Article parut dans le nouvel Obs aujourdhui : et si ça nous - TopicsExpress



          

Article parut dans le nouvel Obs aujourdhui : et si ça nous arrivait... Ce mercredi matin, Marion voulait rester au lit. Après le petit déjeuner, elle est remontée dans sa chambre. La veille, déjà, elle se disait fatiguée afin déchapper aux dernières heures de cours. Au retour de son travail, sa mère lavait trouvée pâlotte sans sinquiéter davantage. Les petits maux, de ventre, de tête, de coeur... éclosent bien souvent à ladolescence. Nora Fraisse a simplement suggéré à sa fille de ne pas rester dans le noir, puis elle a déposé le téléphone de la maison près de loreiller, pour pouvoir la joindre. Elle partait juste déjeuner, avec ses deux autres enfants, 9 ans et 18 mois, chez une amie du village, Vaugrigneuse dans lEsssone. Dans une heure ou deux, elle serait de retour. Sans doute, tout irait mieux. Mère et fille pourraient faire un peu de shopping ensemble. Marion, toujours douce et souriante, avait acquiescé. Une heure plus tard, elle ne répondait plus au téléphone. Silence encore quand Nora Fraisse, soudain prise de panique, est rentrée précipitamment chez elle vers 13h30, laissant la voiture en marche avec ses petits à lintérieur. Elle hurlait. Marion,Marion ! La porte de sa chambre était bloquée. Nora Fraisse la poussée violemment et découvert son enfant pendue par un foulard au porte-manteau. Une fois détaché, le corps frêle est tombé. La mère, en ligne avec les médecins du Samu, a tenté de ranimer sa fille. En vain. Marion, 13 ans, est morte, le 13 février 2013. Ma vie a basculé. Et personne ne la compris. Le lendemain, en première page, le Parisien relate le drame. Le quotidien régional évoque lexistence dune lettre laissée par Marion. Les parents, pétrifiés, appellent alors le journal qui refuse de leur en dire plus. Mais les gendarmes leur remettent rapidement deux enveloppes saisies sur le bureau de Marion. La première est adressée à son établissement scolaire, Jean-Monnet à Briis-sous-Forges. Lélève de 4e C y a inscrit son numéro de collégienne, 320, avant de détailler ses souffrances, les humiliations, les insultes parfois subies en plein cours, et désigne ses bourreaux. Ma vie a basculé, conclut-elle. Et personne ne la compris. Sur une seconde enveloppe, elle a écrit : Mes meilleurs souvenirs avec vous, mais celle-ci est vide. Le même jour, les parents Fraisse entendent sur France 3 une femme, directrice adjointe de lacadémie de Versailles, indiquer que : Marion était devenue le souffre-douleur de quelques-uns... Il y avait des enfants qui nétaient pas très gentils vis-à-vis delle, qui pouvaient avoir des mots blessants. Ainsi, même lEducation nationale semble avoir eu vent des malheurs de leur fille... Les lettres de condoléances du président de la République et de son ministre Vincent Peillon paraissent bien dérisoires. Ils nont que faire de la compassion, ils veulent des explications. Depuis ce jour, les parents de Marion ont décidé de remuer ciel et terre pour faire émerger la vérité. Après avoir déposé plainte à la gendarmerie, ils ont contacté un jeune pénaliste réputé, Me David Père, qui vient de se constituer partie civile, auprès du tribunal de Paris, pour violences, menaces de mort, provocation au suicide, homicide involontaire et omission de porter secours. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite, que les responsables administratifs et les enseignants soient interrogés, que le dossier scolaire de Marion, les carnets de linfirmerie soient saisis... Outre le collège, sont visés les cinq élèves nommés dans la lettre. Les parents vont jusquà mettre en cause des enfants qui, au moment des faits, navaient pas 14 ans. Pour nous, cest désormais évident. Ces gamins souhaitaient éliminer Marion, martèle Nora Fraisse. Ce nest pas parce quils sont mineurs que lon doit les excuser. Nous attendons quils soient punis, sévèrement, et que notre affaire fasse jurisprudence. Sa douleur lemporte et la porte. Celle de son mari, cadre dans lindustrie médicale, est muette. Nous avons pris perpète, souffle-t-elle. Nous sommes à jamais des zombies, sans bras ni têtes. Des survivants. A Vaugrigneuse, dans ce paisible village de lEssonne où réside depuis plus de dix ans la famille Fraisse, les regards ont changé. La bienveillance sest muée en méfiance. Quand ils croisent la