Entrevue avec Robert Laplante : "Un bon nombre des adversaires du - TopicsExpress



          

Entrevue avec Robert Laplante : "Un bon nombre des adversaires du projet de Charte ont réagi devant lui comme devant une obscénité. Parce qu’il entre en collision frontale avec le multiculturalisme canadien, ce projet met fondamentalement en cause le rapport du Québec au Canada. Il ne faut jamais l’oublier, le multiculturalisme, comme doctrine d’État, a été adopté pour empêcher la construction du projet national québécois. Le Canada de Trudeau, il faut s’en rappeler, a rejeté les perspectives ouvertes par le rapport de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme parce qu’il refusait de reconnaître toute logique de reconnaissance et d’affirmation d’un rapport de nation à nation entre le Québec et le Canada. En se définissant comme une mosaïque de cultures, le Canada banalisait la culture québécoise, la réduisait à une expression parmi d’autres de la « diversité » conçue comme moyen de refuser la réalité de la dualité canadienne. Ce n’est pas non plus un hasard si les opposants brandissent la Charte canadienne des droits et libertés comme un bouclier devant les protéger des Québécois, des séparatistes, de l’Assemblée nationale, du nationalisme ethnique et de tant d’autres calamités. La Charte a été adoptée et conçue pour harnacher et contenir l’expression démocratique et les pouvoirs de l’Assemblée nationale du Québec. Enchâssée dans la Constitution rapatriée dans une manœuvre que la Cour Suprême elle-même a qualifiée d’illégitime et que Frédéric Bastien, à la suite des diplomates et responsables du gouvernement anglais de Margaret Thatcher, a qualifié de coup d’État, cette Charte est désormais sacralisée au Canada. Elle suscite une révérence qui donne bonne conscience et c’est avec orgueil que l’État canadien et une très grande majorité des leaders d’opinion se prétendent à la face du monde comme un modèle de vertu et de tolérance. Le projet de Charte québécoise des valeurs – si mal nommé – a permis aux adversaires de brandir cette supériorité morale de l’instrument canadien contre la légitimité d’une démarche entreprise et conduite sous l’autorité du gouvernement élu et de l’Assemblée nationale du Québec. À leurs yeux - et ils ne se sont pas gênés pour le clamer haut et fort, – la source du droit c’est le Canada de la Charte, pas la volonté démocratique du peuple québécois. S’il fallait une illustration de plus de la tutelle qu’exerce le Canada sur le Québec, la réaction des opposants l’a fournie, et de mille manières. Il aura suffi de lire quelques pancartes brandies dans les manifestations pour bien comprendre la résonnance populaire que provoque la sacralisation de la Charte canadienne. Cette Charte et cette Constitution, le Québec ne les a pourtant jamais acceptées formellement. Mais comme, par ailleurs, les gouvernements successifs ont tous, d’une manière ou d’une autre, plié devant l’ordre constitutionnel illégitime, le débat démocratique est toujours piégé. Alors qu’en toute logique la contestation devrait être permanente, les gouvernements ont choisi de respecter cet ordre qu’ils ont plus ou moins mollement continué de dénoncer à grands coups de « paroles verbales », comme on dit. Beaucoup de souverainistes ont intériorisé la propagande et les thèmes idéologiques du chartisme canadien et ils sont, hélas, fort nombreux à accorder crédibilité et légitimité à cet instrument pourtant essentiellement dirigé contre notre existence nationale. C’est sans doute aussi pourquoi le gouvernement du Québec lui-même a renoncé d’avance à invoquer les dispositions dérogatoires (la clause dite nonobstant) afin de minimiser lui-même le conflit de légitimité qu’ouvre objectivement son projet. En insistant pour le présenter comme compatible avec l’ordre constitutionnel imposé, le Gouvernement du Québec contribue à en affirmer la légitimité – c’est non seulement une contradiction, c’est une aberration. Et il conforte, du coup, tous ceux-là qui pensent que le Canada offre de meilleures garanties de protection des droits que ne pourrait prétendre le faire l’Assemblée nationale du Québec. Il faut le rappeler, ici encore, ces dispositions dérogatoires ont été d’abord présentées comme un compromis, un adoucisseur pour venir à bouts des réticences de plusieurs premiers ministres provinciaux lors des discussions constitutionnelles qui ont mené au rapatriement unilatéral de 1982. