..... Effondrement du KPD et victoire nazie Rarement un - TopicsExpress



          

..... Effondrement du KPD et victoire nazie Rarement un témoignage aura aussi bien mis en valeur les ressorts profonds de la victoire du nazisme en Allemagne. Nous suivons pas à pas le parcours de l’auteur qui, membre du KPD lors des années cruciales de Weimar, est de tous les affrontements et combats de rue. Loin des États-majors, il comprend de moins en moins la stratégie d’évitement du Parti. Là où il faudrait centraliser les efforts militaires, la volonté manque, laissant la place aux « autres », aux bruns. Pourtant les situations vécues, décrites par l’auteur, les batailles rangées gagnées puis perdues, ne l’étaient pas a priori. Manifestement l’affirmation d’une volonté de vaincre assise sur la conviction qu’un autre monde était à portée de la main faisait défaut au sommet du Parti, ou plutôt faisait horreur à la haute bureaucratie du KPD. Rosa, assassinée quelques années auparavant, a été remplacée par de notoires incapables ayant l’aval de la direction stalinisée du Komintern. Mais l’auteur, cadre intermédiaire du Parti, ne porte pas cette critique, trotskiste s’il en est. Il n’évoque jamais l’opposition de gauche et semble ne l’avoir jamais rencontrée. Il évoque les équivoques fronts unis avec les nazis contre les syndicats libres, par exemple à Berlin la Rouge pendant la grève des transports en 1932, la démoralisation qui s’en est suivie. Les deux mondes qui se tutoient, celui des chefs, fonctionnaires du Parti, donnant des ordres suicidaires à de véritables héros qui obéissent et retournent, après 1933, après 1935 (rattachement de la Sarre à l’Allemagne) après une fuite épique du Reich, dans la gueule du loup : « prisonniers d’une espérance désespérée, nous devions absolument obéir aux mots d’ordre, même insensés, et tenter l’aventure, aussi déraisonnable soit-elle. Nous nous regardions, les larmes aux yeux. » On sait qu’ils étrennèrent par milliers les camps de la mort. La critique de la ligne affleure régulièrement dans ce récit tout entier centré sur le militantisme au quotidien, véritable épopée. Son engagement communiste révolutionnaire est à la mesure de la haine qu’il voue au vieux monde. Il faut savoir que sa révolte vient de loin : la haine de son père, nazi de la première heure, tyran domestique, alcoolique et violent. La dimension autobiographique rend le récit absolument prenant. La seconde partie de l’ouvrage narre l’exil en France, la solidarité ouvrière qui entoure ces réfugiés démunis de tout. Le portrait dressé de certains de ces personnages, le prolétaire allemand en fuite, la solidarité ouvrière en France qui l’accueille et l’entoure sont très émouvants. Mais les mois passent, les années se succèdent et les armées fascistes envahissent la France. La résistance en France, l’arrestation, et toujours la clandestinité, même et surtout au stalag en Allemagne ! Puis l’évasion. Après guerre l’auteur sera syndicaliste chez Renault. Antoine Detaine Inprecor n°513/514, 01-03/2006 Retour au sommaire des articles Littérature de témoignage Écrite avant 1948, éditée incomplète en 1951, c’est l’histoire d’un gosse malheureux devenu militant communiste en Allemagne, face à un père qui sera nazi dès la première heure. Père haï : « Il avait mis huit enfants au monde et tout fait pour les voir presque aussitôt rendre l’âme. » C’est d’ailleurs l’incipit du récit d’une interminable résistance à l’oppression brune, avant d’être une épuisante angoisse face à la « ligne » rouge du parti communiste. Maltraité et humilié, le jeune garçon fuit sa famille, vagabonde, vole un peu par nécessité, fréquente des maisons de correction et des exclus de toute sorte, avant de devenir, « pour donner un sens à la vie », un militant du Front rouge, bagarreur efficace dans les rencontres avec les jeunes nazillons des bataillons bruns, mais plutôt critique à l’égard du Parti. Il a perçu, avant son engagement dans la lutte, que dans la misère économique et morale de cette nouvelle Allemagne, les enfants étaient manipulés et, écrit-il, « l’impression perdure que tous ceux qu’on classe en victimes, meurtriers et témoins sont pris dans la même nasse ». Cet observateur lucide de la société troublée et de lui-même trouve les mots justes pour livrer ses certitudes et ses doutes, ses enthousiasmes et ses angoisses, ses désespérances aussi, pour conter les rencontres et les péripéties qui vont le conduire en Sarre, puis en France où il se marie