Le traumatisme fondateur : l’exil et le monothéisme En 587, - TopicsExpress



          

Le traumatisme fondateur : l’exil et le monothéisme En 587, Jérusalem est donc prise par Nabuchodonosor, roi de Babylone, rasée, le temple détruit, et l’élite de la population exilée en Mésopotamie. C’est le vrai pivot, essentiel, de l’histoire d’Israël. Celui qui donne naissance au monothéisme, à la Bible, qui n’existe pas encore, puis au judaïsme. Ce formidable traumatisme de l’Exil va provoquer un électrochoc dans cette culture et ce petit peuple, qui perd à la fois son roi, son régime politique et son administration, sa capitale, son temple et son élite culturelle et économique, ses structures religieuses, sociales et économiques. Et perd en outre sa certitude d’être protégé par un dieu national et par l’alliance inconditionnelle qu’il lui avait, pensait-il, promise. Son dieu plus fort et fidèle a été vaincu, son temple violé. Ainsi, c’est bien son identité que perd ce peuple, et simultanément son élite se trouve enlevée, jetée dehors et confrontée à une civilisation infiniment plus développée et plus puissante, plus évoluée, plus riche, plus savante, elle-même en période de bouillonnement intellectuel, de réflexion religieuse, morale et politique, qui réinterprète en particulier les traditions et les mythes du passé. Là se situera l’événement : au lieu de disparaître dans ce maelström et de se dissoudre dans cette civilisation beaucoup plus vaste, comme font les nombreux autres peuples ainsi vaincus et transplantés, celui-là va sauvegarder une identité, par un double saut conceptuel : - premier saut, il invente le monothéisme : son dieu est vaincu ? C’est qu’en réalité, il n’y a qu’un seul Dieu, au-dessus des identités nationales, créateur et maître de l’univers et de l’histoire. Les Juifs de l’Exil récupèrent l’idée politique d’empire, alors en train de s’élaborer à Babylone, pour la transférer à la divinité elle-même, et inventent ainsi le monothéisme. Ce sera le travail d’Ezéchiel puis d’Esaïe. - deuxième saut, il invente la Bible : son territoire lui a été volé ? Il transférera son territoire et son identité vers un territoire que personne ne pourra lui prendre : un livre, et l’héritage spirituel qu’il porte et transmet. Et ils se mettent à écrire… la Bible. Non seulement en rassemblant traditions orales et textes divers existants, mais en se livrant à un intense travail de réflexion et d’écriture, concernant aussi bien les origines que l’histoire, la pensée de Dieu que celle de l’avenir. Et c’est ainsi que la majorité des textes de la Bible parlent d’une manière ou d’une autre de cet événement peu resté dans les souvenirs de catéchisme : l’Exil. A cet extraordinaire et totalement novateur saut de la pensée, les Juifs de l’Exil vont ajouter une auto-légitimation : - s’il leur est arrivée cette catastrophe c’est qu’ils ont été punis ; - s’ils ont été punis, c’est parce qu’eux et leurs pères ont été infidèles au Dieu unique ; - puisqu’ils ont été punis, ils ont payé, et maintenant Dieu peut donc leur faire grâce ; - et Dieu leur maintiendra sa grâce si dorénavant ils suivent sa volonté, qui se résume en une formule simple et puissante : “Un Dieu, un peuple, une Loi, une terre, un Temple”. Formule qui résume le premier judaïsme, religion de la séparation, qui naît de ces circonstances historiques. Ce raisonnement et cette formule constitueront l’axe de la théologie et de la littérature deutéronomistes, qui domineront la pensée jujives des siècles suivants. 7 - le temps de la religion : le retour et la naissance du judaïsme. Mais cette théologie, avec son auto-justification et son auto-exhortation, est le fait d’une petite partie du peuple (10 % ?) : l’élite exilée à Babylone et dans toute la Mésopotamie. Et ceux-là, à partir de la victoire des Perses avec Cyrus en 537, vont avoir la possibilité de revenir à Jérusalem et en Palestine. Or, en Palestine, certains sont restés, petit peuple et paysans, et d’autres sont venus, issus d’autres peuples semblablement déportés par la politique de mélange ethnique de l’empire babylonien. Trois groupes sociaux aux intérêts et préoccupations différents vont ainsi se trouver confrontés : - les exilés à Babylone et ailleurs, ancienne élite de Jérusalem, qui s’installent dans la diaspora, s’intègrent à la société perse, deviennent souvent riches et cultivés — il en reste des traces historiques –, parfois influents, mais dont certains préservent, grâce au Livre, leur identité juive ; - ceux qui sont restés en Palestine et ont dû se débrouiller sur place, et se sont mélangés avec les peuples importés. Ils se sont réorganisés socialement, en prenant possession des terres et des fonctions laissées vacantes. - enfin ceux des exilés qui, à partir de 537, vont progressivement revenir au pays. Ils sont cultivés, riches comparativement à ceux restés sur place, et protégés, voire mandatés par l’autorité perse, comme Esdras ou Néhémie. Le conflit d’intérêts sera immédiat : à qui appartiennent les terres, les maisons ? Qui occupe les fonctions décisives ? Qui préside aux rites et aux sacrifices religieux ? Qui surtout représente le véritable peuple d’Israël, le peuple de Dieu ? Cela sur fond d’inégalité sociale, culturelle et économique — certains sont contraints de vendre leurs enfants — d’inflation due à l’arrivée d’une population plus riche, et de conflits de pouvoir. Avec des interventions opposées de la part des uns et des autres auprès du pouvoir perse… Le conflit prendra rapidement une dimension idéologique, autour de l’accès au Temple et de l’identité du véritable peuple de Dieu. Chaque groupe édifiera alors son idéologie propre, avec son corps de doctrine théologique, et à cette fin réécrira des mythes fondateurs, en relisant la mémoire du passé pour justifier sa propre légitimité. Ainsi : - ceux qui restent en exil insisteront sur la légitimité de la vie en diaspora sans reniement, et produiront des livres comme Esther, Daniel ou Joseph ; - le peuple resté au pays insistera sur la légitimité de la terre et de qui l’habite, et produira donc la saga des patriarches, Abraham, Israël, Jacob ; - tandis que ceux qui rentreront d’exil insisteront sur le déplacement qui légitime, et produiront le mythe de l’Exode… Parce que, en réalité, l’Exode c’est l’Exil. En sorte que les différentes histoires des origines, au sein même de la Bible, se révèlent polémiques, non seulement face à la menace de dissolution dans la culture mésopotamienne ambiante, mais aussi à l’intérieur du peuple, entre deux ou trois situations sociales et psychologiques antagonistes. Les vainqueurs de ce combat entre différents partis seront bien sûr ceux qui détenaient la richesse, l’appui de l’autorité impériale, enfin l’avantage culturel et par conséquent idéologique. C’est-à-dire ceux qui reviennent d’Exil, et dont les représentants seront Esdras et Néhémie, nommés par le pouvoir perse, et Zorobabel. Leur théologie légaliste, le deutéronomisme, l’a emporté et a pu fonder le judaïsme tel qu’il est toujours vivant. Mais leur restauration restera un relatif échec, puis viendront l’occupation grecque, ensuite romaine, d’où une immense frustration religieuse et nationale. Et le besoin d’autre chose, d’une vraie nouveauté, d’un salut, d’un Messie… Mais ceci est une autre histoire.
Posted on: Thu, 31 Oct 2013 13:44:54 +0000

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