Le train finit par s’arrêter. Le wagon de tête est loin du bâtiment central de la gare, les quais sont enfoncés dans le socle de la ville, comme une voie fortifiée, une sorte d’issue secrète conçue par un ingénieur stalinien. Le temps gris et les rares personnes emmitouflées dans leur manteau d’hiver, ajoutent à cette ambiance de ville froide, une imagerie de bande dessinée évoquant une fantasmatique cité d’Europe de l’Est. Il est venu cet été dans la ville de son enfance pour voir son père, pour voir son père mourir. Il revient cet hiver pour la maison. Il va signer des papiers et s’occuper de vider l’appartement paternel. Il va s’appliquer à jeter, débarrasser, vendre, donner. En quelques jours, il va détruire l’ichnofossile. Il n’y aura plus de traces de son père, plus d’empreinte, hormis les souvenirs et deux ou trois reliques qui perdront leur signification avec la disparition des témoins. Des objets qu’il aura gardés et qui se videront lentement de leur message, qui perdront leur code parce que personne ne possédera plus la machine capable de les lire. Il restera quelques jours dans l’appartement. Il va errer dans le quotidien de cet homme avec qui il avait vécu son enfance et qui, brutalement, était devenu un étranger quand avait cessé toute relation entre eux ou à peu près, quand son père avait déménagé et quitté sa mère pour une jeune femme aussitôt partie. Une histoire somme toute assez commune qu’il n’est pas nécessaire de raconter. Ils ne s’étaient jamais réellement retrouvés, sauf quelques rares fois, mais il y avait toujours une gêne entre eux, une eau troublée que personne ne traversait vraiment. Ils restaient chacun de leur côté et se parlaient de rive à rive avec la rumeur du cours entre eux. Extrait de : Le Lit de Gepetto.
Posted on: Wed, 28 Aug 2013 09:44:10 +0000
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