et rencontre des « Combattants de la paix », puis au front dans la drôle de guerre, et bientôt en camp de travail sous une fausse identité. Il évoque également les exploits et les trahisons de certains militants. Au bout de ses pérégrinations, il se cache pendant 57 semaines dans une cave sous des ruines. Le récit autobiographique finit là, en 1945, le jour de sa délivrance. Mais on sait que Glaser (1910-1995) revient en France à la Libération, retrouve sa femme, et bientôt se rapproche d’Albert Camus et de « quelques personnages atypiques du mouvement libertaire, comme André Prudhommeaux ». Un texte de ce dernier constitue une seconde préface à cette édition indispensable de l’œuvre d’un acteur du combat contre la tyrannie et l’horreur, acteur avec lequel on assiste à la montée inexorable du nazisme face à l’impuissance du communisme à le combattre. C’est de la littérature de témoignage. Ce qui n’exclut pas une réelle richesse littéraire avec des accents d’un lyrisme non calculé, comme on en trouve parfois dans les plus grands ouvrages de la littérature prolétarienne. C’est assez dire qu’on attend avec impatience les autres ouvrages de Georg K. Glaser. Lucien Seroux Gavroche, n°145, 01-03/2006 Retour au sommaire des articles Compte-rendu Voici un livre dont on ne peut parler sans mentionner les péripéties de sa publication. Il a été écrit dans l’immédiate après-guerre. C’est sa publication en France par Maurice Nadeau en 1951 qui permettra celle en Allemagne puis en Hollande, alors qu’un éditeur germanique est en possession du manuscrit depuis trois années, sans succès. L’auteur, au moment de la publication de cet ouvrage, est proche de certains milieux libertaires. André Prudhommeaux présentera alors cet ouvrage dans plusieurs revues. La préface de la présente édition est la synthèse de deux articles publiés alors par ce futur collaborateur du Monde libertaire, à partir de 1954. Prudhommeaux annonçait cette édition en ces termes : « Le livre que l’Allemagne attendait depuis la chute de Hitler vient de paraître en France, en langue française sous la plume d’un Allemand naturalisé français. » Les temps ont bien changé. Il y a eu un nombre incalculable d’ouvrages historiques, politiques ou personnels publiés depuis. Pourtant, il y a dans ce livre autre chose. Certes, le rappel permanent, sous prétexte de devoir de mémoire, de la montée du nazisme est le plus souvent lassant. Il faut pourtant passer par-dessus cette irritation et prendre ce livre en main, au risque de ne plus le lâcher. Ce n’est pas un essai. Ce n’est pas une autobiographie. Ce n’est pas un roman. C’est tout cela à la fois. Le lecteur plonge, ou plutôt coule, dans le monde de l’extrême pauvreté de la République de Weimar, de la fin des années 20 au début des années 30. Avec l’auteur, nous passons de maison de correction en maison de correction, de taudis en taudis. Seul espoir pour ceux qui refusent de couler définitivement, le « Parti ». Tout au long de ce livre, nous allons accompagner Glaser dans cette quête sans fond. Nous allons partager ses espoirs, ses illusions, malgré le fait que nous sachions ce qu’il en est de ces espoirs et de ces illusions. Au tout début, l’auteur nous livre, presque involontairement, les raisons de son choix politique. Il fréquentait alors en même temps anarchistes et communistes. Il pose cette question aux anarchistes : « Que ferons-nous, nous, l’avant-garde des exploités, quand nous aurons abattu la vieille société ? » La réponse que le héros reçoit est celle que nous aurions pu donner alors et qui serait toujours valable aujourd’hui : « Nous pourrons enfin vivre une existence d’homme digne de ce nom. » Ce que notre héros, Valtin, refuse car il a peur de devenir un bourgeois. Il déclare alors : « Une seule chose serait digne de nous : mourir en beauté ! » La réponse des anarchistes à cette déclaration définitive lui semble un rire infernal. Ce choix de l’héroïsation d’une vie et de la mort comme récompense le mène au Parti communiste allemand. Il entre alors une dans une mystique dont il ne sortira au fond jamais. Nous le suivrons pendant toute la première partie du livre, dans une escalade de l’action pour l’action qu’il ne comprend pas très bien lui-même. Elle est vitale pour lui. En même temps, Glaser nous livre une peinture des dernières années de la République de Weimar absolument désespérée. La lutte dans la rue devient de jour en jour plus violente. Les affrontements avec les groupes nazis sont sans