La violoniste Ses doigts fins glissaient sur les cordes, - TopicsExpress



          

La violoniste Ses doigts fins glissaient sur les cordes, dansaient sur le bois mais ce que je trouvais encore plus beau c’est quand tout son visage jouait la mélodie. Ses yeux mi clos dont les cils battaient la mesure, ses lèvres qui s’entrouvraient ou se serraient selon les notes. Tout son corps résonnait de musique. Ses cheveux fous virevoltaient quand son bras s’emportait et que le prolongement de sa main frottait les cordes de son instrument avec une vigueur et une douceur qui contrastait la mélodie qu’elle jouait. Qu’elle était belle quand la musique l’animait, j’aimais l’observer. Je préférais quitter les lieux avant qu’elle n’eut fini car la seule fois où j’étais resté jusqu’à ce qu’elle pose son instrument ; elle eut l’air d’une lampe qu’on venait d’éteindre. Toute vie sur son visage s’était effacée, son corps était fade. J’étais resté éberlué devant ce changement radical. J’étais sorti de la salle avec une déception au cœur en me promettant de ne plus jamais quitter la salle après elle. La fois d’après, j’avais pu admirer sa beauté mélodieuse et avant même qu’elle ne pose son archet, j’avais déjà mis un pied dehors. Elle ne m’avait jamais vu car je me cachais dans un coin sombre de la salle pour ne pas perturber sa concentration. Elle était persuadée d’être seule dans la salle, elle l’exigeait avant chacun de ses concerts et moi, je réussissais à me cacher et à l’écouter. C’était magique. Parfois, je la voyais partir loin vers des contrées inconnues. Son bras allant et venant, ses yeux s’agrandissant et se refermant et un sourire éclairant son visage. Puis, quelques secondes plus tard son visage devenait grave et ses yeux semblaient vouloir pleurer. En vérité, plus je l’observais et plus j’avais l’impression de la connaître. Ce petit manège durait depuis plusieurs mois et depuis deux semaines, son visage n’était plus traversé par des moments de joie. Quand elle frôlait ses cordes, elle avait l’air abattue. Et puis un soir, je vis des larmes rouler le long de ses joues blanches. Mon cœur se mit à battre à tout rompre, j’étais le seul spectateur de cette tristesse soudaine. Elle lâcha son violon et s’écroula sur la scène en une pluie de sanglots. Affolé, je ne sus si je devais quitter la salle discrètement ou courir la serrer contre moi comme n’importe quel ami ferait. Seulement, elle n’était pas au courant que je l’écoutais depuis des mois en cachette et que j’avais remarqué son changement d’humeur. Même ses mélodies s’étaient noircies, elles m’avaient fait verser quelques larmes. J’étais resté sans bouger dans mon coin, mes yeux s’humidifiant en la voyant si malheureuse, je m’étais promis que si la fois suivante elle se remettait dans cet état ; je prendrais mon courage à deux mains pour aller la consoler. Et puis le soir suivant, je ne pus assister à sa répétition car on avait modifié mes horaires. Je me sentais nerveux à l’idée de la savoir seule sur scène, comment se sentait-elle ? Que s’était-il passé pour qu’elle soit si triste ? Et si elle s’écroulait et ne se relevait pas ? Elle ne pouvait pas compter sur moi car elle ne me connaissait pas mais je m’étais octroyé ce rôle de protecteur envers elle. J’aimais tellement sa musique, elle avait un talent sans pareil. Et son physique frêle allié à sa musique si forte et si intense ; ne me quittait plus. Je ne pouvais pas affirmer que je l’aimais car je ne connaissais rien de cette femme mais elle était devenue quelqu’un d’important à mes yeux. Elle rendait ma vie morne plus gaie, elle avait donné à ma routine un goût de nouveau et si elle s’effondrait…je m’effondrais aussi. Toute la soirée, je n’avais pensé qu’à elle et son violon. Qu’avait-elle joué ? Dans quel état d’esprit ? Et ce parterre de gens snob qui l’écoutait sans même se demander si cette femme qui les berçait de doux accords, était heureuse ? Evidemment, ils ne savaient pas tout ce que je savais à propos d’elle et j’étais le seul à pouvoir l’aider. Peut-être… Quand elle sortit de scène, j’avais terminé de travailler. J’attendis à l’extérieur, discret, afin de voir la jeune musicienne sortir. Quelques instants plus tard, elle quitta la salle d’un pas assuré, emmitouflé dans un long manteau en tweed. Elle était précédée de son agent et suivie par ses ingénieurs du son et autres membres de son équipe. Je l’entendis même rire. Un rire qui s’envola et éclata au beau milieu de la nuit, comme la dernière note de musique d’une longue partition. Je ne bougeai pas jusqu’à ce que le car démarre. Elle venait de conclure cette résidence d’artiste ce soir même mais je m’étais renseigné et avais appris qu’elle revenait le lendemain en journée et qu’en fin d’après-midi elle réservait un concert intimiste et privé pour tous les employés de la salle. Le lendemain, je vins donc deux heures avant ce fameux concert afin de pouvoir assister à sa répétition secrète. Je me glissai dans l’obscurité et me cachai dans un coin comme à mon habitude. Je la sentis alors pleine d’énergie, faites de gestes vifs qui faisaient danser son violon. Son corps vibra lui aussi au rythme qu’elle lui donnait, son regard était empli d’assurance et pas une seule fois elle ne ferma les yeux. Mon cœur battait de plus en plus vite, emporté par cette musique. Elle enchaîna avec une mélodie plus calme qu’elle emmena avec douceur. Elle s’assit sur le rebord de la scène, elle ressemblait à une petite fille qui rêvait. Son regard semblait perdu dans le vide à la recherche de quoi ? Je n’en avais aucune idée. Ses jambes se balançaient, seuls