fine silhouette de Nora, certains baissent la tête. Dautres disent, à voix basse, que le chagrin la rendue folle. Rien, ni son travail de chef de produit marketing ni ses deux autres enfants ne larrête. Laissez-les tranquilles. Faites votre deuil Depuis neuf mois, elle cherche tous azimuts des pistes, des indices auprès des amis de Marion, et des autres, quelle connaît parfois depuis lécole primaire. Laissez-les tranquilles, disent leurs parents. Faites votre deuil. La mère cache ses larmes. Il lui est arrivé de sapprocher du collège et de voir des élèves soudain séloigner, comme si elle avait la peste. Parfois, quelques-uns larrêtent : Madame, dites-nous, qui est dans la liste ? Les enseignants, eux, nont jamais donné signe de vie. La direction nous avait interdit de communiquer avec vous, lui confiera un professeur croisé dans le bus, par hasard. Certains dentre nous vous ont quand même écrit après lenterrement. Vous navez rien reçu ? Le principal du collège Jean-Monnet na jamais voulu dialoguer avec les parents de Marion, sans doute parce quau lendemain du drame, sous le choc, ces derniers lavaient mis en cause. Sil a accepté de les recevoir dans son bureau, un mois plus tard, cest grâce à la médiation dEric Debarbieux. Le spécialiste de la violence à lécole, envoyé sur tous les cas de harcèlement grave, sest rendu à Briis-sous-Forges. Il a accompagné les parents endeuillés au collège afin quils puissent récupérer les affaires de leur fille et consulter son dossier scolaire. Rien ne permettait de penser que Marion allait mal, a sèchement répété le principal, arrivé en septembre 2012 dans ce collège de 600 élèves. Il na eu cesse de sabriter derrière sa hiérarchie. Nous ne communiquons pas sur cette affaire, fait-il savoir aujourdhui encore au Nouvel Observateur, adressez-vous au rectorat. Les explications nont jamais eu lieu. Dommage, il eût peut-être suffit dun mot, dun geste pour que les parents de Marion cessent de croire que ce silence était forcément coupable. Demain, à larrêt de bus, tes morte Un si long silence... Allez, ça va se tasser, éluda le principal quand Nora Fraisse lavait contacté, en décembre dernier, pour que Marion change de classe. Trois fois, elle avait insisté, sans même obtenir un rendez-vous. Cette mère est particulièrement vigilante. Elle sait que son aînée est sensible, artiste, drôle à faire hurler de rire son père et ses camarades, mais aussi parfois dans son monde, en quête daffection, touchée par le malheur des autres. Une cible idéale. Petite déjà, elle subissait les mesquineries des copines. En sixième, Marion sétait fait traiter de mongole et dautiste. En cinquième, un garçon lui avait adressé un SMS : Demain, à larrêt de bus, tes morte. A la demande de Nora Fraisse, le professeur principal avait aussitôt convoqué lauteur des menaces qui, aux côtés de sa mère, avait balbutié : Mais cétait juste pour rigoler ! Cette année de quatrième, Marion se plaint de ne pas pouvoir travailler. Elle revient du collège un peu triste à force dêtre vue comme une balance ou une intello, quand elle ose demander le silence dans sa classe. Au collège, cest la foire, bavardages, insultes et provocs imposés par quelques fortes têtes. Un garçon dit à une enseignante : Toi, je te baise ! Un autre jette son carnet de correspondance au visage de la prof dhistoire-géo. A la récré, ça castagne ; il paraît aussi que, parfois, ça picole et ça fume dans les toilettes. Les élèves le racontent, tout fiers. A Briis-sous-Forges aussi, entre les champs de colza et les pavillons bien léchés, la jeunesse se cherche. La première réunion de rentrée, le 12 octobre 2012, a été plutôt rock and roll. Trois heures durant lesquelles les parents, inquiets des problèmes de discipline, ont interpellé les profs qui, eux-mêmes, ont admis être un peu dépassés, sous loeil agacé du nouveau directeur. On se demandait sur quelle planète nous étions, se souvient un père. Pendant la réunion, Nora Fraisse a envoyé un SMS à Marion pour lui dire quelle comprenait ses difficultés à travailler dans de telles conditions. Le principal refuse le changement de classe mais avant Noël, deux des perturbateurs sont renvoyés. Pute, boloss, grosse, pas de seins… Le climat sapaise, Marion tombe amoureuse dun garçon du collège. Les parents la voient grandir, de plus en plus jolie et coquette, accro aux SMS - 3.000 par