aucun répit. Mais nulle part une interrogation sur le bien-fondé de la stratégie décidée en haut lieu ne se fait jour. Les critiques qui apparaissent ne portent que sur l’absence de radicalité du centre. Pour le reste, « nos rapports avec le Parti étaient exclusivement déterminés par l’amour, l’espérance, la foi et la confiance ». Le rêve d’une Russie réellement socialiste est présent dans toute cette première partie. Le questionnement apparaît à la fin de la République où les syndicats liés au Parti communiste en accord avec les syndicats bruns entreprennent une grève contre des syndicats « libres », c’est-à-dire dépendant du parti social-démocrate. Ce qui est frappant dans ce livre est la description que Glaser fait de la grande peur. Le 30 janvier 1933, un gouvernement de coalition, avec Hitler à sa tête, voit le jour. L’Allemagne retient son souffle. Un mois plus tard, le Reichstag flambe. Hitler retourne le geste exemplaire de Van der Lubbe à son profit. Le Parlement est dissous, les communistes hors la loi. Les élections du 3 mars donnent 17 millions de votes aux nazis et 14 millions au mouvement ouvrier. Entre ces deux dates, le mouvement ouvrier et la gauche allemande s’autodissolvent sans bruit. Les groupes d’assaut, « Rote Frontkämpferbund » (communistes), « Die Eiserne Front » (socialiste), qui se partageaient le pavé allemand dans la lutte contre les nazis, n’existent plus. Le suffrage universel a eu le dernier mot. La résistance s’efface devant le résultat des urnes. On peut a posteriori avancer que l’accord germano-soviétique n’était pas étranger à ce renoncement, mais au moment où cela se passe, c’est l’incompréhension qui domine ; et c’est l’impression que nous transmet Glaser. Son héros, Valtin, prend la route de l’exil. Ce sera Paris. Devant les difficultés rencontrées, d’une part, et, d’autre part, l’illusion que Hitler ne va pas pouvoir tenir, il va tenter un retour en Sarre. Depuis la fin de la guerre de 14-18, la Sarre, pays des forges et des mines, est sous mandat de la Société des nations, les mines de charbon appartenant à la France. Quand Hitler accède au pouvoir, ce territoire ne lui appartient pas encore. Il va falloir qu’il attende deux années, le 13 janvier 1935, pour qu’un référendum vote à une énorme majorité, 90 % des suffrages exprimés, le rattachement à l’Allemagne. Essayant de survivre comme il peut, Valtin va attendre, désespéré (« C’était la cause qui m’avait abandonné »), comme tous les autres exilés de l’intérieur, que ce référendum les jette définitivement sur les routes de l’exil. Notre héros va vivre les cinq années qui précèdent la guerre, dans un petit village de Normandie. Il va s’intégrer dans une usine comme ouvrier métallurgiste, lui qui n’avait pas de métier. Il va s’intégrer dans la société française, lui qui n’avait pas de patrie. Il va se marier. Le militant communiste, extrémiste qu’il était, tente par tous les moyens de se faire oublier. La défaite de la gauche allemande pèse trop lourd pour pouvoir continuer à militer. Victoire de l’intégration, il est incorporé, part sur le front, tente d’échapper à l’encerclement de Dunkerque pour rejoindre l’Angleterre, mais est pris et passe le reste de la guerre dans un stalag jusqu’à la libération. Toute cette période est curieusement décrite, sans que l’on sache vraiment s’il ne s’agit pas au fond d’une façon d’expier l’échec politique. Dans ce livre, tellement attachant, pas une fois il n’est fait mention de l’antisémitisme nazi. Comme si cela n’avait pas été important. Comme si au fond cela n’avait pas été autre chose qu’un épiphénomène. La préface écrite par André Prudhommeaux, fusion de deux écrits différents, semble, pour la partie non biographique, assez étrangère au roman. Lyrique, elle évoque une « âme rebelle s’élevant sous les coups malgré les coups », ce qui est parfaitement conforme au récit ; de là à avancer que cette âme s’élève « jusqu’à cette hauteur d’anarchisme non violent où les êtres perdent de leur opacité » me fait me demander si nous avons lu le même livre. Ce roman se termine par une ode au Parti. Il faudrait citer complètement l’antépénultième page. Prenons-y juste trois courts passages : « Je comprenais maintenant que le Parti n’avait pas été infidèle à lui-même. » « La lutte du Parti n’était qu’un épisode dans le cadre d’un des plus grands bouleversements. » « Conquérir, commander, c’est la mission des organisations. » On touche ici du doigt la servitude volontaire du dévouement du militant