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir désormais ce recours présenté comme une échappatoire abusive. Et encore, le recours à ce dispositif est-il bien souvent tenu pour suspect seulement quand le Québec veut l’utiliser. C’est bien là l’indice que la sacralisation de la Charte est désormais totale. Pour le gouvernement du Québec ce recours offrirait pourtant une occasion de réaffirmer que son Assemblée nationale prime sur les décisions des tribunaux gardiens de la Charte. Cette hésitation et les doutes exprimés par de nombreux souverainistes témoignent d’une ambivalence malsaine. Quels que soient les arguments qu’on puisse invoquer pour débattre du contenu du projet de Charte ou même de la pertinence de la démarche qui la sous-tend, aucun ne devrait prendre appui sur cet ordre constitutionnel illégitime et son chartisme. S’il y a un sacrilège à s’en prendre à cette charte, s’il est obscène de prétendre que l’Assemblée nationale est la source du droit, c’est parce que de manière inavouée, plusieurs consentent à la minorisation du Québec, à sa mise en tutelle permanente. Ce consentement, il est désormais au fondement des positions politiques des défenseurs québécois du fédéralisme. Leur Canada, c’est celui de l’ordre constitutionnel illégitime de 1982, ils acceptent que le Québec y soit subordonné. Implicitement, ils ont d’ores et déjà signé la constitution, ils en acceptent la logique et les exigences. Philippe Couillard est le politicien québécois qui s’approche le plus d’une déclaration officielle de consentement, d’adhésion à cette Constitution dont on sent bien qu’il se meurt d’envie de signer. Quant au matraquage médiatique auquel nous avons assisté dès le dépôt du projet, il n’était rien moins que normal et prévisible. De la part de Radio-Canada, c’était dans l’ordre des choses. Ici encore, il faut le rappeler : sa mission première est la préservation et la promotion de l’unité nationale. Il est tout simplement impensable que Radio-Canada aille à l’encontre de la doctrine centrale du discours de l’unité nationale. Quoi qu’en disent ses défenseurs et ceux qui en vivent, Radio-Canada est et doit être une machine de promotion du multiculturalisme. Sa position éditoriale est consubstantielle à sa mission. Évidemment, cela ne veut pas dire que tous ses journalistes y obéissent servilement. Mais il est clair que tous sont bien conscients de leur marge de manœuvre et il y en a plusieurs qu’on voit faire des contorsions qui ont beaucoup à voir avec l’autocensure. Plus globalement, nous avons également pu constater qu’une grande part de la coterie médiatique s’est spontanément installée dans une distanciation plus ou moins cynique à l’égard du projet et du débat qu’il suscite. Cela a beaucoup à voir avec la place du multiculturalisme dans la rectitude politique si prégnante en ces milieux. Comme doctrine du néolibéralisme apatride, cette idéologie est fort bien portée par l’air de temps et il n’y a rien de bien étonnant à les voir farfiner. Dans l’ensemble le sensationnalisme domine le traitement médiatique du débat. Un sensationnalisme bien marqué par le narcissisme de l’individualisme contemporain où domine le point de vue de l’ego sur celui de l’institution. Il faut ajouter à cela que Radio-Canada étant le médium de référence pour de larges pan de la profession, sa posture et les restrictions mentales fixent les paramètres du style journalistique adopté par un très grand nombre sinon la majorité des praticiens de la profession qui n’en ressort pas grandie, c’est le moins qu’on puisse dire. Enfin, il faut également constater que la virulence de bien des réactions tient aussi à cette fusion aussi étonnante que malsaine entre l’adhésion plus ou moins active au multiculturalisme et la propension au mépris de soi et à l’autodénigrement si prégnante dans le climat idéologique du Québec des dernières années. Le cosmopolitisme bon chic bon genre est souvent brandi contre la différence québécoise qui serait plus ou moins ringarde alors que l’ouverture à la diversité dicterait de s’incliner devant toutes les autres. Cette attitude de minoritaire honteux ressort beaucoup dans le présent débat... Robert Laplante : Globalement, le Québec actuel tel que le présente et l’administre sa classe politique se pense et agit comme une entité docile, acceptant de se penser et se gouverner avec les moyens que le Canada lui laisse. Cela est vrai en ce qui concerne l’ordre constitutionnel comme du reste. Tout le débat sur les finances publiques repose sur l’acceptation des contraintes provinciales. Les Québécois envoient plus de cinquante milliards de dollars à Ottawa et