complice et moi le dindon de la farce. Ma femme demande à boire un jus de gingembre. J’en achète un. A peine l’a-t-elle entamé qu’elle me le tend : " ça brûle fort" me dit-elle. Je porte alors le jus en bouche et je me rends compte qu’il n’a aucun goût et qu’en plus il ne contient aucune trace de gingembre donc aucune chance qu’il brûle. Sa peur est à son comble. Je jette un regard furtif sur son visage, il est tout déformé et a viré au rouge (ma femme est d’un teint fortement clair). A peine avions nous traversé la voie que des balles se mettent à siffler au dessus de nos têtes : c’est la débandade générale. Ma femme arrache sa main de la mienne et se met à courir. Des retentissements plus assourdissants viennent se mêler au concert du sifflement des balles qui fusent de partout. Qui tire ? Sur quoi ou sur qui tirent-ils ? Je n’en sais fichtrement rien. Je suis ma femme en m’efforçant de ne pas la perdre du regard. Elle se coince dans un étroit passage, elle trébuche et tombe. On lui marche dessus. J’ai peur pour elle et pour le bébé. J’accoure rapidement et tente de m’interposer mais en vain, je n’ai pas assez de force. Tout en sang, elle réussit néanmoins à rouler sous une table. Elle est en sécurité quoique blessée, je suis soulagé. Elle me tend la main et m’invite à la rejoindre sous la table. J’entends des ronronnements inquiétants dans mon dos, je me retourne et constate que des chars de l’armée foncent en notre direction en ripostant aux tirs. Une balle siffle à quelques centimètres de mon oreille gauche. Je refuse pourtant de me glisser sous la table. J’attends que le passage étroit soit dégagé. Je suis débout à côté de la table sous laquelle mon bébé et sa mère sont couchés. A ce moment précis, je me rends compte que la peur a disparu. Je lutte pour la survie de ma femme et de l’enfant qu’elle porte. Je suis prêt à prendre une balle pourvu que les deux êtres qui me coutent le plus cher au monde restent en vie. Au cœur de la violence, j’ai appris à connaître et à apprivoiser la peur. J’ai senti combien de fois l’amour est plus fort que la mort. Je souhaite que toute forme de violence soit bannie de notre société, pour que mon fils, né il y a deux ans, grandisse dans un climat de sécurité et de paix et qu’il ne connaisse pas ce que j’ai connu ce jour là et qui m’a marqué à vie.
Posted on: Thu, 04 Jul 2013 14:31:11 +0000

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