communiste : « Qu’il ait tort ou raison, c’est mon parti. » Possible, mais ce n’est pas le mien. Pierre Sommermeyer Le Monde libertaire, n°1422, 19-25/01/2006 Retour au sommaire des articles Compte-rendu La période des « années rouge et brun » a peu inspiré de romans qui puissent également valoir comme témoignages vécus. Secret violence en est un, c’est même un roman magistral. D’abord édité en France dans les années cinquante, il a sombré dans l’oubli. Les éditions Agone le rééditent. La violence est un phénomène palpable et parfaitement identifiable mais sa puissance de destruction est un abîme. Elle désagrège toute chose insensiblement, sans qu’il soit possible de mesurer la profondeur de son impact. Les failles qu’elle ouvre sont sans fond. Tel est son « secret », le secret que Georg K. Glaser creuse dans son roman. « Il avait mis huit enfants au monde et tout fait pour les voir presque aussitôt rendre l’âme ». Le récit de Georg K. Glaser s’ouvre sur une magistrale volée de coups de ceinturons qu’un père administre à son fils. Une volée de coups qui propulse dans le monde ce fils, Valentin Hausenei, le héros du roman. Taraudé par la peur des coups, l’enfant tente plusieurs fugues avant de réussir à s’échapper du domicile paternel. Il erre en vagabond, se fait arrêter, passe par des maisons de correction, s’en évade et échoue dans une des institutions éducatives expérimentales de la République de Weimar, où toute violence est prohibée. Là, il découvre la lecture et fait sa première rencontre avec des militants ouvriers. Mais il fuit encore, se fait arrêter à nouveau, jusqu’à ce qu’il entre dans la militance puis au parti communiste : le « Parti » promet une « action » qui vise à la fin de toute la violence économique et politique infligée à la classe prolétarienne. La capacité de l’homme à résister à la violence ou à y sombrer relève elle aussi d’un mystère. Lorsque, en 1932, une marche de la faim est organisée par les forces de gauche, la foule de miséreux déguenillés qui afflue, portée par l’espoir fou de trouver un salut, vacille devant l’inconsistance des mots d’ordre que le Parti lui débite en guise de nourriture : elle ne tardera pas à céder aux arguments de la violence brune. Le Parti, lui, se raidit dans une politique d’épuration de ses membres. « Les amis et les ennemis se fondaient en une seule forme qui ressemblait toujours plus à mon ancien persécuteur », dit Valentin Hausenei. Si Georg K. Glaser, dont la vie suit de très près le parcours de son héros, ne se suffit pas du simple récit de sa vie pour faire la « chronique des années rouge et brun », s’il ne choisit pas la forme d’un récit-reportage, comme l’ont fait Arthur Koestler ou Victor Serge, mais la forme d’un récit romanesque, celle du roman d’initiation dans la plus pure tradition allemande, c’est que la violence de la fiction, plus subversive que celle de l’histoire, a le pouvoir de faire imploser les catégories : son héros, devenu citoyen français, fait la guerre, passe par les camps de prisonniers, regagne l’Allemagne, vainqueur parmi les vaincus mais, en réalité, vaincu parmi les vaincus : « Tandis que ma haine jubilait à chaque défaite des meurtriers, le cauchemar de la fin prenait des proportions monstrueuses. En effet, les coupables ne tombaient pas tout seuls. Avec eux s’écroulaient, dans le sang, profané et pollué, tout ce qui leur avait servi d’emblème : tout ce qui jadis nous avait été cher, notre jeunesse et notre avenir, nos rêves et notre force. » Marianne Dautrey Charlie Hebdo, 04/01/2006 Retour au sommaire des articles Georg K. Glaser, de la survie à la résistance L’autobiographie de cet antifasciste et ancien communiste allemand, naturalisé français, est un document exceptionnel sur les inhumanités du XXe siècle. Le récit autobiographique de Georg K. Glaser est d’abord une leçon de survie, que son auteur s’est forgée à son usage personnel, au fil d’un parcours qui l’a confronté à toutes les inhumanités du XXe siècle. Et pour commencer, à celle du père : « Il avait mis huit enfants au monde et tout fait pour les voir presque aussitôt rendre l’âme. » Résister a été le maître-mot de cette vie : se soustraire aux maltraitances paternelles en connaissant le sort des vagabonds et les maisons de correction, résister à la violence patronale, à la prison. Résister et chercher un engagement pour donner un sens à sa vie et contribuer à l’avènement d’un monde meilleur, délivré de toute cette violence issue de la peur. La vie et