leur attitude à l’égard des choix et des contraintes que cela impose à la conduite de nos affaires est carrément irresponsable. À Ottawa les choix sont faits en fonction d’un intérêt national qui n’a rien à voir avec le nôtre mais les choses sont présentées comme dissociées. Les débats entourant le remplacement du Pont Champlain en fournissent une illustration délirante. C’est une infrastructure névralgique et Ottawa ne rate pas une occasion de dire qu’il fera à sa guise. C’est une farce de voir ce Denis Lebel rouler des mécaniques pour affronter à peu près tous les intervenants québécois et venir dire effrontément qu’Ottawa a décidé qu’il y aura péage, qu’il jugera s’il est pertinent de faire un concours d’architecture et qui hausse le ton pour affirmer sa prérogative de choisir le nom du pont. Quel rapport avec le projet de Charte? Eh bien celui de la dissociation complète entre la situation politique réelle et la politique provinciale. Les Québécois – et au premier chef leur gouvernement national – pensent encore qu’il y a des domaines où nous pouvons décider entre nous de ce qui est bon pour nous. Comme dans le cas du pont, le débat sur le projet de charte vient de rompre cette illusion – encore une fois. L’intervention de Thomas Mulcair, cet ancien avocat d’Alliance Québec et l’un des artisans de la guerre au français et à la loi 101, donne une bonne idée de la façon dont les choses se passent pour de vrai. Il a cru de son devoir de chef de parti de la loyale opposition de mettre son parti à la disposition des opposants au projet de charte. Il a clairement signifié qu’il se croit en droit de raidir la laisse. Ceux qui ont voté NPD viennent de se faire dévoiler la signification de leur vote. Que cette position ait pu être énoncée sans qu’aucun député québécois ne démissionne et ne quitte ce caucus en dit long sur leur consentement à notre minorisation. Leur loyauté ne va pas au Québec d’abord. Ce ne sont que des intermédiaires utiles à notre assujettissement. On repassera pour leur donner le bénéfice du doute : ils travaillent objectivement contre notre peuple. Le Canada n’est pas absent du débat. Il attend son heure, tout simplement. Si jamais ce projet de charte est adopté – ce qui, à ce moment-ci, est encore loin d’être évident – il ne se passera pas un quart d’heure avant que ne soit déclenchée contre lui une guérilla juridique, financée avec nos impôts, qui n’aura de cesse que lorsque ladite charte aura été réduite à l’insignifiance, émasculée pour la rendre inoffensive. C’est le côté pathétique de l’affaire : les Québécois vont engloutir une énergie folle dans un débat dont ils ne maîtrisent pas les aboutissants. Le gouvernement Marois aura beau se montrer conciliant, renoncer à la clause dérogatoire, aucun compromis ne sera suffisant. Ottawa va affirmer son autorité et va faire passer le test de la Charte québécoise à sa Cour suprême qui va interpréter la chose avec sa Charte canadienne, un instrument d’assujettissement du Québec. Si ce n’est pas le gouvernement lui-même, quelqu’un d’autre s’en chargera pour la grandeur du Canada et la suprématie de son droit. Il faut franchement être naïf pour s’imaginer que cela sera marqué par un quelconque respect de la volonté démocratique exprimée par l’Assemblée nationale. Les Québécois ont du mal à l’admettre, mais ils vivent sous la botte d’un peuple étranger, sous l’empire d’un ordre constitutionnel illégitime conçu pour les réduire à l’impuissance. Les souverainistes qui tentent de reprendre l’initiative avec ce projet auraient tout intérêt à dire les choses comme elles sont: le Québec ne peut pas définir sa laïcité comme il veut, sa marge de manœuvre est fixée par une autre nation qui ne partage aucunement ses valeurs et ses préoccupations. D’ailleurs la notion même d’accommodement raisonnable est un piège conceptuel. C’est un bricolage inventé par la Cour Suprême, une patente aux assises multiculturelles dont le rapport Bouchard-Taylor s’est servi pour ajouter à la confusion des esprits. Dans une approche républicaine de la laïcité nous n’avons rien à faire de ce bricolage juridico-idéologique, nous avons à établir des règles claires qui se tiennent pour elles-mêmes et non en fonction des exceptions maintenues pour atténuer la portée des principes énoncés. Les accommodements à la canadian n’affirment que la prédominance de la doctrine multiculturelle. Penser la Charte québécoise c’est sortir de ce bataclan et affirmer un corps de principes qui, certes, peut prévoir des adaptations, mais jamais n’autoriser ce