" Il y a là dedans, sans doute, quelque chose du fantasme non - TopicsExpress



          

" Il y a là dedans, sans doute, quelque chose du fantasme non accompli, du geste amoureux suspendu. Celui qu’on n’a pas osé, pas tenté, mais qu’on a imaginé, contextualisé et répété mille fois. Avec toutes ses variantes possibles: le refus clair et net. La dérobade, gentille mais ferme. Ou bien le moment magique où l’autre répond exactement au désir, l’instant est parfait: les bouches se répondent, les peaux s’appellent et … Bref, on connait la chanson. Imaginer, ça permet de gommer les petits défauts, les aspérités. Les couacs. Un angle pas bien calculé, et paf le coup dans le nez, la main maladroite. Ça donne aussi une certaine zone de confort puisqu’on n’est bridé par rien, autant tout se permettre. ... En fait, dans ma caboche, ça cogite: ha le gevrey-chambertin. Pourquoi? Simple: c’était le vin préféré de ma mamy**. Qui n’en a jamais bu une seule goutte. Quand je vous dis que ce n’est pas vraiment de ma faute si je ne suis pas toujours d’équerre… Ma grand-mère, c’était quelqu’un: un personnage à la Jacquie Sardou, pareil avec la crinière rousse, capable d’une grossièreté monstrueuse, y compris devant les petits-enfants (fascinés, évidemment, les jurons à cet âge là, ça impressionne). Elle s’appelait Olga, à mon avis, un des plus jolis prénoms au monde qu’elle détestait cordialement. Elle s’est donc fait appeler toute sa vie Huguette, pour "emmerder le monde". Plutôt drôle. Bornée. Et adorant lire mais pas n’importe quoi: Barbara Cartland et San Antonio, à égalité. Galanterie rose poudrée et gaudriole à tiroirs. ... Je me suis souvent dit qu’il était dommage que le temps m’eut manqué: je lui aurais apporté une bouteille, ou deux de gevrey. On les aurait sifflées, doucement. "Tiens-toi droite, merde. T’es une jeune fille ou un camionneur?" On aurait parlé de livres, elle aurait engueulé mon papy qui rentrait avec ses godasses pleines de boues de dieu sait où. Je lui aurais peut-être même raconté des anecdotes que j’aurais pris soin de glaner à droite et à gauche. Histoire de lui en boucher un coin, que ce soit moi, pour une fois, la raconteuse d’histoires. Et puis je serais partie, laissant là les verres vides, qu’elle se serait empressée de passer sous l’eau en râlant "combien de fois je t’ai dit: un verre ça se rince, bordel". Râlant, mais souriant. J’ai pas eu le temps. Le temps que je goûte mes premiers bourgognes, elle n’était déjà plus tout à fait là et complètement partie à ma première gorgée de gevrey-chambertin. C’est dommage mais pas tant. Parce que cette scène, je la revis de mille et une façons différentes, chaque fois que je bois du Gevrey… ."
Posted on: Wed, 07 Aug 2013 17:13:17 +0000

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