les lectures de l’adolescent rebelle l’ont d’abord mené vers l’anarchisme libertaire, puis vers le mouvement communiste, dans la crise généralisée qui mena à sa perte la première République allemande. En 1933, après une brève tentative de lutte clandestine et pour échapper à l’arrestation imminente, cette résistance prendra la forme de l’exil à Paris, entre misère et solidarité. Glaser quitte cet exil pour participer en 1934 à la campagne antifasciste en Sarre. L’échec de ce combat, à l’issue duquel il sera emprisonné, le renvoie en France début 1935, et il devient métallo dans un atelier des chemins de fer en Normandie. Mais l’ouvrier avait commencé à écrire avant l’exil des essais, des reportages, des récits, et continuera à mettre en mots son expérience, ses réflexions. Il choisit de s’intégrer, épouse une Française, obtient la naturalisation, participe à la guerre comme soldat de l’armée française. Fait prisonnier, il vivra sous une fausse identité. Tentatives d’évasion, camps disciplinaires, clandestinité : Georg Glaser parviendra plusieurs fois encore à survivre en résistant. Mais l’espoir est pour lui désormais ailleurs, car depuis 1934, il s’est peu à peu, détaché du Parti communiste, dont il analyse les erreurs et la dérive stalinienne, sans se détourner pour autant de la cause ouvrière. Vers la fin du livre, il rappelle : « Le Parti m’avait accueilli. Comme nous avions cru aveuglément ! Nous avions rivalisé avec les hitlériens pour la première place parmi les défenseurs de l’unité du Reich « de l’Adige jusqu’au Belt », alors que nous n’étions chez nous en aucune patrie. Le cœur brûlant de joie, nous avions trompé, sans être conscients de la portée des mots, uniquement parce que le Parti l’avait voulu [...]. Tout ce qui avait été voulu, souhaité et payé d’avance en vies humaines resurgissait des années plus tard, sanctifié dans un sens criminel. Qu’était-ce donc qui avait été perdu et ajouté au cours de cette métamorphose mystérieuse du rêve en doctrine active, lors de sa réalisation dans l’action d’un être aux ordres d’un parti ? » Il se reconstruira en écrivant ce livre, puis quelques autres, se mettra à la recherche d’un « travail entier » et non plus en miettes, et son propre dépassement de la parcellisation du travail fera de l’ancien métallo, jusqu’à sa mort survenue en 1995, un dinandier, dont les objets de cuivre aux formes galbées enchantaient les visiteurs de son atelier du Marais. Le manuscrit de ce livre devait connaître maints avatars : d’abord paru en 1951 en traduction chez Corrêa et en version originale en Suisse, puis en 1953 en RFA, mais ces trois premières éditions comportaient d’importantes coupures. Les éditions Agone viennent de le rééditer en s’appuyant sur la seule édition allemande complète de 1989 et en ayant soigneusement revu et complété la première édition. De la belle ouvrage, que n’aurait pas reniée Glaser. Hélène Roussel LHumanité, 03/01/2006 Retour au sommaire des articles Compte-rendu Dans l’Allemagne de Weimar, ce roman autobiographique retrace l’itinéraire d’un adolescent aux prises avec la violence paternelle et la façon dont il trouve un exutoire dans une révolte violente contre la société qui l’entoure en s’engageant dans les groupes paramilitaires du Parti communiste allemand. Mais la prise du pouvoir par les nazis l’oblige à l’exil en France, malgré une tentative de revenir en Sarre s’y opposer en 1935. Il découvre alors comment le communiste s’est retrouvé impuissant face au nazi, son frère jumeau. Définitivement exilé, il trouve en France un havre de paix dans une communauté ouvrière où il pressent que l’homme du véritable changement social sera le porteur de l’outil, non celui du fusil. Enrôlé sous l’uniforme français, il retourne en Allemagne comme prisonnier, menant un combat de chaque jour pour préserver le secret de son identité et conserver sa dignité. Ce livre se lit non seulement comme le parcours initiatique d’un individu rebelle face à tous les pouvoirs qui l’oppriment, mais aussi comme la condamnation d’une civilisation fondée sur la violence faite aux choses, aux êtres et à la nature. Offensive, n°8, 12/2005 Retour au sommaire des articles Compte-rendu Le premier ennemi fut le père : « Nous autres enfants, nous nous serrions autour de notre mère comme un troupeau qui flaire l’ennemi. » Battu au sang, le narrateur s’enfuit, connaît l’errance, les maisons de correction, la violence au travail, l’amour, la prison. Puis viennent les lectures, l’envie