qui va à l’encontre du primat de la laïcité elle-même. On le voit, ce projet, pour peu qu’on le prenne au sérieux, nous entraîne bien loin des conceptions canadiennes. Le Québec bashing auquel nous avons eu droit n’aura fait que redire ce qui, dans tous les milieux au Canada se donne pour une évidence : la province de Québec doit être normalisée, c’est-à-dire qu’elle doit être assujettie à l’ordre que le Canada souhaite pour lui-même. La différence et l’originalité québécoises n’y sont tolérées qu’à la condition de ne pas troubler la vision que se fait le Canada de lui-même. Quant aux expressions de mépris qu’on a pu lire à pleines pages et entendre ad nauseam, elles reflètent bien le respect à géométrie variable de la diversité : formulées à l’endroit de n’importe quel autre groupe ou catégorie sociale, la plupart de ces injures auraient fait l’objet de dénonciations enflammées. Le mépris à l’endroit du Québec est un écart de civilité généralement bien toléré dans ce vertueux Canada. Robert Laplante : Beaucoup de remarques ont été faites sur les maladresses du projet, à commencer, bien évidemment, par son intitulé – il faudrait une Charte de la laïcité. Je ne les reprendrai pas toutes ici. Je souscris cependant à l’intention de fond. C’est une ambition légitime et il faut lui donner l’espace pour se déployer. Mais pour que cela soit possible, il faudra d’abord admettre qu’il ne s’agit pas seulement d’une affaire interne à la province de Québec. Elle met en jeu notre place et notre espace d’autonomie dans un ordre juridique imposé et illégitime et faire le débat explicitement sur ce sujet. Il ne suffit pas d’évoquer le rejet du multiculturalisme pour recadrer le débat. Il faut éviter d’en faire une simple affaire de rapport aux immigrants. C’est vrai que le multiculturalisme est au fondement d’un modèle d’intégration des nouveaux arrivants et que ce modèle fait concurrence au modèle québécois (une langue officielle au Québec, deux au Canada, pas de culture de référence au Canada, une culture québécoise à partager, etc.). Mais plus globalement, le multiculturalisme est d’abord un dispositif de marginalisation de la nation québécoise et de sabotage de sa dynamique identitaire. Dans un tel contexte le recours à la clause nonobstant s’impose. Il n’évitera pas la guerre juridique et les assauts politiques visant une éventuelle loi, mais il aura le mérite de poser ouvertement et dans la sphère politique le conflit des légitimités. Le Québec ne doit pas renoncer à compléter sa modernisation institutionnelle sous prétexte qu’elle le conduirait à troubler un ordre que d’aucuns souhaiteraient indolore et inoffensif. Au chapitre des mesures de bonification essentielles à lui apporter, l’abolition de toute clause de retrait est une nécessité. On l’a vu, les opposants ont d’ores et déjà montré leur volonté de se soustraire à l’application d’une éventuelle charte là où elle est serait d’une utilité immédiate pour résoudre et désamorcer des tensions qui n’iront que grandissantes. Il ne faut pas confondre mesures d’adaptation et échappatoires. Dans sa formulation actuelle, la proposition conduit tout droit vers un ordre juridique à deux vitesses. Non seulement cela ne tiendra devant aucune instance de justice, mais surtout, cela nourrit et dresse des clivages susceptibles de se durcir dans le processus même de contestation juridique, compromettant les avancées recherchées par une législation visant à mettre tous les citoyens sur le même pied. L’actuelle permissivité a néanmoins eu le mérite de clairement faire ressortir les lignes de fractures entre les élites qui contrôlent les municipalités et les institutions et le Gouvernement du Québec. Cela renvoie à des clivages profonds qui ont beaucoup à voir avec le bri de loyauté à l’endroit des institutions nationales, à un décrochage certain d’une partie de l’élite à l’endroit de la dynamique de construction de la nation. Ce mouvement pour se mettre en retrait n’est pas seulement une mesure d’obstruction, c’est aussi le refus de s’inscrire dans la vie nationale, le choix de chercher refuge dans l’ordre canadian qui se présente sous le jour du statu quo. Un statu quo qui a tout à voir avec le débraillé multiculturel et le constant déni de ses effets néfastes sur la convivialité, un déni grandement facilité par cette attitude si courante de minoritaire honteux, cette attitude de constante minimisation des exactions, reculs et rebuffades. On a fait grand cas de la question du retrait du crucifix de l’Assemblée nationale sans trop se