mois cest beaucoup, disent-ils, mais elle a lair si heureuse... Ladolescente ne se plaint plus de rien, elle est pourtant la cible dune petite bande de filles et dun garçon quelle a embrassé un jour, puis éconduit. Alban - appelons-le ainsi (*) - lui a toujours dit : Ta première fois, ce sera avec moi, avant de réaliser quelle en aimait un autre. Alors, avec des copines, il samuse à la traiter de pute, lui dit quelle est grosse, pas de seins, trop sérieuse... A leurs yeux, elle nest quune nulle, une boloss, suprême insulte en 2013. Et le bal des gentillesses continue sur internet, au retour du collège et jusque tard, le soir, sous la couette. Les parents de Marion nen savent rien. Ils découvriront, avec lenquête des gendarmes, que leur fille avait, malgré leur interdit, créé un compte Facebook. Ils apprendront aussi quelle a prétexté avoir perdu son carnet de correspondance pour en obtenir un autre, dans lequel elle soctroie des notes toujours aussi bonnes et un comportement exemplaire. Celui-ci est pour la maison. Dans lautre, le vrai quelle signe à la place des parents, on voit clairement la bonne élève se transformer, cumuler les insolences, les propos grossiers, les tricheries. Sans doute, Marion tente la déconne pour trouver grâce aux yeux de ceux qui la tiennent. Le comportement de Marion se dégrade depuis quelque temps, écrit lenseignante dhistoire le 1er février. Mais ni cette métamorphose soudaine ni les nombreux retards injustifiés ne donnent lieu à un coup de fil aux parents. Le professeur principal, celui qui, en début dannée, avait dit à Nora Fraisse combien sa fille était douée, attachante, résistante dans cette classe turbulente, ne réagit pas. Faites-moi signe au moindre problème, avait-il proposé. Lorsque la mère endeuillée composera son numéro, il répondra : Pourquoi mappeler ? Marion est décédée. La vie continue. Au Nouvel Obs, il confie dune voix blanche : Jai trop souffert de cette histoire, je ne veux plus en parler. On va tarracher les yeux, te faire la peau... La veille du drame, lors dun exercice incendie pendant le cours de cet enseignant, Marion est prise à partie. La quasi-totalité de la classe se regroupe autour delle pour une broutille, ladolescente a écrit sur le mur Facebook dune camarade un de ces commentaires stupides quelle a si souvent lus sur le sien : Lila, tes une boloss, on taime pas. Huées générales. Alban, une fois encore, mène la danse, avec les pestes : Tu fais moins la fière, hein ? Ils continuent dans les couloirs : On va tarracher les yeux, te faire la peau... Des toilettes du collège, Marion appelle sa mère : Je ne me sens pas bien, je voudrais rentrer. Ses grands-parents passent la chercher. Toute laprès-midi et la soirée, ladolescente, paniquée par des appels anonymes, des menaces, multiplie les coups de fil, les SMS et les messages sur Facebook. Elle contacte celle qui lui a dit Si tu reviens au collège, je te buterai, pour savoir si elle compte réellement la frapper. Non, la rassure lintéressée qui tapote sur son clavier : Bon, on taime bien mai en ce moment tu nous soule à faire les manières genre tu te la pète, tu te crois populaire, tessaye de nous clasher et tu crois tous les mecs y te kiffe grave (sic). Marion remercie aussi une de ses anciennes copines de ne pas mavoir humilié kom tous les autres tout à lheure. Puis, elle appelle son petit ami : Il faut mieux rompre pour que les autres ne te fassent pas dhistoire. Comme tu veux, répond-il, avant dignorer ses messages. Le soir, Marion fond en larmes dans les bras de sa mère. Elle ne lui parle pas de lépreuve quelle doit subir le lendemain : des excuses devant toute la classe, pour demander pardon à Lila. Elle ne va pas avoir les couilles de venir, a balancé une fille de la bande. Si elle se pointe, je vais la tuer ! Sur Google : Comment se suicider Marion préfère évoquer sa rupture amoureuse. Sa mère la rassure, lui parle des garçons qui se comportent comme des Cro-Magnon, entre eux, même quand ils tiennent à vous. Allez, dit-elle, vous allez recoller les morceaux. Marion sourit : Ca fait du bien de pleurer. Avant de sendormir, elle écrit à un copain : La chui preske tout en bat... je ne suis kune merde. Le garçon répond : Putain, ne dis pas ça... Avant de sendormir, ladolescente tape sur Google : Comment se suicider. Quand Alban, celui qui na cessé dimportuner Marion, apprend