de rompre la solitude, de s’inventer une famille politique, de foncer vers des utopies, l’attirance anarchiste, puis le communisme. Il lutte contre la faiblesse du Parti, contre d’autres ennemis en progression, les nazis. En ouvrant ce livre on pense découvrir un pan d’histoire (ce qui est vrai aussi !), on y découvre surtout un écrivain, Georg K. Glaser, doué pour la narration au long cours, sensible, foudroyante à force de limpidité. Glaser (1910-1995) se raconte dans ce Secret et violence, utilise un « je » d’une authenticité implacable. Étrange destin que le sien. Né citoyen allemand, il s’exile en France. Incorporé en 1939 dans l’armée française, il est fait prisonnier en Allemagne, puis revient à Paris, où il exercera le métier de dinandier. Lui qui connut toutes les révoltes, toutes les déceptions, la guerre vitale « rouge contre brun », l’acharnement à croire coûte que coûte en la loyauté écrit : « À diverses époques, je m’étais trouvé libre comme un oiseau, sur les grandes routes, et j’avais traîné dans les rues mal famées des grandes villes, ne sentant ni la faim ni les privations. Car je savais qu’il s’agissait d’une aventure. Mais depuis, je m’étais éveillé de bien des rêves… » Martine Laval Télérama, 30/11/2005 Retour au sommaire des articles Compte-rendu Lors de la parution de la première traduction de ce livre en français, Albert Béguin préface « le premier témoignage direct de la génération allemande qui fut la plus étroitement mêlée à la tragédie de ces quinze dernières années » : « Enfant révolté, évadé de plusieurs maisons de rééducation où il fut comme tant d’autres le cobaye des pédants weimariens ; embarqué tout jeune dans les absurdes chimères et les prétentieux lyrisme des prétendus “amis de la nature” ; communiste de toute sa foi adolescente avant l’avènement du nazisme, il eut la candeur de lutter à main armée contre les bandes d’Hitler alors que son parti abandonnait le combat. Il lui fallut émigrer en France, où lui fut révélé un monde ouvrier très différent de celui où il avait grandi (ce n’est pas la part la moins captivante de son récit) : un monde plus conscient, plus différencié, moins aveuglément soumis à la discipline et à l’administration du Parti. Séduit, il ne cessa pas pour autant d’appartenir à l’Allemagne et il ne put se tenir de retourner en Sarre pour les derniers combats clandestins. Émigré de nouveau, mais refusant de se laisser enclore dans le cercle étroit et plaintif de l’émigration, il se fit naturaliser, vécut comme un ouvrier français parmi d’autres, fut mobilisé comme tel et, en 1940, se retrouva prisonnier dans le faubourg même où s’était déroulée son enfance. Vaines tentatives d’évasion, camps de représailles, vie cachée avec les rares survivants de son ancienne cellule – beaucoup de morts, beaucoup de transfuges manquaient à l’appel –, ce fut là sa guerre. La Libération le rendit à la France, sans lui faire prendre conscience des ses origines allemandes. […] Georges Glaser eût pu écrire une autobiographie ou un récit strictement documentaire. Il a eu l’ambition de faire davantage : de composer un roman qui, recourant à tous les moyens, délibérés ou intuitifs, de l’art littéraire, atteignît à une signification en profondeur, et dépassât les limites du document historique. » Dans son atelier de dinandier du Marais – que fréquentait notamment Louis Mercier – Georg K. Glaser (1910–1995) a conservé son esprit rebelle et vagabond tout en se pliant de bon gré à la discipline exigée par la chaudronnerie d’art. Et en inventant une discipline d’écriture, novatrice et déroutante. « La principale découverte de notre temps, c’est que la langue dressée, étatisée, est l’outil le plus puissant de la domination totalitaire. Voilà pourquoi je m’efforce de maintenir en vie une langue qui ne traduise pas des idées mises au pas, une langue où puissent s’exprimer des idées rebelles – puisque libres1 » Que voilà un beau défi pour celles et ceux qui souhaitent le faire connaître en langue française ! —————————— 1 Lettre à Anne Duden, mai 1983, in Georg K. Glaser, Zeuge seiner Zeit, Francfort et Bâle, 1997. Marianne Eckell Réfractions, n°15, hiver 2005 Retour au sommaire des articles Le dinandier Qu’est-ce qu’un dinandier ? Un fabricant d’objets en cuivre, tout simplement. L’espèce se fait rare sous les cieux de Paris. Quant à Georges Glaser, qui manie le verbe aussi bien que le marteau, il est unique. Rue Beautreillis, au fond d’un atelier aux murs noircis par les alignements de