Le voleur de voitures Un bruit de vaisselle que l’on range - TopicsExpress



          

Le voleur de voitures Un bruit de vaisselle que l’on range dans un placard interrompt mon sommeil. Dans la cuisine, j’échange un sourire avec Mado, ouvre le réfrigérateur, découpe un carré dans la tablette de chocolat noir, qui avec l’abricot pris dans le compotier, chasseront de ma bouche le goût amer laissé par les cigarettes. Sous la douche, alternant jets algides et jets bouillant, je combats les derniers vestiges de l’hébétude dans laquelle m’a laissé un long moment mon somme... Mado a lavé mon linge et repassé mon costume, et maintenant elle prépare mon sac et un thermos de café noir. Elle ne me répond pas quand je tente de lui parler de Séverine. La Mercedes est sèche. Elle sent la peinture et le neuf. Je la trouve superbe. Sa carte grise et ses plaques de l’exportation m’ont rendu l’esprit serein. Le coupe circuit est dissimulé sous le tableau de bord, le démarreur ne sera remplacé qu’à Francfort. Mais bientôt je n’aurai plus à m’en préoccuper, les nouveaux modèles m’a dit Max seront équipés de cartes à puce. Le compteur kilométrique marque trois mille kilomètres. Le propriétaire doit regretter l’antivol par satellite que lui a proposé le concessionnaire pour quelques euros de plus. J’embrasse Mado. Elle a dessiné sur une feuille de papier le tracé de la route qui rejoint l’A 14 en évitant Poissy. J’ai aussi étudié le plan de Max indiquant comment prendre dès la sortie de l’autoroute la b44, Kennedy Allée et la Morgensternstraße vers la Schweizer Platz, et puis je l’ai brûlé. Le silence onctueux du moteur se change en feulement ouaté quand Porte Maillot j’accélère pour rejoindre le périphérique Séverine me turlupine. Je glissé un C.D dans le lecteur. La Callas chante Una voce poco fa, l’air de Rosine dans le deuxième acte du Barbier de Séville. La climatisation est réglée, la circulation fluide et il y a une boite de kleenex au-dessus du tableau de bord. Les dernières lueurs du jour répandent un vomi blanchâtre sur la façade des immeubles jaunes du paysage sélénite. Le régulateur de vitesse enclenché, l’allure de la voiture se stabilise dans un roulement régulier, à peine troublé par la compression rythmée de l’air qu’il provoque sur le béton des garde fous. Pendant les vacances de Noël et celles d’hiver, je quitte Paris à dix huit heures et je couche à Wiesbaden. Mais à partir de Pâques, je ne peux partir avant vingt et une heures et je n’ai plus le temps de faire un détour par Wiesbaden. Ce soir je m’arrêterai encore sur une aire de stationnement proche de la frontière où je ferai un somme pour compléter la sieste faite avant mon départ. Je rêve d’un grand lit aux draps clairs et frais. La Callas a chanté trois airs de La Vestale coup sur coup O Nume Tutelar degli infelici, Latona, odi i miei prieghi… Lultimo voto mio ti muova… L’aire de stationnement est déserte même si un camping car immatriculé en Belgique est garé sous les saules pleureurs argentés qui longent le grillage du parking. J’éprouve un sentiment de solitude à cause de ce rayon de lumière crue qui dans la nuit noire scintille sur le bâtiment des toilettes. Sur le mobicarte aucun appel de Séverine n’est signalé, seulement un SMS du doyen. J’incline mon siège et programme dans ma tête quatre heures de sommeil. Quatre heures. Des frissons me font tressaillir. L’humidité se faufile en moi comme un serpent. Avant de boire le café de Mado, je me gargarise de Badoit pour dissiper l’amarescence due à l’abus de cigarettes. Le camping car a disparu. Je sors de la voiture et pisse sur le gazon puis direction Forbach, Merlebach avec Sébastien Bach, ses concertos brandebourgeois à fond dans la nuit noire. Les deux premiers sont en fa majeur, les deux autres en sol majeur. Un compact disc acheté voilà vingt ans déjà trois francs six sous dans un super marché, qui fut enregistré dans cette Allemagne que l’on disait de l’Est par le Philharmonia Slavonia Leitung dirigé par Karel Brazda Je passe la frontière à cinq