ses bras étaient solides et gardaient force et vigueur. Elle acheva sa musique et posa son violon à côté d’elle, un instant elle scruta chacun des fauteuils de la salle. Mon sang ne fit qu’un tour, je me ratatinai du mieux que je pus derrière un siège et me collai au mur. Elle ne vit rien, elle se leva et s’en alla derrière le rideau. Je soufflai et repris mes esprits avant de quitter les lieux à mon tour. Je m’éclipsai dans mon bureau de bric-à-brac d’électroniques, de machins cassés, de fils éventrés et de pleins d’autres choses à réparer. Il me fallut reprendre mes esprits après cette angoisse de m’être fait repérer. Je bidouillai du matériel pendant quelques minutes puis m’arrêtai un instant pour me servir du café noir. La fumée s’éleva de la tasse et l’odeur chaude et suave de la boisson embauma la petite pièce. Je fermai les yeux, inspirant une bouffée de café par le nez et me laissant retourner quelques années en arrière quand on mon père se servait matin et soir des tasses remplies de ce liquide noir qui me faisait peu envie. A l’époque, je préférais le chocolat chaud, l’odeur du lait frémissant dans la casserole et le son que faisait le liquide tombant en cascade dans mon bol, éclaboussant la poudre chocolatée. Je laissais tout d’abord le lait et le chocolat se mélanger sans les aider, je regardais les petits pâtés de chocolat se former à la surface du lait puis j’enfonçais ma petite cuillère dans le bol en faisant de grands cercles pour donner à la boisson sa couleur cacaotée. On frappa soudainement à la porte, me retirant brusquement de mes douces pensées nostalgiques. - Le concert va commencer, dépêche toi, tu vas rater le début. Pour rien au monde je ne manquerais une miette de ce concert, je bus en trois gorgées mon café serré et le sentis passer tout le long de ma trachée. J’enfilai ma veste en velours noir, puis suivis mon collègue jusqu’à la salle de spectacle. Nous rentrâmes dans le noir, tâtonnant afin de nous installer sur un siège. Le silence régnait en maître pour le moment, car bientôt il serait asservi par de douces mélodies qui prendraient le pas sur la froideur de ce silence. Je fixai la scène, impatient de la voir arriver, d’un pas assuré mais discret et se positionnant au milieu, mais un peu plus sur la gauche, de la scène. Comme à son habitude. Elle porterait sûrement cette robe verte foncée dont le tissu transparent sur l’arrière laissait entrevoir le haut de ses épaules jusqu’à la naissance de ses reins. Ses deux bras fins se soulèveraient, légers dans l’air, comme un envol de papillon. Puis, sa main gauche empoignerait son instrument le fixant solidement sur son épaule et son doux visage pâle se poserait gracieusement contre le bois du violon. Sa main droite, agile armé de son archet, viendrait faire vibrer les cordes en un étincellement de notes de musique. Nous attendîmes un instant avant qu’elle n’apparaisse enfin. Quelle ne fut pas ma surprise de la voir vêtue de rouge, une longue robe rouge près du corps, fendue sur le côté droit. Ses épaules et son cou dégagés, ornés d’un collier de pierres. Sa chevelure rousse remontée en chignon laissant tomber ça et là de belles boucles sur les épaules. Mon cœur fit un premier bond. Puis, elle fixa le public et regarda, une à une, les rangées cherchant je ne savais quoi au milieu de ces strapontins. Elle s’arrêta à notre niveau, pointa son archet et son regard vers les rangées du haut où nous étions installés puis elle entama son concert. Mon sang ne fit qu’un tour, mon cœur ne s’arrêtait plus de battre à tout rompre et je sentais ma chemise devenir moite. Mon collègue n’eut pas l’air de saisir ce qu’il venait de se passer. Elle savait. J’en étais certain. Je savourais son concert comme un dessert tant attendu à la fin d’un excellent repas, m’extasiant devant tant de beauté réunis en un même lieu. J’applaudis à n’en plus pouvoir à la fin de se prestation, je quittai la salle en dernier, me retournant à plusieurs reprises en espérant la voir apparaître sur scène me faisant signe de la rejoindre. Une pointe de déception m’envahit mais je retournais vite à la réalité, la soirée était finie et elle avait été magnifique, je retournai dans mon bureau pour récupérer mes affaires et sortis récupérer ma voiture. En approchant de celle-ci, je vis un bout de papier coincé entre le pare-brise et l’essuie-glace. « Merci pour le soutien inconditionnel que vous m’avez apporté en vous tapissant dans le noir pendant mes répétitions que je disais préférer seule…Votre présence rassurante et le plaisir que je lisais sur votre visage quand je jouais m’ont touché en tant que musicienne mais aussi en tant que femme. Certains soirs, ce n’est pas évident de s’emparer de son instrument et de jouer, encore et toujours, parfois j’aimerais moi aussi avoir ma pièce à moi où je travaillerais dans la tranquillité. Mais vous m’avez fait prendre conscience à quel point j’aimais mon métier, à quel point j’aimais voir le plaisir dans les yeux du public. Et à quel point j’apprécie de pouvoir transmettre ce plaisir. A très bientôt, cher Ulrich, à mon prochain concert. Je le sais. Angela » Je rentrais chez moi, le sourire aux lèvres mais presque honteux d’avoir été démasqué si facilement. Angela, je vous reverrais très vite, et cette fois je vous serrerais tout contre moi, tout près de moi et je vous glisserais à l’oreille durant l’entracte des mots tendres et encourageants. Puis après cela, je vous emmènerais avec moi. Non, mieux, vous m’emmènerez avec vous.
Posted on: Tue, 12 Nov 2013 20:01:51 +0000

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