marteaux, un vieil homme travaille. Avec sa casquette et son tablier de cuir, ses grosses bretelles et sa fine barbe blanche taillée au corbeau, Georges ressemble à l’un de ces artisans d’un temps qu’on croyait révolu. Le nez rivé sur la cruche toute en rondeurs qui est en train de naître sur son enclume, il s’applique à frapper. Si le geste n’est pas assez précis, on blesse le métal. et quand on écrase les molécules au lieu de les déplacer, la matière reste inerte et mate. Lentement, sous la pluie lancinante et régulière des coups qui tombent au rythme d’un cœur qui bat, le métal s’assouplit. La plaque rigide et froide se transforme en une peau douce et fine. Et les creux et les bosses qui la balafraient tout à l’heure se métamorphosent subitement en éclats de lumière. Perpétuant la tradition née au XIIIe siècle à Dinant, en Belgique, Georges Glaser fait jaillir du cuivre, du laiton et de l’argent des lampes, des plateaux, des bijoux qui racontent tous une histoire unique. Avant de créer un objet, j’ai besoin de connaître la personne qui va vivre avec. On a tous envie de posséder des choses qui nous ressemblent. Au gré des commandes, Georges façonne une âme aux objets quotidiens. S’il pose deux fillettes sur une girouette, c’est pour célébrer la naissance de jumelles et s’il invente un chauffe-thé aux reflets dorés, c’est pour que l’infusion d’une dame chic et bavarde ne refroidisse pas. Le credo de Georges est simple : rendre les hommes heureux. Il faut entendre les besoins des gens. moi, avec mes outils, j’essaie de leur apporter un petit morceau de bonheur. Après avoir été chaudronnier, forgeron et terrassier dans la Sarre du début du siècle, il s’exile en France pour fuir le nazisme. Malgré son statut d’apatride, il est envoyé au front. Fait prisonnier, il reste enfermé cinq ans dans les camps allemands. Après la libération, il entre chez Renault comme traceur. C’était le début des chaînes, de la logique du profit. On tuait les hommes à petit feu. Refusant un productivisme qui l’aurait transformé en Charlot des Temps modernes, il troque la planche à dessin pour la plume. Au fil de cinq ouvrages – de la souffrance du prisonnier à l’aliénation de l’ouvrier –, il dénonce toutes les oppressions qui entravent la liberté de l’homme. Mais Georges l’écrivain a besoin de Georges l’ouvrier pour respirer. En 1949, rue Guénégaud, il ouvre donc un atelier de dinanderie, où les intellos de l’époque viennent volontiers discuter le coup. Quand mon livre Secret et violence [Coll. Les Chemins de la vie, éditions Corréa] est sorti, Camus venait souvent bavarder avec moi. Plus que nostalgique, Georges est surtout désemparé devant la chape de mépris qui a cloué au sol le travail manuel. Vous savez, quand on réussit à traduire en volume le désir des autres, c’est vraiment émouvant. Le savoir de la main apporte une véritable dignité à l’homme. Et aussi une grande fierté. Dans le quartier du Marais, où il est installé aujourd’hui, tout le monde le connaît. Il suffit de lever le nez pour découvrir les empreintes-enseignes de Georges : un masque de bœuf pour une boucherie (rue des Hospitalières-Saint-Gervais), un Bacchus pour un resto (rue du Pas-de-la-Mule), un thonier pour une poissonnerie (rue Saint-Antoine). et quand le dinandier va boire une bière Aux Mousquetaures, le bistrot à l’orée de son village, on accueille avec chaleur monsieur Georges. Et il en est bougrement content : Monsieur Georges, ça, c’est un titre honorifique ! Mathilde Trébucq Télérama, 15/09/1993 Retour au sommaire des articles Un grand roman et bouleversant témoignage sur l’Allemagne Bien qu’il s’agisse effectivement d’une autobiographie et d’un roman, l’expression consacrée d’« autobiographie romancée » conviendrait mal au livre de Georg K. Glaser, Secret et violence. Ce n’est pas, en effet, pour rendre plus attrayant le récit de ses aventures et de ses expériences personnelles que l’écrivain allemand, ainsi que le note Albert Béguin dans sa préface « a eu l’ambition de “recourir” à tous les moyens délibérés ou intuitifs de l’art littéraire », mais pour apporter un témoignage qui, dépassant les limites du document objectif, puisse atteindre l’homme au plus profond et au plus intime de lui-même, au-delà même des contingences historiques. Et pourtant, rarement l’histoire personnelle et l’Histoire ont été aussi étroitement mêlées que dans ce roman, qui a simultanément pour cadre et pour sujet la vie allemande de 1918 à 1945. Le héros de Secret et