heures précises, via Sarrebruck, Mannheim. Mon regard fixe le rayon des phares, ma pensée revient à la description que Le Clézio a faite de l’appartement de sa tante dans Révolutions, et maintenant d’autres images, réelles cette fois, surgissent sur la route déserte. On avait enterré Gus au début de l’après midi, elle pleurait. Rue Camille Pelletan à Levallois-Perret, une fenêtre étroite ouverte sur le coté sombre de la rue jetait un éclat lugubre dans son appartement minuscule. Les pots de verre épais rangés sur une étagère au dessus de l’évier étaient semblables à ceux de ma grand-mère Albertine et leurs bouchons de liège laissaient eux aussi échapper une odeur de vanille et de cannelle. A côté de la pendule en bois d’ébène incrusté d’arabesques nacrées posée sur le buffet, Gus en tenue camouflée se fendait la poire sur une photo noir et blanc prise dans le djebel Amour. Je pensais revenir, lui apporter du chocolat, des marrons glacés, l’emmener prendre une coupe de champagne au bar du George V. Mais lorsque je l’ai appelée, une bande magnétique m’a répondu que son numéro n’était plus attribué… Puccini. Mirella Freni madame Butterfly, le frisson garanti. Un bel di, vedremo evarsi un fil di fumo... sullestremo confin del mare. 5H30. Le jour se lève. E poi la nave appare. Poi la nave bianca entra nel porto... J’ai pris du retard. La règle voulue par Max exige un strict respect de l’horaire pour que Herbert le propriétaire du garage d’accueil et associé de monsieur Paul, puisse avant le départ des voitures volées pour Dubaï, via Berne, Milan et Gènes, avoir le temps de reproduire les papiers qui ont été utilisés pour les amener à Francfort. Papiers qui ensuite seront restitués aux voitures acquises légalement en Allemagne et que les convoyeurs retournant en France, emmènent au garage de l’Avenir pour y être normalement revendues. J’accélère. Le compteur indique plus de deux cents kilomètres heure sans que le comportement du moteur ne varie d’un pouce. Je conduis bien mieux depuis que j’ai pris des cours de pilotage. Jo, vous ne serez jamais à l’abri d’une filature ni d’une course poursuite sur l’autoroute m’avait dit Max lors de mon entretien d’embauche. Moi qui suis si distrait je ne pensais pas saisir si vite les subtilités de la conduite, je sais désormais gérer les obstacles, les freinages d’urgence, les pertes d’adhérence sur routes inondées... Le jour est levé. Le soleil fait son ménage, chasse à grands éclats les derniers troubles de la nuit . Il y a peu de circulation dans la ville pas encore éveillée et que je retrouve avec joie malgré ma crainte de ne pas repérer la Kennedy Allée. Je n’ai jamais pu prendre le temps de visiter Francfort. J’aime pourtant cette ville dont je ne connais que les hautes tours érigées sur le Main comme celles de La Défense sur la Seine, le jardin zoologique, la place de l’Opéra au centre ville et le petit restaurant tout à côté, près de la fontaine, et bien sûr le musée d’art moderne que le Francfortois ont baptisé la part de tarte et qui expose Warhol, Lichtenstein et Oldenburg que je n’aime guère, mais aussi quelques expressionnistes abstraits que j’aime bien davantage. Vous devrez rester ce soir à Francfort m’avait dit Max, la voiture a eu un pépin, vous ne pourrez la prendre que demain matin. Je n’ai jamais revu Elsa qui dans un français hésitant m’avait demandé si les photographies de Bettina Rheims me plaisaient. Nous avions dîné sur la terrasse du restaurant de la place de l’Opéra où elle m’avait embrassé en m’enfonçant profondément sa langue dans la bouche. Puis elle était partie peu après car son mari l’attendait, et je n’ai jamais su si elle disait vrai ou si elle avait changé d’avis. Il est exactement 6H45. J’ai trouvé sans difficultés le chemin du nouveau garage La ville a perdu son innocence. Le jour se lève, l’aurore qui a suivi l’aube éteint progressivement les gris nocturne et diurne, et rosit la façade des immeubles…
Posted on: Tue, 19 Nov 2013 11:20:34 +0000

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