sa mort, il dit : Cest pas vrai, putain, faites pas chier je suis en train de jouer à la Play. Le lendemain, il reçoit des menaces de mort sur internet et des sifflements à son arrivée au collège. On a vécu lenfer, se souvient son père qui, depuis, la scolarisé ailleurs. Sur la page Facebook intitulée Rip [pour Rest in peace, repose en paix] Marion Fraisse, ouverte par ses camarades, les causes du suicide ne font apparemment aucun doute : Une pote à mon frère sest pendue suite à du harcèlement. Tout le monde la traiter de pute (sic). Ouai pire, ils font ça pour rigoler, et aujourdhui, il pleure. Quand tu recois des infures du style tu revien on te creve les yeux ça fait mal. Une adolescente sindigne : Etes-vous heureux davoir poussé quelquun à mourir par vos conneries ? Etes-vous heureux davoir détruit la vie dune personne et de sa famille ? Au collège, une cellule psychologique est mise en place. Les élèves pleurent, puis les fleurs fanent. Le principal, solennellement, dit quil faut tourner la page. Mais la mort brutale de Marion délie les langues. Quelques profs, des parents surtout, veulent parler. Certains apportent leur témoignage aux gendarmes, dautres appellent les parents Fraisse. Ces derniers soudain se sentent moins seuls. La mère dune collégienne de Briis, qui, il y a quelques années, a subi lenfer, crachats et menaces, en raison de sa gueule dintello, confie : Si je ne lavais pas mise dans le privé, ma fille non plus naurait pas survécu. Une autre, désolée de voir son enfant, si bonne élève, se tordre de douleur à lidée daller en classe à force dêtre traitée de grosse, de moche a exilé sa famille dans le Loir-et-Cher. Nous avons 600 élèves, impossible de surveiller votre enfant Un père tremble pour sa cadette, 11 ans, surnommée au collège Poil de carotte, qui ne vient plus dans la cour de récré, de peur de se faire racketter ou taper. Un autre raconte que son fils, 12 ans, est moqué en raison de sa petite taille et de ses bonnes notes. Tout le monde lappelle Napoléon. Et puis il y a cette élève de cinquième, coincée dans les vestiaires, à qui des camarades ont dit, en brandissant un déodorant en spray : Je vais te transformer en chalumeau vivant. Tous ces parents laffirment : le collège na jamais pris la mesure de cette souffrance. Pas dentretiens sérieux avec le principal malgré de nombreuses demandes, parfois même par lettres recommandées. Juste des propos vaguement rassurants, des aveux dimpuissance, une CPE qui hausse les épaules : Nous avons 600 élèves, impossible de surveiller votre enfant. Débrouillez-vous pour quelle ne soit jamais seule. Au cimetière, Nora Fraisse a rencontré lancien petit ami de Marion et son père. Ce dernier lui a raconté quaprès le drame, des photos de son garçon, traîné à terre par les cheveux, avaient été publiées sur Facebook, quil avait alors demandé et obtenu de le changer détablissement. Depuis, le collège Jean-Monnet est sous surveillance. La mort de Marion nous a profondément choqués, et nous a amenés à réformer les choses, reconnaît un professeur. Depuis la rentrée, les parents sont systématiquement appelés au bout de trois retards injustifiés. Une campagne de sensibilisation au harcèlement va être lancée. Et les gendarmes continuent dexhumer sur la Toile des messages destinés à lAbsente de 4e C : Marion, sache que tu vas nous manquer. Je suis désolé pour toi, pour ce quon a pu te faire, jai même pas de mot pour nous qualifier tellement on a été durs et idiots. (*) Les prénoms des enfants ont été modifiés. La lettre de Marion Nous publions ici quelques mots laissés par ladolescente avant de se donner la mort. Le reste ne peut être reproduit, car elle y désigne nommément des élèves de sa classe. A une fille, elle écrit : Arrête je ten supplie de crier quelle salope en plein cours. A une autre : Tu as été odieuse avec moi. Si je suis morte, cest en partie de ta faute. A un garçon : Tu nas fait quaggraver les choses. Marion, connue de toutes les quatrièmes, pour son grand sourire et sa créativité folle qui lui permettait de customiser des objets, des vêtements et lui donnait lenvie de devenir architecte, se dit lasse dêtre traitée de sale pute, boloss, connasse. Elle écrit : Vous êtes allez beaucoup trop loin dans cette histoire.
Posted on: Sun, 17 Nov 2013 17:06:57 +0000

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