violence, Valtin Haueisen, est d’abord un enfant du peuple, martyrisé par un père à l’âme de tortionnaire, puis un adolescent révolté qui, après avoir cherché le salut dans la fuite et le vagabondage passe de maison de correction en maison de correction, éprouvant chaque fois davantage l’injustice et l’humiliation des contraintes exercées par une société fondée sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Enfin, il entre en contact avec le parti communiste qui lui révèle le sens de la collectivité, de la communauté prolétarienne. Le récit des luttes du Parti jusqu’à la prise de pouvoir par Hitler, leur continuation dans la semi-clandestinité, en Sarre, jusqu’au plébiscite, occupe plus de la moitié du roman. Et, à lui seul, ce récit suffirait à donner à l’ouvrage de Georg Glaser un intérêt historique exceptionnel. Mais, dès cet instant, ce qui frappe surtout, c’est la répercussion des événements extérieurs et de leur interprétation, conformément à la « ligne », sur le comportement personnel du héros. Valtin, en effet, aussi discipliné qu’il soit devenu, ne cesse jamais de réagir en homme libre et il ne trouvera son climat que lorsque contraint de se réfugier en France, il fera connaissance du prolétariat français. D’ailleurs, il épouse une Parisienne et, lorsque la guerre éclate, il est mobilisé dans les armées de la République. Il sera fait prisonnier. Nous arrivons ainsi à la troisième partie de Secret et violence, consacrée à la captivité de Valtin, à proximité de son faubourg natal. Cette partie est passionnante, sans doute parce qu’elle nous conte les ruses employées par le héros pour ne pas se trahir. Lui, qui a conservé son accent germanique, doit, pendant cinq ans, se faire passer pour un authentique Français, aussi bien auprès de ses camarades prisonniers qu’auprès des Allemands. La moindre indiscrétion, la moindre négligence auraient des conséquences fatales. Cependant, il ne renonce pas à ce qu’il croit être son devoir. Envoyé en kommando, il profite de son travail en usine pour reprendre contact avec les ouvriers qui se sont résignés ou qui, le plus souvent, ont dû plier sous la menace. Il leur apporte l’espoir et le goût de la liberté, non sans risque, parce que, s’il se trouve des oreilles attentives, il rencontre également des mouchards. Continuellement surveillé, il n’échappe point aux soupçons. Malgré une hallucinante tentative de fuite, il restera en Allemagne jusqu’à l’arrivée des troupes alliées. Mais aussi passionnante qu’elle soit par ses péripéties, cette dernière partie du roman de Georg Glaser l’est davantage encore par la lumière intense qu’elle projette sur une âme. Ce qui compte avant tout ici, c’est, en effet, l’itinéraire intellectuel et spirituel du héros, c’est cette découverte progressive qu’il fait de la personne humaine. Il n’est nullement question d’un reniement de la classe ouvrière, ni même du communisme, mais d’un dépassement du marxisme embourbé dans les méandres de la tactique et de la stratégie politiques. La pire tentation pour l’homme révolté contre la justice sociale est celle de l’anarchie et, dans sa jeunesse, Valtin Haueisen a failli y succomber, mais cela n’a été pour lui qu’une tentation de jeunesse. Et s’il évolue par la suite, c’est selon une courbe qui le mène du sens collectiviste au sens communautaire. Aussi bien découvre-t-il que l’essentiel n’est point de conquérir le monde, mais de le faire : « Conquérir, commander, dit-il, c’est la mission des organisations ; faire, c’est la liberté de l’homme. » Pas plus qu’il n’est séparé des autres, l’homme n’est séparé de son Créateur dont il est l’unique vraie image. Et la même courbe qui va de la masse à la communauté, de l’organisation à l’homme, aboutit à l’éternel. Rien n’est plus émouvant que cet itinéraire d’une âme qui, sans rien abandonner de l’homme, s’épanouit enfin à l’approche de Dieu, parce qu’elle a su échapper aux vertiges du néant qui devait engloutir tout un peuple : « Je vis les arrière-gardes qui se retiraient de la ville. Tout jeunes, avec des visages sales et fatigués, des regards désespérés. Je pris le dernier adieu amer des dernières ombres de ma jeunesse, de mon rêve, du rêve mis en pièces et pillé. Les jeunes gens avaient cru le porter à travers un univers et ils n’avaient fait que détruire, détruire, détruire. Ils étaient vaincus et battus et s’en allaient dans un épouvantable néant. » .....
Posted on: Sat, 19 Oct 2013 02:36:46 +0000

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