La souffrance est un luxe, une fleur qui, chaque jour, me caresse - TopicsExpress



          

La souffrance est un luxe, une fleur qui, chaque jour, me caresse les côtes avec délectation. Les nuages lambinent avec attention sur les contrebas de Saint-Malo, quelque sculpture aux esclaves nargue le vent tandis que nous nous asseyons au pied de la Tour Solidor. Des élancements qui chatouillent la conversation. Les plaisanteries deviennent une torture quil est difficile à présent dapprécier. Quelques secondes de silence afin dobserver les toitures alambiquées. Châteaux et chapelles qui dominent la ville, pointent leurs ardoises sur le ciel, et contrastent, contrarient les nuages avec zèle. Lesprit toujours confus comme enveloppé dans une boule de coton, je mattends à ce que son visage se mette à briller. Dautres élancements me tiraillent, quel adorable bijou... La stupeur de ces lieux, tout en pierre apparentes, se mêle à la douleur comme une cuillère de miel se viendrait délayer une potion trop amère. Des lames dacier me déchirent le flanc. Le poumon senflamme à chaque inspiration. Lorsque la brûlure un instant s’apaise, des aiguilles prennent le relais, sinsinuent sous la côte pariétale, ou bien jouent sur le bord du sternum. La souffrance est habile, et négocie désormais ses emplacements, mes sensations. Car elle prend du terrain, entame avec lopium une conversation facile, et déjoue tous ses tours. Reine ignoble et salope, elle envahit le plexus avec un air de victoire. Et la voilà: qui demeure et qui trône au milieu de mon corps, de mon être, et dirige mes pensées. Mon hygiène toute entière est consacrée à cette absinthe puante qui sécoule par mes pores, jen arrive à souhaiter ces putains de médicaments. Je rêve dopiums, dhéroïnes ou dalcools pour me distraire de ce mal. Le paysage seul y parvient. Spectacle royal, un rayon se projette sur le port et désintègre les bateaux. Le voici qui savance au milieu des arbres et profile sa lueur. Un îlot de phosphore iridescent se transforme en petit fort insulaire entouré de rocailles. Au loin la côte se dessine, incertaine, toute voilée de nuages. La lumière déclinante s’échoue sur son visage. –La douleur, la douleur…- Nous ornons le coeur de Saint Servan à notre manière, en airs de passants venus d’un autre temps, d’un autre espace inspiré d’ambroisie. Je porte un instant mon regard au loin, comme attiré par ces promeneurs qui longent les murailles et resplendissent dans le couchant. Lespace de quelques secondes je mévade avec eux. Incapable pour linstant de marcher aussi loin, la réalité me rattrape. Cest finalement par la conversation que je menvole. Enthousiastes de notre nouvelle vie qui prend forme, du terrain de jeu qui se profile, nous rêvons à demain, de la vue que nous avons de lappartement, de cet air poétique, familier qui remplit lair au-dessus de nos têtes, et du toit qui sous les combles a quelque allure un peu romantique. Un dernier élan vient embraser ma poitrine et dérober linstant. La Douleur a toujours raison de moi, quelque soit le succès que je cherche à lui reprendre. Découragé, je finis par réclamer que nous rentrions. Nous nous précipitons dans une pharmacie, et davaler une poignée dopiacés. Que ma vie se ressemble à une toxicomanie, élémentaire distraction contre la souffrance. Quen est-il vraiment de linstant? une note en suspens qui nattend que de sonner pour distraire le chaos, avant quintarissablement le silence ne revienne et nocculte le mouvement, le Beau, le Sublime, la lueur du Dedans. La douleur est une hygiène quil est nécessaire dentretenir avec grand soin, une fleur qui, chaque jour, me caresse les côtes avec délectation.
Posted on: Thu, 31 Oct 2013 05:20:38 +0000

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