rendre compte que l’argument sous-jacent est celui de l’exaspération : son retrait est perçu par beaucoup de gens comme une concession de trop. Pourquoi enlever le crucifix si c’est pour garder le voile ou la kippa? La question de la cohérence est aussi importante dans l’ordre des symboles que dans celui de l’idéologie. Les évêques eux-mêmes ont reconnu qu’en tant qu’objet de patrimoine, il pourrait bien changer de place. Le gouvernement pourrait bien saisir la balle au bond et retirer, avec le crucifix, un argument qui donne bonne conscience aux opposants, en particulier ceux-là qui sont toujours disposés accepter le double standard du moment qu’il conforte le multiculturalisme. Il devrait cependant accompagner une telle décision d’un geste fort pour retirer aux groupes, confessions et organisations les privilèges qu’ils retirent de l’État qui soutient de bien des manières des ferments de développement séparé. Il faudrait qu’il s’engage à retirer aux organisations des diverses confessions religieuses le privilège fiscal pour les cas où les activités de ces organisations ne servent que des intérêts particuliers. Il devrait en aller de même pour le financement des écoles et des garderies qui ne satisfont pas aux exigences des lois et programmes garantissant que la prestation de service reste conforme à l’intérêt public. Les récents cas d’écoles religieuses en infraction depuis des années ne devraient plus être tolérés et réglés immédiatement. Des cinq dimensions du projet, c’est clairement celle qui touche le code vestimentaire qui soulève le plus de passion. Une approche pragmatique voudrait sans doute que les dispositions ne s’appliquent qu’aux nouveaux employés de l’État et des services publics, évitant de créer des préjudices aux gens qui ont été embauchés sur des règles et conventions désormais jugées inadéquates. L’État doit assumer ses responsabilités et accepter de porter lui-même les conséquences de ses choix. Ce serait là, du reste, une véritable leçon de tolérance. Les pratiques ne subsisteraient qu’à titre de vestiges d’un ordre ancien, un ordre révolu qui ne permet plus de répondre adéquatement aux exigences d’une citoyenneté bien affirmée. Le gouvernement s’est laissé placer sur la défensive et a contribué à laisser dériver le débat en ne précisant pas d’entrée de jeu ses intentions quant à l’éventualité ou du congédiement des personnes visées par les clauses relatives au codes vestimentaire. Il y a tout de même des limites à faire du pathos sur les foulards islamiques alors que les pays à majorité musulmane en quête de laïcité l’interdisent chez eux. Un regard le moindrement informé aurait permis de voir qu’il en va également de même pour le port du kirpan ou du turban qui font l’objet de vifs débats en Inde et au Pakistan. Il en va de ces matières comme de l’ensemble de la question du multiculturalisme. Le Québec doit réfléchir en regardant aussi ce qui se passe ailleurs, c’est cela l’ouverture au monde. Et ailleurs, de très nombreux États cherchent à se déprendre du multiculturalisme. C’est un point de vue extrêmement provincial, une vision appauvrie de soi-même et de sa place dans le monde que de se penser dans le cas canadian. Le débat, même s’il a connu des débuts assez chaotiques, se place lentement. Dans une société normale le débat sur la laïcité repose d’abord et avant tout sur des enjeux démocratiques, sur la façon dont les citoyens conçoivent la neutralité des institutions et la place du religieux dans la vie publique. Mais le Québec n’est pas une société normale : sa vie démocratique a été mise en tutelle. Même si le sort du projet de Charte est à coup sûr déjà réglé, quelles que soient les modifications qui lui seront apportées, le débat aura peut-être le mérite de faire revenir la question nationale au centre de la vie politique en faisant prendre conscience à bien des Québécois qui refusent de le reconnaître ou d’en tirer les conséquences qu’il y a un fort prix à payer pour vivre sous l’empire d’un ordre étranger. Le Canada n’est pas notre pays. Sa constitution est une « vraie affaire » qui nous empêche de faire nos choix comme nous l’entendons, qu’il s’agisse de débattre des menus de garderie ou de l’égalité homme/femme. Son multiculturalisme est un instrument de destruction de notre culture nationale. Ses choix de société nous déportent de plus en plus loin des voies de l’évolution que nous souhaitons définir pour construire notre avenir.
Posted on: Sat, 05 Oct 2013 23:38:27 +0000

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